Chères amies, chers amis,

Je me permets de vous informer de la 3e séance du séminaire de l’ARPPS, le jeudi 25/5 à 20h30. . En voici le programme :

Lionel Le Corre (psychanalyste, chercheur associé Univ. Paris VII):  « Histoire et psychanalyse : ce que nous apprennent Chrysippe et les saintes trans » ;

Thierry Goguel d’Allondans (anthropologue, Univ. Strasbourg): « No tabou, parlons de tout ».

https://us02web.zoom.us/j/87449279875?pwd=WkIzaEpIcjJSdTRlZk1EbW5saWpCQT09

Cette séance portera donc sur le thème « Histoire et inconscient », qui constitue le deuxième axe de réflexion de l’ARPPS, en plus du thème « Devant l’effondrement ».

Intervenants au séminaire : Patricia Gherovici (psychanalyste, New York-Philadelphie), Elissa Marder (professeure en littérature française et comparée, Emory University, Atlanta), Frédérique Riedlin (psychanalyste, Strasbourg), Sandrine Israël-Jost (philosophe, HEAR Strasbourg), Geremia Cometti (anthropologue, Univ. Strasbourg), Lionel Le Corre (psychanalyste, chercheur associé Univ. Paris VII), Thierry Goguel d’Allondans (anthropologue, Univ. Strasbourg), Jonathan Nicolas (psychologue, chargé de cours Univ. Strasbourg), Stéphane Muths (psychanalyste, chargé de cours Univ. Strasbourg), Jean-Philippe Milet (philosophe, Paris), Jacob Rogozinski (philosophe, Univ. Strasbourg), Vincent Stutz (psychanalyste, Strasbourg), Stefan Kristensen (philosophe, Univ. Strasbourg), Dimitri Lorrain (psychanalyste, Strasbourg)…

Ici des informations sur l’ARPPS (sur mon blog en attendant que l’ARPPS ait un site):

Pour le programme actualisé du séminaire :

Et l’enregistrement des séances de notre séminaire :

https://www.youtube.com/@ARPPS

Si vous êtes intéressé.e.s par nos activités, vous pouvez écrire à : corpshistoirepsyche@gmail.com.

Chères amies, chers amis,

Pour celles et ceux d’entre vous qui comprenez l’anglais, ici une intervention passionnante d’Elissa Marder sur la question du changement climatique, envisagée principalement en élaborant Freud.

Elle y dialogue avec Patricia Gherovici, Clint Burnham et David Lichtenstein. Jamieson Webster modère la séance.

Cette intervention a lieu dans le cadre de l’association Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.

Elissa Marder interviendra l’année prochaine dans le cadre du séminaire de l’ARPPS portant sur le thème : « Devant l’effondrement ». Date et titre à définir.

Elissa Marder est professeure de littérature française et comparée à Emory University et affiliée aux départements de philosophie et de « Women’s gender and sexuality » de la même université. Elle est membre fondatrice du programme d’études psychanalytiques d’Emory dont elle a été la directrice. Elle est aussi associée à l’ICI Berlin.

Ses travaux sont situés à l’intersection entre psychanalyse, déconstruction et féminisme. Ils élaborent les questions de la temporalité, de la naissance, de la différence sexuelle et des limites de l’humain.

Parmi ses publications: « Literature and Psychoanalysis: Open Questions », dir. Elissa Marder, in « Paragraph », vol.40, issue 3, nov. 2017; « The Mother in the Age of Mechanical Reproduction: Psychoanalysis, Photography, Deconstruction », 2012; « Dead Time: Temporal Disorders in the Wake of Modernity (Baudelaire and Flaubert) », 2001.

Elle a participé au livre collectif « Psychoanalysis, gender, and sexualites », dir. Patricia Gherovici and Manya Steinkoler:

Chères amies, chers amis,

Ici la vidéo de la 2e séance du séminaire de l’ARPPS, mardi 9/5/2023 à 20h30, portant sur le thème « Devant l’effondrement ».

Sandrine Israël-Jost (philosophe, HEAR Strasbourg) donne une intervention qui a pour titre : « Winnicott et Maldiney, penser ensemble crise et effondrement.

Pour ma part j’interviens en élaborant sur la question: « Quelle subjectivation à l’époque de l’effondrement ? ».

Répondant : Stéphane Muths (psychanalyste, Strasbourg).

Ici la vidéo :

Ici des informations sur l’ARPPS (sur mon blog en attendant que l’ARPPS ait un site):

Pour le programme actualisé du séminaire :

Et l’enregistrement de la 1e séance de notre séminaire :

N’hésitez pas diffuser l’information autour de vous.

Contatc: corpshistoirepsyche@gmail.com.

Chères amies, chers amis,

Pour celles et ceux qui comprennent l’anglais, je vous mets ici le lien vers la passionnante intervention de Patricia Gherovici et Manya Steinkoler sur le récent livre collectif qu’elle ont dirigé : Psychoanalysis, Gender and Sexualities: From Feminism to Trans* (Routlegde, novembre 2022). Cette intervention, menée dans le cadre du podcast de Vanessa Sinclair Rendering uncounscious, que je vous conseille très vivement, vous présente l’ouvrage en détails.

RU231: PATRICIA GHEROVICI & MANYA STEINKOLER ON PSYCHOANALYSIS, GENDER & SEXUALITIES

Elaborant particulièrement les apports féministes et trans, mais aussi ceux des études de genre, ou encore des pensées queer, cet ouvrage collectif est un livre majeur. Il ouvre entre autres à une psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, car relisant Freud et Lacan de manière novatrice, mais aussi, lorsque cela est nécessaire, critique. La préface de Patricia Gherovici et de Manya Steinkoler propose une réflexion particulièrement éclairante sur la situation contemporaine de la subjectivité et de la psychanalyse.

.

Présentation de l’éditeur 

Transcending the sex and gender dichotomy, rethinking sexual difference, transgenerational trauma, the decolonization of gender, non-Western identity politics, trans*/feminist debates, embodiment, and queer trans* psychoanalysis, these specially commissioned essays renew our understanding of conventionally held notions of sexual difference.

Looking at the intersections between psychoanalysis, feminism, and transgender discourses, these essays think beyond the normative, bi-gender, Oedipal, and phallic premises of classical psychoanalysis while offering new perspectives on gender, sexuality, and sexual difference. From Freud to Lacan, Kristeva, and Laplanche, from misogyny to the #MeToo movement, this collection brings a timely corrective that historicizes our moment and opens up creative debate.

Written for professionals, scholars, and students alike, this book will also appeal to psychoanalysts, psychologists, and anyone in the fields of literature, film and media studies, gender studies, cultural studies, and social work who wishes to grapple with the theoretical challenges posed by gender, identity, sexual embodiment, and gender politics.

Transcending the sex and gender dichotomy, rethinking sexual difference, transgenerational trauma, the decolonization of gender, non-Western identity politics, trans*/feminist debates, embodiment, and queer trans* psychoanalysis, these specially commissioned essays renew our understanding of conventionally held notions of sexual difference.

Looking at the intersections between psychoanalysis, feminism, and transgender discourses, these essays think beyond the normative, bi-gender, Oedipal, and phallic premises of classical psychoanalysis while offering new perspectives on gender, sexuality, and sexual difference. From Freud to Lacan, Kristeva, and Laplanche, from misogyny to the #MeToo movement, this collection brings a timely corrective that historicizes our moment and opens up creative debate.

Written for professionals, scholars, and students alike, this book will also appeal to psychoanalysts, psychologists, and anyone in the fields of literature, film and media studies, gender studies, cultural studies, and social work who wishes to grapple with the theoretical challenges posed by gender, identity, sexual embodiment, and gender politics.

.

Table des matières

Introduction 

Part 1: The Genealogy of Sex and Gender 

1. ‘Freud’s Ménage à quatre’ 

Tim Dean

2. ‘Glôssa and « Counter-Will »: The Perverse Tongue of Psychoanalysis’ 

Elissa Marder

3. ‘The Gender Question from Freud to Lacan’

Darian Leader

4. ‘Two Analysts Ask, « What is Genitality? Ferenczi’s Thalassa and Lacan’s Lamella »‘ 

Jamieson Webster and Marcus Coelen

5. ‘Undoing the Interpellation of Gender and the Ideologies of Sex’ 

Genevieve Morel

Part 2: Queering Psychoanalysis: Fantasy, Anthropology and Libidinal Economy 

6. ‘The Role of Phantasy in Representations and Practices of Homosexuality: Colm Tóibín’s The Blackwater Lightship and Edmund White’s Our Young Man‘ 

Eve Watson

7. ‘Oscar Wilde: Father and Som

Ray O’Neill

8. ‘Does the Anthropology of Kinship Talk about Sex?’ 

Monique David-Ménard

9. ‘From Fundamentalism to Forgiveness: Sex/Gender Beyond Determinism or Volunteerism’

Kelly Oliver

10. ‘Sexual (In)difference in Late Capitalism: « Freeing Us from Sex »‘ 

Juliet Flower MacCannell

Part 3: Being and Becoming TRANS-* 

11. ‘Tiresias and the Other Sexual Difference: Jacques Lacan and Bracha L. Ettinger’ 

Sheila L. Cavanagh

12. ‘In-Difference: Feminisim and Transgender in the Field of Fantasy’ 

Oren Gozlan

13. ‘Translation, Geschlecht and Thinking Across: On the Theory of Trans-‘ 

Ranjana Khanna

14. ‘Scenes of Self-Conduct in Contemporary Iran: Transnational Subjectivities Knitted On Site’

Dina Al-Kassim

15. ‘Lacanistas in the Stalls: Urinary Segregation, Transgendered Abjection, and the Queerly Ambulant Dead’ 

Calvin Thomas

16. Dany Nobus, ‘Becoming Being: Chance, Choice and the Troubles of Trans*cursivity’ 

Dany Nobus

17. ‘Just Kidding: Valeria Solana’s SCUM and Andrea Long Chu’s Females‘ 

Elena Comay del Junco

18. ‘Transgender Quarrels and the Unspeakable Whiteness of Psychoanalysis’

Yannik Thiem

https://www.routledge.com/Psychoanalysis-Gender-and-Sexualities-From-Feminism-to-Trans/Gherovici-Steinkoler/p/book/9781032257600

.

Patricia Gherovici et Manya Steinkoler ont déjà publié ensemble Lacan On Madness: Madness Yes You Can’t ( Routledge, 2015) et Lacan, Psychoanalysis and Comedy (Cambridge University Press, 2016).

.

Patricia Gherovici est psychanalyste, elle exerce à Philadelphie et à New York. Elle a obtenu en 2020 le Sigourney Award pour son travail clinique et théorique à propos de la question du genre et de la communauté latino aux Etats-Unis.

Elle a est la co-fondatrice et la directrice du Philadelphia Lacan Group et de l’Associate Faculty, Psychoanalytic Studies Minor, University of Pennsylvania (PSYS).

Elle est membre honoraire de l’IPTAR, l’Institute for Psychoanalytic Training and Research à New York.

Elle participe aussi aux travaux de l’institution de Formation Pulsion : https://pulsioninstitute.com/

Elle est encore membre fondatrice de l’institut de Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.

A noter encore: sa passionnante intervention (en anglais) sur le futur de la psychanalyse (avec le Covid, la mondialisation des échanges psychanalytique grâce à Internet…), sur le site de Vanessa Sinclair (New York), dans le cadre du podcast « Rendering unconscious »:

RU212: PATRICIA GHEROVICI – IS THERE A FUTURE FOR PSYCHOANALYSIS?

D’ailleurs, je vous conseille très vivement ce podcast: http://www.renderingunconscious.org/

Ici le site (en anglais) de Patricia Gherovici : https://www.patriciagherovici.com/

Et le site passionnant (en anglais), que je vous conseille (beaucoup de vidéos, de textes etc.) de Das Unbehagen : http://dasunbehagen.org/
​Parmi ses livres, l’on trouve son livre de référence sur la question trans : « Transgenre. Lacan et la différence des sexes (Stilus, 2021). Voir : https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/

Et puis son absolument passionnant « Lacan dans le ghetto. Psychanalyser le « syndrome porto-ricain », qui a reçu le Gradiva Award et le Boyer Prize. Mais aussi  Please Select Your Gender: From the Invention of Hysteria to the Democratizing of Transgenderism (Routledge, 2010).

Elle a aussi publié avec Chris Christian, Psychoanalysis in the Barrios: Race, Class, and the Unconscious  (Routledge, 2019, vainqueur du Gradiva Award et du American Board and Academy of Psychoanalysis Book Prize).

.

Manya Steinkoler est psychanalyste à New York et professeur de littérature, cinéma et théorie psychanalytique d’orientation lacanienne, Borough of Manhattan community college, City university of New York (CUNY).

Elle a aussi dirigé, avec Vanessa Sinclair, le livre collectif On Psychoanalysis and Violence: Contemporary Lacanian Perspectives (Routledge, 2018).

En français, elle a publié différents articles, et a participé à l’ouvrage collectif dirigé par J.-J. Moscovitz (auquel a participé entre autres Benjamin Lévy) Violence en cours, Erès, 2017.

           

            Chères amies, chers amis,

Je vous fais ici part d’un texte élaboré en lien à différentes interventions sur différentes questions : mon intervention, au séminaire de recherches de l’équipe RPPsy de l’Université Catholique de l’Ouest (à Angers), animé par Patrick Martin-Mattera et Alexandre Lévy, le 17 mars 2023, portant sur ma pratique et ma conception de l’analyse, particulièrement en lien à l’apport de Lucien Israël ; le travail en commun au séminaire de l’ARPPS; mais aussi le séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY) portant sur la question du « féminin », que nous co-animons avec Dominique Marinelli et Emmanuelle Chatelat, et où nous mettons psychanalytiquement au travail les apports des études de genre et des pensées féministes et queer les plus fécondes [1]

            Cette réflexion n’engage que moi-même.

**

            J’aimerais dans ce texte vous parler de ma pratique et de ma conception de la psychanalyse, au regard de la situation contemporaine de la subjectivité. Pour cela, je vous présenterai la manière dont je mets au travail les enseignements de Lacan et de son élève strasbourgeois Lucien Israël (1925-1996). J’aimerais rappeler qu’Israël est un classique du freudo-lacanisme français et est la figure qui a permis que la psychanalyse dans l’Est de la France soit en grande partie freudo-lacanienne. Il a d’ailleurs élaboré une œuvre singulière, novatrice, dont je vais vous parler.

            Au regard de l’évolution contemporaine des discours et des mécanismes psychiques, j’aimerais ici insister sur un point qui me semble particulièrement important : c’est seulement en insistant sur la dynamique créatrice de la parole dans la cure, que la psychanalyse pourra continuer d’apporter des choses[2].

**

            Je parle donc de création, mais en quel sens ? Pour dire quelques mots de cela, j’aimerais faire une remarque préliminaire. La psychanalyse, ça part de ce qui cloche dans l’existence, dans la vie psychique et dans la parole du sujet. Ca part de ce qui cloche, est illogique, dans les formations de l’inconscient existant dans sa parole (rêve, symptôme, lapsus, acte manqué) et liées à l’ambiguïté de celle-ci.

            La psychanalyse part donc de ce qui cloche, en soutenant la dynamique de parole, le geste d’énonciation, le dire subjectif et créateur, chez le sujet. En ce sens, la psychanalyse, ça crée du sujet et du nouveau au niveau de la parole singulière du sujet. Ca produit du subjectif et du nouveau symbolique, signifiant. Et pour cela, point fondamental (dont je parlerai plus loin), ça évide la parole. Ca crée le vide qui, lui, crée le saut de parole, le saut signifiant, la métaphore, qui va permettre le nouveau dans la parole, ce que Lacan appelle le changement de discours.

            Dès lors, l’écoute, en psychanalyse, de la singularité de sa parole fait que le sujet, s’il n’a pas encore pu accéder à sa subjectivité, va pouvoir naître à sa subjectivité. Et, si le sujet y a déjà accédé, il pourra par le travail psychanalytique se positionner autrement par rapport à ce qui cloche, et par rapport ce qui est important dans sa vie. Et il pourra envisager les choses autrement, de manière plus désirante, subjective, créative, mais aussi en acceptant toujours plus (interminablement) l’existence du réel. Du réel, tel que le définit Lacan, comme « impossible ». Le réel, en effet, c’est en premier lieu la mort, mais aussi le sexe, ou tout ce qui excède inéluctablement notre capacité de représentation et d’appréhension[3]. Et, par le travail psychanalytique, le sujet pourra tout d’abord se mettre en crise, il pourra assumer que quelque chose cloche, puis, avec le temps, savoir y faire, de manière créatrice, avec ce qui cloche – avec le symptôme. Savoir y faire avec ce qui cloche, l’ambiguïté dans sa parole (féconde si le sujet l’accueille), l’existence d’un inconscient, d’un latent, dans sa parole. Savoir y faire avec son symptôme, ses angles morts, ses mécanismes de défense et d’évitement. Avec ce que cela implique en termes de plasticité psychique[4], d’accueil de l’existence de l’inconscient, du latent. Avec ce que cela implique de souplesse des mécanismes de défense et d’évitement. Pour être moins dans le contrôle (même si le sujet pour raison narcissique a toujours une tendance au contrôle). Pour être plus capable d’accueillir de manière créative le désir et l’inconscient, d’accepter l’existence du réel. Et être plus capable d’accueil l’altérité de l’autre. Il en va là d’une dynamique de subjectivation.

            Bref, avec la psychanalyse, il va pouvoir y avoir du nouveau pour le sujet, dans sa parole et dans sa vie. Du nouveau venant de soi, l’autre, du monde. Du nouveau dans le fait qu’émerge le désir du sujet, avec son énigme, sa latence, dans sa parole et sa vie. Il en va là du désir et de son énigme, qui rend, malgré tout, si le sujet s’ouvre à lui, la vie ouverte, savoureuse. Avec ce que cela implique, en plus de l’acceptation de l’existence du réel, en termes d’accueil de soi et de l’autre. Avec ce que cela implique aussi pour le sujet de capacité à se dégager de la demande de l’environnement, et à se dégager de la norme liée à cette demande ; de sa capacité à dénormativer sa parole ; pour suivre son geste singulier, créatif, et accueillant aussi et soi et l’autre.

            En somme, la psychanalyse, ça produit des nouveaux mots, des nouveaux signifiants, ça produit les sauts qualitatifs subjectivants de sa parole, qui produit le changement de discours, de positionnement, de perspective. La psychanalyse, ça permet une dynamique de changement, de subjectivation, porteuse de nouveau. Et particulièrement ça permet l’acceptation de l’existence du réel, et l’accueil de soi et de l’autre.

            En cela, la psychanalyse, ça peut aider le sujet à naître à sa subjectivité et à sortir de la compulsion de répétition sous sa forme massive. En même temps qu’il y aura toujours du symptôme, des angles morts, de l’évitement, de la compulsion de répétition.

            Dans ce cadre, l’appréhension, dans l’écoute psychanalytique, des normes (institutionnelles, ou bien binaire, androcentrée, hétéronormative[5], ou autre) dans lesquelles le sujet est pris, cette appréhension est nécessaire. Justement pour aider le sujet à se dégager de cette norme, en ce qu’elle verrouille sa compulsion de répétition, et empêche la plasticité psychique, et sa subjectivation.

            En d’autres termes, la psychanalyse, c’est un dispositif de parole permettant, dans une énonciation subjective, un dire créateur – spécifiquement créateur –, le déploiement d’une dynamique créatrice et éthique – éthiquement créatrice – de parole. Qui est profondément dénormativante.

            Autre manière de dire aussi, que la psychanalyse, c’est une question de dynamique de parole. Ce quelques soient les thématiques dont il est question.

            C’est pour cela (j’en parlerai plus tard dans ce texte) que, si la lecture thématique de Freud et de Lacan, pour en critiquer les dimensions normatives (binaires, androcentrées, hétéronormatives, ou autre) est féconde et nécessaire, cela n’annule en aucun cas la fécondité de la psychanalyse comme dynamique de parole créatrice. Et cette dynamique créatrice est permise en premier lieu par les apports fondamentaux, sur cette question comme sur d’autres, de Freud et de Lacan (6) – particulièrement les réflexions de ce dernier sur le symbolique et le signifiant. Bref, s’il s’agit de critiquer certaines dimensions des discours de Freud et Lacan, mais aussi du freudo-lacanisme, il s’agit à mon sens aussi de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, pour pratiquer un freudo-lacanisme ouvert. De la même manière, en ce qui concerne les réflexions de certains auteurs hors-psychanalyse, ayant une dimension binaire, androcentrée ou hétéronormative, je trouve fécond de mettre au travail leurs apports, malgré cette dimension.

            Ainsi, pour faire référence aux débats sur le symbolique ou le structuralisme, parler de symbolique et de signifiant, surgissant subjectivement, créativement, dans la parole, dans l’énonciation, dans le dire, cela n’a rien de dogmatique. Mais, au contraire, cela nous permet d’appréhender en quoi la parole peut être créatrice, porteuse de nouveau, de subjectivité, de désir, d’accueil de soi et de l’autre ! Plus encore, envisager le symbolique et le signifiant dans la dynamique de parole, de l’énonciation, du dire, comme le fait Lacan, eh bien cela éloigne dans les faits de ce que l’on appelle le « structuralisme » sous sa forme mainstream, pour en donner une forme subjectivée.

**

            Voici donc pour ma remarque préliminaire. Une fois cela dit, j’aimerais insister sur le durcissement institutionnel généralisé qui a lieu en ce moment – dont j’ai parlé dans mon texte intitulé « Apports de la psychanalyse créative »[7]. Bien sûr, il existe parfois des institutions qui échappent à ce durcissement. Mais ce durcissement est toutefois une tendance dominante dans les institutions contemporaines.

            A mon sens, en ce qui concerne les questions du psychisme et du discours, ce durcissement cherche à empêcher que la parole – et le lien de parole qui va avec – se déploie. Il en va là de ce que Foucault en 1971 appelle la logophobie : « il y a sans doute, dit-il, dans notre société (…) une profonde logophobie, une sorte de crainte sourde contre ces événements, contre cette masse de choses dites, contre le surgissement de tous ces énoncés, contre tout ce qu’il peut y avoir là de violent, de discontinu, de batailleur, de désordre aussi et de périlleux, contre ce grand bourdonnement incessant et désordonné du discours »[8]. Et cette logophobie, ce rejet de la parole – je dirais, en termes psychanalytiques, ce rejet de la parole subjective, créatrice –, elle a une histoire. Foucault nous aide beaucoup pour cette histoire. Lui qui a dégagé ce qu’il est de ce qu’il appelle le « pastorat » dans l’histoire longue, bref ces dispositifs relevant de ce que la tradition appelle la « direction de conscience ». Je parlerais pour ma part de dispositifs de direction du discours, de direction de la parole du sujet. Foucault a posé la question de la directivité discursive qui se déploie sous différentes formes dans l’histoire, justement, des institutions. Et, dans les faits, cette directivité discursive va dans le sens du déploiement collectif d’un discours normatif qui est logophobe, qui, je dirais, empêche la parole, la parole subjective et créatrice. Plus encore, Foucault nous permet aussi de penser la manière dont cette directivité discursive est allée avec la binarité, l’hétéronormativité – ou l’androcentrisme.

            Historiquement, cela implique la critique d’une certaine forme de christianisme, mais aussi des discours dominants de l’Etat, de la bureaucratie,  du capitalisme – de nos jours, cela implique une critique du discours managérial. Ces discours, en effet, déploient une mise sous tutelle discursive des sujets, et un rejet de la parole subjective et créatrice. De plus, dans ces logiques discursives de pouvoir, normatives, cette mise sous tutelle est rationalisée par la mythologie d’une subjectivité de maîtrise et indemnisée, et d’un Savoir de surplomb. Ce qui, du point de vue du destin des pulsions, va dans le sens de la compulsion de répétition massive.

            Je tiens à préciser qu’en ce qui concerne la tradition riche et complexe du christianisme, il existe bien sûr des éléments ouvrants dans cette tradition. Toutes les traditions religieuses sont complexes. Mais, pour parler quelque peu de religion, j’évoquerai dans ce texte le judaïsme [9], mais aussi la philosophie élaborant le judaïsme (Rosenzweig, Levinas[10]) – d’ailleurs telles qu’elles ont été élaborées par Lacan ou Israël. Je les évoquerai en athée, et donc, concernant le judaïsme, en négligeant sans doute un élément important de celui-ci, la ritualité.

            Plus encore, toujours revenir à l’institution contemporaine, l’accélération de nos rythmes d’existence[11], liée à cette logique institutionnelle, arrive dorénavant souvent (pas toujours heureusement) à imposer une accélération de notre relation au langage, un court-circuitage de la parole ; à empêcher toute durée permettant le parole et lien de parole – et le sujet se constitue dans le lien de parole.

            Lorsque je parle d’institutions, je parle aussi des institutions numériques et du discours numérique, algorithmique, traitant les signes comme des datas, et non comme des mots, des symboles – en même temps que dans le monde numérique, aussi, des choses sont ouvrantes et fécondes[12].

            Dans le texte auquel je me permets de renvoyer le lecteur, j’ai aussi esquissé, au côté de la dimension institutionnelle, ce qu’il en est pour moi de la dimension culturelle. En ce sens, il me semble que l’évolution culturelle contemporaine, particulièrement chez une bonne partie des jeunes générations, liée aux questions de genre, ou au féminisme, va dans le bon sens sur bien des points. Et cela concerne en premier lieu la débinarisation des subjectivités et de la culture, la diversité sexuelle et de genre, et la singularisation des cheminements subjectifs[13]. Ce malgré les éléments de fermeture manichéenne qui jalonnent parfois certains discours militants  favorisant cette évolution culturelle féconde.

            Cette évolution culturelle contemporaine est ouvrante, en premier lieu parce qu’elle procède, comme le dit mon ami Benjamin Lévy, de revendications désirantes[14], particulièrement concernant les femmes (avec Metoo), les personnes LGBT – ou aussi concernant la question écologique. Cette évolution culturelle féconde est aussi liée chez nombre de sujets à un souhait de parole et de lien de parole, allant globalement dans le sens de la subjectivation.

            Bref, l’évolution culturelle contemporaine, chez une bonne partie des jeunes générations, approfondit à mon sens le fait que, comme le dit Israël, « le mérite de notre civilisation est d’être une civilisation individuelle et subjective »[15].

            Et puis, cette évolution culturelle est aussi ouvrante, car elle facilite, si le sujet va en ce sens, l’élaboration de la bisexualité psychique – que la binarité, l’androcentrisme et l’hétéronormativité rejettent. Plus encore, la remise en cause contemporaine de la binarité, de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité est permise par le féminisme, les études de genre et la pensée queer. Cela ouvre, concernant le sujet – qu’il soit LGBT ou hétérosexuel, personne non-binaire ou femme ou homme – de se dégager de la manière dont la binarité, l’androcentrisme et l’hétéronormativité poussent les sujets dans une désubjectivation. C’est là une question cruciale, sur laquelle il me faudra revenir de manière approfondie dans un autre texte. Mais je tiens ici à préciser que ce sont bien sûr les femmes et les personnes LGBT qui souffrent en priorité des conséquences sociales et subjectivement désubjectivantes de la binarité, de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité. Et il s’avère aussi que les sujets hétérosexuels en général, mais aussi les hommes, subissent, une forte désubjectivation, du fait de ces derniers. Et, pour parler des hommes, cette désubjectivation, malheureusement, régulièrement ils la font leur, pour perpétuer les normativités binaires, androcentrées et hétérocentrées, avec leurs conséquences désubjectivantes pour les femmes et les personnes LGBT. Ce qui pose la question du discours de la « virilité », de ce que Lacan a caractérisé de manière critique comme logique phallique. J’aimerais d’ailleurs insister sur le fait qu’Israël a largement critiqué le discours de la virilité – dans son grand livre Boiter n’est pas pécher. A ceci s’ajoute le fait que, chez les femmes aussi, il peut exister une tendance à la servitude volontaire, comme le montre Manon Garcia, dans le sens de la soumission au discours de la virilité. En somme, cela pose la question de la manière dont la psychanalyse peut soutenir une débinarisation subjective, une sortie de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité au niveau du sujet, et donc aussi pour les sujets hétérosexuels et pour les hommes – ouvrant ainsi à une hétérosexualité et à une masculinité ouvertes et subjectivées(16).

            Lorsque je parle de binarité, je tiens à insister sur le fait que je parle d’une binarité à la fois : culturelle, liée à discours collectif qui crée un monde où concernant le genre, il n’y a que deux genres et ils sont opposés ; et psychique, en ce que le sujet est amené à rejeter sa bisexualité psychique.

            Sachant que cette binarisation du genre, est une construction historique existant dans certaines sociétés seulement. Beaucoup de sociétés ont plus de deux genres. Et puis, concernant l’Occident, cette histoire de la binarisation culturelle a été faite de manière rigoureuse[16].

            Plus encore, l’ouverture culturelle permise par la remise en cause de la binarité ouvre pour le sujet, par exemple dans le travail psychanalytique, à une élaboration de la bisexualité psychique et à la subjectivation de sa sexuation (17). Mais elle ouvre aussi à une élaboration du fait, central pour la psychanalyse, que l’objet du désir est contingent, en ce sens qu’il n’y a pas de nécessité normative existante faisant que l’objet doit être hétérosexuel. C’est là la grande découverte de Freud, qu’il déploie dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle de 1905. Dans ce texte, il explicite en effet en quoi l’objet du désir est contingent en ce que c’est bien l’histoire contingente du désir du sujet qui détermine son orientation sexuelle – hétérosexuelle, gay, lesbienne… C’est cela qui fait qu’il n’y a pas de norme sexuelle, comme le dit Lacan.

            Ce que j’ai dit là est sans doute dû au progressisme qui est le mien. Nos discours sont toujours politiquement situés. Comme dit mon ami Benjamin Lévy, nos passions sont politiques. Et ce que j’essaie pour ma part de faire, ce n’est pas de neutraliser cette dimension politique de ma pratique et de ma pensée. Car une telle neutralisation du politique est illusoire. Mais bien plutôt j’essaie, cette dimension politique, de la dialectiser, de la subjectiver, de lui donner une forme ouverte, psychanalytique. Cela fait que j’essaie d’élaborer, de manière psychanalytique et subjectivée, les apports des pensées critiques et déconstructionnistes contemporaines (en premier lieu Foucault et Derrida, ou encore un philosophe contemporain comme J. Rogozinski[17]). Mais cea fait que j’essaie aussi d’élaborer les apports des pensées féministes et des études de genre, ou des pensées queer, les plus fécondes. Ce pour essayer d’appréhender en quoi le sujet est mis discursivement sous tutelle, est pris dans des dispositifs de pouvoir, qui le situent – comme hétéro, ou comme LGBT, ou comme femme ou comme homme ou comme autre – d’une certaine manière dans le discours collectif. Ce afin d’aider le sujet à se positionner de manière subjectivante, singularisée par rapport au discours collectif et à ces dispositifs de pouvoir. Ce afin de l’aider à sortir des tutelle discursives dans lesquelles sa parole est prise, en un geste d’« autonomie » (terme, je tiens à le relever, utilisé par Israël, en un sens bien particulier, psychanalytique – et important pour lui, nous le verrons), d’émancipation, à la fois psychique et discursif.           

            Ce que je dis là implique pour le sujet de se dégager d’une réduction – par le discours collectif, mais aussi par lui-même – de sa subjectivité à des catégories relevant de l’orientation sexuelle et du genre. Bref, la psychanalyse aide le sujet à assumer son orientation sexuelle et son genre, mais aussi à fluidifier, à subjectiver, son orientation sexuelle et son genre[18].

            Cette prise en compte des apports des théories critiques ou déconstructrices nous permet encore d’élaborer comment, dans l’histoire, la psychanalyse, comme les pensées de Freud et de Lacan, sont, pour une partie d’entre elles (pas toute heureusement), prises dans la binarité, l’androcentrisme et l’hétéronormativité. Ce aussi pour montrer en quoi la psychanalyse, et les pensées de Freud de Lacan en premier lieu, sont, par-delà cela, fondamentalement subjectivantes, car créatrices, au niveau le plus fondamental, d’une dynamique de parole. Bref, il existe une conflictualité dans l’histoire de la psychanalyse, les pensées de Freud et de Lacan, entre normativité et créativité, que nous devons éclairer[19].

            Mais pour en revenir à mon progressisme, mon souci de la parole singulière du sujet fait aussi que je ne peux suivre les psychanalystes progressistes qui, certes, ouvrent la psychanalyse à des questions contemporaines fondamentales, mais mettent en continuité la psychanalyse avec l’engagement politique, en premier lieu avec la pensée de Foucault, ou les pensées féministes, les études de genre, la pensée queer. Ce en laissant il me semble de côté la question du réel du sexe – ou de l’inconscient comme inéluctablement insu.

            Sur ce point, je me permets de renvoyer aux réflexions de mon ami J. Reitter[20] et au livre Qu’est-ce que le sexe ? d’A. Zupancic – philosophe élaborant Lacan de manière rigoureuse, et pas assez connue en France[21]. Je tiens d’ailleurs à préciser que je ne suivrais pas forcément A. Zupancic sur tout ce qu’elle dit, particulièrement la manière dont elle laisse de côté la question cruciale de l’émergence du symbolique, du signifiant, dont je vous parlerai ici. Mais son apport est très important dans nos débats, ne serait-ce que pour montrer que la philosophie peut élaborer rigoureusement la psychanalyse et Lacan. Il n’y a pas de primat qui vaille entre philosophie et psychanalyse freudo-lacanienne, ces deux champs peuvent être articulés de manière rigoureuse. Comme l’a fait Israël qui élabore Levinas, Foucault, Adorno, Barthes – mais aussi, c’est mon hypothèse, j’en parlerai plus loin, Rosenzweig. En ce sens, Israël se démarque ainsi de l’ambivalence de Lacan vis-à-vis de la philosophie. Même si bien sûr il élabore largement l’enseignement de ce dernier.

            Par rapport à la question politique, donc, la psychanalyse va à mon sens avec le progressisme. Car pour que la subjectivation du sujet ait lieu, certaines conditions politiques, politiques et culturelles, favorables à l’émancipation du sujet, et favorables à la reconnaissance sociale et politiques des sujets n’ayant pas les caractéristiques demandées par la norme dominante (par exemple les personnes LGBT), sont aussi nécessaires. Mais la psychanalyse se situe sur un autre plan que l’engagement politique, sur un plan plus lié à la parole subjective, plus lié au un à un du lien de parole, que le plan de la reconnaissance sociale et politique. Dès lors, elle essaie de faire entendre, dans le social et dans le politique, les questions de la parole subjective et du lien de parole, mais aussi celles du sexe, du réel et de l’inconscient. En insistant sur la nécessité de la dénormativation de la parole. Afin d’ouvrir le social et la politique en ce sens. Ce qui va dans le sens de l’émancipation psychique et discursive, mais aussi politique, du sujet.

            Cela dit, j’aimerais maintenant en revenir à l’institutionnel. Et, pour situer les choses dans l’histoire longue de l’Occident (l’œuvre de Foucault nous y aide), je dirais que la logophobie, liée à la directivité discursive – avec ce qu’il déploie de discours normatif, de discours désubjectivé –, est plus ou moins dominante suivant les époques, cela fluctue. Et à notre époque, la logophobie institutionnelle connait une importante poussée – en même temps donc qu’elle a toujours existé dans l’histoire.

            Plus encore, c’est en bonne partie la logique institutionnelle, liée aux relations de pouvoir dans les institutions, qui déploie cette logophobie, rejette collectivement la paro­le et le lien de parole. Ce que je veux dire ici, c’est que, s’il existe en ce moment une fragilisation collective de la parole et du symbolique, du signifiant, ce n’est pas dû, comme l’avance certains dans une optique conservatrice voire réactionnaire, à l’évolution culturelle contemporaine chez les jeunes générations, mais bien au durcissement des institutions.

            Plus encore, j’aimerais ajouter à cela que la fragilisation collective de la parole, et du symbolique, du signifiant, est aussi due au poids encore fort important, dans le discours collectif, de la binarité, de l’androcentrisme, et de l’hétéronormativité. D’ailleurs, je l’ai dit, la logique institutionnelle logophobe va avec ces derniers.

            Mais pour en rester à l’institutionnel, si nous envisageons l’évolution récente, il s’avère que cette logique institutionnelle logophobe s’est bien étendue (et comme à d’autres moments historiques) depuis l’époque de Lacan ou de Foucault. De nos jours, elle s’en prend aux niches qui existaient à leur époque, et encore récemment. Parmi ces niches, il y avait la psychiatrie où la psychanalyse avait solidement sa place – en même temps que certaines normes binaires[22], s’y déployaient souvent de manière problématique. Parmi ces niches, il y avait aussi le champ du savoir universitaire, avec particulièrement les humanités et les sciences humaines – ces champs connexes à la psychanalyse – qui ont aussi leurs limites, en même temps que leurs apports.

            De nos jours, donc, le scientisme – et même le technoscientisme, y compris algorithmique – a bien pris la main dans le champ psy et dans le champ du savoir. Ce qui va avec l’évolution institutionnelle et la logophobe dont je parlais.

            Plus encore, le phénomène contemporain de logophobie, de défaut et de rejet de lien de parole dans les institutions, je crois que c’est quelque chose que beaucoup de nos contemporains appréhendent. En effet, culturellement, il faut à mon sens noter qu’une bonne partie de nos contemporains refusent la logophobie, refusent le défaut de lien de parole. J’en veux pour preuve les éléments suivants. Avant tout, les demandes aux « psys », et particulièrement aux psychanalystes, affluent. Le fort regain de l’intérêt pour la psychanalyse, dans le champ culturel (par exemple en France dans des émissions sur Arte – comme « En thérapie » ou à France Inter, etc.), témoigne aussi de cela. L’intérêt des étudiants, que je peux constater, pour la psychanalyse, va aussi en ce sens. D’ailleurs, cet intérêt s’éveille lorsque la psychanalyse, justement, pose la question du pouvoir et du discours institutionnel normatif comme mise sous tutelle – mais aussi celle du défaut du lien de parole et de possibilité de la parole qui va avec.  Bref, je crois constater que la psychanalyse peut parler à une solide partie de la jeune génération – qui appréhende très bien, parce qu’elle subit massivement, qu’elle a à faire à un discours dominant de mise sous tutelle très puissant, économiquement, politiquement, technoscientifiquement, pédagogiquement, culturellement. Avec la logique de pouvoir et la conception du sujet et du savoir, relevant de la maîtrise, de l’indemnisation et de la binarité[23], qui renvoie à cela. Avec aussi les dimensions rejetant la parole, désubjectivante, rejetant le vide[24] et le réel, mais aussi massivement manichéenne, surmoïque et ségrégationniste[25], de cela. Sachant aussi qu’ici un auteur comme Israël, avec sa réflexion sur la paranoïa collective (et sa logique de pouvoir) et sur l’obsessionnalité collective (et sa normalité et sa soumission au pouvoir), nous éclaire sur la manière, dont c’est bien la possibilité du vide, de la naissance du sujet ou du nouveau, qui est alors attaquée[26]

            Sur cette question du pouvoir, j’aimerais citer Lacan dans le séminaire Ou pire : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir. »[27] J’aimerais aussi citer Kant : « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. » [28] J’aimerais encore citer Israël (il cite d’ailleurs abondamment Adorno et Foucault, qui ont largement médité Kant sur cette question des Lumières, de la mise sous tutelle et de la sortie de la tutelle ou autonomie) : « dans notre civilisation, tout conspire au maintien d’un dépendance par rapport au pouvoir. »[29]

            En ce sens, la psychanalyse amène à la sortie de la tutelle psychique et discursive, à l’autonomisation, l’émancipation psychiques et discursives – ce en quoi elle rejoint certains éléments des Lumières et le progressisme, et en donne même une forme subjectivée.

            Ainsi, telle que je l’envisage, si la psychanalyse porte un regard tragique sur le contemporain, elle relève en pratique d’un optimisme tragique, malgré tout. Elle fait le pari de la parole dynamique, de la subjectivité et du désir, malgré tout ; elle pose que le sujet peut trouver les ressources pour se subjectiver, malgré tout. Même si parfois cela ne s’avère malheureusement pas possible.

**

      Du point de vue de la subjectivité contemporaine, pour ma part, je vois dans les nouvelles formes de discours et de mécanismes psychiques, une possibilité de mise en place d’une nouvelle forme du processus psychanalytique. À mon sens, cela implique, du côté du psychanalyste, une forme renouvelée de l’écoute psychanalytique, positionnée dans le sens de la création du lien de parole désirant et de la création du lien psychanalytique. Alors, comme l’expérience psychanalytique permet de le constater et de l’éclairer, la psychanalyse a une grande efficacité subjectivante.

            Dans ce contexte, du point de de vue du travail psychanalytique, je veux insister sur le fait que, face à la logophobie, la binarité culturelle et le défaut de lien de parole[30], lorsque le psychanalyste pose un lien de parole et qu’il donne la parole au psychanalysant, il arrive régulièrement (pas toujours bien sûr) que la parole surgisse, spontanément. Bref, pour peu donc que le psychanalyste se positionne en ce sens, il est possible de mettre en place un solide processus psychanalytique. La question est alors de savoir comment nous pouvons penser plus en détails ce lien de parole désirant, et comment l’on peut envisager la création du lien de parole désirant, et donc du lien psychanalytique. Je traiterai de cette question un peu plus loin.

            Pour continuer cette réflexion, j’en viens à la difficulté à parler que nous constatons souvent chez les patients. Cette difficulté contemporaine à parler que nous constatons chez le sujet a selon moi différentes raisons. Premièrement, elle est une manifestation spécifique du fait que le sujet (le psychanalyste en premier lieu) a toujours à faire au réel comme irreprésentable, comme inappréhendable, comme défaillance inéluctable du symbolique. Ce que la psychanalyse invite à accepter, élaborer et non à rejeter. Comme le montre Lacan, il existe un point fondamental dans la vie psychique et la parole du sujet où la parole, le symbolique, est structurellement en défaut : le réel. C’est comme ça.

            Deuxièmement, cette difficulté contemporaine à parler est une manifestation, aussi, du surmoi en ce qu’il enjoint au sujet de ne pas parler[31]. Du surmoi aussi en ce qu’il a voir avec la binarité culturelle.

            Troisièmement, pour en revenir à ce que je disais sur la logophobie et le défaut collectif du lien de parole, cette difficulté contemporaine à parler est aussi liée au fait qu’une grande partie des institutions contemporaines, par leur rejet systématique de la parole et du lien de parole, par leur mise en place d’une tutelle discursive généralisée (allant d’ailleurs dans le sens de la binarité culturelle), poussent très souvent les sujets dans le désarroi complet par rapport au réel et dans une logique surmoïque et donc dans la difficulté à parler.

            Ainsi adviennent ce que l’on appelle de manière courante les « burn-out » ; plus psychanalytiquement, je dirais : les expériences de désubjectivation dans le cadre du lien professionnel…. Bref, il faut à mon sens redire qu’il est, du fait de la logophobie actuelle dans les institutions, très souvent difficile pour le sujet de déployer une parole. Même s’il le souhaite. Dans ce cas, même s’il peut tâcher de faire face à cette situation, le sujet ne peut que connaître une expérience désubjectivante.

            Sans doute joue aussi, dans la difficulté à parler des sujets contemporains, le fait que, dans le bain discursif général que l’on trouve dans la société, la binarité culturelle, lui aussi, va dans le sens du rejet de la parole et du lien de la parole. Foucault a en ce sens noté que l’amitié – avec le lien de parole qui va de pair – est rendue ainsi difficile.

            En même temps, les choses sont heureusement plus complexes et conflictuelles : car le rejet institutionnel et collectif de la parole et du lien de parole, ainsi que la rigidité de la logique de mise sous tutelle discursive, mais aussi celle de la binarité culturelle, ou encore les conséquences subjectives, collectives, politiques et écologiques de la logique de maîtrise qui va avec, ont de nos jours atteint un tel point que, contradictoirement, cela pousse nombre de sujets à appréhender, certes souvent de manière un peu vague, leur besoin de parole et de lien de parole, et leur besoin de subjectivation. Cela les amène, ces sujets, à s’écarter quelque peu du surmoi qui leur enjoint de se taire, et cela les pousse à se confronter au réel. Cela les pousse aussi le plus souvent à remettre en question la binarité qui va avec la mise sous tutelle. Et ceci est ouvrant ! Même si cela peut aussi tragiquement les pousser vers la désubjectivation, s’ils n’ont ni les liens ni les ressources psychiques et discursives pour se confronter au réel qui surgit alors brusquement.

            Au niveau des subjectivités contemporaines, donc, d’un côté, nous pouvons ainsi constater que l’extension contemporaine de la logophobie, de la logique de mise sous tutelle discursive, de la binarité culturelle et du défaut du lien de parole, a souvent pour effet d’enfoncer surmoïquement les sujets dans la difficulté de parler ; mais aussi dans une stupeur désubjectivante face au réel qui fait ainsi retour de manière massive et sans élaboration. Il reste que, d’un autre côté, cela a pour contrepoint paradoxal l’immense et féconde expression actuelle d’un souhait de subjectivation, de lien de parole et de parole subjective, avec le refus de tutelle qui va de pair par exemple dans le Big Quit et le Quiet Quitting ; ou encore avec la remise en question de la binarité culturelle, de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité.

            Face à cette nouvelle situation, la psychanalyse doit se renouveler, produire le  déploiement d’une nouvelle forme de processus psychanalytique. En sens, elle peut à mon sens se  centrer sur le lien de parole et la parole subjective du sujet, sur la subjectivation – et la débinarisation – de ses mécanismes psychiques. Le déploiement et l’écoute des mots et de la parole du patient, de ses signifiants, et de la dynamique de sa parole, dans son énonciation, dans son dire, avec la dimension d’ambiguïté et de latence – effective, ou bien à faire naître – étant ici centraux. Tout comme le déploiement et l’écoute du fantasme au sens psychanalytique de ce terme.

            Face au réel, dans le travail psychanalytique, il s’agit d’aider le sujet à déployer une acceptation de son existence, puis une élaboration malgré tout de l’impossible du réel. Ce en introduisant la question de l’existence de ce dernier avec tact. Mais aussi en déployant une certaine création et richesse de parole, symbolique, ainsi qu’un narcissisme, un imaginaire le plus ouvert possible ; l’imaginaire tamponnant le réel, procurant au sujet une protection – nécessaire dans une certaine mesure – face au réel.

            Bref, il s’agit d’aider le sujet à mettre en place un interminable travail d’acceptation de l’existence du réel, à sortir de l’évitement massif de celui-ci. Même si sur le fond, une partie du sujet (et cela concerne l’analyste) l’évitera toujours. C’est là une variable clé dans le travail psychanalytique.

            Et cette acceptation de l’existence du réel permet au sujet d’éviter son retour massif, dans la compulsion de répétition, avec son lot de décharge pulsionnelle directe et de souffrance désubjectivante. Elle ouvre ainsi à une dynamique d’élaboration et de subjectivation.

            Bref, c’est l’interminable geste d’acceptation de l’existence du réel (Nietzsche parlait pour sa part d’ « éternel retour du même »), qui peut permettre des avancées, qui ne réduisent en aucun cas sa dimension d’impossible à se représenter.       

            Ainsi, par le travail psychanalytique, il est possible pour le sujet de produire une avancée sur ce point du réel, de déployer une solide acceptation de l’existence du réel. Qui fait que l’inéluctable part de sa parole, fantasmatique, qui est dans le contrôle, et tamponne et rejette le réel, est limitée. Ce travail psychanalytique fait aussi que, si le réel existe toujours, il ne fait plus retour de manière désubjectivante. Son retour est alors limité, il creuse la subjectivité du sujet, troue celle-ci de son trou, mais ne le désubjective pas. Bref, le travail interminable d’acceptation de l’existence du réel est permis le positionnement du psychanalyste, mais aussi par le travail psychanalytique en tant que tel.

            Avec, point fondamental, au centre de la dynamique de parole du sujet, de son énonciation, de son dire, un vide. Un vide que le travail psychanalytique essaie d’introduire, de creuser, dans un évidement créatif de la parole. Je parlerai plus loin de ce vide.

            A un autre niveau psychique et discursif, celui de la norme, la psychanalyse oriente le sujet vers la dénormativation de sa parole. Dans et par la psychanalyse, le discours du sujet en vient à ne plus être massivement encastré dans un discours collectif, dans la norme institutionnelle ou binaire – inhérent à celui-ci. Alors que la norme, au niveau subjectif, entrave cette dynamique et cette richesse de parole, symboliques, et cette singularisation, mais aussi entrave l’acceptation de l’existence du réel.

            Il reste qu’il existe différentes qualités de norme. D’un côté, il existe des normes plus massivement surmoïques et désubjectivantes – ainsi des normes institutionnelles contemporaines, ou de la binarité culturelle. De l’autre, il existe des normes entravantes certes, car freinant la dynamique de parole, la singularisation, l’acceptation de l’existence du réel, mais portant en leur sein une possibilité de subjectivation. Ce car le geste collectif que cette norme organise relève en premier lieu d’un souhait de parole et de lien de parole. Ainsi par exemple de la norme qui se déploie dans les militantismes de type fermé – car il existe bien sûr des militantismes plus ouverts, subjectivés.

            En effet, tout discours est inscrit dans un discours collectif, avec sa norme. Mais la psychanalyse vise à la singularisation de la parole du sujet par rapport au discours collectif[32], et donc à la dénormativation de cette parole. Cela ouvre au fait que la relation de la parole du sujet à la norme soit subjectivement négociée, indocile, pour permettre la subjectivation. Ce qui s’oppose à un encastrement massif dans le discours collectif.

            Ainsi que le dit Lacan, comme le sexe relève du réel, il n’y a pas de norme sexuelle, et les normes collectives essaient d’occulter l’existence de ce réel. D’ailleurs, sur cette question de l’absence de norme sexuelle, et de ses implications pour la réflexion sur le genre, j’aimerais pointer le fait que Maggie Nelson, en penseuse queer largement nourrie de psychanalyse, dans son livre trop peu connu en France, « De la liberté », a ouvert à des élaborations fort fécondes (33). Elle insiste en effet sur la nécessité pour le sujet de s’interroger sur la manière dont il est lui pris dans la norme collective (serait-elle hétérocentrée ou LGBT-centrée) de son environnement. Ce en amont du fait de réfléchir sur les normes dans lequelles sont prises les personnes ayant une autre sexualité ou un autre genre que lui.

Dans ce cadre, je dirais moi que c’est sur la création du lien de parole désirant, sur la création de la parole, que le psychanalyste peut s’appuyer pour aider le sujet à subjectiver et à dénormativer sa parole.  Car dans le processus psychanalytique, la dynamique (symbolique) de la parole est en soi créatrice[33], elle n’implique en soi aucune norme sociale ni sexuelle – aucun « ordre » symbolique a priori. Elle est bien plutôt une ressource, une potentialité, existant dans la parole de chacun ; et la mise en place, dans le travail psychanalytique, d’un lien de parole désirant, peut permettre la naissance et le déploiement de la dynamique de parole créatrice, ouvrant à une subjectivation dénormativante – certains diront queer, terme qui en anglais, j’aimerais le rappeler, veut dire bizarre, « hors-norme ». C’est en ce sens que la pensée queer, en premier lieu Judith Butler, travaille a interroger les normes, y compris LGBT, et que la psychanalyse a pu s’en inspirer (34).

            Sachant que la norme, sous sa forme la plus massivement rigide, en premier lieu la norme binaire, androcentrée et hétéronormative, cela implique du tiers-exclu et de ségrégation. De ce point de vue, la psychanalyse, en ce qu’elle est dénormativante, s’oppose à tout discours manichéen qui crée du tiers-exclu, et de la ségrégation. Elle écoute la manière dont les sujets sont pris dans les dispositifs de pouvoir et de ségrégation de la norme. Et particulièrement concernant les sujets qui sont en-dessous dans les logiques de pouvoir, dont les femmes, ou les minorités sexuelles ou de genre (les personnes LGBT), mais aussi les minorités sociales ou culturelles[34]. Bref, la psychanalyse féconde va dans le sens d’une ouverture subjectivante, singularisante, dénormativante, à la diversité sexuelle et de genre, mais aussi sociale et culturelle.

            Et ici, concernant les subjectivités contemporaines, il me semble utile de repérer le statut complexe de la difficulté contemporaine de parole que l’on trouve dans les nouvelles formes de discours et de mécanismes psychiques. Cette difficulté, je l’ai dit, est reliée aux questions de la confrontation au réel, du poids du surmoi, au poids de la logophobie institutionnelle et collective, mais aussi au poids de la binarité culturelle. Plus encore, il me semble aussi utile d’essayer de voir comment le psychanalyste peut permettre d’élaborer cette difficulté, par la mise en place d’un lien de parole et par la création du lien psychanalytique.

            Ainsi, concernant notre situation contemporaine, je verrais les choses ainsi. Chaque sujet, et en premier lieu le sujet psychanalyste, a éthiquement sa part de responsabilité dans la manière dont il se positionne par rapport au lien de parole, par rapport à la parole des autres et à la sienne, par rapport à la subjectivité des autres et à la sienne. J’ai, me dit l’éthique subjectivante de la psychanalyse, pour responsabilité de ne fuir ni la singularité de la parole, ni le lien singulier de parole ; pour responsabilité de ne pas faire partie, comme dit Freud, de la « majorité compacte »[35] ; de ne pas être conformiste ; et de m’interroger sur la part qui est la mienne dans le trouble dont je me plains : en d’autres termes, sur la manière dont je parle  (subjectivement, mais aussi en ce que ma parole déploie le discours collectif dans lequel je suis pris) produit en bonne partie le trouble qui est le mien.

            Mais, pour déployer cette éthique, encore faut-il que le sujet ait connu un lien de parole solide. Cela n’est dans les faits pas souvent le cas. Que ce soit dans les institutions (et leurs relations de pouvoir), ou dans les familles. Surtout que, il faut bien le noter, avec le bouleversement culturel qui a lieu en ce moment, les parents ont souvent du mal à se référer à des discours collectifs tiercéisants, soutenant la différence des générations et le rôle du tiers. En même temps que, dans le bain discursif contemporain, des éléments de discours collectifs tiercéisants existent pourtant bien[36].

            Ainsi, la manière dont nous nous référons à l’éthique de la psychanalyse ne doit pas être dogmatique. Lorsqu’un sujet n’a pas connu dans son histoire de lien de parole, eh bien il fait ce qu’il peut, et c’est bien à la potentialité de l’éthique que nous gagnons à être attentif – plutôt que de tenir un discours moraliste toujours fermant. Au regard de cela, voilà ce que je crois pour ma part constater du point de vue de l’expérience psychanalytique[37].

            Premièrement, je tiens d’abord à préciser qu’il existe des sujets qui ont connu dans leur histoire un lien de parole subjectivant, sur lequel ils ont pu s’appuyer pour déployer une subjectivité, une parole subjective, une subjectivité – et donc les symptômes et la névrose qui vont avec. Ce sont là des sujets subjectivés, névrotiques.

            Deuxièmement, une partie non négligeable des sujets n’ayant pas connu de lien de parole déploient un fonctionnement psychique et discursif massivement désubjectivé. Souvent, cette désubjectivation est socialement adaptée aux discours collectifs désubjectivants existants dans notre société (qui est parcouru de différents discours collectifs, plus désubjectivant ou plus subjectivants), et nous avons ici des fonctionnements qui sont même massivement désubjectivants – pour soi comme pour les autres. L’on trouve alors ici un positionnement surmoïque et massivement normatif, et massivement, structurellement, opposé à la parole, au lien de parole, à la subjectivation. Une parole massivement manichéenne, ségrégatrice, produisant du tiers-exclu. Avec ce que cela implique de décharge pulsionnelle massive contre celui-ci. En somme, c’est là une forme de psychose socialement adaptée, relevant de la « majorité compacte ». Ici, la psychanalyse peut peu de choses.

            Troisièmement, il existe des sujets n’ayant pas connu de lien de parole et massivement désubjectivés, sans parole subjective, qui n’ont pas encore eu l’occasion de naître à la subjectivité, mais qui ont le mérite de faire une psychose personnelle. Cette psychose personnelle, par rapport à la psychose collective, elle se voit : elle comprend des éléments de délire singularisé, non adapté socialement, non conformiste. Cette psychose personnelle donc porte en elle une éthique de la singularité – malgré tout. Il y a là sans doute une part de réaction personnelle à la désubjectivation dominante dans leur environnement. Cette psychose personnelle peut d’ailleurs prendre une forme créative, en ce que le sujet rend sa psychose créative. Ainsi par exemple des écrivains Joyce[38] et Artaud[39]. Ici, la psychanalyse peut aider le sujet à déployer des mécanismes de défenses psychotiques moins rigides, et à faire naître des bouts de subjectivités.  

            Quatrièmement, je dirais aussi qu’une bonne partie des sujets n’ayant pas connu de lien de parole bricolent comme ils peuvent avec ce défaut de lien de parole. Ici, le sujet a beaucoup de mal avec la parole ; il est, je dirais, (simplement) désubjectivé, sans pour autant être massivement désubjectivé, socialement psychotique. Par rapport au sujet massivement désubjectivé qui a refermé la possibilité de la subjectivation par un positionnement structurellement désubjectivant, ce sujet simplement désubjectivé a réussi à garder ouverte la possibilité de la subjectivation, s’il s’avère qu’un élément de son environnement lui offre un lien de parole. Et ce peut être le psychanalyste.

            La parole du sujet (simplement) désubjectivé reste très profondément encastrée dans le discours collectif, mais c’est par défaut d’avoir connu un lien de parole subjectivant, pas par conformisme structurel. Et, régulièrement, le bricolage mis en place relève d’une tentative de faire de son mieux, dans un contexte massivement défavorable. Concernant ce type de structure psychique, l’on a pu dans le passé parler en psychanalyse d’« état-limite », de sujet borderline. Pour ma part, je parlerais plutôt de sujet simplement désubjectivé. Bref, ce ne sont là ni des sujets massivement désubjectivés, socialement psychotiques, ni subjectivés ou névrosés.

            Plus encore, il me semble – j’ai pu le constater dans le travail psychanalytique – que ces sujets désubjectivés, lorsque le psychanalyste appelle à un lien de parole qu’ils n’ont jamais véritablement solidement connu, peuvent bien répondent à cet appel, et se subjectiver. Parfois cela ne peut avoir lieu, malheureusement

Dans ce texte, j’insiste sur la fonction du désir du psychanalyste – et de son désir de désir – dans le lien de parole qu’il propose pour la naissance du sujet à sa subjectivité, à son désir. Au niveau de l’expérience psychanalytique, joue aussi ici, comme l’a montré Winnicott, la naissance du « sentiment d’existence » du sujet comme sujet singulier et unique, comme entité corporéo-psychico-discursive, à la fois singulière et divisée. Je ne développerai pas cette question ici, mais en ai parlé ailleurs [40].

**

            Je disais que la dynamique de parole, cette dynamique symbolique du dire, avec son pendant le désir, est en soi créatrice. Et que cette dynamique de parole n’implique en soi aucune norme sociale ni sexuelle. Elle est une ressource existant potentiellement dans la parole de chacun, pour peu qu’un lien de parole désirant permette sa naissance et son déploiement. Et ici j’aimerais insister sur le fait que c’est une question de création, et de création depuis un vide, que le désir et le symbolique peuvent être créés quand ils n’existent pas encore[41]. Et sur le fait que la création de la dynamique de la parole, du dire, passe par la création d’un lien de parole désirant.

            Et plus généralement, pour le travail psychanalytique, je parle de création du symbolique, de création du nouveau signifiant, où c’est le vide qui en amont permet le saut du signifiant nouveau, le changement de discours.

            C’est en tout cas ce que l’on peut tirer de l’élaboration de l’enseignement de Lacan par Israël – qui insistent tous deux sur le fait que dans la parole désirante, le désir s’appuie sur son propre vide, il peut créer la symbolique. C’est bien, dit Israël, l’introduction du vide, du rien, par la rencontre symbolique, par la mise en place du lien de parole désirant, qui peut créer, faire naître la subjectivité, la dynamique de parole, le désir, le symbolique. La création du lien de parole désirant permet la création de la dynamique de parole et de la subjectivité.  

            Et ce, à tout moment, si les conditions le permettent. Le commencement peut avoir lieu à tout moment. L’écoute et la parole psychanalytiques ont bien une puissance créatrice, symboliquement créatrice.

            Dans cette optique, la psychanalyse, lorsqu’elle est pratiquée de manière créatrice, s’appuie sur le déploiement du lien de parole désirant comme fondement de la richesse symbolique de la parole, de la traversée de l’imaginaire, de l’acception de l’existence du réel. Bref, comme fondement du travail culturel, au sens de Freud. Et donc de la possibilité d’un renoncement pulsionnel et d’une perte de jouissance, qui permettent la régulation de la vie pulsionnelle, régulation ouverte, non répressive, qui sort le sujet de la compulsion de répétition massive – même s’il y aura du symptôme et donc de la répétition.

            Plus encore, la psychanalyse permet cela par la suspension du jugement moïque ou surmoïque qu’implique la règle psychanalytique de l’écoute du latent ou de la possibilité du latent, qui suspend toute finalité, toute finalisation de la parole. Il en va là de ce que Lacan appelle le « laisser-être » de la parole et de l’écoute, du symbolique – mais aussi du réel [42].

            Lorsque je parle de « laisser-être », bien sûr, j’élabore sur Lacan qui a lui élaboré ici la réflexion de Heidegger sur la « Gelassenheit »[43].

            Oui, Heidegger est bien un penseur nazi, archi-réactionnaire, follement antisémite, et absolument détestable. Mais les choses, dans l’histoire de la pensée, sont complexes. La pensée de Heidegger comprend, malgré cela, des éléments intéressants, et a en ce sens été élaborée par des penseurs à la pensée ouvrante, comme par exemple justement Lacan, Levinas et Derrida[44]. Ainsi concernant le laisser-être en psychanalyse, pour ma part, j’élabore aussi ce que dit Levinas, dans Totalité et infini, du « laisser être », du laisser être l’autre, comme dimension du « discours » qui permet d’accueillir le fait que l’ « Autre en tant qu’autre est Autrui »[45]. J’y reviendrai plus loin.

            Dans le lien de parole désirant de la psychanalyse, où se déploie le laisser-être, l’accueil, en une plasticité psychique, le sujet peut se déprendre discursivement de l’attitude de contrôle et de totalisation inhérente à la part narcissique, fantasmatique, imaginaire, de son discours, et de l’évitement massif du réel qui va avec.

            Plus encore, ce laisser-être relevant de la plasticité psychique, dirais-je avec Israël, introduit une page blanche, un rien, un vide. Je cite Israël : « A chaque séance, à chaque moment de chaque séance, il faut se lancer dans le vide »[46] ; « la psychanalyse est destinée à nous confronter au rien »[47]. Ailleurs il parle de « page blanche ». Selon son enseignement, il s’agit bien d’évider la parole, d’introduire un vide. Un vide qui permet la création symbolique, qui va permettre le saut du signifiant nouveau, le changement de discours. Et puis, en parlant de vide et de rien, je tiens à insister sur le fait qu’Israël fait référence à la tradition juive et à sa conception de la création ex nihilo[48]. J’en parlerai plus loin.

            Il en va là d’un évidement de la parole de la création du vide ouvrant la création symbolique du signifiant. Cet évidement de la parole, lié à la création ex nihilo, Lacan le pense à sa manière[49], et Israël l’élabore à sa manière.

            Par cet évidement créatif de la parole, pourra être déjouée la tendance à l’évitement du réel, et à l’illusion narcissique, fantasmatique, imaginaire, de contrôle et de totalisation (que cette tendance soit massive et désubjectivée, ou dialectisée et subjectivée car relevant d’un fantasme) de la réalité. Lorsque je parle de totalisation, cela renvoie au scénario d’un Savoir (avec majuscule) de surplomb qui cherche donc à totaliser, unifier intégralement une connaissance sur le sujet, l’autre, le monde – sans réel inappréhendable, sans énigme. Cette illusion narcissique habite nécessairement chaque sujet et la psychanalyse invite à sa réduction, et à sa dialectisation.

            Sachant que dans les discours collectifs dominants (scientiste, capitaliste, managérial) de la culture occidentale contemporaine, avec la conception utilitariste et désubjectivante de la raison qui va avec, valorisent la maîtrise et la totalisation par la conscience, et met la raison et la science au service de sa logique de maîtrise et de totalisation – dans le sens du scientisme. Ici, la tendance au contrôle et à la totalisation au niveau de l’imaginaire, s’enkyste, n’est pas dialectisée, et devient logique de maîtrise. Avec sa rigidité massive, son manichéisme, son surmoïsme – opposées à la plasticité psychique, à l’accueil et au laisser-être.

            Et pour en revenir donc à la plasticité, à l’accueil et au laisser-être de la parole psychanalytique, à mon sens, c’est principalement cette dimension qui fait que la psychanalyse, discursivement, invite le sujet à se dégager de la norme institutionnelle ou collective, et s’oppose aux discours collectifs dominants dans nos sociétés, très souvent orientés, de manière scientiste, vers le Savoir de surplomb et totalisant, la maîtrise, l’indemnisation (sous différentes formes) ou la binarité[50].

            Bref, le processus psychanalytique s’appuie sur le déploiement – dans la plasticité psychique, l’accueil et le laisser-être – de la dynamique créatrice de la parole, mais aussi sur le déploiement de l’acceptation de l’existence du réel. Ce en lien au fait que le sujet (tout sujet, dont le psychanalyste en 1er lieu) est, je l’ai dit, toujours en prise au réel, à la difficulté de parole, à l’inéluctable défaillance du symbolique, mais aussi au surmoi, au malaise dans la culture. C’est cela, entre autres, à mon sens, l’une des formidables ouvertures qu’opère Lacan : nous montrer que chaque sujet (dont le psychanalyste en premier lieu) est (plus ou moins certes) dans la défaillance du symbolique, en ce qu’il est confronté au réel, mais aussi au surmoi, au malaise dans la culture ; et doit bricoler avec cela.

            Plus encore, la psychanalyse, en ce point de difficulté de parole, peut aider le sujet à se subjectiver, à déployer un discours et des mécanismes psychiques qui sont à la fois plus riches (au niveau du symbolique), plus perlaborants, traversants (au niveau de l’imaginaire), plus acceptants (au niveau du réel). Et pour cela plus plastiques, accueillant et « laissant-être » (face au surmoi – car avec le laisser-être, c’est bien du surmoi dont il est question).

            Ce car il y aura toujours du fantasme, de la résistance, à interminablement traverser, du réel à interminablement accepter, du surmoi dont interminablement se déprendre, du malaise dans la culture à interminablement dialectiser, de la défense et de l’évitement à interminablement assouplir, du symptôme à interminablement dialectiser (ou à mettre en place), du sinthome à interminablement raboter (ou à mettre en place)… J’aimerais ici rappeler que le sinthome, c’est le point d’évitement le plus massif du sujet, justement là où le symbolique défaille face au réel.

             La question advenant ici est celle de la résistance du psychanalyste. Du fait que la psychanalyse, c’est avant tout, je l’ai dit, pour le psychanalysant, parler depuis ce qui cloche, en partant de l’acceptation de l’existence du réel qui perce dans ce qui cloche. Et cela n’est possible que si, de son côté, dans un à un du travail psychanalytique, le psychanalyste travaille à dialectiser sa propre résistance (comme y insiste Lacan), en déployant justement une plasticité psychique, un laisser-être. Il s’agit, pour le psychanalyste, dans son écoute, de faire preuve de plasticité psychique, d’être attentif au fait qu’il a lui aussi ses évitements, ses angles morts, sa faille irréductible, son symptôme et son sinthome. Ce pour ne pas prendre le psychanalysant dedans. Ce qui veut dire que le psychanalyste sait par sa pratique de la psychanalyse y faire avec son symptôme et plus largement avec ses évitements. Qu’il sait se mettre en crise en tant que sujet. Qu’il a par sa pratique psychanalytique quelque peu dialectisé ses défenses, évitements, circonscrit sa faille, traversé son fantasme, même s’ils restent bien existants. Et traverser son fantasme, c’est cela : c’est, comme l’a montré Lacan, se déprendre en bonne partie de la croyance fantasmatique en un Savoir et un Autre Supposé Savoir, tous deux de surplomb, procurant l’illusion totalisante de contrôle qui indemnise du réel. Et ce dégagement est passé par le déploiement de la plasticité psychique, de l’accueil et du laisser-être qui ouvrent à la création de parole symbolique et à une solide acception de l’existence du réel.

            Mais pour en revenir au psychanalysant, dans le travail psychanalytique, la parole du psychanalysant va nécessairement chercher à se ficher sa faille subjective dans la faille du psychanalyste. Car elle va chercher à faire de la psychanalyse un giron narcissique. Et l’écoute et la parole du psychanalyste doivent avant tout, par leur plasticité, leur accueil, leur laisser-être, leur créativité – liés au respect de la règle d’association et d’écoute flottante –, faire en sorte que le psychanalysant ne trouve pas la possibilité d’enkyster sa faille subjective dans la faille du psychanalyste. Il s’agit d’éviter la refermeture sur le giron narcissique, et d’ouvrir le narcissisme au réel et symbolique.

**

            J’aimerais maintenant en revenir à ce que peut faire, en pratique, le psychanalyste face à la difficulté contemporaine de parole liée à la logophobie institutionnelle et à la binarité culturelle. Eh bien il peut déjà reconnaître cette difficulté de parole, le réel qui se révèle, et même reconnaître le souhait de parole potentiel qui s’exprime contradictoirement dans cette difficulté. Bref, le psychanalyste, face au défaut de parole ici présent, face au rejet du réel, face au surmoi qui rôde, face à la logophobie qui règne, face au défaut de lien de parole, peut aider à produire une ouverture, en aidant au déploiement du processus psychanalytique. Pour essayer de qualifier cette ouverture, je dirais pour ma part que le psychanalyste peut proposer un lien de parole désirant, une rencontre symbolique qui sera ouvrante, car fondée sur la plasticité psychique, l’accueil et le laisser-être de son écoute et de sa parole. Il en va là, je dirais, d’un appel symbolique. Et cette rencontre symbolique est aussi une rencontre de l’existence du réel, une rencontre acceptante de l’existence du réel, qui aide à son acceptation. Non pas une rencontre massive, sans possibilité d’élaboration.

            Dans ce que j’essaie d’élaborer résonne, avec le terme d’appel, ce que la tradition juive, dans sa métaphorisation propre, appelle l’événement de l’alliance du Sinaï[51]. Si Freud (dans son Moïse mais aussi ailleurs concernant le judaïsme) ne prend pas en compte ce que le judaïsme appelle l’alliance du Sinaï, Lacan lui l’a pris au sérieux. Cela lui a permis d’ouvrir plus encore la psychanalyse[52]. En athée, Lacan s’est en effet intéressé à la portée discursive, symbolique – psychanalytique et culturelle – de ce que le judaïsme appelle l’alliance du Sinaï. Ce en l’élaborant comme relevant d’un don de la parole, d’un don du Je, puisqu’il appréhende le Buisson Ardent comme l’advenue du « je suis ce que Je est »[53].

            Ainsi, si le psychanalysant accepte d’y répondre, à cet appel, en une forme de « Me voici ! », la rencontre symbolique, la naissance du désir, la rencontre du sujet avec le symbolique, mais aussi l’acceptation de l’existence du réel peuvent avoir lieu. Certes le psychanalysant peut très bien ne pas répondre à cet appel, mais la psychanalyse fait bien le pari de cette réponse.

            Plus encore, le « Me voici ! » du psychanalysant ne sera pas le fait du moi, ce sera celui du désir, du Je parlant énigmatiquement depuis le désir[54]. Ce dans le sens du « Où le Ca était, le Je doit advenir » de Freud – tel que l’interprète Lacan.

            L’appel symbolique, depuis la parole désirante du psychanalyste, relève d’un désir de désir qui gît dans la plasticité, dans l’accueil, dans le laisser-être inhérents aux positionnements du psychanalyste. Mais aussi cet appel relève d’une acceptation de l’existence du réel, car ce désir de désir (lié au symbolique) a pour pendant la transmission de l’acceptation de l’existence du réel. Cette acceptation étant liée la question de l’angoisse, à la manière dont le psychanalyste aide le sujet à accueillir et élaborer l’angoisse.

            J’espère qu’ici l’on entendra en quoi j’essaie de reformuler les questions, présentes dans la tradition juive, de la création ex nihilo, de l’alliance, de l’appel et du « Me voici », de la sortie de l’anonymat. Autant de questions traitées par Israël – ou encore Didier-Weill dans son important livre Les Trois temps de la loi dont j’ai déjà parlé, qui d’ailleurs a élaboré ensemble sur cette question les pensées de Lacan et de Levinas, entre autres.

            Bref, la tradition juive, comme l’a élaboré Lacan[55], a métaphorisé tout un ensemble de questions fondamentales pour la subjectivité, le collectif et la psychanalyse, et particulièrement la question du symbolique et de la parole créative. Je tiens tout de même à préciser que le judaïsme n’a bien sûr pas le monopole de cela. Lacan en effet a insisté sur le fait que ce qu’il appelle le « don de la parole » existe dans d’autres cultures et religions, par exemple dans l’hindouisme[56]. Sachant que ce don de la parole, c’est aussi, du point de vue du travail psychanalytique et plus généralement, un don de l’écoute, dans la plasticité, l’accueil et le laisser-être.

**

            Plus encore, car cela me semble important dans la dynamique psychanalytique, je tiens à insister sur le fait que le geste psychique et discursif d’acceptation de l’existence du réel s’oppose à la désubjectivation du sujet. Dans le processus complexe de la parole psychanalytique, il ouvre plutôt à une élaboration de l’existence du réel, par la création symbolique et la traversée du fantasme, mais aussi dans le déploiement d’une angoisse structurante. Cette acceptation de l’existence du réel est ouvrante et subjectivante.

            Bref, je tiens à insister sur le fait que cette acceptation, liée à la plasticité psychique, à l’accueil et au laisser-être, n’est pas une soumission surmoïque au réel, au réel qui fait retour de manière clivée pour le sujet qui le rejette, s’en indemnise. Une telle soumission surmoïque au réel peut avoir lieu dans les cures conduites de manière désubjectivante, et donc n’appréhendant pas ce qu’il en est, à mon sens, de l’éthique de la psychanalyse.

            Il reste qu’il s’agit maintenant de se demander ce qui dans le travail psychanalytique permet que la rencontre du réel soit ouvrante, subjectivante et non désubjectivante. Sur ce point, Lacan et Israël ont justement insisté sur le fait que le psychanalysant a besoin de pouvoir vivre un processus subjectivement dépressif, lié à sa détresse fondamentale, son « Hilflosigkeit » (pour parler comme Freud) fondamentale. Et c’est cette détresse fondamentale qui doit être accueillie, laissée-être.

            En effet, de son coté, Lacan a précisé que l’éthique de la psychanalyse implique pour le psychanalysant le fait de vivre une « position dépressive »[57]. Mais il me semble qu’il n’en a pas dit plus. Sur ce point, Israël a lui insisté sur le fait que le sujet peut justement vivre une tel processus dépressif subjectivant, si a lieu en ce point une rencontre – ce que j’appelle pour ma part la mise en place ou le déploiement (suivant le moment où en est le travail psychanalytique) d’un lien de parole désirant. Une « rencontre » qu’il qualifie de « symbolique »[58] qui va avec l’accueil de son altérité radicale en tant que telle – j’en parlerai plus loin. Une rencontre avec le symbolique, avec la parole, depuis la détresse fondamentale. Comme le dit Israël : « la ’’destitution subjective’’ pourrait correspondre à ce que Freud a appelé la Hilflosigkeit, la détresse »[59].

            D’ailleurs, puisque je compte plus loin pointer le lien de la pensée d’Israël avec celle de Levinas, j’aimerais ici insister sur le fait que cette réflexion, Israël la mène dans un passage de Boiter n’est pas pécher qui se situe dans le chapitre où il parle le plus de son élaboration de Levinas.

            Bref, il n’y a aucune désubjectivation, donc, dans cet accueil de la détresse fondamentale, dans cette destitution subjective, liée à l’acceptation de l’existence du réel et la déprise par rapport au fantasme narcissique. Il y a là bien plutôt un « dépouillement », comme y insiste Israël encore[60]. J’aimerais ici en ce point insister sur le fait que Didier-Weill – dont j’ai déjà parlé avant, et lui aussi lecteur de Levinas – va dans le même sens qu’Israël. Il insiste lui aussi sur le fait que la psychanalyse relève d’un « pacte » symbolique ou d’une « promesse signifiante », liée au laisser-être, qui fait que le sujet, dit-il, n’est pas exposé à « l’abandon originaire absolu »[61], à la désubjectivation.

            En tout cas, du point de vue de l’expérience psychanalytique, l’existence du réel implique pour le sujet, s’il l’accepte et s’y confronte psychiquement, discursivement, affectivement, la détresse fondamentale : l’« Hilflosigkeit », que Freud a repérée de manière géniale dans Inhibition, symptôme, angoisse, sans élaborer plus comment la psychanalyse peut ouvrir à la traversée subjectivante de de la détresse fondamentale. Dans l’histoire de la psychanalyse, c’est bien plutôt Mélanie Klein qui a, la première, solidement élaboré cette question cruciale au niveau de la pratique, dans sa réflexion sur ce qu’elle appelle la « position dépressive ». Rappelons que la position dépressive, selon Klein, c’est un processus subjectivement dépressif que le sujet vit affectivement, mais plus généralement psychiquement et discursivement. Justement, dirais-je en termes lacaniens, le sujet le vit, ce processus, lorsqu’il se confronte à l’existence du réel, c’est-à-dire en se dégageant du premier temps, chez le petit enfant, du positionnement relevant de la logique de contrôle, manichéen, et rejetant le réel – que Klein appelle « position schizo-paranoïde ». Il y a là un point de basculement pour le sujet, central pour le travail psychanalytique et la subjectivation.

            C’est cette question qu’Israël reprend. Tout d’abord, il insiste sur le fait qu’ « il ne s’agit pas de méconnaître des réalités comme la misère ou la souffrance humaine, (…) la dépression. Il s’agit, au contraire, (…) de traverser (…) la dépression. C’est en ce point que Freud a désigné la Hilflosigkeit, la détresse dit-on habituellement »[62]. Et puis, Israël insiste aussi sur le fait que le psychanalyste sur ce point, a pour rôle de procurer au sujet ce qu’il appelle même une « expérience » de « rencontre symbolique », ce que j’appelle moi un lien de parole désirant. Ce justement dans l’expérience de la détresse fondamentale liée à la compulsion de répétition, à la confrontation au réel. Bref, au niveau symbolique, et non imaginaire, le psychanalyste doit être là, dans ce qu’Israël appelle un « être ensemble ». Précisément, il parle en allemand de « beisammen sein » : « être ’’auprès’’ l’un de l’autre », et ce qui implique aussi une distance entre sujets dans cet être-ensemble de un à un, de désir à désir.

            Et c’est en élaborant Levinas qu’Israël pense et pratique ce point, que Lacan n’a pas élaboré véritablement, même s’il l’a pointé. J’y viendrai plus loin.

            Plus encore, pour caractériser la relation d’Israël à Lacan, c’est là un écart qu’introduit Israël par rapport à son maitre, tout en approfondissant son enseignement sur bien des points. Cela l’amène, Israël, à mon sens, à ouvrir le travail psychanalytique à des choses que Lacan n’avait pas envisagées[63].  Dans ce texte, je ne peux préciser les points fondamentaux qu’Israël approfondit de Freud et de Lacan, pour créer son style psychanalytique personnel. Il faudra que je le fasse ultérieurement.

            Concernant cette avancée pratique et théorique d’Israël, son apport singulier est fort précieux à mon sens dans la pratique psychanalytique. En effet, je dirais donc que son enseignement rend possible, avec les patients désubjectivés mais restant ouvert à la possibilité de la subjectivation, de leur procurer un lien de parole désirant qui va les faire naître à leur subjectivité, leur désir[64]. De leur faire connaître une rencontre symbolique, et avec le symbolique – et donc une inscription dans le symbolique. Et en même temps, car ici le symbolique et le réel sont intriqués, a lieu pour le sujet une première rencontre contenante avec le réel – car déployant, dans un positionnement d’accueil, de laisser-être de la détresse fondamentale, une présence symbolique face à la détresse fondamentale, qui va faire entrer le sujet à la fois dans le symbolique et dans l’acceptation du réel.

            Bref, dans la pratique psychanalytique, nous enseigne Israël, il est possible, si le psychanalyste est accueillant et présent symboliquement, que le psychanalysant mette en place le début d’une traversée, d’une perlaboration de la détresse fondamentale, dans le cadre d’un tel lien de parole, d’une telle rencontre avec le symbolique. Ce qui permet donc pour le sujet une naissance à sa subjectivité[65]. Ici alors la détresse est d’une certaine manière ensymbolisée ; la confrontation au réel est pour la première fois élaborée ; la jouissance, comme dit Lacan, en vient à consentir au désir. Dans le travail psychanalytique, le désir de désir du psychanalyste ouvre au désir du patient. Le sujet a accepté l’existence du réel, et par-là même il crée un symptôme. Quelque chose de singulier, qui cloche, mais qu’il va pouvoir reprendre et reprendre pour être créatif – et qui le dégage de l’encastrement désingularisant dans le discours collectif.

            Pour pointer un élément de la tradition juive intéressant en ce point, lorsque je parle de rencontre symbolique dans la détresse, je pense aussi à la manière dont Rachi interprète la Parole : « Je suis avec eux dans cette détresse, et je serai avec eux dans les autres détresses ». Comme y insiste mon ami le philosophe Jacob Rogozinski, l’alliance, ce qu’il appelle le « partage du Je », a lieu dans la détresse[66]. Et j’ajouterais à cela : c’est cela qui crée le vide créateur et ouvre à l’entrée dans la parole, dans le symbolique, pour le sujet pas encore subjectivé. Ou, pour le sujet déjà subjectivé, c’est celui qui ouvre à de nouveaux signifiants dans la perlaboration de sa détresse fondamentale. Avec ce que cela permet d’acceptation de l’existence du réel.

            Plus en détails, dans le travail psychanalytique, la mise en place du lien de parole, la rencontre symbolique fondatrice, pour le sujet pas encore subjectivé, cela amène le sujet à, comme le dit Israël, « entrer dans le monde signifiant » par la « constitution de ce support, de cette matrice, qu’est le ’’refoulement primaire’’ où le « signifiant va permettre d’évoquer la chose et la faire passer au statut d’objet »[67]. Bref, ici c’est bien ce que Lacan appelle le premier signifiant (le S1) qui est créé dans le travail psychanalytique[68]. Alors, dit Israël : « la chose – das ’’Ding’’ – devient ’’Sache’’, soit ce qui, en allemand, a la même étymologie que ’’sagen’’ dire. La chose dite, c’est l’objet ». [69]

            Ce qui est une élaboration de Lacan, de sa réflexion sur le fait que le sujet peut en venir à entrer dans la symbolique : « Le désir de l’analyste (…) est (…) un désir d’obtenir la différence absolue, celle qui vient quand, confronté au signifiant pri­mordial, le sujet vient pour la première fois en position de se l’assujettir »[70]. Ici, infidèlement fidèle (au sens que Derrida donne à cette expression) à Lacan, Israël élabore Lacan pour produire une avancée pratique et théorique spécifique.

            Ainsi, c’est bien par l’introduction du vide, du rien, dans la parole que le travail psychanalytique met en place au niveau de la détresse fondamentale du sujet. Alors le sujet entre dans l’interminable travail – toujours énigmatique, sauf lors de certains moments de réflexion sur le fantasme – de création symbolique, d’acceptation du réel, de traversée de l’imaginaire.

**

            Je parle ici du point de rencontre entre le symbolique, le réel et l’imaginaire, ces trois dimensions fondamentales du psychisme et du discours du sujet. En ce point, il en va de la mise en place de ce que Lacan a appelé l’objet petit a, cet objet de désir, cause du désir, au croisement de ces trois dimensions fondamentales, croisement lié, dans la parole du sujet, au vide, à la perte, et même à la séparation, la chute, l’abandon. Cet objet petit a, dans le travail psychanalytique, on le repère en effet dans la parole du sujet, en tant que lien aux questions de le chute, de l’abandon et à la perte ; et il est lié à la création du vide.

            D’ailleurs, à propos de la séparation, Israël, traite de manière très parlante de l’éthique de la psychanalyse et du fait que le psychanalyste doit justement, dans son appui pour la dynamique psychanalytique, faire preuve d’une certaine humilité et ne pas se considérer comme la fin en soi du processus psychanalytique. Bien plutôt, il doit être au service du déploiement du processus psychanalytique, et donc de la subjectivation du psychanalysant. Pour élaborer cela dans mes termes, je dirais que le psychanalyste, et en premier lieu son désir, est un simple appui pour la subjectivation, qui pourra être abandonné le moment venu. Concernant le psychanalyste il s’agit en effet, dit Israël qu’il « ne désire pas garder pour soi ses analysants »[71]: « il lui appartient aussi de délivrer l’analysant de sa néo-névrose (…) qui n’aurait dû être que provisoire, qu’est le transfert. Ca ne va pas toujours sans peine. Il se peut que cette libération soit pour l’analysant le premier deuil qu’il ait connu. »[72]. « Du coup, ajoute-t-il, il deviendra possible de le quitter sans en faire un héros » ; une perte, et une autonomisation psychique et discursive aura vraiment lieu – et donc aussi une sortie de la tutelle. D’ailleurs, Israël parle bien d’ « autonomie »[73], tout en faisant, je l’ai déjà dit, l’éloge de l’individualisme de la culture occidentale (sous sa forme féconde) : « le mérite de notre civilisation est d’être une civilisation individuelle et subjective »[74].

            Bien sûr, Israël nous enseigne qu’il s’agit avec la psychanalyse de l’advenue d’une autonomie, d’une émancipation psychiques et discursives véritables – et non pas d’une pseudo-autonomie (telle que par exemple le discours managérial contemporain la déploie). Et cette autonomie est permise par une reprise permise par une inscription dans le symbolique, et particulièrement dans le vide fondateur du symbolique.

            J’aimerais ici pointer que par rapport à Lacan, qui considère de son côté l’autonomie comme une illusion, il y a bien un écart, produit par Israël depuis l’enseignement de Lacan. Je l’ai dit, Israël est infidèlement fidèle à Lacan. Il s’autorise de son propre geste par rapport à son maitre. Sur ce point de l’autonomie, il approfondit en quoi, dans le Séminaire XVI., D’un Autre à l’autre, Lacan montre bien que le travail psychanalytique vise à une singularisation de la parole par rapport au discours collectif dans lequel sa parole est plongée – ce qu’Israël interprète dans les termes d’une autonomie psychique et discursive.

            Plus encore, pour qualifier l’autonomisation, l’émancipation psychiques et discursives du psychanalysant par rapport au psychanalyste, Israël parle de la phase « postnévrotique » dans le processus psychanalytique. Ici le sujet « se délivr(e) ou fai(t) le deuil de la partie parentale inscrite en nous, de façon à prendre conscience de toutes les identifications qui nous ont marquées, et à atteindre notre propre subjectivité. » Et Israël de préciser : « toute une série d’expériences peuvent la favoriser (cette phase postnévrotique). Le deuil et l’amour sont les plus fréquentes »[75].

            Une question se pose alors concernant Israël : y a-t-il un auteur qu’il a élaboré pour parler ainsi d’autonomie ? A mon sens, c’est Adorno, qu’il ne cite pas sur ce point, mais évoque ailleurs, particulièrement concernant ce que le philosophe allemand appelle la « personnalité autoritaire ». Et Adorno a bien développé une pensée rigoureuse de l’autonomie comme sortie de la tutelle[76]. Opposée comme il le dit à tout le discours de la pseudo-autonomie qui en fait sert la mise sous tutelle.

            Pour le dire dans mes termes, concernant le travail psychanalytique, le psychanalyste donne, avec sa parole, son accueil, son désir, son lien de parole désirant, un appui à la subjectivation du sujet, que celui-ci pourra abandonner, pour s’autonomiser, s’émanciper psychiquement et discursivement, en premier lieu par rapport à lui. Ce qui ouvre plus généralement à l’émancipation par rapport aux autres tutelles qu’il connaît, et auxquelles il se prête.

**

            Plus encore, il s’agit ici pour le psychanalyste – en une éthique, nous dit explicitement Israël, que Lacan a pratiquée, mais dont la pensée de Levinas permet de penser en profondeur – de considérer l’analysant comme radicalement autre. Il s’agit, dans son écoute, sa parole, sa plasticité psychique, son accueil et son laisser-être, bref par son positionnement, avec le sujet qu’est le psychanalysant, de le poser a priori,comme radicalement séparé de lui. De poser un lien (de parole) fondé sur la séparation. Il en va là, dit Israël explicitement avec Levinas, de « l’ouverture au radicalement autre »[77]. Ce qui ouvre, concernant le psychanalysant, au fait qu’il peut déployer sa propre parole et se subjectiver.

            Mais aussi, insiste Israël, cela ouvre au fait que le psychanalysant peut s’ouvrir à la joie de suivre son chemin à soi. Voici en effet ce qu’il dit : « chaque fois qu’une de nos interventions fait toucher du doigt » au psychanalysant « qu’il sera devenu une preuve de son autonomie, il va éprouver la même intense satisfaction et la même libération dont il va pouvoir se servir pour continuer à construire sa vie personnelle »[78]. J’aimerais d’ailleurs ajouter à cela que cette satisfaction spécifique, cette joie de la subjectivation, implique selon Israël que le psychanalyste n’est alors pas sans ressentir lui aussi de la « joie »[79]. Bref, du point de vue de la dynamique du travail psychanalytique, je dirais qu’Israël nous aide à repérer, à côté de l’angoisse et de la détresse fondamentale, l’affect de la joie, qui est un signal de la subjectivation. Et cela est très utile dans notre écoute psychanalytique. D’ailleurs, Israël insiste, sur ce point de la joie, sur le fait que le psychanalyse ne doit pas considérer le « domaine de l’affect (…) comme névrotique ». Considérer l’affect comme névrotique, cela va, dit-il, avec l’emploi d’un « vocable péjoratif », qui « stigmatise » – je dirais : de manière binaire et androcentrée – « le manque de virilité, ou la féminité dont on ne veut pas »[80].

            Cela que je dis là implique un point important : le psychanalyste, s’il n’est comme je l’ai dit qu’un simple appui à la subjectivation du sujet, n’est en aucun cas une autorité[81], sous la tutelle de laquelle le sujet devait rester. D’ailleurs le fait que le psychanalyste doive être dans la plasticité, l’accueil, le laisser-être, le plus radical, va aussi en ce sens.

            Plus encore, dans la transmission qu’opère la pratique psychanalytique, le psychanalyste transmet la technique psychanalytique et l’éthique en acte de la psychanalyse tels qu’il les élabore lui, le psychanalyste, pour que l’élève les élabore à sa manière, dans son indocilité, son infidèle fidélité. Bref, le psychanalyste n’est en aucun cas une autorité, et encore moins un Maître avec majuscule. La psychanalyse s’oppose à toute mise sous tutelle des psychanalysants.

            En ce sens, en citant la très belle formule de Levinas, je dirais que le psychanalyste est dès lors « capable d’un autre destin que le sien »[82].

            Mais, pour en revenir à la dynamique psychanalytique, Israël insiste aussi, toujours en écart par rapport à Lacan, sur le fait que, lorsque la dynamique de la parole se fait solidement subjectivante, la répétition peut se faire créatrice. Alors, dit-il, « la répétition retrouve cette dimension de création qui est signe de vie »[83]. Cela a lieu, avance Israël, si le psychanalyste, par sa pratique du lien de parole désirant, de la rencontre symbolique, part de l’altérité radicale entre soi et l’autre, et s’envisage comme un simple appui qui pourra être abandonné le moment venu. Afin d’accueillir, de laisser-être la subjectivité et la parole du psychanalysant. Afin de – c’est là mon terme[84] –  soutenir la traversée, la perlaboration de la détresse fondamentale. En somme, il s’agit, dans le travail psychanalytique, de laisser le sujet répéter la compulsion de répétition pulsionnelle du sujet, la confrontation au réel, et l’expérience de la détresse fondamentale qui va de pair. Et ce autant de fois que nécessaire, jusqu’au moment où la répétition trouve une forme créative. C’est bien cette patience que le psychanalyse gagne à avoir : il en va là, dit Israël, du « temps de l’attente » et de la « fonction rythmique ». Ici, le sujet n’a « pas besoin d’une scansion imposée de l’extérieur »[85], il s’agit pour le psychanalyste encore une fois, d’être dans l’accueil, le laisser-être, de ne pas forcer le rythme du sujet.

            Le style psychanalytique singulier d’Israël, pratiquant solidement l’accueil et le laisser-être et donc aussi la plasticité psychique, ou ce qu’il appelle le temps de l’attente, rejoint à mon sens l’insistance de Leclaire sur un point important. En effet, celui-ci insiste, dans son débat avec Lacan, sur le fait que le désir de l’Autre gagne, dans le travail psychanalytique, à prendre une forme « un peu déliée »[86]. Plus déliée qu’il ne le prend assez régulièrement, mais pas toujours, chez Lacan – Lacan ayant aussi son symptôme, comme chacun.

            En d’autres termes, le positionnement du psychanalyste gagne à prendre une forme pleinement accueillante et créative, dégagée de toute volonté directive. On le voit, chez Israël comme chez Leclaire, c’est là une lecture de Lacan – et de son éclairage sur la créativité du signifiant – qui s’émancipe de Lacan, en un point où cela est nécessaire. De ce point de vue, en ce qui concerne l’histoire de la psychanalyse, l’apport de Lacan, pour génial et mettant en crise le caractère assez massivement directif de l’enseignement de Freud[87], n’a pas été sans réintroduire une certaine directivité. Et Israël et Leclaire, comme d’autres de ses élèves[88] proposent de mettre en crise, de l’intérieur de l’apport lacanien, le reste de directivité qui habite l’enseignement de Lacan.

            Dès lors, si du côté du psychanalyste, il y a assez de la plasticité, d’accueil, de laisser-être, pour que se déploie le temps de l’attente, du côté du psychanalysant, le symptôme, l’évitement, peuvent muter, s’ouvrir. Le psychanalysant peut cheminer vers le fait d’y faire avec eux de telle manière qu’il dépasse la névrose en tant que telle – cela a tout à voir avec l’autonomie psychique et discursive à laquelle mène le travail psychanalytique selon Israël. Alors la répétition peut être solidement dialectisée, devenir créative. Ce en même temps qu’il y aura toujours du symptôme – et du sinthome. Mais ceux-ci peuvent prendre une forme plus souple, moins rigide, dans le sens concernant la psychanalysant aussi, de la plasticité psychique, et de l’accueil de soi et de l’autre.

**

            Bref, Israël nous éclaire à mon sens sur la question de l’intersubjectivité (il n’utilise pas ce terme, c’est moi qui élabore), sur une forme ouverte de l’intersubjectivité. Et sur l’éthique de la psychanalyse telle qu’elle peut ouvrir à une solide subjectivation. Dans cette éthique, le psychanalyste a le souci de la singularité subjective de le psychanalysant en son altérité et son énigme, et accueille plastiquement l’altérité, la subjectivité, la parole et l’énigme du psychanalysant, justement depuis le temps de l’attente. Tout en prenant en compte, à un autre niveau, la question des pulsions, du désir, de l’objet petit a – que Lacan a élaborées solidement. Ce sont des dimensions différentes, montre-t-il.

             Pour revenir à ce que l’on peut dire avec Israël du travail psychanalytique, ce souci du lien de parole désirant du côté du psychanalyste, cela permet donc que, du côté du psychanalysant, que se déploie, en lien à la créativité de sa parole, et à sa plasticité psychique, une capacité d’accueil de sa subjectivité, mais aussi de l’altérité de l’autre. Cela lui permet d’accéder à un lien à l’autre, en amour ou en général, où il s’extraie de son narcissisme. C’est pour cela qu’Israël parle d’amour « transnarcissique », et qu’il insiste sur le fait que l’intersubjectivité sous sa forme ouverte, est une question importante en psychanalyse. Bref, montre Israël, l’amour en soi n’est pas narcissique – contrairement à ce qu’avançait Freud.

            Bref, Israël nous montre à mon sens que la prise en compte du réel, du sexe, des pulsions partielles, de l’objet petit a, n’implique pas, comme le pensait Lacan, une disparition de l’intersubjectivité, de l’autre comme sujet, une disparition de la question du lien à l’autre comme sujet autre. Ce sont là, montre-t-il, deux niveaux différents : d’un côté le pulsionnel et le désir avec l’objet petit a ; de l’autre le lien à l’autre et l’intersubjectivité. Plus encore, Israël pense que c’est une question importante que ne prend pas assez en compte Lacan – malgré l’immense apport de son enseignement. Que ce soit, dirais-je, lorsque Lacan se détourne, plus tard dans son enseignement, de l’intersubjectivité ; ou lorsqu’il pense, plus tôt dans son enseignement, l’intersubjectivité, la rencontre symbolique, mais sans encore la relier au laisser-être et à la traversée de la détresse fondamentale.

            J’aimerais ici préciser que cette intersubjectivité, Israël l’envisage de manière ouverte, ouvrante, créatrice, non narcissique, non imaginaire : détotalisante – élaborant d’une certaine manière à ce que Lacan appelle le « pas-tout ». Il en va là pour Israël comme pour Levinas, je le répète, de « l’ouverture au radicalement autre ».

            Une remarque philosophique est ici nécessaire. J’aimerais rappeler qu’en élaborant Heidegger, et pour penser la singularité du sujet à laquelle Heidegger l’oppose, Levinas insiste sur le fait que le sujet singulier est l’ « étant » par excellence. Et cet étant subjectif singulier, eh bien, selon Levinas, il convient de l’accueillir en son événementialité, en son extériorité, en son altérité, en dehors de toute tentative de totalisation relevant d’une logique de maîtrise. Ce dans un geste éthique d’hospitalité, d’accueil et d’ouverture à la détresse – à l’Hilflosigkeit dirait le psychanalyste. Cela implique d’ailleurs chez Levinas un refus de toute totalité qu’un Savoir de surplomb pourrait croire permettre de maîtriser, et cela ouvre à une « intelligibilité différente du savoir »[89], concernant le sujet.

            Ce qui en psychanalyse nous intéresse, car dans notre champ il en va d’une intelligibilité spécifique de la psychanalyse. D’ailleurs, celle-ci implique plus encore une pensée expérimentale, liée à l’expérience du travail psychanalytique, et déployant une plasticité créative posant des hypothèses, pour conserver les plus pertinentes, mais restant toujours ouverte, mobile. Bref, nous sommes ici à l’opposer de la rigidité théorique, du dogmatisme[90].

            Mais j’en reviens à Levinas. Ce donc je parlais ouvre aussi à la réalité en ce qu’elle relève d’une pluralité concrète, échappant à toute totalisation, et composée des singularités des sujets, irréductibles les uns aux autres. D’ailleurs, pour revenir au vide, dans Totalité et infini, Levinas dit que c’est le « vide » qui vient rompre la totalité, la logique de totalisation[91] – que j’appréhende en psychanalyse comme logique de contrôle imaginaire de la part du sujet.

            Pour en revenir à Israël, sa conception et sa pratique de l’accueil de l’autre dans son extériorité, donc nourries de Levinas, font d’ailleurs qu’Israël ne souscrit pas à la théorie du stade du miroir de Lacan, en même temps qu’il élabore de manière rigoureuse et personnelle son apport si ouvrant sur la question du narcissisme et de l’imaginaire.[92]

            Plus encore, la mise en place d’un lien de parole désirant, comme je le dis dans mes termes, ou d’un lien de rencontre symbolique entre le psychanalyste et le psychanalysant au sens d’Israël, implique l’accueil et la création d’un vide, lié à la perte. Lié au processus même de la perte de l’objet premier, avec ce que cela implique au niveau pulsionnel et du désir en termes d’objet petit a, mais avec ce que cela implique donc aussi en termes d’intersubjectivité ouverte au radicalement autre.

            Et, puisant chez Levinas et dans la tradition juive, Israël considère que la rencontre symbolique, dans être auprès l’un de l’autre (qui est une variation psychanalytique du face à face de la tradition juive), déployant la création symbolique, crée du vide dans la parole, évide la parole et la subjectivité. Ce pour créer une dynamique de parole, une chaîne signifiante avec un point fondateur de vide, et pour créer du nouveau, en premier lieu des nouveaux signifiants. Dans sa définition créatrice du symbolique, il rejoint Lacan. Il le rejoint aussi dans son élaboration du judaïsme. En effet, Lacan dit qu’il est proche du judaïsme en ce qu’il constate l’être de Dieu, mais ne pense pas qu’il existe. Je le cite, parlant du Dieu des Juifs, du Dieu du « Je suis ce que je suis » : « Dieu est, ça ne fait aucune espèce de doute, ça ne prouve pas absolument pas qu’il existe »[93].

            Mais à cela, Israël ajoute que la création est liée à l’amour, et à l’amour en tant que non imaginaire mais bien symbolique[94]. Car selon Israël, je cite, « l’amour crée le sujet, c’est la fonction du psychanalyste ». En ce sens, « l’amour (…) c’est ce qui vient amener ce qui justement n’existait pas pour une personne ». « L’innovation, l’inouï, le jamais vu, le jamais entendu, constituent le domaine de l’amour ». La création du lien symbolique de parole crée la créativité symbolique de la parole, la possibilité de nouvelle utilisation des signifiants du discours du sujet, mais aussi de création de nouveaux signifiants. « L’amour n’est pas la soi-disant répétition d’un amour primordial » ; il « ne renforce pas le Moi »[95]. Bref, dans cet amour symbolique fondateur, amour présent dans  le lien de parole, la rencontre symbolique, et dans la parole du sujet parlant en premier lieu – et donc le psychanalysant comme le psychanalyste –, la création du lien symbolique crée un vide fondateur, un vide fondateur qui rend possible la création de nouveaux signifiants – mais aussi la nouvelle élaboration d’anciens signifiants.

            Sur ce point encore de l’amour, Israël élabore Lacan, et, infidèlement fidèle à celui-ci, il approfondit son enseignement pour produire une avancée pratique et théorique spécifique. En effet, la naissance du sujet à la parole, au symbolique et au désir, dit Lacan, va avec l’émergence de la « différence », qualifiée d’ « absolue », et de l’ « amour » qualifié de « sans limites ». Je cite ici la fin du Séminaire XI., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse : « Le désir de l’analyste (…) est (…) un désir d’obtenir la différence absolue, celle qui vient quand, confronté au signifiant pri­mordial, le sujet vient pour la première fois en position de se l’assujettir. (…) Là seulement peut surgir la signification d’un amour sans limites parce qu’il est hors des limites de la loi, là seulement il peut vivre » [96]. Bref, ce sont bien là des pistes que Israël élabore et approfondir à sa manière.

            Et, pour continuer de caractériser l’apport spécifique d’Israël, j’aimerais vous parler d’un autre philosophe, important pour Levinas, mais aussi pour notre réflexion sur la création en lien à la tradition juive. Je veux parler de Rosenzweig, ce penseur (1886-1929) ayant réélaboré philosophiquement la tradition juive, et particulièrement ce qu’il en est selon elle de la création de parole.

            Avant d’en venir à Rosenzweig, j’aimerais rappeler qu’Israël a très vraisemblablement élaboré Rosenzweig pour faire avancer la psychanalyse à sa manière. C’est ce que je vais essayer de montrer.

            Une fois cela dit, j’aimerais rappeler qu’un élément important de la pensée de Rosenzweig – que nous retrouvons chez Levinas et, j’en pose l’hypothèse, chez Israël –, c’est son insistance sur la singularité irréductible du sujet, opposée à toute totalisation, la pratique du face à face de l’alliance, crée le monde. Chez lui, la création (ex nihilo) de la parole peut avoir lieu à tout moment, elle n’a pas lieu au début du monde. Le commencement n’est pas le début. La création a lieu à chaque fois que le sujet agit et parle selon l’alliance, et selon ce qu’il appelle le « commandement d’amour » de l’alliance – commandement non moraliste, non normatif. Car cela crée un vide qui sera lui-même créateur dans le monde.

            Ici, dans cette insistance sur l’amour, sur la séparation et le lien de parole en lien à l’amour, Rosenzweig, Levinas et Israël vont, chacun à sa manière, dans le même sens. Je cite Levinas dans son très beau texte sur Rosenzweig, « Entre deux mondes », prononcé d’ailleurs au Congrès des Intellectuels juifs en 1959[98]. C’est un point important car Israël a collaboré avec Levinas dans ces congrès (je ne sais pas exactement pour celui de 1959).

            Il en va là, dit Levinas dans ce texte sur Rosenzweig, d’un « commandement d’aimer », d’ « aimer » le sujet (Levinas dit l’ « homme » ) « dans sa singularité », à l’écart de toute croyance en un Savoir totalisant. Le lien à l’autre, relevant de l’amour, n’est pas, ajoute Levinas dans ce texte (dans d’autres textes, il parlera de l’amour dans d’autres termes), un « formalisme moral, mais la vivante présence de l’amour (…), éternellement renouvelée »[99]. Ainsi la « séparation »[100], dit Levinas reprenant Rosenzweig, implique-t-elle une « vie de relation »[101] où le rapport est « irréductible, unique, original »[102]. « La singularité est nécessaire (…) à l’exercice de cette vie précisément comme irremplaçable singularité, la seule qui soit capable d’amour, la seule qui puisse être aimée, qui sache aimer »[103]. Bref, nous retrouvons ici, chez Rosenzweig éclairé par Levinas, l’intersubjectivité créatrice, ouverte, détotalisante, que nous trouvons aussi chez Levinas, et dont Israël nous parle, en lien à l’amour.

            Mon hypothèse est donc qu’Israël, qui connaissait la tradition juive (et les philosophes élaborant cette tradition), et qui, nous le verrons, développe sur bien des points une pensée très proche de celle de Rosenzweig, élabore de manière psychanalytique, en plus de Levinas, ce qu’il est de l’intersubjectivité ouverte et créatrice et de l’amour chez Rosenzweig. Encore que ce point n’est pas le plus important, car ce qu’Israël nous dit est en premier lieu psychanalytiquement fort fécond.

            J’aimerais ici ajouter un autre point. Je l’ai dit, Israël élabore donc explicitement Levinas, mais aussi sans doute implicitement la conception juive de la parole comme création ex nihilo – telle la parole de Dieu dans la Genèse : le Berechit. Et sur ce point, j’aimerais ici citer Rosenzweig, à la fois pour étayer mon hypothèse comme quoi Israël élabore Rosenzweig ; mais aussi pour donner à lire ce philosophe, fort intéressant pour la psychanalyse.

            Je l’ai dit, Rosenzweig a réélaboré philosophiquement la tradition juive concernant la question du la création de la parole et la nouveauté qu’elle produit. Et je voudrais citer un passage de cet extraordinaire ouvrage qu’est L’Etoile de la Rédemption, à la fois pour nous donner à penser, mais aussi pour pointer l’écho avec Israël. Dans ce passage, Rosenzweig parle de l’ « énonciation » « créat(rice) » du sujet[104] en lien à l’amour – et à Dieu. Il parle de l’énonciation créatrice en ce qu’elle est uniquement de parole, symbolique, qu’elle se situe au niveau de la parole et du symbolique. Et il essaie de caractériser comment « la langue (…) s’éveille à sa véritable vie » [105], en lien au « Je humain individuel, (…) simplement ouvert, encore vide »[106]. Plus encore, il dit que c’est un « miracle » qui « est entièrement signe », et qu’alors « a lieu la Révélation d’une éternelle nouveauté » qui « renouvelle la Création immémoriale pour en faire un présent sans cesse recréé à neuf ». En effet, ajoute-t-il, « la parole de l’homme est symbole. A chaque instant, elle est recréée dans la bouche de celui qui parle, cependant, c’est uniquement parce qu’elle est dès le commencement et qu’elle porte déjà en son sein chaque locuteur qui un jour en elle opère le miracle du renouvellement »[107]. Bref, la parole en ce qu’elle symbolique, dit Rosenzweig, est un lieu qui porte en son sein la parole singulière de chaque sujet parlant, et elle est créatrice, créatrice d’un perpétuel nouveau.

            En termes lacaniens, Rosenzweig nous parle du symbolique créateur, fondateur, que chaque sujet porte potentiellement en lui, et qui porte en lui la parole singulière de chaque sujet singulier. Cela va, comme le montre Lacan, avec un grand Autre symbolique. Cet Autre avec un grand A, Rosenzweig, dans sa pensée religieuse, le relie à Dieu.

            En plus de cela, j’aimerais d’ailleurs préciser, pour montrer les échos entre Rosenzweig et la psychanalyse, puisque j’ai parlé du lien entre le symbolique et le réel, que par son livre L’Etoile de la Rédemption, Rosenzweig introduit d’une certaine manière la question de la mort (du réel) dans la tradition philosophique.

            Pour ma part, en psychanalyste athée, je vois dans les formulations de Rosenzweig, élaborant la tradition juive, une métaphorisation spécifique, religieuse (on pourra en trouver d’autres, par exemple philosophique, littéraire ou poétique), de la capacité de création de la parole, du symbolique. De la parole, du symbolique qui, dans la psychanalyse telle que je l’entends, s’ancre dans l’accueil et l’être-ensemble au sein la détresse fondamentale, et ouvre à une acceptation de l’existence du réel et au déploiement du désir. Cet accueil et cet être-ensemble, symboliques et non imaginaires, ils relèvent, dirais-je avec Israël et Rosenzweig, d’un amour symbolique et d’une intersubjectivité ouvrante, tous deux créateurs.

            Et, concernant le processus psychanalytique, l’accueil et l’être-ensemble (pour reprendre ce terme d’Israël) de la parole et du symbolique, ou du dire, de l’énonciation et de l’écoute, cela naît d’une distance, une séparation, et du vide qui en suit et permet la création de la parole. Entre sujets dans cet être-ensemble de un à un, de désir à désir.

            D’ailleurs, pour insister sur l’articulation entre séparation et être-ensemble dans le lien de parole symbolique, j’aimerais rappeler que symbolôn, en grec ancien, cela signifie, dans une relation d’alliance et d’hospitalité, à la fois la séparation et le lien. En effet, le symbolôn est un signe de reconnaissance dans les relations d’hospitalité. Très précisément, c’est un objet coupé en deux, dont deux hôtes conservaient chacun une moitié. Ces deux parties rapprochées servaient en Grèce antique à faire reconnaître les porteurs et à prouver les relations d’alliance et d’hospitalité, d’accueil contractées antérieurement. Bref, le symbolique, comme symbolôn, implique une articulation entre l’être ensemble et la séparation. En ce sens, le lien de parole désirant, en psychanalyse, prend une forme spécifique, symbolique : il articule séparation et alliance. Et la psychanalyse élabore spécifiquement, et de manière particulièrement subjectivante, ce qu’il en est plus généralement du lien de parole désirant et du symbolique.

            Dans le zigzag de mes réflexions j’aimerais maintenant revenir à ce qu’Israël dit de l’amour, dans un long passage que je vous ai déjà en partie cité, mais que je vais citer entièrement : « L’innovation, l’inouï, le jamais vu, le jamais entendu constituent le domaine de l’amour. L’amour, c’est justement ce qui vient amener ce qui jusque-là n’existait pas pour une personne, pour un couple, pour un groupe, peu importe. L’amour n’est pas la soi-disant répétition d’un amour primordial. L’amour n’est jamais la répétition de ce qui a pu se jouer avec la mère, de ce qui a pu se fantasmer avec la mère. Cet amour-là n’a pour seule fonction que de disparaître, que de faire place nette par le deuil et c’est sur ce deuil que les expériences nouvelles ouvertes sur l’avenir peuvent se développer, peuvent se dérouler, peuvent se jouer (…). Ce qui fait que, encore une fois, le poète ou le chanteur ont parfaitement raison de dire lorsqu’ils disent que ’’l’amour, c’est toujours la première fois’’. Ca n’est pas la répétition. L’amour ne renforce pas le Moi. Il crée le sujet. C’est la fonction de la psychanalyse. »[108]

            Ici Israël insiste sur l’apport spécifique de sa pensée de l’amour qui, au profit d’un certain optimisme tragique, sort la psychanalyse du pessimisme de Freud concernant l’amour, le lien à l’autre, la possibilité d’une solide subjectivation. Et ce quel que soit l’immense apport de Freud, qu’élabore Israël.

            Mais surtout, Israël nous parle du dire et de l’énonciation créateurs, liés à l’amour tel qu’il l’entend, et qui crée du nouveau, et qui est la fonction de la psychanalyse. Car la psychanalyse, je l’ai dit, ça crée de la nouvelle parole, du nouveau signifiant, plus même ça produit le vide qui va permettre le saut signifiant qui va permettre changement de discours. Autre manière de dire que c’est là une forme de poésie spécifique.

            Et, concernant cette question de l’amour créateur, j’aimerais ici, pour insister sur l’intérêt de la pensée de Rosenzweig pour nous, mais aussi pour insister sur le rapport d’Israël à Rosenzweig, citer un passage de Rosenzweig qui exprime une conception très proche de l’amour comme créateur. En effet, Rosenzweig parle de l’amour du côté de l’amant qui est « cette autodonation chaque instant recommencée »[109], « qui ne veut pas cesser d’être neuf »[110], « l’amour (…) ne cesse de ressurgir à neuf ; c’est un permanent recommencement au départ »[111].

            J’en reviens maintenant à l’apport d’Israël. A mon sens, je l’ai dit, Israël est infidèlement fidèle à Lacan. Il élabore et approfondit son enseignement pour produire une avancée pratique et théorique spécifique. Enfin, c’est ce que je pense moi, car d’un point de vue lacano-freudien plus strict, Israël céderait quelque peu à l’idéalisme. Mais, à l’expérience que j’ai de la psychanalyse, je dirais pour ma part qu’Israël a raison sur ces points et qu’il a ouvert le freudo-lacanisme à ce que j’appellerais un optimisme tragique. D’un côté, j’utilise ici le terme de tragique, car Israël va dans le sens de la constatation freudienne, à la fois lucide et tragique, du fait que, pour beaucoup de sujets, l’existence courante de la compulsion de répétition massive, avec la décharge pulsionnelle massive et directe qui va de pair, a des conséquences massivement désubjectivantes, pour les sujets et le collectif. De l’autre, Israël ouvre à un optimisme tragique, pour différentes raisons. Premièrement, il nous aide à mieux appréhender en quoi, il est bien possible, concernant certains patients désubjectivés, d’ouvrir malgré tout les choses, de les faire entrer dans la parole et dans la subjectivité. Alors, le travail psychanalytique peut mener jusqu’à une subjectivation où la répétition se fait en partie créatrice. Ce qui fait que, s’il y a répétition chez le sujet, elle ne prend pas – plus – une forme désubjectivante. Et peut devenir solidement dialectisée.

            Deuxièmement, par rapport à Lacan, mais aussi Freud, l’apport d’Israël permet d’envisager de manière solide en quoi l’amour, la joie, et l’accueil de la subjectivité et de l’autre, en tant que symboliques et non imaginaires, dans l’intersubjectivité ouverte, peuvent avoir leur place dans le travail psychanalytique.

            Troisièmement, l’apport d’Israël permet d’ouvrir la psychanalyse à quelque chose comme une autonomie discursive et psychique. Avec toutes les implications que cela a pour que la psychanalyse, comme le pointe Lacan, je l’ai rappelé, aide la sujet dans le sens d’une une sortie de la tutelle – et j’ajouterais moi : que ce soit dans la relation institutionnelle ou dans la tutelle inhérente à la binarité, l’androcentrisme, l’hétéronormativité.

            Et pour continuer sur Israël, c’est d’ailleurs son optimisme tragique qui fait qu’il ne peut suivre Freud ni Lacan sur l’hypothèse de la pulsion de mort comme compulsion de répétition désubjectivante chez tous les sujets. Et qu’il ne peut suivre, comme il le dit aussi, Lacan sur ses réflexions sur le stade du miroir ou sur le père comme « père-version ». Toutefois, concernant la pulsion de mort, il propose une réflexion fort lucide sur la Schadenfreude, la jouissance sadique de la souffrance de l’autre,inhérente au fonctionnement du sujet pris dans la compulsion de répétition sous sa forme désubjectivante[112]. Il propose aussi une conception du narcissisme et de la transmission qui sont fort ouvrantes.

**

            En conclusion, j’aimerais insister sur le fait que c’est pour ma part en très bonne partie dans la méditation d’Israël, en plus de Lacan[113], que je trouve dans ma pratique psychanalytique, une manière de soutenir le psychanalysant vers la possibilité d’une naissance de la subjectivité, mais aussi d’une solide subjectivation, par la pratique du lien de parole désirant et de la parole créatrice.

            C’est pour cela que je pense que, face à tout ce qui dans notre situation contemporaine, rend la parole, le lien de parole, la naissance de la subjectivité et la subjectivation si difficiles, les choses sont malgré tout ouvrables, parfois, grâce à l’accueil et à la rencontre psychanalytiques. En effet, celles-ci ouvrent à la création d’un lien de parole et la création de parole, à la nouveauté de parole et au fait d’y faire avec son symptôme, ses évitements, malgré tout – parce la répétition a été ouverte.

            Bref, avec les sujets pas encore nés à leur subjectivité, je pense avec Israël, que, comme le dit d’ailleurs Lacan, l’offre du psychanalyste crée la demande : comme le décline Israël, il est possible de créer un lien psychanalytique, un lien de parole désirant, qui amène le sujet à accéder à une parole subjective désirante.

            Et puis, avec le sujet déjà subjectivé, une telle pratique de la psychanalyse, tragiquement optimiste donc, permet au psychanalysant de se subjectiver solidement. Ce concernant les différentes dimensions de la vie psychique et de la parole que j’ai essayé d’articuler dans ce texte : du symbolique, du réel et de l’imaginaire ; mais aussi de la dénormativation et de la singularisation du discours du sujet par rapport au discours collectif et aux dispositifs de pouvoir – avec ce que cela implique d’autonomisation psychique et discursive, de sortie de la mise sous tutelle et de débinarisation – ; ou encore du surmoi ; de la bisexualité psychique (et de la sexuation) ; du destin des pulsions ; de la détresse fondamentale ; et puis donc du lien à l’autre, bref de l’intersubjectivité envisagée de manière accueillante, créatrice, ouverte, détotalisante, et donc non narcissique. A ceci s’ajoute d’ailleurs la dimension du sentiment d’existence subjective – qu’a éclairée Winnicott.


[1] Je remercie vivement Patrick Martin-Mattera et Alexandre Lévy de leur invitation à l’UCO et de leurs retours sur ma présentation. Je remercie aussi mes amis du séminaire Freud, du séminaire de l’ARPPS, et Jorge Reitter. Ainsi que Marcel Ritter et Cyrielle Weisgerber de leurs feed-backs, à chaque fois sur certains éléments de ma réflexion.

[2] Sur la création, ici je fais référence à la réflexion de Patrick-Martin-Mattera dans Théorie et clinique de la création. Perspective psychanalytiqueAnthropos-Economica, 2005.

[3] Ou l’effondrement psychique, voir notre 1e séance du séminaire de l’ARPPS sur la « crainte de l’effondrement », le 30 mars 2023 : https://dimitrilorrain.org/2023/04/01/video-seminaire-de-larpps-du-30-mars-2023-la-crainte-de-leffondrement-dimitri-lorrain-et-stephane-muths/

[4] J’élabore ici Freud qui parle plutôt de plasticité des pulsions.

[5] Sur cette question, bien des références seraient à donner. Je me contenterai de faire référence, concernant l’hétéronormativité et la binarité, à Patricia Gherovici, Transgenre : Lacan et la différence des sexes, Paris, Stilus, 2021 ; Jorge N. Reitter, Heteronormativity and psychoanalysis, Routledge, 2023. Sur ce dernier ouvrage, j’ai fait une recension ici : https://dimitrilorrain.org/2023/01/13/sortie-de-heteronormativity-and-psychoanalysis-de-jorge-n-reitter-routledge-2023/

[6] Winnicott me semble d’ailleurs particulièrement intéressant aussi.

[7] https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/

[8] M. Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 92-3.

[9] Concernant la tradition juive, je tiens à faire référence aux travaux de David Lemler, avec lequel j’ai eu la chance de beaucoup apprendre. Ici un enregistrement de la rencontre sur son livre Création du monde et limites du langage, Paris, Vrin, 2020,

 que j’ai organisée : https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/david-lemler-univ-sorbonne-a-propos-de-son-ouvrage-creation-du-monde-et-limites-du-langage-librairie-des-bateliers-strasbourg-15-1-2022/

[10] F.-D. Sebbah, Levinas, Paris, Les Belles Lettres, 2000.

[11] Sur l’accélération, voir B. Stiegler, Dans la disruption, Paris, LLL, 2016 ; H. Rosa, Aliénation et accélération, Paris, La Découverte, 2012.

[12] Sur cette complexité et cette ambivalence, je renvoie à Be. Stiegler, op. cit.

[13]  Je préfère parler de cheminement de genre que d’identité de genre, pour insister sur le caractère dynamique de l’élaboration subjectivante de la question du genre par le sujet. Sur la question du genre, je renvoie en premier lieu aux travaux de P. Gherovici, op. cit. ; T. Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022 ;  André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018 ; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120 ; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180 ; J. N. Reitter, op. cit. ;  Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018.

[14] B. Lévy, L’ère de la revendication, Paris, Flammarion, 2022. Voir : https://dimitrilorrain.org/2022/06/17/autour-de-benjamin-levy-pour-son-livre-lere-de-la-revendication-flammarion-2022/

[15] Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2010, p. 83.

(16) Sur cette question de la masculinité ouverte, je renvoie paticulièrement à I. Jablonka, Des hommes justes, Paris, Seuil, 2019; P. Farges, Le Muscle et l’esprit, Bruxelles, Peter Lang, 2020. Ou encore bell hooks, La volonté de changer, Divergences, 2021. Sur le mythe de la virilité, voir le livre du même nom d’Olivia Gazalé, Paris, Robert Laffont, 2017. Sur la servitude volontaire à laquelle cèdent certaines femmes, voir le livre de Manon Garcia, On ne naît pas soumise: on le devient, Paris, Flammarion 2018.

[16] Ne citons que Th. Laqueur, La Fabrique du sexe, trad. Michel Gautier, Paris, Gallimard, 1992.

(17): Sur la sexuation, envisagée selon un freudo-lacanisme ouvrt, voir P. Gherovici, op. cit.

[17] J. Rogozinski, Le Moi et la chair, Paris, Cerf, 2006.

[18] Dans le cas du sujet trans, voir particulièrement p. Gherovici, op. cit. Sur cette fluidification, voir S. Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.

[19] Pour cette conflictualité entre ouverture et normativité binaire, androcentrée et hétérenormée chez Freud et Lacan, voir par exemple N. Reitter, op. cit.; P. Gherovici et M. Steinkoler (dir.), Psychoanalysis, gender, and sexualities, Londres et New York, Routledge, 2023: particulièrement les textes d’Elissa Marder, « Glôssa and ‘Counter-Will’: The Perverse Tongue of Psychoanalysis » (p.56-69) et de Darian Leader, « The Gender Question from Freud to Lacan » (p.70-93). Pour une critique ouvrante de Freud et de Lacan du point de vue de philosophies féministes, voir particulièrement M. Garcia, op. cit.; et C. Froidevaux-Metterie, La révolution du féminin, Paris, Gallimard, 2015.

[20] Op. cit.

[21] Dijon, Les Presses du réel, 2019.

[22] Lorsque je parle de binarité, je parle aussi d’androcentrisme et d’hétéronormativité. La binarité impliquant ces deux derniers.

[23] Lorsque je parle de binarité, cela implique aussi l’androcentrisme et l’hétéronormativité. C’est le même discours collectif qui relève des trois.

[24] Je renvoie aux réflexion sur la lathouse de A. Lévy et P. Martin-Mattera dans Patrick Martin-Mattera et Alexandre Lévy, « Le ’’concept’’ de lathouse dans l’œuvre de Jacques Lacan. Implications psychologiques, cliniques et sociales », Bulletin de psychologie, 2017/4, 550, p. 311-319.

[25] Question dont parle largement Lacan.

[26] Boiter n’est pas pécher, op. cit.

[27] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.

[28] « Qu’est-ce que les Lumières », in Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières ? , trad. J-F. Poirier et F. Proust, Flammarion, 1991.

[29] Boiter n’est pas pécher, p. 101.

[30] Sur cette question du lien de parole et du défait de lien de parole, je suis aussi marqué par les travaux de Winnicott, que j’élabore de manière personnelle. Winnicott parle pour sa part de « déprivation ».

[31] Alain Didier-Weill, Les Trois temps de la Loi, Paris, Seuil, 1995.

[32] Dans lequel il est, comme y insiste Lacan dans Le Séminaire : Livre XVI. D’un Autre à l’autre, 1968-1969, Paris, Seuil, 2006 ; et Israël dans Boiter n’est pas pécher, op. cit.

(33) Maggie Nelson, De la liberté, Paris, Sous-sol, 2022.

[33] Telle que l’éclairent Lacan et Israël. Lacan a pu parler un temps d' »ordre symbolique », mais il en est revenu à un moment de son enseignement.

(34) Fabrice Bourlez, Queer psychanalyse, Paris, Hermann, 2018.

[34] Sur cette question, voir parmi d’autres, dans une optique freudo-lacanienne, P. Gherovici, Lacan dans le ghetto, Paris, Le Bord de l’eau, 2016.

[35] S. Freud, dans Sigmund Freud présenté par lui-même.

[36] C’est une question qu’il me faudra traiter. En quoi la mythologie contemporaine, particulièrement les productions culturelles (série, chanson, films, livres, etc.) propose-t-elle de tels éléments ?

[37] Dans ce que je vais présenter là, je suis proche de ce que nous dit Winnicott, Conversations ordinaires, Paris, Gallimard, 1988.

[38] Comme l’a éclairé Lacan dans Le Séminaire : Livre XXIII. Le sinthome, 1975-1976, Paris, Seuil, 2005.

[39] J. Rogozinski, Guérir la vie, Paris, Cerf, 2011.

[40] Winnicott parle lui de « self » pour élaborer cette question du sentiment d’existence, concept que je ne retiens pas pour me situer dans l’héritage de Freud et de Lacan. Le sentiment d’existence, c’est là une question importante dont j’ai parlé lors de la séance du 30 mars du séminaire de l’ARPPS dont j’ai parlé avant. J’aimerais juste ici préciser que je rejoins ici J.-M. Jadin (La structure inconsciente de l’angoisse, Strasbourg-Toulouse, Arcanes-erès, 2017) dans son souci d’articuler le freudo-lacanisme et cet apport de Winnicott. J.-M. Jadin travaille sur cette question aussi avec Anzieu, Diamantis et Dolto. Voir : https://dimitrilorrain.org/2021/02/19/jean-marie-jadin-langoisse-est-deja-un-exil-et-de-cet-exil-on-sort-par-le-desir/

[41] Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, op. cit. ; J.-R. Freymann, La naissance du désir, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2005.

[42] Sur le laisser-être, voir A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, op. cit.

[43] D. Espinet, Phänomenologie des Hörens. Eine Untersuchung im Ausgang von Martin Heidegger, Tübingen, Mohr Siebeck 2016.

[44] Idem.

[45] Martinus Nijhoff, p. 67

[46] Lucien Israël, La parole et l’aliénation, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2007, p. 17.

[47] Idem, 134.

[48] J’élabore singulièrement sur le lien d’Israël à la tradition juive. Sur cette question, voir aussi D’A. Abécassis, voir son formidable texte sur la conception de l’interprétation de Lucien Israël, intitulé « Entre le MiDRaCH et l’interprétation psychanalytique », dans Psychanalyse et liberté, Arcanes 1999, volume collectif en l’honneur de Lucien Israël ;  J.-J. Rassial, La psychanalyse est-elle une histoire juive ? Paris, Seuil, 1981.

[49] Voir P. Martin-Mattera, Théorie et clinique de la création, op. cit. ;  A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, op. cit., 44sq.

[50] Ce que Lacan a très bien mis en perspective. Et que Foucault et Derrida permettent aussi de penser.

[51] Que cet événement ait historiquement ait eu ou non lieu. Sur cette question, voir Rogozinski, Moïse l’insurgé, Paris, Cerf, 2022.

[52] Voir G. Haddad, Le péché originel de la psychanalyse, Paris, Seuil, 2007. Toutefois, G. Haddad ne tire à mon sens pas pleinement les implications concernant Lacan d’une telle prise en compte.

[53] J. Lacan, Le Séminaire, livre XVI., D’un Autre à l’autre, 1968-1969, op. cit., 11.12.68, p. 79. En cela il reprend explicitement la traduction anglaise dénommée Bible de King James, de 1611 : « I am that I am ».

[54] Les Trois temps de la loi, op. cit., p. 348.

[55] Sur cette question, voir entre autres G. Haddad, op. cit.

[56] Voir la conclusion de « Fonction et champ de la parole et du langage », in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

[57] Ainsi dans « La proposition de 67 » et dans « L’Etourdit ». Voir les Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.

[58] Voir le chapitre sur la question dans Boiter n’est pas pécher.

[59] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 53.

[60] Idem, p. 67.

[61] Les trois temps de la loi, op. cit. p. 341.

[62] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 266.

[63] Il faudrait insister plus systématiquement sur la manière dont Israël reprend l’héritage de Freud et de Lacan. Mais dans ce texte, je préfère marquer l’écart, tout en marquant certains liens.

[64] J.-R. Freymann nous éclaire sur cet apport de l’œuvre d’Israël. Voir La naissance du désir, op. cit. ; ou Eloge de la perte, Strasbourg-Toulouse, Arcanes-érès, 2015

[65] Comme je l’ai dit en note, une autre dimension dont je parle trop peu dans ce texte est la mise en place du sentiment d’existence.

[66] Le Moi et la chair, op. cit. ; Moïse l’insurgé, op. cit.

[67] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 65-66.

[68] Voir J.-R. Freymann, Eloge de la perte, op. cit.

[69] Idem, p. 66.

[70] Le Séminaire : Livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1964, Paris, Seuil, 1973, leçon du 24.6.64.

[71] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 292.

[72] Idem., p. 255.

[73] Idem., p 83

[74] Idem., p 83

[75] Idem., p 245

[76] Voir par exemple L’éducation à la majorité.

[77] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 69.

[78] Idem., p. 286

[79] Idem., p. 266.

[80] Idem., p. 81.

[81] Il peut exister par ailleurs, dans l’existence du sujet, des autorités subjectivantes. Comme le dit Adorno dans son texte l’éducation à la majorité. Mais le psychanalyste n’est pas une autorité.

[82] Totalité et infini, op. cit., p. 314.

[83] Pulsions de mort, Strasbourg-Toulouse, Arcanes-erès, 2007, p. 189.

[84] Assez winnicottien d’ailleurs.

[85] Boiter n’est pas pécher, op. cit., 257.

[86] Serge Leclaire, Rompre les charmes,Inter Éditions, 1981, p. 167.

[87] Voir entre autres M. Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988.

[88] Voir aussi particulièrement F. Perrier, La Chaussée d’Antin : Œuvre psychanalytique I., Paris, Albin Michel, 2008 et La Chaussée d’Antin II. : Œuvre psychanalytique II., Albin Michel, 2008.

[89] Comme le dit F. Poché, La culture de l’autre. Une lecture postcoloniale d’Emmanuel Levinas, op. cit., p. 83.

[90] Ici la psychanalyse ouverte, créatrice, rencontre la philosophie la plus féconde, par exemple celle de Nietzsche, telle que l’éclaire E. Salanskis, Nietzsche, Paris, Belles Lettres, 2015.

[91] Totalité et infini, op. cit., p. 30.

[92] Ici joue sans doute sa méditation explicite de Barthes, et de son élaboration de la réflexion lacanienne sur l’imaginaire. Pour cette question, voir le Roland Barthes par Roland Barthes.

[93] Le Séminaire : Livre XVI. D’un Autre à l’autre, 1968-1969, op. cit., p. 103-104.

[94] Pour être rigoureux concernant l’amour selon Israël, il convient de préciser que sa méditation de la réflexion sur le discours amoureux de Barthes joue aussi un rôle dans sa conception de l’amour, et

[95] L. Israël, « La parole et l’aliénation », op. cit., p. 103.

[96] Op. cit, leçon du 24.6.64.

[98] Dans Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1963, p. 272-302.

[99] « Entre deux mondes », op. cit., p. 286-287.

[100] Idem, 283.

[101] Idem, 289.

[102] Idem, 284.

[103] Idem, 289.

[104] Paris, Seuil, 1982, p. 200.

[105] Idem, p. 162-163.

[106] Idem, p. 250.

[107] Idem, p. 162-163.

[108] L. Israël, « La parole et l’aliénation », op. cit., p. 103.

[109] L’Etoile de la rédemption, op. cit., p. 232

[110] Idem, p. 233.

[111] Idem, p. 303.

[112] Pulsions de mort, op. cit.

[113] Mais aussi de Winnicott.

Chères amies, chers amis,

J’ai le plaisir de vous annoncer que la vidéo du séminaire de l’ARPPS (philosophie-psychanalyse-sciences humaines) du 30 mars 23 est en ligne :

https://www.youtube.com/watch?v=Qq7p_il9vCI&t=5755s
(DEBUT DES INTERVENTIONS, après la présentation et le tour de zoom : 32’30)

Elle porte sur « La crainte de l’effondrement telle que l’éclaire Winnicott ». J’interviens avec Stéphane Muths (psychanalyste, chargé de cours Univ. Strasbourg) (1).

Avant cela : une présentation de l’ARPPS par Jacob Rogozinski (philosophe, Univ. Strasbourg), Sandrine Israël-Jost (philosophe, HEAR Strasbourg), Stefan Kristensen (philosophe, Univ. Strasbourg) et Dimitri Lorrain.

Pour plus d’informations sur l’ARPPS, en attendant que l’ARPPS ait un site, voir :

Pour le séminaire sur le thème « Devant l’effondrement » :

Prochaine séance du séminaire : jeudi 9 mai 2023, 20h30, sur zoom, accès libre, avec une intervention de Sandrine Israël-Jost (HEAR Strasbourg) : « Winnicott et
Maldiney, penser ensemble crise et effondrement ».

N’hésitez pas, si vous en avez le goût, à faire suivre l’information, à partager et à vous abonner à la chaîne Youtube, ou à la page Facebook (2)

Contact : corpshistoirepsyche@gmail.com

NOTE

(1): Pour articulation solide de l’apport de Winnicott au freudo-lacanisme, voir J.-M. Jadin, La structure inconsciente de l’angoisse, Arcanes-érès, Strasbourg-Toulouse, 2021:

(2) : https://www.facebook.com/profile.php?id=100091240863444&viewas=&show_switched_toast=false&show_switched_tooltip=false&is_tour_dismissed=false&is_tour_completed=false&show_podcast_settings=false&show_community_review_changes=false&should_open_composer=false&badge_type=NEW_MEMBER&show_community_rollback_toast=false&show_community_rollback=false&show_follower_visibility_disclosure=false&bypass_exit_warning=true

Pour voir les enregistrements de la journée:

Journée scientifique

Voici le mot de Jonathan Nicolas pour présenter cette journée:

« Chers amis, cher réseau,

Je suis ravi de pouvoir vous annoncer la tenue prochaine de notre journée d’étude « Qui suis-je? Qui j’aime? Identités de genre et orientations sexuelles à l’adolescence » qui aura lieu le mardi 28 mars à la MISHA à Strasbourg.

Cette journée est organisée avec Thierry Goguel d’Allondans, la Maison des Adolescents de Strasbourg, le Laboratoire Subjectivité, Lien Social et Modernité (Sulisom UMR3071), le Laboratoire Interdisciplinaire en études culturelles (LinCS, UMR7069) et l’association Social à venir. En partenariat avec la Librairie Quai des Brumes Strasbourg.

Argumentaire:

L’adolescence, avec ou sans éclats, est le temps des quêtes identitaires et des affiliations. Comment se définir au sein du groupe de pairs, comment se présenter au monde tel qu’il va ? Même si ces questions « Qui suis-je ? » « Qui j’aime ? » sont récurrentes à ces âges de la vie, elles s’imposent aujourd’hui avec une nouvelle acuité. En quelques décennies, en parallèle aux évolutions de nos sociétés, les adolescents contemporains parlent, de plus en plus, souvent avec une certaine pertinence, de leurs orientations sexuelles et de leurs identités de genre. Ils nous invitent finalement à nous questionner avec eux. C’est ce que nous tenterons de faire durant cette journée d’étude. »

INSCRIPTION (130 places) & INFORMATION :

⚠️Inscription réservée aux professionnels, étudiants et chercheurs⚠️:

Avec: Jérome Beauchez, Oliver Putois, Alexandre Feltz, Thierry Goguel d’Allondans, Béatrice Denaes, Jonathan Nicolas, Delphine Rideau Mdastras, Julia Vesque, Mélanie Jacquot, Aurélien Lubienski, Virginie Le Corre, Frédérique Riedlin, Vincent Berthou, Odile Renoir, Association Hêtre, Laura Dill, Jeanne Schuhler, CMP de Saverne, EPSAN I02, Mélanie Becker et Stéphane Lemporte, Le Refuge Grand Est et Agnès Gras-Vincendon (HUS).

Conception graphique: Kévin Schaeffer

Chères amies, chers amis,

Pour celles et ceux d’entre vous qui lisent l’anglais, je vous informe ici de la sortie du très important ouvrage de mon ami Jorge Reitter, « Heteronormativity and psychoanalysis » (1), avec une belle préface de Patricia Gherovici.

*

Dans ce livre nourri en profondeur de l’expérience de la cure, et écrit de manière fort vivante, Jorge Reitter nous éclaire sur ce qu’il appelle l’« expérience gay » envisagée dans sa spécificité, et sur la psychanalyse depuis cette expérience.

Sa réflexion élabore, de manière rigoureusement psychanalytique, les apports de la pensée de Michel Foucault, mais aussi des études féministes, queer, lesbiennes et gaies. Elle nous éclaire sur la manière dont le discours collectif hétéronormatif et binaire oriente les pratiques et les théories psychanalytiques vers une norme désubjectivante. Et en quoi cela amène à une scotomisation ou à un rejet de la subjectivité des sujets gays, et à leur normalisation s’opposant à leur subjectivation.

Aussi ce livre nous permet-il d’appréhender la position du sujet gay dans ce que Jorge Reitter appelle – en élaborant Foucault – le « dispositif de l’hétéronormativité », c’est-à-dire le dispositif de pouvoir, portant sur la sexualité, que déploie le discours collectif hétéronormatif et binaire. Un point important est d’ailleurs que ce discours collectif voit dans l’hétérosexualité la seule forme de sexualité légitime, et donc rejette la diversité sexuelle.

De plus, nous pouvons noter que l’auteur ne parle pas de l’hétérosexualité comme en soi normative ; ce que j’élabore ainsi : c’est la forme binaire (désubjectivée) de l’hétérosexualité qui est normative, mais une autre hétérosexualité (subjectivée) existe bien, même si minoritaire, à l’écart de l’hétéronormativité.

Ainsi, plus généralement, ce livre nous aide à appréhender les ressorts et l’histoire de l’hétéronormativité et de la binarité pour chaque sujet, qu’il soit LGBT+ ou hétéro.

Pour cela, Jorge Reitter relit Freud et Lacan en détails, en essayant de « ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Il rappelle que Freud nous a révélé la contingence de l’objet sexuel. Ce qui fait que – comme le disait Freud lui-même – l’homosexualité ne peut être considérée comme « pathologique ». Bref, il n’existe pas de norme sexuelle, et il s’agit d’essayer d’en tirer toutes les conséquences.

Cela permet à Jorge Reitter, en s’appuyant sur toute une bibliographie souvent encore à découvrir en France, d’éclairer ce qui dans les œuvres de Freud et de Lacan pose de manière géniale les problèmes fondamentaux de la subjectivité et de la psychanalyse, mais aussi ce qui participe de l’hétéronormativité et de la binarité.

En ce sens, le complexe d’Oedipe, montre l’auteur, vaut aussi bien pour les sujets non hétérosexuels. Plus largement, le complexe d’Oedipe est relié dans le livre à la « tâche », pour le sujet, « de devenir indépendant de l’autorité (du désir) des parents » (2).  

Plus encore, Jorge Reitter nous propose une formulation fort élaborative, quand il établit que le sujet gay reconnaît la différence des sexes – envisagée au plus près de la clinique, et de manière non hétéronormative ni binaire (3). Juste, ajoute-t-il, le sujet gay se positionne autrement par rapport à celle-ci que le sujet hétérosexuel.

Bref, ce livre nous permet donc d’envisager les problèmes classiques de la psychanalyse (comme ceux du complexe d’Oedipe ou du complexe de castration, ou encore celui de la différence des sexes, mais aussi celui du symbolique) sous un nouveau jour, pleinement ouvert à la diversité sexuelle et dégagé de la gangue hétéronomative et binaire.

Et, en suivant les réflexions de Jorge Reitter, nous pouvons reprendre à notre compte de manière créative – et non normative – l’interrogation fondamentale de Freud sur le rôle central de la sexualité dans la subjectivité, et dans l’enfance du sujet : sur la sexualité en ce qu’elle est fondamentalement hors-norme – queer diront certains.

Cela ouvre au fait de solidement prendre en compte – avec Lacan – le donné fondamental consistant dans le fait que, pour citer Jorge Reitter, « être dépendant de l’Autre et être très marqué par son désir est une condition nécessaire » (4) à la subjectivation. Car, dirais-je, ce sont, dans un premier temps, cette dépendance à l’Autre (à l’Autre du langage, mais aussi à l’Autre qui a donné au sujet le langage) et cette marque du désir (liée à cette dépendance à l’Autre), qui permettront au sujet, dans un deuxième temps, de devenir indépendant de l’autorité, du désir, des parents.

Dans la cure, cela nécessite le fait que la parole du sujet déploie ce qu’il en est du signifiant, mais aussi que « l’attention de l’écoute analytique (soit) portée sur la structure du signifiant » (5).

D’ailleurs, dans son insistance de l’émancipation du sujet par rapport aux autorités, Jorge Reitter rejoint à mon sens l’insistance de Serge Leclaire, dans son débat avec Lacan, sur le fait que le désir de l’Autre gagne, dans la cure, à prendre une forme « un peu déliée » (6). En d’autres termes, il gagne à prendre une forme pleinement créative, dégagée de toute volonté directive (7). On le voit, chez Jorge Reitter comme chez Leclaire, c’est là une lecture de Lacan – et de son éclairage sur la créativité du signifiant – qui s’émancipe de Lacan, lorsque cela est nécessaire.

Aussi, au regard des vifs et fort compréhensibles débats contemporains à son propos (8), le complexe d’Oedipe (comme son pendant le complexe de castration) n’apparaît-il pas comme quelque chose d’en soi normalisateur, même si son élaboration a pu, chez Freud et après lui, prendre une forme hétéronormative et binaire.

Par là même, ce livre fort important nous propose une articulation très subtile, et au plus près de l’expérience psychanalytique, entre psychanalyse et politique. Car nous trouvons ici une réflexion très opérationnelle sur la question du pouvoir – en lien au langage. En effet, de manière très concrète, pour Jorge Reitter, il s’agit dans la cure d’ « être attentif à la place que le sujet a dans le discours qui le nomme, et qui le situe dans des relations de pouvoir » (9).

Cela nous permet aussi de nous rappeler ce que dit Lacan, en passant par les Lumières, de la relation de la psychanalyse au pouvoir : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir » (10).

En somme, cet ouvrage constitue un apport fondamental sur tout un ensemble de questions cruciales. Il en va là de la mise en place d’une psychanalyse  – et d’une psychanalyse freudo-lacanienne (11) – ouverte à la fois à la diversité sexuelle, à la diversité des cheminements de genre,  mais aussi à la féconde démocratisation qui a lieu dans les jeunes générations, avec ce qu’elle apporte de fécond pour la subjectivation (12). Cette psychanalyse ouverte se positionnant de manière psychanalytique contre les discriminations. Ici, l’enjeu est aussi que cette psychanalyse ouverte soit aussi capable de soutenir solidement la subjectivation des sujets, en utilisant pour cela les apports cliniquement fondamentaux, et toujours actuels (pour peu qu’on les réinterprète de manière créative comme le fait l’auteur), de Freud et de Lacan.

Et je finirai sur ce point : Jorge Reitter insiste sur le fait que la psychanalyse qui se positionne contre les discriminations, c’est aussi la psychanalyse qui se positionne contre elles dans les institutions psychanalytiques. Ce alors que l’institution psychanalytique a mis tant de temps à dépathologiser l’homosexualité. D’ailleurs, l’institution psychanalytique, en cela, a bien été contre la volonté de Freud qui, il s’agit de le rappeler, était favorable au fait que des gays ou des lesbiennes deviennent analystes. C’est bien ce que montre le fait qu’il a longtemps collaboré avec Hirschfeld, ce sexologue et militant historiquement important pour la reconnaissance des droits LGBT (13).

*

Présentation de l’ouvrage par l’éditeur 

Heteronormativity and Psychoanalysis proposes a critical reading of the Freudian and Lacanian texts that paved the way for a heteronormative bias in the theory and practice of psychoanalysis.

Jorge N. Reitter’s theoretical-political project engages in a genealogy of how psychoanalysis approached the ‘gay question’ through time. This book determinedly seeks to dismantle the heteronormative bias in the theories of psychoanalysis that resist new discourses on gender and sexuality. Drawing on developments by Michel Foucault and lesbian and gay studies on queer theory and feminist theorizing, Reitter draws attention to the normalizing devices that permanently regulate sexuality neglected by psychoanalysis as producers of subjectivities.

Accessibly written, Heteronormativity and Psychoanalysis will be key reading for psychoanalysts in practice and in training, as well as academics and students of psychoanalytic studies, gender studies, and sexualities.

Table des matières

Prologue by Patricia Gherovici

Prologue to the first edition

I. Heteronormativity and psychoanalysis

1) Oedipus gay

2) The original entanglement. How psychoanalysis could not escape the heteronorm

3) Oedipus reloaded

4) Towards a post-heteronormative Oedipus

II. Miscellanea

5) On the political incorrectness of eroticism

6) Rethinking the possible as such

7) Felix Julius Boehm

III. Bonus tracks

8) Talking with Jorge Reitter : neither the Other nor sexuality exists outside of power relations

Epilogue

Jorge N. Reitter est psychanalyste d’orientation lacanienne, il vit et exerce à Buenos Aires (Argentine).

Il enseigne à l’Université de la République, Uruguay. Il a enseigné à la Faculté de Psychologie de l’Université de Buenos Aires et à l’Université Nationale Autonome de Zacatecas (Mexique).

Pour une présentation de l’ouvrage (en espagnol), sur la passionnante et fort subtile Chaîne Youtube Asociación Libre (en espagnol), portant sur la psychanalyse, avec Matias Tavil, voir :

Jorge N. Reitter intervient aussi régulièrement sur Asociación Libre, animée par Matias Tavil, et que je vous conseille vivement si vous comprenez l’espagnol :

https://www.youtube.com/channel/UCn-ca92YLNQjj_GSE4zxvag

NOTES :

(1) : La page Internet du livre: https://www.routledge.com/Heteronormativity-and-Psychoanalysis-Oedipus-Gay/Reitter/p/book/9781032171845#

(2) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 53.

(3) : Pour une clinique et une théorie ni hétéronormative ni binaire de la différence de sexes, voir P. Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021. Voir aussi Serge Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.

(4) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 60.

(5) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 31.

(6) Serge Leclaire, Rompre les charmes, Inter Éditions, 1981, p. 167.

(7) : De ce point de vue, en ce qui concerne l’histoire de la psychanalyse en France, l’apport de Lacan, pour génial et mettant en crise le caractère massivement directif de l’enseignement de Freud (voir Moustapha Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988), n’a pas été sans réintroduire une certaine directivité. Leclaire, comme d’autres de ses élèves (Perrier La Chaussée d’Antin : Œuvre psychanalytique I., Paris, Albin Michel, 2008 et La Chaussée d’Antin II. : Œuvre psychanalytique II., Albin Michel, 2008), Lucien Israël (Boiter n’est pas pécher, Arcanes/Erès, 2010)…), proposent de mettre en crise de l’intérieur de l’apport lacanien le reste de directivité qui habite l’enseignement de Lacan.

(8) : Plus en détails, Jorge Reitter débat avec son ami Fabrice Bourlez sur cette question du complexe d’Œdipe. Dans son fort intéressant ouvrage Queer psychanalyse (Hermann, 2018), Fabrice Bourlez propose en effet une psychanalyse post-oedipienne, nourrie en premier lieu de Deleuze et de Guattari (L’Anti-Œdipe, Paris, 1972).

(9) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 15.

(10) : J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.

(11) : Pour un telle psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, voir: Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022 ( https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/a-noter-la-sortiede-louvrage-de-benjamin-levy-lere-de-la-revendication-flammarion-janvier-2022/); Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022 (https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/; André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180; Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018. Voir notre réflexion collective au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY): https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/

(12): Pour cette démocratisation, voir Benjamin Lévy, op. cit.

(13) : Sur Hirschfeld et la proximité de Freud avec lui, voir P. Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021, p. 82-91.




Animé par Dominique Marinelli, Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain.

A partir du 5 janvier 2023, le 1er jeudi du mois, à 20h30.

Par Zoom.

Pour demander à participer, écrire à : lorrain.dimitri@gmail.com ou à emmanuelle.chatelat@gmail.com.

Le séminaire porte sur la pratique psychanalytique de Freud et sur sa pensée. Nous étudions l’œuvre et le geste de Freud dans son contexte historique et culturel (psychanalytique, psychiatrique, intellectuel, philosophique, littéraire, artistique, etc.). Ce faisant, nous essayons d’envisager la portée à la fois clinique, théorique et culturelle de son œuvre dans le contexte actuel.

Il s’agit de lire Freud, de le discuter, afin d’ouvrir des pistes théoriques pour la clinique. Nous essayons aussi de caractériser la dynamique de son œuvre et la manière dont Freud a traversé ses propres résistances.

Nous lisons Freud, Lacan, mais aussi les élèves strasbourgeois de Lacan, comme d’autres de ses élèves, afin de transmettre la psychanalyse telle que l’envisage l’Ecole de Strasbourg et de pratiquer un freudo-lacanisme pleinement ouvert à l’apport féministe et queer, à la diversité sexuelle et à la diversité des cheminements de genre.

De plus, pour nous mettre à l’écoute des subjectivités contemporaines, nous envisagerons de manière psychanalytique les apports des pensées féministes et queer, et des études de genre, les plus stimulantes.

En ce sens, nous invitons des intervenantes et des intervenants psychanalystes et appartenant aux champs connexes à la psychanalyse (philosophie, sciences humaines et sociales, littérature, art, etc.).

Avec une quarantaine d’inscrits, le séminaire associe des personnes venant de différents champs : psychanalyse, psychologie, pédopsychiatrie, éducation, philosophie, anthropologie littérature, études féministes…

Ce séminaire polyphonique est pour chacune et chacun l’occasion de traverser Freud à sa manière, dans une relation de un à un avec son œuvre, avant tout depuis la clinique et depuis l’éthique de la psychanalyse.

Lors de l’année 2023 et du 1er semestre de 2024, nous traiterons du « féminin ».

.

Programme janvier-juin 2024

5.1.2023          Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain : « La situation contemporaine de la psychanalyse »

2.2.2023          Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain : « Le féminin selon Freud et aujourd’hui »

2.3.2023          Frédérique Riedlin (psychanalyste) : « Le tabou de la virginité selon Freud » 

« Elaborer psychanalytiquement la mutation culturelle contemporaine de l’individualisation du genre » (15mn).

6.4.2023          Thierry Goguel d’Allondans (anthropologue, Univ. Strasbourg) et Jonathan Nicolas  (psychologue) : « Anthropologie clinique des caméléons. A propos de Choisir son genre ? (ouvrage collectif qu’ils ont dirigé) »

4.5.2023          Stéphane Muths (psychanalyste) : « La bisexualité psychique selon Freud et aujourd’hui »

                        Karina Pacheco (philosophe) : « Le virilisme dans le Brésil de Bolsonaro » (15mn)

1.6.2023          Frédérique Riedlin (psychanalyste) et Dimitri Lorrain : Lecture de Lacan, Séminaire XX., Encore, leçon du 13.3.1973

5.10.2023        Dimitri Lorrain : « A propos de Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, chapitre « Que reste-t-il de notre amour? » »

9.11.2023        Dominique Marinelli : « Eléments pour une histoire des femmes psychanalystes (1) »

7.12.2023        Dominique Marinelli : « Eléments pour une histoire des femmes psychanalystes (2) »

11.1.2024        André Michels (psychanalyste): « Les enjeux cliniques et politiques de la question trans »

1.2.2024          Jacob Rogozinski (philosophe, Univ. Strasbourg) et Emmanuelle Chatelat : « La psychanalyse, la chair, le féminin »

14.3.2024       Sandra Baumlin et Emmanuelle Chatelat : « La servitude volontaire (Lacan, Dufourmantelle, Manon Garcia, La Boétie) »

4.4.2024          Emmanuelle Chatelat : « Eléments d’histoire du genre pour la psychanalyse »

9.5.2024         Paola Casagrande (psychanalyste): « L’invention de l’objet a est-elle caduque? De Freud à Lacan: de la ‘découverte’ à l »invention' ».

6.6.2024          Dimitri Lorrain : « Les femmes et le féminin à l’époque de Freud selon Stefan Zweig (« Le monde d’hier ») »

.

Autres intervenants à venir 

Jorge N. Reitter (psychanalyste, Buenos Aires) ; Ondine Arnould (philosophe, Univ. Strasbourg, sur Lou Andreas-Salomé) ; Benjamin Lévy (psychanalyste, sur le travail culturel) ; Leiv Fraenckel (philosophe, Univ. Strasbourg, sur le judaïsme et la psychanalyse), Thyphaine Krebs (psychologue, sur Rilke) ….

Textes étudiés

Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle(1905), Gallimard, 1989.

– Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité » (1918), in La vie sexuelle, PUF, 1969.

– Sigmund Freud, « Sur la sexualité féminine » (1931), in La vie sexuelle, PUF, 1969.

– Sigmund Freud, « La féminité » (1932), in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 2002.

– Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XX, 1972-1973, Encore, Seuil, 1975, particulièrement  « Une lettre d’âmour », séance du 13.3.1973.

– Jacques Lacan, Le Séminaire : Livre XVII. L’envers de la psychanalyse, 1969-1970, Paris, Seuil, 1991.

– Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, 2010, particulièrement « Que reste-t-il de notre amour ? », p. 153-162.

– Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022.

– Stefan Zweig, Le Monde d’hier (1943), Livre de poche, 1996.

Autre bibliographie (psychanalyse)

– Monique David-Ménard (dir.), Sexualités, genres et mélancolie, S’entretenir avec Judith Butler, Campagne première, 2009.

– Anne Dufourmantelle, Éloge du risque. Payot, Paris 2011.

– Jean-Pierre Dreyfuss, Jean-Marie Jardin, Marcel Ritter, Qu’est-ce que l’inconscient ?, Erès, 2016.

– Jean-Richard Freymann, L’art de la clinique, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2015.

– Patricia Gherovici, Transgenre : Lacan et la différence des sexes, Paris, Stilus, 2021.

– Serge Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.

– Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022.

Voir:https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/

– Dimitri Lorrain, « Avec Stefan Zweig: penser la Vienne de Freud et le geste de Freud. Une lecture du « Monde d’hier » », in Ephéméride 11, FEDEPSY, novembre 2020.

Voir: https://dimitrilorrain.org/2020/12/04/avec-stefan-zweig-penser-la-vienne-de-freud-et-le-geste-de-freud-une-lecture-du-monde-dhier/

– André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.

– Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120

– Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180.

– Jorge N. Reitter, Heteronormativity and psychoanalysis. Oedipus gay, Routledge, 2022.

– Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018.

– Frédérique Riedlin, « ’’Extime-toi heureux ! », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 129-142.

– Moustapha Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988.

– Donald W. Winnicott, Conversations ordinaires, Gallimard, 1988.

Autre bibliographie (hors psychanalyse)

– Judith Butler, Défaire le genre, Amsterdam, 2013.

– Didier Fassin et Roland Rechtman, L’empire du traumatisme, Flammarion, 2007.

– Michel Foucault, Herculine Barbin dite Alexina B., Gallimard, 2014.

– Camille Froidevaux-Metterie, La révolution du féminin, Gallimard, 2015.

– Manon Garcia, On ne naît pas soumise : on le devient, Flammarion, 2018.

– Olivia Gazalé, Le mythe de la virilité, Robert Laffont, 2017,

– Thierry Goguel d’Allondans, Ados LGBTI, Chronique sociale, 2016.

– Françoise Héritier, Masculin-Féminin, 2 vol., Odile Jacob, 2007.

– Ivan Jablonka, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Seuil, 2019.

– Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontair, Flammarion, 1993.

– Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe, Gallimard, 1992.

– Maggie Nelson, Les Argonautes, Editions du sous-sol, 2018.

– Jacob Rogozinski, Le Moi et la chair, Cerf, 2006.

Séries

– « #Philo: sapere Aude », sur Netflix, de Héctor Lozano et Menna Fité (1)

– « La fin de l’amour »  de Tamara Tenenbaum, sur Amazon vidéo 

– « Transparent », de Joey Soloway, sur Amazon Vidéo.

Documents de travail: page Internet réservée aux membres de l’équipe du séminaire

NOTE

(1): voir :

Chères amies, chers amis,

Je relaie ici la sublime interprétation par Jakub Józef Orliński de l’air « Vedrò con mio diletto », issu de l’opéra d’Antonio Vivaldi « Il Giustino ». Accompagnement : Alphonse Cemin (piano). Enregistrement en direct d’Aix-en-Provence dans le cadre de l’émission spéciale de Carrefour de L’Odéon, le 8 juillet 2017, sur France Musique.

Ici, les paroles, bouleversantes, en italien et en français, où il est question de plaisir et de joie, d’amour et d’absence :

Vedrò con mio diletto

L’alma dell’alma mia, dell’alma mia

Il core del mio cor

Pien di contento, pien di contento

Vedrò con mio diletto

L’alma dell’alma mia, dell’alma mia

Il cor di questo cor

Pien di contento, pien di contento

E se dal caro oggetto

Lungi convien che sia, convien che sia

Sospirerò penando

Ogni momento

Vedrò con mio diletto

L’alma dell’alma mia, dell’alma mia

Il core del mio cor

Pien di contento, pien di contento

Vedrò con mio diletto

L’alma dell’alma mia, dell’alma mia

Il cor di questo cor

Pien di contento, pien di contento

.

Je verrai avec mon plaisir

L’âme de mon âme, de mon âme

Le cœur de mon cœur

Plein de contentement, plein de contentement

Je verrai avec mon plaisir

L’âme de mon âme, de mon âme

Le cœur de ce cœur

Plein de contentement, plein de contentement

Et si du cher objet

Il faut qu’il soit loin, il faut qu’il soit

Je soupirerai de douleur

A chaque instant

Je verrai avec mon plaisir

L’âme de mon âme, de mon âme

Le cœur de mon cœur

Plein de contentement, plein de contentement

Je verrai avec mon plaisir

L’âme de mon âme, de mon âme

Le cœur de ce cœur

Plein de contentement, plein de contentement

.

Merci à Dominique Marinelli pour la relecture de la traduction. Je conclue ce texte par une pensée pour mon ami Jorge Reitter, avec qui j’ai la joie d’échanger largement sur la musique, entre tant d’autres choses.

Chères amis, chers amis,

Je vous informe de la sortie de ce numéro absolument passionnant. Ce volume est dirigé par Emmanuel Delille et Katia Genel. Les auteurs nous y parlent de la relation théorique et historique, entre, d’un côté, la psychanalyse, et, de l’autre, l’Ecole de Francfort, la théorie critique, Norbert Elias ou la psychologie historique. Avec aussi une traduction d’un texte de Horkheimer.

https://www.cairn.info/revue-archives-de-philosophie-2023-1.htm

Bonne lecture !

Ici la présentation:

Chères amies, chers amis,

Je relaie ici les informations sur cette journée.

« Notre situation historique semble se caractériser par une crise de la liberté. 

Les symptômes de cette crise sont multiples : montée des tentations autoritaires, menaces sur les libertés fondamentales au nom de la sécurité ou de la santé, mise au point de technologies de surveillance et d’exploitation des données personnelles, marchandisation des ressources naturelles, sociales et cognitives … Plus profondément, la crise écologique, la prise de conscience de la dépendance de l’individu humain à son milieu naturel et social nous conduisent à remettre en question la conception traditionnelle de la liberté humaine, fondée sur la maîtrise et la souveraineté de l’homme.

Cependant, une crise peut également se comprendre comme un moment de vérité ou un moment décisif.  La crise de la liberté peut alors être vue comme une chance inédite de repenser cette notion et de lui rendre toute sa valeur.

 Faut-il alors considérer que notre liberté est en péril, ou bien est-elle simplement conduite à se redéfinir ? Convient-il de voir dans cette crise un recul du projet d’émancipation, une panne de l’imaginaire démocratique, ou bien l’occasion de réinventer cette notion et d’en renouveler les pratiques ? »

Organisation : Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine (Crephac).

De 09h15 à 18h00

Amphithéâtre du Collège Doctoral européen – 46, boulevard de la Victoire, Tram : Observatoire

Programme :

9h15 : Arnaud Tomès (lycée Fustel de Coulanges, chercheur associé au Crephac) : Le fardeau de la liberté

10h05 : Guillaume Barrera (lycée Fustel de Coulanges, CPGE) : Le libéralisme est-il dépassé ?

11h10 : Olivier Fressard (BNF) : La démocratie à l’épreuve de la mondialisation

14h : Muriel Van Vliet (université de Rennes) : De la philosophie de la culture et de l’archéologie du savoir à l’anthropologie de la nature

14h50 : Xenophon Tenezakis (université Paris-est Créteil) : Apories de l’engagement et du collectif à l’ère néolibérale

15h55 : Quentin Mur (université de Toulouse) : Autonomie politique et nature : Castoriadis au risque du tournant ontologique

Organisation : Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine (CREPHAC), Université de Strasbourg.

Pour tout renseignement : atomes@unistra.fr

Voir :

Arnaud Tomès est philosophe, professeur en classes préparatoires littéraires et économiques à Strasbourg, chargé de cours à l’Université de Strasbourg et chercheur associé auprès du Centre de recherches en philosophie allemande et contemporaine (Crephac).
Il a consacré sa thèse à la Critique de la raison dialectique de Sartre et s’est intéressé à la question de l’intelligibilité de l’histoire et au statut de la rationalité dans la compréhension des phénomènes historiques et sociaux. Il a publié plusieurs ouvrages sur Sartre et une édition de L’Esquisse d’une théorie des émotions.
Il a également travaillé sur Castoriadis et la question des imaginaires sociaux et politiques. Il a publié sur le sujet : Pour l’autonomie (avec Philippe Caumières) ; et Castoriadis, l’imaginaire, le rationnel et le réel. Il s’intéresse actuellement à la philosophie sociale, à la théorie critique et à l’actualité du projet d’émancipation; mais aussi à la relation entre philosophie et psychanalyse, dans le cadre de l’ARPPS (philosophie-psychanalyse-sciences humaines).

Chères amies, chers amis,

Voir: https://www.rcf.fr/articles/culture-et-societe/la-question-du-genre-sujet-pregnant-pour-les-ados-et-les-adultes

Ils y parlent de leur récent ouvrage « Choisir son genre? » (Chronique sociale, 2022).

Bonne écoute !