Chères amies, chers amis,
J’aimerais ici dire quelques mots du très beau livre de Jean-Michel Rabaté, Lacan l’irritant (Stilus, 2023).
Dans cet ouvrage, il propose une mise en perspective de Lacan en insistant sur la dimension fécondement irritée et irritante de sa parole et de sa pensée – et plus encore du texte (ce que l’on pourrait appeler le « texte-Lacan ») que nous lisons lorsque nous fréquentons ses écrits et séminaires.
En effet, aux Etats-Unis, où Jean-Michel Rabaté vit et enseigne (Université de Pennsylvanie), existe à nouveau un grand intérêt pour Lacan comme pour la psychanalyse – tout comme il existe une psychanalyse, particulièrement freudo-lacanienne, fort créative. Ce regain d’intérêt est permis par l’essor de ce que l’on y appelle les studies (dont particulièrement les gender studies). Et l’éclairage de Jean-Michel Rabaté sur Lacan nous donne une piste novatrice pour donner à entendre d’une nouvelle manière l’enseignement de Lacan, mais aussi la psychanalyse, dans le nouveau contexte culturel qui existe aux Etats-Unis, mais aussi plus généralement.
En somme, contre tout anti-américanisme et contre tout conservatisme, il s’agit pour Jean-Michel Rabaté, comme il le dit dans la vidéo que je relaie plus loin, de rendre à Lacan et à la psychanalyse leur pouvoir irritant, sans aller jusqu’à l’offense. Pour aider le sujet contemporain, s’interrogeant souvent en termes d’identité (d’ailleurs socialement minoritaire : de genre ou autre), à justement ouvrir cette interrogation. Ce dans le nouveau contexte culturel, où, je dirais, le discours collectif, par ce questionnement en termes d’identité, rend maintenant – et fécondement – le sujet beaucoup plus sensible aux questions du pouvoir et de la violence désubjectivante, sous toutes leurs formes (1).

Dans sa réflexion sur l’identité, Jean-Michel Rabaté rejoint d’ailleurs la psychanalyse contemporaine qui accueille pleinement – et ne rejette donc pas – cette interrogation actuelle des sujets en termes d’identité, afin d’ouvrir à la levée du désir subjectif s’y trouvant bien souvent (2).
Dans mes termes, je dirais que, dans la lecture de Jean-Michel Rabaté, Lacan apparaît non pas comme une autorité discursive, mais comme le passeur irrité et irritant d’une conflictualité discursive et psychique. Cela vient ouvrir ce que les discours collectifs contemporains, seraient-ils aussi fécondement progressistes, ont tendance à refermer. Et, dans la cure pratiquée en s’appuyant sur Lacan, cela permet de rendre la parole du sujet à nouveau singulière, créative, et donc critique. Bref, l’affect d’irritation qui habite et que suscitent la parole et la pensée de Lacan – et plus encore le « texte-Lacan » – est bien le vecteur de l’ouverture d’une telle conflictualité, d’une telle créativité, d’une telle mise en crise. Ce, au niveau collectif, contre toute recherche de giron dans un discours collectif normatif. Mais aussi, ce qui va de pair, au niveau subjectif, contre toute refermeture de la parole du sujet sur la léthargie d’un confort qui obture la possibilité d’avancées subjectivantes à venir.
Ainsi, en nous donnant à lire Lacan comme un « trouble-fête » et un « taon dans la cité » (tel Socrate selon Platon), ce livre redonne à celui-ci sa dimension critique et subversivement créative.
Ce qui est ici critiqué et déconstruit par Lacan, tel que l’éclaire Jean-Michel Rabaté, c’est aussi la conception mainstream du sujet et de l’auteur. Cela lui permet de situer le « retour » de Lacan à Freud comme une « transformation » de la « discursivité psychanalytique fondée par Freud » – telle que l’a éclairé Foucault (p. 13).
Alors la psychanalyse apparait comme « à la fois un discours pris dans les sciences humaines, un discours portant sur la sexualité, le désir, le sujet clivé de l’inconscient, la topique du moi, les pulsions, et une archive, un système autopoïétique qui se révise sans cesse, un texte foisonnant et plein de lacunes qu’il s’agit de relire avec attention » (p. 20).
Plus encore, c’est bien, avec Freud et Lacan, l’existence de la « pulsion de mort » ou plus largement la destructivité pulsionnelle, qui est affirmée. Ce contre tout idéalisme visant à prendre le sujet dans un optimisme béat, dans un culte de la positivité (pensons par exemple à la psychologie positive) mystificateur. En somme, il existe inéluctablement chez l’être humain une « cruauté », une destructivité. Et cette « cruauté », cette destructivité, dans la parole ou dans l’écriture, doit pouvoir – comme nous l’enseignent Lacan et Winnicott – se déployer, et non pas être réprimée, pour se déployer de manière créatrice. Pour Lacan, « dans le travail d’écriture » (p. 75).
En ce sens, la lecture de Jean-Michel Rabaté passe aussi par l’éclairage du fait que la psychanalyse de Freud et de Lacan est à relier aux Lumières obscures (p. 106) au sens d’Adorno et de Horkheimer (3).
L’un des points les plus vifs et les plus ouvrants du livre est l’insistance – en écho à Derrida, et au débat entre Lacan et Derrida – sur le fait que le dernier Lacan est un Lacan élaborant la question de l’écriture. Ce point est certes bien connu des spécialistes et, mais le livre nous en offre un éclairage novateur.
Car la « mémoire » psychanalytique et culturelle que l’écriture, au sens de Lacan, déploie, consiste en une « mémoire qui se fabrique elle-même en gérant sa part d’oubli » (p 109). Bref, comme dit auparavant, l’écriture du texte-Lacan est une archive créative, elle est même le système autopoïétique d’un « écrivain pluralisé » (p. 115), « disséminant » (4) la « subversion du sujet » (p. 116). En ce point, d’ailleurs, Lacan met au travail Joyce qu’il a longuement médité, Joyce qui « détiss(e) » le tissage du texte (p. 142), le tissage de la mémoire culturelle dans laquelle nous sommes tous pris. Ce – en va-t-il là d’une éthique ? – afin que le sujet ainsi redéfini accède au geste de « s’autoriser de soi-même et d’un Autre » (p. 148), ce sans se prendre pour une autorité.
A mon sens, cela ouvre à une conception du psychanalyste – et de l’écrivain – comme tisseur, comme passeur critique et créatif, irritant et en cela porteur de nouveauté. A l’opposé de toute autorité (5) .
Plus encore, cela soutient le fait que le sujet, dans la cure analytique, déploie une telle mémoire, une telle écriture créative, mais aussi une telle élaboration ouvrante – et même sinthomale (je parlerai plus loin du concept de sinthome) – de ce que Lacan appelle le non-rapport sexuel, c’est-à-dire l’absence de complémentarité entre deux sujets liés sexuellement.
Pour tout cela, Jean-Michel Rabaté lit Lacan avec Freud, avec la littérature (Sade…), la philosophie (Kant et Nietzsche – lui aussi un philosophe de l’irritation), les sciences humaines (particulièrement Luhmann).
Et, ayant donc parlé du sinthome, je ne puis finir ce texte sans pointer le fait que ce livre approfondit le travail déployé dans Joyce, hérétique et prodigue (Stilus, 2022).
Cet ouvrage articulant Joyce, Lacan et Derrida, pour le dire trop rapidement, éclaire le dernier Lacan comme un joycien hérétique. Il éclaire aussi que je propose d’appeler le texte-Lacan comme le déploiement d’une écriture du sinthome. Rappelons ici ce qu’est le sinthome – création conceptuelle géniale de Lacan, qui permet une avancée clinique fondamentale dans la cure. Le sinthome, je dirais, est cette création symptômale spécifique travaillant à même la lettre (et liée au hors-sens et à l’équivoque, la surdétermination maximale).
Ici, c’est bien de la créativité de ce symptôme spécifique qu’est le sinthome, dont il est question. Ce contre toute logique d’adaptation sociale (il existe bien sûr une forme d’inscription sociale qui n’est pas adaptative), entravant chez le sujet la fragilité, le ratage, et ainsi toute subjectivité, toute singularité, toute vitalité psychique et discursive.
Plus encore, cette forme spécifique du symptôme qu’est le sinthome a pour grand mérite de faire tenir le sujet là où la béance (ce point de réel, de pulsionnalité pure, de jouissance (6), où le psychisme et la parole défaillent absolument, laissant le sujet dans un désarroi radical) pourrait l’orienter vers une destructivité ou une autodestruction débridée.
Dans cette opération psychique spécifique du sinthome, relevant donc d’une écriture psychique, la langue est détruite et recréée pour échapper à la logique de destructivité – surmoïque – qui l’habite.
Bref, face à la question cruciale de la béance, habitant tout sujet, et face au discours surmoïque (7) qui hante le sujet et l’empêche d’élaborer la béance, l’un des apports cliniques absolument novateurs de Lacan, consiste dans le fait de soutenir la création psychique d’un sinthome (8). Et cet apport clinique fondamental de Lacan s’est appuyé sur une invention théorique dans la lecture de Joyce, en premier lieu dans le séminaire XXIII, de 1975-1976, sur le sinthome.
Et c’est cela que Jean-Michel-Rabaté éclaire à sa manière, au plus vif et au plus crucial de la clinique psychanalytique, mais aussi au plus vif et au plus crucial de la créativité subjective en général : lorsqu’il en va pour le sujet de devenir psychiquement et discursivement vivant là où il pourrait psychiquement et discursivement mourir – ou là où il est psychiquement et discursivement non-vivant.
En cela, son livre nous permet d’appréhender en quoi la psychanalyse est bien un « nouveau discours » culturellement révolutionnaire (p. 11), qui a tant à apporter subjectivement, collectivement, et, justement, culturellement.

NOTES

(1) : Didier Fassin et Roland Rechtmann, L’empire du traumatisme, Flammarion, 2007.

(2) Voir entre autres Patricia Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021 ; Nicolas Evzonas, Devenir trans de l’analyste, PUF, 2024, particulièrement p. 410-411 ; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes filles en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Jonathan Nicolas et Thierry Goguel d’Allondans (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022, p. 169-180.

[3] Dans leur Dialectique de la raison. Sur cette question, voir E. Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, Seuil, 2014.

[4] En écho à Derrida.

[5] La relation entre passeur et autorité est une question qui m’intéresse particulièrement et que j’ai élaborée à ma manière dans mon texte https://dimitrilorrain.org/2023/06/09/texte-que-peut-nous-dire-la-psychanalyse-de-lautorite-et-de-la-transmission-aujourdhui/

[6] Sur la question de la jouissance, je renvoie particulièrement à Darian Leader, La jouissance, vraiment ?, Stilus, 2020.

[7] Sur la dimension surmoïque du sinthome, voir particulièrement, Geneviève Morel, La Loi de la mère, Anthropos/Economica, 2008.

[8] Concernant le sinthome comme création symptômale, je renvoie à Geneviève Morel, et, dans le cas du sujet identifié trans, à Patricia Gherovici, Transgenre. Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021 : https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/ https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/

**


Présentation du livre par l’éditeur :
« Le concept d’irritation amène à travailler la problématique de l’autorité avec Foucault, Luhmann et Lacan. Lacan, comme Socrate, « taon de la cité », rejoint Freud lorsqu’il manifeste son irritation face à Nordau et Viereck. Freud en vient à postuler la pulsion de mort comme fondamentale, tandis que Lacan, irrité-irritant, moins « auteur » que tisseur, passe de la logique du signifiant au temps (« taon ») biologique des pulsions. »
https://www.editions-stilus.com/lacan-lirritant.html

**


De plus, j’aimerais ici relayer une passionnante vidéo avec Jean-Michel Rabaté présentant cet ouvrage. Il y dialogue avec Elisabeth Roudinesco à la librairie le Divan le 8 mars 2023. Luis Izcovich modère et présente cette rencontre. Dans ce débat fort élaboratif, se déploie, la parole si subtile, si fraîche, de Jean-Michel Rabaté, présentant sa lecture de Lacan et son travail pour un lacanisme ouvert, ainsi que son élaboration de la littérature, de la philosophie, des sciences humaines. Entre autres, l’on pourra aussi y trouver une réflexion sur la transmission de la psychanalyse dans la situation contemporaine, sur l’évolution culturelle aux Etats-Unis mais aussi plus généralement, où il vit (il enseigne à l’Université de Pennsylvanie), particulièrement en ce qui concerne les questions du genre et du racisme. Aussi nous donne-t-il à appréhender les spécificités – fécondes et conflictuelles – de cette évolution culturelle, en contraste avec la perspective dominante en France. Particulièrement en insistant sur les apports de la perspective intersectionnelle – qu’il considère comme déployant une féconde surdétermination de l’identité. En professeur à l’écoute de ses étudiants, il nous y donne aussi à entendre ce qui a lieu dans les jeunes générations, en termes de créativité mais aussi de fragilité psychique – celle-ci étant, je dirais, liée à un contexte global particulièrement difficile.
LE LIEN VERS LA VIDEO :SUR YOUTUBE (STILUS)

https://www.youtube.com/watch?v=cHaMXH9VKSU


**


Jean-Michel Rabaté est professeur de littérature anglaise et de littérature comparée à l’Université de Pennsylvanie. Cofondateur de la galerie Slought à Philadelphie, éditeur du Journal of Modern Literature. En plus d’innombrables articles, il a publié une quarantaine de livres, sur la littérature, la psychanalyse, l’art contemporain, la philosophie, et particulièrement sur Beckett, Pound ou Joyce, Lacan, Derrida….
Il a dirigé le passionnant Cambridge Companion to Lacan, en 2003, avec des contributions de Bernard Burgoyne, Nestor Braunstein, Tim Dean, Judit Feher-Gurewich, Darian Leader, Deborah Luepnitz, Catherine Liu, Dany Nobus, Jean-Michel Rabaté, Dania Rabinovitch, Elisabeth Roudinesco, Charles Shepherdson, Colette Soler, Joseph Valente, Alenka Zupanzic.
Entre autres, il a publié Les Guerres de Jacques Derrida, Presses de l’Université de Montréal, 2016 ; Rire au soleil, Campagne Première, 2019 ; Rires Prodigues: Rire et jouissance chez Marx, Freud et Kafka, Paris, Stilus, 2021, et James Joyce, Hérétique et Prodigue, Paris, Stilus, 2022.
Parmi ses autres livres, que je ne peux tous citer ici, j’évoquerai :
Lacan, Bayard, 2005. Et plus récemment: Rust, 2018, Kafka L.O.L., 2018; After Derrida, 2018; Understanding Derrida / Understanding Modernism, 2019; Knots: Post-Lacanian Readings of literature and film, 2020; Rires Prodigues, 2021, Knots, Post-Lacanian readings of film, literature and culture, New York, Routledge, 2020.
Son site :
https://www.jeanmichelrabate.com

**

Elisabeth Roudinesco est historienne de la psychanalyse, entre autres chargée de séminaire à l’Ecole Normale Supérieure.
Sur le blog, voir par exemple : https://dimitrilorrain.org/2021/10/30/penser-lantifreudisme-dextreme-droite-avec-elisabeth-roudinesco-2010/

Chères amies, chers amis,

Je tiens vous à informer de la sortie du très bel ouvrage de Liliane Goldstztaub, « Psychodrame analytique lacanien, une ouverture sur les enjeux sociaux et sociétaux », chez Erès (coll. Hypothèses, 2024).

Elaborant depuis la clinique sur l’apport de Lacan – particulièrement en ce qui concerne le langage –, et sur le caractère central de la question freudienne du destin social des pulsions, ce livre propose une pratique et conception du psychodrame fondée sur la rencontre de parole et sur la transmission. L’auteure montre en quoi cette forme singulière du psychodrame permet au sujet de se subjectiver face à ce qui dans le lien social contemporain peut le désubjectiver.

Plus encore, le dispositif du psychodrame tel que le redéfinit Liliane Goldsztaub oriente le sujet vers la singularisation de sa parole et de sa vie psychique par rapport au collectif, mais aussi vers l’acceptation de la différence, et vers l’enrichissement depuis celle-ci.

Dans les débats psychanalytiques sur la question du collectif, c’est là aussi une manière freudo-lacanienne d’aller plus loin que la pratique et la réflexion de Didier Anzieu concernant le groupe. En effet, celle-ci, malgré ses apports, a pour limite clinique et théorique de ne pas assez insister sur la singularisation et sur l’effet subjectivant de la rencontre.

Ici une vidéo de présentation :

Présentation par l’éditeur :

L’autrice transmet sa longue expérience des groupes aux jeunes générations de professionnels. En la resituant dans l’histoire du psychodrame, de Moreno à nos jours, elle rend compte d’une pratique originale qui est aussi une réponse aux problématiques sociales et sociétales actuelles.

En la resituant dans l’histoire du psychodrame, de Moreno à nos jours, Liliane Goldsztaub rend compte d’une pratique originale, le psychodrame analytique lacanien, dont elle a une longue expérience.

Alors que les violences sociales et sociétales se multiplient, elle montre comment il offre un espace qui ouvre à d’autres destins des pulsions. La décharge motrice est amortie par la place donnée au mouvement corporel. La théâtralité explore la connaissance et la reconnaissance de l’autre différent, singulier. La place de la parole évite l’envahissement des affects et permet de les reconnaître, voire de les nommer. Le psychodrame permet la levée d’éléments refoulés tels que la haine, sans avoir à l’agir. Ainsi, la violence et la haine, constitutive de l’être humain, peuvent être mises au travail, dans un lieu sécurisant qui offre la possibilité d’en entendre quelque chose et d’en donner une autre issue que l’agression de l’autre. Le psychodrame peut être également un lieu de sublimation.

Dans un dialogue entre clinique et théories, Liliane Goldsztaub fait résonner les variations et les trouvailles du psychodrame analytique lacanien et éclaire les dynamiques psychiques à l’œuvre.

Préface de Edith Lecourt

Postface de Dominique Tourres-Landman

Prologue de Cyrielle Weisgeber

https://www.editions-eres.com/ouvrage/5194/psychodrame-analytique-lacanien

Liliane Goldsztaub, docteure en psychologie, est psychologue clinicienne et psychanalyste en exercice libéral à Strasbourg, elle a été maître de conférences en psychopathologie clinique à l’université de Strasbourg.

Elle a publié : Sociodrame et psychodrame analytiques, Hypothèses, 2009 ; Les dérives de l’oralité (avec Michel Lévy), Hypothèses, 2006 ; La rencontre (avec Thierry Goguel d’Allondans), Hypothèses, 2000.

Etiquettes :

Chères amies, chers amis,

Je vous transmets ici un lien vers le passionnant dialogue entre Lionel Le Corre et Jorge Reitter à propos du très bel ouvrage « L’homosexualité de Freud » (PUF, 2017) de Lionel Le Corre, dans lequel il nous éclaire largement sur un ressort fondamental de l’oeuvre et de la pratique de Freud.

(Cet échange a eu lieu le 25 novembre 2021, modération : Georgina Flores Chaires, congrès international en ligne: « Género, feminismos y sexualidades disidentes. Encrucijadas y vías », Universidad Autónoma de Zacatecas « Francisco García Salinas »).

L’intervention de Lionel Le Corre est en français, les échanges sont en espagnol.

Présentation du livre par l’éditeur :

« L’homosexualité de Freud » soutient que l’amitié de Freud avec Fliess, dont les effets de transfert orientent le désir inconscient de Freud et ses symptômes, joue un rôle crucial pour la découverte de la psychanalyse. Ainsi, Freud problématise l’homosexualité masculine à partir de son rejet social pour en produire une définition sophistiquée et élargie participant à (et de) l’autonomie du champ : plus il approfondit sa compréhension du fait homosexuel et en étend la surface définitionnelle, plus le terme « homosexualité » condense de significations englobant choix d’objet et narcissisme, entrée dans la paranoïa, lien social et transfert dans la cure. 1910 est le moment homosexuel de Freud où, du cas Léonard au cas Schreber, il livre des résultats cruciaux sur les ressorts inconscients du désir homosexuel dont les effets contribuent au renouvellement de la métapsychologie par l’introduction du narcissisme.

https://www.puf.com/lhomosexualite-de-freud

Lionel Le Corre est psychanalyste, membre du Cercle international d’anthropologie psychanalytique, chercheur associé au CRMPS.

Jorge Reitter est psychanalyste à Buenos Aires. Il a publié un ouvrage très novateur, Heternormativity and psychoanalysis (Routledge, 2023), version anglaise de Edipo gay. Sur le blog, voir : https://dimitrilorrain.org/2023/01/13/sortie-de-heteronormativity-and-psychoanalysis-de-jorge-n-reitter-routledge-2023/

Programme du 7ecolloque des jeunes chercheurs/chercheuses sur la privation de liberté

Jeudi 14 mars

14h00 : Ouverture du colloque par le Comité d’organisation

14h20 : Allocution d’ouverture, Madame Claire Hédon, Défenseure des droits

Section 1 : Populations et inégalités en détention
Présidence: Lucie Bony et Camille Lancelevée

a. Diversité et inégalités

14h50 : Les inégalités sociales en prison : parcours, ressources et expériences de personnes entrantes en maison d’arrêt, Clément BEUNAS, Université de Lille (CLERSÉ, UMR 8019)

15h10 : Unité et pluralité des populations privées de la liberté en droits français et colombien, Clara MAFFRE, Université Paris-Nanterre (CDCP) et Université Externado de Colombia (CIPC)

15h30 : Discussion

b. Incarcération et pauvreté

15h40 : Des Sarkis aux badauds : dévoiler les inégalités entre détenus dans les prisons du Niger, Carole BERRIH, Université Grenoble Alpes (CERDAP)

16h00 : Criminalisation de la pauvreté : qui sont les prisonniers kenyans ?, Chloé OULD AKLOUCHE, Université de Bordeaux, (Les Afriques dans le Monde – UMR 5115)

16h20 : Discussion et pause

Section 2 : La carcéralité face aux questions de genre
Présidence : Mathilde Darley et Anne Simon

a. L’incarcération des femmes

16h50 : Profil des femmes incarcérées en Belgique francophone : quitter l’invisibilité pour découvrir les vulnérabilités, Valentine DOFFINY, ULiège (Département de criminologie)

17h10 : La présence de l’enfant auprès de sa mère détenue, Florian WATIER, membre de la Chaire de recherche « Enfance et famille » (C3RD), Faculté de droit de l’Université catholique de Lille

17h30 : Discussion

b. Les personnes transgenres en détention

17h40 : Carcéralité européenne et transidentité : une analyse des politiques carcérales de la prise en charge des personnes trans en Europe francophone, Aurore VANLIEFDE, KU Leuven (LINC) et Quentin MARKARIAN, UNIGE (Département de droit public) et ULB (CRDP)

18h00 : Les personnes transgenres en détention : « un quotidien marqué par l’invisibilisation », Gillian MOUCHEL, ENAP

18h20 : Discussion suivie d’un cocktail d’ouverture

Vendredi 15 mars

8h45 : Accueil des participants

9h00 : Les populations de la privation de liberté : servitude et grandeur de l’analyse démographique, Pierre Victor TOURNIER, docteur en démographie, hdr, Université Paris 1 et directeur de recherche au CNRS (INSHS, Fondateur du Colloque Jeunes Chercheurs sur la privation de liberté)

Section 3 : Populations vulnérables et invisibilisées
Présidence : Xavier Rousseaux et Jean-Manuel Larralde

9h20 : La garantie d’une communication libre pour des personnes privées de liberté ? Le recours aux interprètes en zone d’attente, Maxime MARECHAL, Université Paris Cité (CLILLAC-ARP)

9h40 : La population de Guantanamo : un enjeu au cœur des luttes de (dé)légitimation de l’institution carcérale, Malika DANOY, Université Paris 8 (LabToP/CRESPPA)

10h00 : Réprimer des insurgés ou éloigner des indésirables ? Les motivations de la répression légale des journées de Juin 1848 en questions, Gaëtan NORY, Université Paris Panthéon-Assas, Institut d’histoire du droit Jean Gaudemet (UMR 7184)

10h20 : Discussion et pause

Section 4 : Pluralité des régimes carcéraux
Pascal Décarpes et Olivia Nederlandt

10h50 : La détention provisoire saisie par le droit européen, Louise MAILLET, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (IREDIES)

11h10 : Le régime carcéral spécial italien pour les détenus mafieux et terroristes à l’épreuve des droits fondamentaux, Eleonora CERVELLERA, Université Paris Nanterre (CDPC)

11h30 : Des prisons bruxelloises à la maxi-prison : entre nouveaux discours carcéraux et cultures professionnelles ancrées, la négociation des pratiques pénitentiaires, Delphine POUPPEZ, UCLouvain (LAAP)

11h50 : Discussion

12h30 Déjeuner libre

Section 5 : La prison…et en sortir
Présidence : Françis Habouzit et Franck Ollivon

a.    Les populations face à l’aménagement des peines

14h30 : Aménager la peine : les enjeux de l’articulation des interventions du CPIP, de l’avocat et du JAP et de leurs relations aux personnes détenues, Enora POLLET, Université Rennes-2 (ESO-Rennes)

14h50 : Privation de liberté au Brésil : le Service APEC comme alternative au traitement des actions criminelles au Brésil, Mariana MORAIS ZAMBOM et Priscila COELHO, Fundação Getulio Vargas (École de droit de Sao Paulo)

15h10 Discussion

b. Les personnes suivies en milieu ouvert

15h30 : Privation de liberté et suivi socio-judiciaire. Quels effets sur les trajectoires des personnes placées sous main de justice en milieu ouvert ?, Lisa COLOMBIER, Université de Strasbourg (CDPF)

15h50 : La fabrique des populations placées à l’extérieur : orientation et sélection des personnes en aménagement de peine sous écrou, Sophie CLAIR-CALIOT, Université Lyon-2 (EVS-IRG)

16h10 Discussion

16h30 : Conclusions, Sergio GROSSI, Chercheur en sciences sociales, Chaire Marie Curie, Chercheur associé à l’ISJPS

17h00 : Clôture du colloque


Disciplines d’inscription des interventions : droit, criminologie et sciences criminelles, sciences politiques, sociologie, anthropologie, histoire et histoire du droit, géographie.

Comité scientifique :

  • Lucie Bony (Géographe, Chargée de recherche au CNRS)
  • Mathilde Darley (Sociologue, chargée de recherche au CNRS)
  • Pascal Décarpes (Expert en criminologie, formateur, chercheur et consultant international, Conseiller scientifique auprès de l’Agence nationale de prévention de la torture, Allemagne)
  • Isabelle Fouchard (Juriste, chargée de recherche au CNRS et contrôleur des lieux de privation de liberté)
  • Francis Habouzit (Maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
  • Éric Kania (Docteur en médecine, psychiatre, SMPR des Baumettes à Marseille)
  • Augustin Laborde (Contrôleur auprès du CGLPL, juge-assesseur à la Cour nationale du droit d’asile)
  • Camille Lancelevée (Maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Strasbourg)
  • Jean-Manuel Larralde (Professeur de droit public à l’Université de Caen-Normandie)
  • Benjamin Lévy (Psychologue, chargé d’enseignement à l’Ecole des psychologues praticiens de Paris)
  • Franck Ollivon (Géographe, directeur des études au département Géographie et territoires de l’École normale supérieure)
  • Xavier Rousseaux (Historien, Professeur à l’Université catholique de Louvain, directeur de recherche au FNRS)
  • David Scheer (Criminologue, chercheur à l’Institut national de criminalistique et de criminologie)
  • Anne Simon (Professeure en droit privé et sciences criminelles à l’Université d’Artois)

Informations pratiques

  • Sur place : COMPLET

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, centre Lourcine

1 rue de la Glacière, 75013 Paris

Bât. 1 Suzanne Bastid, 2e étage, salle 13

**

Du : Jeudi 14 mars 2024 14:00

Au : Vendredi 15 mars 2024 17:00 

Lieu : En ligne et Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, centre Lourcine, 1 rue de la Glacière, 75013 Paris, Bât. 1 Suzanne Bastid, 2e étage, salle 13

Chères amies, chers amis,

Vous trouverez ici le lien vers la très belle conférence de Jean-Pierre Marcos (psychanalyste, philosophe, Univ. Paris 8) intitulée « Longtemps j’ai joué à me séparer », le 10 juin 2023 à la SPF. Rencontre organisée par  Isabelle Alfandary, Daniel Koren et Monique David-Ménard (1).

En tressant subtilement clinique, théorie, lectures de Freud, Lacan et Winnicott, mais aussi littérature (Proust, Duras, Juan Gelman. Pasolini, Barthes..), Jean-Pierre Marcos élabore sur la séparation, cette question cruciale. Pour le dire dans mes termes, il nous y parle du travail de séparation en lien à la question du départ, et comme métaphorisation d’une disparition de soi, ou d’une perte d’un morceau de soi.

.

Jean-Pierre Marcos est psychanalyste, philosophe, Maître de conférence (en philosophie) à l’Université Paris 8.

Il a publié tout un ensemble de textes, entre clinique, théorie et philosophie, tous écrits dans une langue d’une grande finesse, car nourris de littérature et d’art.

Parmi l’ensemble de ses publications, je citerai ici:

  • ouvrage collectif dirigé par lui: La lettre et le lieu. Présence du modèle et action de la structure en psychanalyse(Freud et Lacan), éd. Kimé, coll. Collège International de Philosophie, Paris, 2005

Pour plus de détails: https://philosophie.univ-paris8.fr/Jean-Pierre-MARCOS

.

NOTES:

(1): https://www.spf.asso.fr/conferences/

Chères amies, chers amis,

Vous trouverez ici l’enregistrement de la passionnante intervention de David Espinet intitulée « Kunstwerk der Wahrheit. L’esthétique de l’être chez Heidegger », au CREPHAC (Centre de Recherches en philosophie allemande et contemporaine)(1), le 14 juin 2023.

Il y présente la pensée de l’art et l’esthétique de l’être de Heidegger dans son texte de 1935/36 intitulé L’Origine de l’œuvre d’art.  Suite à une introduction d’Edouard Mehl (philosophe, Univ. Strasbourg).

Concernant la pensée de Heidegger en général, c’est ici pour David Espinet l’occasion de mettre en perspective la profonde complexité de celle-ci. D’un côté, en effet, il s’agit de caractériser la pensée de Heidegger comme relevant du déploiement d’un « mythe nazi » au sens de Lacoue-Labarthe et Nancy (2). De l’autre, il s’agit de repérer ce qui dans la pensée de Heidegger a ouvert des chemins nouveaux, donnant à élaborer, et que nombre des penseurs importants (ne citons en France que Lacan, Foucault, Levinas, Derrida, Nancy…) ont mis au travail de manière féconde.

Ainsi, dans le cas de L’Origine de l’œuvre d’art, d’un côté, David Espinet met en effet en lumière comment ce texte déploie une « description » phénoménologique de la puissance de vérité de l’œuvre d’art. De l’autre, il montre comment Heidegger, dans ce texte, « instrumentalise » cette phénoménologie dans une « proclamation » déployant une politique et une mythologie (de la « transcendance » de la « Terre ») spécifiquement nazies.

Pour le dire dans mes termes, David Espinet essaie ici d’éclairer, après d’autres philosophes, et de manière particulièrement convaincante, le double scandale de la pensée de Heidegger : le premier scandale, absolu, de son nazisme fondamental ; mais aussi le second scandale, terriblement inquiétant, du fait qu’une telle pensée peut aussi (et il s’agit ici il me semble de bien peser l’Horreur de ce aussi, en premier lieu au regard de la Shoah (3))… du fait donc qu’une telle pensée peut aussi a pu aussi présenter des ressources – phénoménologiques – pour penser après lui. A mon sens, c’est à l’acceptation douloureuse de ce double scandale que nous invite la réflexion très subtile de David Espinet.

Ce pour nous permettre d’avoir à l’esprit différentes choses : 

– la phénoménologie comme tradition philosophique constitue un apport fondamental – dans le champ de la philosophie mais aussi plus généralement (aussi en psychanalyse avec Lacan) ;

– Heidegger, a participé de cet apport de manière particulièrement ouvrante ;

– oui, dire cela, c’est aussi, à tout instant, lorsque je lis Heidegger, devoir avoir à l’esprit l’Horreur qu’éveille en moi la dimension nazie de cette pensée, mais aussi ce que j’appellerais l’ambiguïté instrumentalisante de celle-ci.

.

David Espinet est Professeur d’histoire de la philosophie allemande moderne et contemporaine et directeur adjoint du CREPHAC.

Parmi ses publications :

– « Heidegger lecteur de Kant. Points de vue privés et publics à partir de 1930 », in : Archives de Philosophie 81/2 (2018).

– « Politiques du bonheur. Kant, Derrida et Blumenberg », in : Archives de Philosophie 79 (2016), p. 759-774.

– « Justice, amitié, bonheur. Derrida et l’éthique kantienne », in : Les Cahiers philosophiques de Strasbourg 39/1 (2016), p. 25-41.

– Ereigniskritik. Zu einer Grundfigur der Moderne bei Kant (Sonderbände Deutsche Zeitschrift für Philosophie vol. 39), Berlin / Boston, De Gruyter 2017

 Phänomenologie des Hörens. Eine Untersuchung im Ausgang von Martin Heidegger, Tübingen, Mohr Siebeck, 2009, 2e édi. 2016

Pour plus de détails, voir :

https://philo.unistra.fr/personnes/enseignants-chercheurs/david-espinet/

.

NOTES

(1) : https://philo.unistra.fr/recherche/crephac-ur-2326/

(2) : Ph. Lacoue-Labarthe et J.-L. Nancy, Le mythe nazi, L’Aube, 1991

(3) : Voir le texte de David Espinet : « Quand ne pas dire c’est faire. L’écoute heideggérienne et l’o(n)to-polémologie du silence », in Sophie-Jan Arrien / Christian Sommer (dir.), Heidegger aujourd’hui. Actualité et postérité de la pensée de l’Ereignis, Paris, Hermann 2021, p. 125-153

Vous trouverez ici le texte lié à mon intervention du même nom à la très belle journée d’études « Pratiques et contre-pratiques de l’autorité » du 30 mai 2023, à la MISHA de Strasbourg. Cette journée a été organisée par l’Amicale étudiante de philosophie, avec le soutien du CRePhac et de la Faculté de Philosophie de l’Université de Strasbourg[1].

**

J’aimerais dans cette intervention élaborer sur ce que la psychanalyse peut selon moi dire de l’autorité et de la transmission aujourd’hui.

Avant d’en venir à cette question, j’aimerais faire quelques rappels nécessaires sur la psychanalyse. La psychanalyse, envisagée de manière freudo-lacanienne[2], déploie une technique d’écoute et de parole spécifique, liée à la règle psychanalytique. Je rappelle que dans cette règle, le sujet associe librement, il dit ce qui vient. Freud parle pour cela d’ « Einfall ». Ainsi, en psychanalyse, tout énoncé linéaire, logique, narratif, est désorganisé. Ce au profit de l’insistance sur le geste d’énonciation, sur le dire dans son caractère surgissant, d’événement, créateur. C’est cela le symbolique tel que l’a éclairé Lacan, quelque chose de créateur, pas autre chose – et certainement pas un ordre social normatif. Bref, en psychanalyse, ce n’est pas la thématique de la parole qui compte, mais la forme, la structure, la dynamique créatrice de la parole, du discours.

Pour faire un parallèle, les pensées philosophiques de Nietzsche, d’Adorno ou de Levinas – aussi dans leurs formes fragmentaires pour les deux premiers – rejoignent cette exigence de se centrer sur le geste d’énonciation créateur. Je souhaiterais aussi évoquer la superbe réflexion d’Adorno sur la poésie d’Hölderlin comme paratactique, scandée par des vides[3]. En effet, chez Hölderlin, plus largement dans la poésie moderne, il y a quelque chose de cela dans la parole analytique. Je parlerai plus loin de la réflexion d’Adorno sur Hölderlin.

Du coup, dans la cure, se déploie une parole constamment bifurquante qui fait se lever une dynamique discursive créatrice. En ce sens, la psychanalyse vise à produire des bougés discursifs chez le sujet, ainsi qu’un changement de sa parole dans le sens de la créativité de parole. Il en va là pour le sujet de la capacité de de produire de nouveaux mots, de nouveaux signifiants, ou de nouvelles significations de mots qui sont anciens pour lui. De nouvelles perspectives aussi. Fondamentalement, c’est sur ces sauts de parole créatifs que la psychanalyse travaille. Pour que le sujet se centre en fait sur la forme – la structure – de sa parole, plus que sur la signification des énoncés. Afin de porter attention – point fondamental – à l’ambiguïté, l’équivocité, la « surdétermination » (Freud) du dit, comme du dire. Et à déployer cette poéticité de la parole – dont le rêve est l’expression comme l’a montré Freud[4]. Afin de rendre sa parole plus créative.

Je ne sais si vous avez déjà essayé de pratiquer l’analyse de rêve, sur une feuille libre, même en dehors de la cure. Il s’agit d’associer librement, à partir de chaque élément énoncé précédemment. Alors la parole se déploie en étoile, elle échappe à toute linéarité, elle déploie des énoncés latents, inconscients, qui habitent le psychisme du sujet, derrière le contenu manifeste, conscient. Et, déployée dans la cure, cette forme spécifique de parole ouvre à une autre forme de discours, qui va permettre pour le sujet la découverte de la forme, de la structure, de sa parole. Ici, l’on retrouve l’omniprésence de la sexualité bien sûr, mais ce n’est pas là-dessus que j’insisterai aujourd’hui.

Joue dans la cure l’écoute de l’analyste. Celle-ci permet que se fasse jour et soit reconnu, dans la parole du sujet, son désir inconscient, présent dans les mots clés – dans les signifiants – de sa parole, qui sont chargés de ce désir. C’est bien ce désir, lié à l’ambiguïté, l’équivocité, la surdétermination, la poéticité spécifique de la part latente, inconsciente, de la parole du sujet, que la cure cherche à faire lever. Pratiquement, cela permet que ce désir enrichissant la parole et la vie se déploie dans les actes et paroles du sujet, de manière énigmatique, mais créatrice. Car cela ouvre le sujet à une créativité qu’il n’avait souvent pas encore, ou pas autant. La psychanalyse rend le sujet énigmatiquement créatif, en parole, en acte, existentiellement. Elle rend la dynamique de parole du sujet, et son existence, plus créatrices en ce sens.

Mais c’est aussi la dimension d’énigme du désir du sujet, habitant et structurant sa parole de manière latente, que la psychanalyse amène à appréhender et à accepter. Car sur le fond, l’inconscient, je ne peux le comprendre ni l’épuiser, même si je peux en appréhender certains éléments pour plus de créativité. D’ailleurs, mes élans amoureux, amicaux, existentiels, intellectuels, professionnels, ne me sont-ils pas énigmatiques ? Sais-je pourquoi je suis attiré par quelqu’un ou quelque chose, pourquoi je le désire, ou je l’aime ? non, juste, cela me parle, je ne sais de quoi, mais cela me parle. Eh bien l’inconscient, le désir inconscient, c’est cela, ce « cela me parle ». Qu’il s’agit de laisser déployer en son énigme.

Aussi avec le risque que cela implique. Qui est le risque de la singularité du désir qui se dit, puisqu’alors je m’écarte des demandes de mon environnement. Des tutelles que celui-ci veut parfois ou souvent m’imposer.

Ce « cela me parle », je tiens à le préciser, n’est pas arbitraire éthiquement. Car le désir inconscient enrichissant la parole et la vie, montre l’expérience analytique, eh bien il nait du renoncement pulsionnel[5]. Et le désir a ceci d’éthique que, dans son déploiement, il régule créativement la vie pulsionnelle et sa satisfaction, évite sa décharge directe – particulièrement de la destructivité liée à la vie pulsionnelle, contre soi ou contre l’autre -, dans le déploiement dialectique de la créativité et du symptôme[6]. Bref, il en va là d’une éthique créative, qui ouvre à une régulation créative car sublimée des pulsions, et non d’une morale répressive[7].

Cette éthique ouvre aussi à l’accueil de l’autre, de l’autre comme sujet autre, hors de toute logique névrotique de contrôle, voire pire, de toute logique de pouvoir, de maîtrise. Il en va là, loin de la morale et du surmoi moraliste, d’une éthique de la créativité, de la créativité désirante. Je tiens juste à préciser que, si Lacan a ouvert la réflexion sur l’éthique de la psychanalyse, sur cette question éthique de l’accueil de l’autre, je me réfère particulièrement à Lucien Israël ou à Winnicott. Malgré leurs immenses apports, particulièrement concernant la dimension tragique de la subjectivité et du collectif, Freud et Lacan ne sont pas allés jusque-là. L’idée d’un accueil de l’autre en tant qu’autre sujet leur est restée lointaine, sans doute du fait du pessimisme existentiel lié à leur conservatisme politique, ce qui leur fait le plus souvent contre-investir tout progressisme (8). Ce que Lucien Israël et Winnicott, dans leur optimisme tragique, ne font pas[8]. Il reste que concernant Freud et Lacan, il faut préciser que leur pessimisme – comme leur conservatisme – est dialectique: qu’il s’oppose à tout déclinisme, de la même manière que la dimension fécondement irritante de leurs pensées s’oppose au discours courant normopathe et à son hypnose de l’optimisme indemnisant (9) – auquel j’essaie d’opposer pour ma part un optimisme tragique.

Je parlais de Lucien Israël. J’aimerais rappeler que Lucien Israël est un analyste élève de Lacan qui a permis que dans l’Est de la France la psychanalyse freudo-lacanienne est solidement implantée. Et qui s’est donné le droit d’être infidèlement fidèle  – pour parler comme Derrida – à Lacan. J’aimerais aussi évoquer son grand livre, qui est d’ailleurs un excellent livre d’introduction à la psychanalyse sous sa forme solidement créative : Boiter n’est pas pécher[9].

Ainsi, dans la cure analytique, contrairement à d’autres thérapies plus adaptatives, par l’interprétation, l’analyste ne donne pas la signification ultime d’un mot, au contraire il cherche  à aider le sujet à élaborer créativement, à déployer dans sa parole, plus d’ambiguïté, d’équivocité, de surdétermination, de poéticité, de désir, pour que cela se déploie dans son discours, sa vie psychique, ses actes, son existence. Comme le dit mon ami Nicolas Janel, l’interprétation analytique est ainsi une désinterprétation[10]. Ce qui implique que l’analyste ne déploie pas un savoir de surplomb, depuis une position d’autorité.

Et ceci étant mis en place dans la cure, le sujet alors peut faire plusieurs choses : il peut revenir sur l’histoire des mots qu’il énonce et sur l’histoire de la forme de sa parole dans son environnement. Oui, il peut revenir sur leur signification dans la parole de son environnement, revenir aussi sur la forme de sa parole, et de la parole dans son environnement. Ce pour que sa parole à lui, par rapport à celle de son environnement, se singularise[11], se charge de désir, se fasse créative, se charge de nouveau, de nouveaux signifiants, ou d’une écoute nouvelle des mots importants dans son discours ou dans le discours de son environnement. Pour toujours rendre sa parole – en lien au signifiant – plus ambigüe, surdéterminée, poétique, riche symboliquement. Plus créativement désirante. Et sa vie, aussi, plus créativement désirante. Et éthiquement désirante – avec ce que cela implique de l’accueil de l’autre dans son altérité, son énigme, son geste, son désir, sa créativité.  

Dans la cure encore, cela passe par le repérage de ce qui dans la parole du sujet, et dans celle de son environnement, relève de l’ évitement du désir – de la défense contre le désir, plus ou moins massive. Cette défense est d’ailleurs liée à la tendance narcissique au contrôle dont je vous parlerai plus loin. Liée aussi aux demandes de l’environnement. Qui amènent à laisser son désir de côté, le plus souvent.

Bref, Freud a montré l’existence de la réalité psychique en plus de la réalité extérieure. Mais c’est aussi la réalité discursive que la psychanalyse permet de prendre en compte – Freud en premier lieu, et Lacan plus encore après lui. Cette réalité discursive dont, d’une autre manière, les sciences humaines nous parle tant – Foucault en 1er lieu[12].

Et tout ça, cela implique que l’analyste, dans son écoute, ses interventions, n’est pas en position d’autorité mais d’écoute. Qu’il refuse la position d’autorité. C’est un point important. D’ailleurs, le psychanalyste n’est aussi pas en position d’autorité, parce que ne prend pas de décision pour le patient. Par exemple à la différence du médecin.

Plus encore, l’expérience analytique montre que, dans le déploiement de sa parole, le patient croit et croira toujours quelque part, dans son fantasme narcissique, que l’analyste est le détenteur d’un savoir – voire du pouvoir – sur son désir inconscient. Que l’analyste est une autorité au sens fermé du terme. Eh bien dans la cure, il s’agit – c’est d’ailleurs là l’apport de Lacan contre Freud – d’amener le sujet à se dégager de ce fantasme de savoir. J’aimerais préciser que cette autorité de savoir que le sujet érige dans son fantasme, Lacan, l’appelle d’ailleurs le « Sujet Supposé Savoir ».

En ce sens, contre le fantasme comme piège de la croyance en une autorité, la cure vise le fait que le sujet reconnaisse, appréhende quelque peu – énigmatiquement, dans l’écoute analytique – son désir inconscient. Alors comme le dit Lacan, le sujet s’autorise de son désir[13]. Et du coup il n’a plus besoin d’ériger une autorité fantasmatique qui saurait ce qu’il en est de son désir inconscient. Bref, le sujet, pour s’autorise de son désir, doit mettre en crise toute autorité.

Car personne, aucune autorité, ne peut savoir ce qu’il est en du désir inconscient, ni l’autre, ni soi. Le désir inconscient, on peut le métaphoriser, le dire, et donc le (re)créer, ou l’écouter et l’interpréter, et ainsi le reconnaître (en une réflexivité où, comme le dit Lacan, « la raison peut faire du poids »), et l’appréhender, pour le libérer et libérer sa force éthiquement créatrice – discursivement, dans les actes que l’on pose, existentiellement, dans le lien à l’autre. Pas le comprendre, dans une maîtrise de savoir, en position d’autorité.

Plus encore, il s’agit aussi, dans la cure, concernant ce fantasme d’une autorité de savoir, de le déconnecter d’un scénario de pouvoir si ce scénario existe. La psychanalyse se positionne par définition contre le pouvoir.

Pour détailler ce point, le fantasme narcissique –  imaginaire en termes lacaniens – qui habite interminablement chaque sujet (y compris l’analyste, mais celui-ci sait dialectiser ce fantasme) est aussi un fantasme de contrôle de ce qui échappe au sujet. C’est-à-dire un fantasme de contrôle du réel au sens psychanalytique : la mort, le sexe ; ou encore de contrôle des difficultés internes et externe, ou encore de sa détresse fondamentale, et surtout donc son désir inconscient.

Bref, lorsque je parle de symbolique, de l’imaginaire et du réel, j’élabore sur ce triptyque génialement inventé par Lacan pour nous orienter dans la pratique psychanalytique.

Ceci est important car tout sujet qui parle cherche toujours quelque part, en son narcissisme, à se protéger du réel, à le contrôler. C’est quelque chose d’humain. Le désir inconscient est inéluctablement énigmatique, et existence est difficile ; cela est bien compréhensible – même si à élaborer.

D’ailleurs, en philosophie, Nietzsche a insisté sur la part d’illusion inéluctable chez le sujet, pour faire face au tragique de l’existence ; mais aussi et sur le fait que cette inéluctable part d’illusion, il s’agit de la traverser mais non de croire faire disparaître. Eh bien la psychanalyse va dans ce sens.

Bref, tout sujet subjectivé a toujours un narcissisme, un imaginaire en termes lacaniens, c’est-à-dire une tendance au contrôle. Et il s’agit, dans la cure, non de la nier, cette tendance narcissique humaine au contrôle, mais de la lire dans la parole du patient, de la reconnaître et ainsi d’éviter qu’elle s’enkyste en une tendance à la maîtrise. Il s’agit dans la parole analytique de faire en sorte que ce fantasme narcissique – comprenant donc en son noyau, comme l’a montré Lacan, la croyance en une autorité de savoir – soit traversé, perlaboré, que le sujet le repère, le dialectise le plus possible, en désactive en bonne partie l’effet. Pour que le sujet accède à une plasticité psychique, une capacité de mise en crise de soi. De « penser contre soi », comme dit Sartre. Bref, dans la cure, au niveau du changement de la forme de parole du sujet, il s’agit d’aider le sujet à mettre en place une capacité de plasticité psychique, liée à la créativité de sa parole. Et que cette plasticité psychique et cette créativité de parole perdurent elle pour toujours déjouer le plus possible l’interminable tendance narcissique au contrôle.

Plus encore, ce que montre la cure, certes de manière contre-intuitive, c’est que, comme le dit Nietzsche dans ses termes à lui, à un certain niveau,  l’existence de ce narcissisme est même à souhaiter, pour pouvoir le dialectiser. Car alors le sujet existe en tant que sujet, lorsqu’il essaie de se protéger du réel. Si le sujet n’existe pas comme sujet, s’il n’a pas de narcissisme, il est au contraire plongé dans le réel – et désubjectivé. En effet, j’aurais dû dire tout de suite que tout sujet a une tendance au contrôle, mais aussi que cette tendance peut : soit être narcissique, névrotique, subjectivée, si le sujet est subjectivé ; soit relever de la logique de maitrise totale, si le sujet est désubjectivité, sans narcissisme et sans désir, et cherche à tout maitriser. Dans ce dernier cas, il n’y pas vraiment, dans la parole du sujet, de subjectivité, pas de désir ou de symbolique, pas de narcissisme ou d’imaginaire non plus. Pour prendre un exemple, Trump, contrairement à ce qu’on dit, en ce sens, est un sujet qui n’a pas de narcissisme, il est juste totalement désubjectivé, conformiste. Et désubjectivant. Il parle un discours collectif sans sujet, et donc sans narcissisme et sans désir. La conflictualité entre narcissisme et désir, allant d’ailleurs toujours de pair – et la psychanalyse visant à dialectiser le narcissisme et la tendance au contrôle pour laisser se déployer le désir créatif.

Mais j’en reviens au fantasme narcissique, chez le sujet subjectivé. Donc, quelque part ce fantasme narcissique, cette tendance au contrôle, persistera toujours. Car, subjectivement, le symptôme du sujet renvoie au fantasme narcissique, à la tendance au contrôle du sujet. Et le symptôme, marque de singularité, marque de défense singulière, ça ne disparait pas. A un certain niveau, pour que la subjectivité singulière du sujet existe – que le sujet ne soit pas désubjectivé, il faut du symptôme. La psychanalyse fait l’éloge du symptôme, contre les thérapies plus adaptatives qui refusent la singularité du sujet, et donc son symptôme.

Ici, ce que propose la psychanalyse, c’est une conception dialectique du narcissisme et du symptôme, de reconnaître l’existence du narcissisme, de traverser le narcissisme ; et donc aussi de travailler à traverser par la parole le symptôme lié au narcissisme ; bref de dialectiser le symptôme – même s’il y aura toujours  heureusement du symptôme. La psychanalyse, c’est en ce sens déployer créativement une plasticité psychique et discursive, une capacité de mise en crise de soi, de pensée contre soi, de changer de discours[14] ; c’est en ce sens travailler à assouplir le symptôme, la tendance au contrôle, et plus largement les mécanismes d’évitements ; c’est, comme dit Lacan, savoir y faire avec son symptôme, de manière créative. Et non pas nier le symptôme, ou la tendancea au contrôle et les mécanismes d’évitements du sujet, comme le font le scientisme et les thérapies plus adaptatives.

D’ailleurs, pour élaborer sur cette question, concernant le scientisme contemporain dans le champ des thérapies et plus généralement, Lacan les a très bien repérés, en parlant de ce qu’il appelle le « service des biens »[15].  Ce afin de qualifier la grande machinerie scientifique et économique, mais aussi discursive et psychique, dominante dans nos sociétés – en même temps, ajouterais-je, qu’il existe aussi des interstices, des niches ou des espaces institutionnels ou collectifs qui y échappent. Dans ce service des biens, le sujet est pris dans tout un système de tutelles – au pluriel –, discursives et psychiques, auxquelles on lui demande de s’adapter, de se soumettre, dans une servitude volontaire. Ce qui produit des éléments de désubjectivation – ou la « vie abîmée » au sens d’Adorno[16]. Car, dans nos sociétés modernes, aujourd’hui comme hier, nous avons bien à faire, et Lacan qui a fait l’éloge des recherches de Foucault le sait bien, à un système de tutelles discursives et psychiques. Celui-ci enserre les sujets, et le collectif, déploie un véritable rejet de la parole, une véritable « logophobie » (Foucault) et désubjective massivement – malgré quelques niches et quelques espaces plus ouverts[17]. Et il érige d’ailleurs une forme spécifique, contemporaine, d’autorité au sens fermé du terme, de direction de parole – de direction de conscience, dirait Foucault[18]. Et ce système de de pouvoir, de tutelles discursive et psychique, il s’agit, dans la psychanalyse ou plus largement, de le reconnaître afin d’essayer d’ouvrir des interstices ou même des espaces subjectivants.

Et, dans mon optique, le psychanalyste essaie, s’il le désire, d’aider le sujet à écouter le discours allant dans le sens de ces tutelles, discours dans lequel il est pris, et il essaie de l’aider à se dégager de ce système de tutelle. Cette écoute du ou des discours collectifs, particulièrement ceux allant dans le sens de la mise sous tutelle, par l’analyse et dans la cure, cela aide le sujet se positionner singulièrement par rapport à ceux-ci, et donc à se subjectiver.

Sachant que ce système de tutelles contemporain va avec une normativité patriarcale, androcentrée, hétéronormative et binaire[19], mais aussi mettant en place le clivage ou le dualisme humain/non-humain[20]. Plus encore, ce système de tutelles produit de nos sociétés modernes un type de sujet désubjectivé et isolée, sans lien – je dirais : sans lien de parole désirant. Sur ce point, d’ailleurs, j’aimerais rappeler qu’Horkheimer et Adorno insistent largement, en qualifiant ce sujet adapté au système de tutelles de la modernité, de « monade », désubjectivée, désingularisée, coupée de tout lien, et privé de parole et de lien de parole[21]. Bref, la parole et la vie psychique de ce sujet adapté aux systèmes de tutelle sont fondées sur la maîtrise – et non l’accueil. Ce qui va avec une conception du savoir en termes de pouvoir.

Mais j’en reviens à la traversée du narcissisme et du symptôme, qui est une question clé. Pour cela – et pour aider le sujet à se dégager du système de tutelle -, en amont, il s’agit dans la cure, par la qualité de l’écoute de l’analyste, elle-même désirante, elle-même fondée sur le désir inconscient, sur le désir de désir (Lacan) de l’analyste, elle-même créative, éthique, accueillante et plastique, elle-même soucieuse des défenses de l’analyste, il s’agit donc que la parole du sujet permette la mise en crise, et la dialectisation, de cette tendance au contrôle qui ne cesse de revenir. C’est en ce sens que le psychanalyste ne peut avoir une position d’autorité. Il est un appui temporaire, c’est tout. Et un passeur, en ce qu’il transmet une technique.

Plus largement, la parole du sujet, dans ce processus analytique, met aussi en crise toute autorité, et plus encore toute tutelle.

Plus encore, Lacan, dans son débat avec Freud et certains élèves de Freud, a voulu insister sur le fait que le sujet n’est pas tant dépendant de ses parents en tant qu’autorités, mais dépendant, comme il le dit, du symbolique, du signifiant, des mots de son environnement, de la forme de parole de son environnement. Car cette prise en compte de la dépendance par rapport aux mots, au signifiant, au symbolique, cela ouvre au fait de prendre en compte, je dirais, le caractère dialectique de la transmission en ce qu’elle est discursive et psychique. Ici il me faut dire, concernant ce caractère dialectique de la transmission, que Lacan nous permet d’appréhender les choses ainsi. Il a insisté sur le fait que le sujet est dépendant du symbolique, du langage en ce qu’il est symbolique, et même qu’il doit en être dépendant pour exister comme sujet, qu’il doit être inscrit dans le symbolique pour pouvoir après cela mobiliser, dans sa parole, ce qu’il appelle le trésor du signifiant. Justement le sujet doit être pris dans la symbolique, être inscrit dans lui, pour pouvoir élaborer de manière désirante, subjective, le langage en ce qu’il est symbolique, de manière créatrice. Ce qui s’oppose au fait d’être pris de manière désubjectivée dans une autre relation au langage, elle désubjectivée, qui fait que le sujet parle un discours collectif verrouillé, fermé, sans symbolique, sans subjectivité, sans créativité, sans désir inconscient, sans éthique. Ici le sujet est juste un membre anonyme de la « majorité compacte », pour évoquer la belle expression de Freud.

Bref, dans son enfance, le sujet a besoin que son environnement, ses parents, le monde des adultes, l’inscrive dans le symbolique – entendu comme créateur, et non pas comme un ordre social, normatif. Car, comme y insiste Lacan, le niveau du symbolique n’est pas celui du social – qui existe, et que, je dirais, nous devons prendre en compte, mais sans rabattre le symbolique sur le sociale ni le social sur le symbolique.

Alors, inscrit dans le langage en tant que symbolique, le sujet peut pour parler – conflictuellement, créativement et dans son symptôme – mobiliser ce que Lacan appelle génialement le « trésor du signifiant ». Je tiens à préciser que cette mobilisation du trésor du signifiant n’est pas le fait d’un acte de parole conscient: la parole du sujet, mais aussi son désir, sont bien plutôt pris dans les mots, dans la forme de parole et de son environnement. Dans la cure, le sujet est amené à le constater et à l’accepter. Et à parler depuis cefte prise, cette inscription, pour l’approfondir et l’ouvrir de manière créative.

Plus encore, les parents ou les adultes, qui transmettent – s’ils y arrivent – le symbolique, le langage, inscrivent le sujet dedans, sont-ils à ce niveau en position d’autorité ? Non pas.

Certes, à un certain niveau, en ce qu’ils décident pour l’enfant, ils sont en position d’autorité. Mais au niveau dont je parle, de la transmission, ils ne sont pas en position d’autorité mais ils sont des passeurs d’une transmission symbolique – que ce soit dans leur créativité – de parole, symbolique -, ou dans leur symptôme. Le symptôme étant une marque de désir, de subjectivité singulière existante mais non encore déployée ; et le symptôme est en cela, je le répète, opposé à l’adaptation toujours privée de symptôme, toujours marquée par un rejet de la subjectivité.

Sachant que, à un autre niveau, dans les relations intergénérationnelles, les parents inscrivent aussi leurs enfants dans leur faille discursive et psychique, dans leur part d’évitement ; mais aussi que la jeune génération travaille toujours dans cette faille, dans l’évitement des anciennes générations. En ce sens, la transmission du symbolique par l’ancienne génération est justement nécessaire pour que la jeune génération puisse élaborer cette faille de cette ancienne génération, et même si possible dialectiser la faille, ou sortir de la faille de l’ancienne génération. Pour que le sujet puisse créer, depuis son propre désir, sa propre vie, sa propre manière d’y faire avec son symptôme, en élaborant le trésor du signifiant qui a été transmis. Car le sujet, si sa parole se fait sa créative, reprend les mots de son environnement pour les ouvrir à la nouveauté de son désir singulier – en se positionnant par rapport à ce qu’a voulu son environnement pour lui. Au contraire, si sa parole est fermée, eh bien sa parole est prise dans les mots de son environnement – en ce qu’ils sont fermés.

Ici encore, du point de vue du symbolique, on le voit, le parent ou l’adulte, s’il arrive à déployer une transmission symbolique, est plus un passeur, en plus d’être l’inéluctable vecteur d’une faille. Il est plus un passeur qu’une autorité.

Sur cette question de l’autorité, j’en reviens à Freud. Pour une partie de sa pratique et de sa pensée, conflictuelle et pour tout dire contradictoire même si géniale, Freud était encore, comme l’a éclairé Lacan[22], largement pris dans le paradigme patriarcal, mettant l’autorité, et une autorité fort directive, au centre de son discours. Freud croyait en la nécessité d’un père fort, comme il dit. En ce sens, dans la cure, il était souvnt très directif, il prenait souvent le patient dans un face à face narcissique, « imaginaire » en termes lacaniens. Où il était le père, l’autorité érigeant son savoir psychanalytique (tel qu’il se le représentait), auquel le patient devait se soumettre. Avec les conséquences, je dirais, patriarcales, androcentrées et héténorormatives, binaires et dualistes, de cela. Ce même si par ailleurs il a fondé les bases permettant de faire de la psychanalyse une pratique subjectivante et s’il aussi élaboré des éléments de sortie du patriarcat, de l’androcentrisme, de l’hétéronormativité, de la binarité, du dualisme humain/non-humain.

Car, je l’ai dit, sur cette question de l’autorité comme plus généralement, Freud est contradictoire, et sa parole est conflictuelle. En effet, il a fécondement différencié la psychanalyse et le travail culturel de l’hypnose, de la logique autoritaire, à la fois hypnotique et mimétique, dont il a étudié les ressorts en ce qui concerne la psychologie des masses[23]. De plus, il a fécondement critiqué ce qui dans le social –  en premier lieu pour lui la religion – relève de la recherche d’un refuge dans un giron paternel[24]. Et puis, il a fécondement insisté sur le fait que la traversée du complexe d’oedipe (qui consiste dans le fait que le sujet a un objet premier et doit connaitre un tiers qui l’oriente vers le monde) et l’élaboration subjective de la sexualité par l’enfant fondent le mouvement du sujet vers l’indépendance, l’autonomie, par rapport aux figures parentales. En ce point, très exactement, Freud parle en effet d’ « orientation autonome dans le monde ». Je le cite : « les recherches sexuelles de ces premières années sont toujours solitaire ; elles représentent un premier pas vers l’orientation autonome dans le monde et éloignent considérablement l’enfant des personnes se son entourage » [25]. Bref, Freud parle ici des éléments d’autonomie que le sujet met en place dans son enfance, pour pouvoir s’autonomiser plus tard. C’est une question que je reprendrai avec Winnicott plus loin.

Ainsi Freud est-il conflictuel, comme tout sujet subjectivé. Nous sommes ici dans les contradictions de Freud, dans son symptôme. Qu’il n’a pas assez traversé, malgré tout le travail qu’il a effectué. Chaque sujet subjectivé, plus encore créateur, est conflictuel, a ses angles morts, Freud le premier.

Plus encore, je me demande si ce ne sont pas tous les créateurs (en psychanalyse, philosophie, etc.) de la société massivement patriarcale qui nous a précédé (car je considère que nous sommes nous dans une société où le patriarcat, pour existant, est mis en crise), qui ne sont pas pris dans la contradiction suivante. Celle entre d’un côté leur inscription dans le patriarcat et dans son directivisme, et de l’autre le mouvement fondamentalement créatif, subjectivant, de leur pensée, qui contredit et traverse ce directivisme.

Face à Freud, Lacan s’est explicitement opposé à la dimension très directive, patriarcale, de sa pratique et de sa pensée. Il a insisté sur la fonction symbolique paternelle – ce que de nos jours je préférerais appeler la fonction symbolique tierce, au regard des nouvelles configurations d’orientation sexuelle et de famille. Et ce geste, Lacan l’a mené pour désactiver la figure narcissique, imaginaire, du père, que l’on trouve chez Freud et largement dans le mouvement psychanalytique jusqu’à nos jours, relevant d’un narcissisme patriarcal non traversé.

Bref, c’est fondamentalement contre ce primat freudien de l’autorité que Lacan a construit cette pratique et cette théorie en termes de créativité de la parole ou de symbolique, de narcissisme ou d’imaginaire, et de réel. Pour déployer donc son triptyque Symbolique-Imaginaire-Réel.

Plus encore, même si Lacan n’a pas parlé du psychanalyste comme « passeur », ce qu’enseigne Lacan implique que le psychanalyste est lui aussi un passeur, une forme spécifique de passeur. Insister sur ce point permet que l’analyste ne prenne pas – comme Freud et nombre de ses élèves – le patient dans une relation d’autorité, dans une croyance narcissique et névrotique (comme chez Freud) en l’existence d’une autorité de savoir (soi-disant psychanalytique), de contrôle du désir inconscient. Ou pire (et ce n’est pas le cas de Freud !), dans une logique plus psychotique et désubjectivée que la névrose (où il y a symptôme subjectif), d’une autorité de maîtrise générale sur soi, les autres, le monde : autorité autoritaire, et même paranoïaque. En une paranoïa adaptée socialement.

Car, pour faire un saut, je dirais que, au niveau du fonctionnement collectif, le leader autoritaire est en effet lié au service des biens en ce que le discours de ce leader est inscrit dans un fonctionnement social et un discours collectif paranoïaques. Ce comme le montre génialement Lucien Israël dans son grand livre Boiter n’est pas pécher – entre autres en lecteur d’Adorno, de Foucault, de Levinas. Et ce discours collectif paranoïaque s’oppose massivement au symbolique, au langage comme symbolique, comme créatif, comme subjectif, comme singulier, comme désirant, comme au narcissisme comme porteur de symptôme singulier.

En même temps que, je le rappelle, le sujet, lorsqu’il parle de manière créative, reprend les mots de son environnement pour les ouvrir. Bref, si sa parole ouvre à des nouveaux signifiants, ceux-ci sont en même temps bien pris de quelque part, du trésor du signifiant ; ils sont transportés – « métaphorisés » au sens étymologique – autrement.

Bref, je dirais que la psychanalyse montre qu’au niveau inconscient – nous ne nous en rendons pas compte, mais nous le faisons – la parole, c’est comme la cuisine, on reprend toujours des recettes. Si la création a lieu dans la parole depuis un vide symbolique[26], la tabula rasa symbolique, elle, n’est pas à souhaiter dans la parole, comme dans la cuisine. Car si le cuisinier ne suit aucune recette, le plat est infâme. Et cela signifie que le sujet peut en venir à élaborer des recettes de manière personnelle, créative, en variant sur des recettes choisies ou reçues. Autrement dit, il y a là une autonomisation discursive et psychique possible, pour parler comme Lucien Israël – qui approfondit en ce point Freud. Ce qui implique aussi pour le sujet, dans l’histoire de sa parole toujours en train de se faire, de laisser chuter certains mots et certains discours, de faire le tri. D’abandonner les recettes qu’on lui a apprises, et qu’il faisait mécaniquement, mais dont il ne veut plus pour lui.

Plus encore, pour parler de ce que j’appellerais le mouvement dialectique de l’autonomisation discursive et psychique, je dirais ceci. Ce mouvement demande donc dans un premier temps l’inscription du sujet dans le langage comme trésor des signifiants, dans une transmission symbolique, discursive et psychique – ce qui va avec une dépendance par rapport aux personnes qui opèrent cette transmission. Ce qui demande en amont un passeur, qui a un désir de transmission symbolique : ce que Lacan appelle, je l’ai dit, en psychanalyse un désir de désir, un désir du désir du sujet.

Puis dans un deuxième temps, en s’appuyant sur cette inscription, le sujet peut élaborer subjectivement cette inscription, s’autonomiser, sortir de cette dépendance intersubjective, passer de l’hétéronomie à l’autonomie discursive et psychique, en reprenant de manière créative ce qu’il a symboliquement reçu, avec des éléments de saut créatif. Ce qui demande ici encore une figure qui fait appui, qui accepte ce geste d’autonomisation – et qui à ce niveau, par cette acceptation, se fait passeur, car il sait que c’est dans cette reprise subjective, cette infidèle fidélité que peut uniquement avoir lieu la transmission[27].

Sur cette question de l’autonomisation discursive et psychique, dans ses deux temps dialectiques, je voudrais citer Paul Celan. « Prends l’art avec toi pour aller dans la voie qui est le plus étroitement la tienne. Et dégage-toi »[28].

Et puis, pour évoquer deux grandes figures de l’histoire de la psychanalyse, Mélanie Klein et Donald Winnicott, j’aimerais aussi citer ce dernier. Ce dans une lettre à celle-ci, à laquelle il doit beaucoup, en même temps qu’il élabore ce qu’elle fait en se donnant le droit d’avoir son geste de critique de son apport là où il lui semble être problématique. Je cite Winnicott : « il est très important que votre travail soit reformulé par des gens qui font des découvertes selon une voie qui leur est propre et les présentent avec leurs propres mots. C’est de cette façon seulement que l’on gardera le langage en vie. Si vous stipulez qu’à l’avenir seul votre langage sera utilisé pour rapporter les découvertes des autres, alors le langage mourra. (…) Vos idées ne vivront que pour autant qu’elles seront redécouvertes et reformulées par des gens originaux, tant à l’intérieur du mouvement analytique qu’à l’extérieur[29]. »

Voilà en tout cas ce que je dirais déjà de la transmission, aussi donc en bonne partie avec Lucien Israël élaborant Lacan. Car Lacan ouvre fondamentalement à un trouage, à une détotalisation de l’héritage du langage, du signifiant, de la mémoire – de l’Autre comme symbolique, dirait-il.

Il reste que Lacan, malgré son apport fondamental, est lui aussi contradictoire. Il a aussi parfois déployé son apport dans une directivité problématique, particulièrement avec ses élèves[30] – ce que certains philosophes comme Foucault, Deleuze, Derrida, Castoriadis, ont critiqué à raison.

A ceci, j’aimerais ajouter que certains des élèves de Lacan, dont Lucien Israël, ont déployé un freudo-lacanisme qui reprendre l’apport lacanien en le dégageant de cette directivité lacanienne[31].

A mon sens la critique de cette directivité problématique Lacan, qui est un symptôme, nous permet en retour de mieux mettre en perspective son apport fomidable ; et au sein de cet apport, nous pouvons je pense relever le fait qu’il a solidement ouvert, dans la champ de la psychanalyse, la voie pratique et théorique, vers la singularisation – je dirais l’ « autonomisation » – discursive et psychique. Mais je dois repréciser de suite que c’est avec Freud et Lucien Israël que je parle d’autonomisation. En effet, Freud parle, je l’ai dit, de l’autonomie du sujet dans ses élaborations de sa sexualité, mais il parle aussi, par exemple, de l’autonomie du sujet, lorsqu’il développe l’idée (dans l’esprit des Lumières[32]) selon laquelle  les grands écrivains sont des « éducateur(s) et de(s) libérateur(s) des êtres humains », soucieux de l’ « avenir culturel de l’humanité »[33]. A la différence de cela, Lacan ne parle lui jamais d’autonomisation ni d’émancipation, il ne parle pas de liberté mais plutôt de « peu de liberté » –  ce qui implique tout de même un peu de liberté –; en même temps que pourtant, au fondement de son enseignement, il fait référence aux Lumières (sous leur forme féconde) et parle de singularisation du discours du sujet par rapport à l’Autre avec un grand A, comme discours collectif ambiant – ce qui selon moi va dans les faits quelque chose comme une autonomisation discursive et psychique !

Plus encore, en ce qui concerne les discours collectifs, il est vrai qu’il existe de manière courante tout un discours collectif de l’ « autonomisation » qui relève de la mise sous tutelle – comme l’ont relevé, avec Lacan, Adorno et Foucault. Cela se retrouve particulièrement dans le discours managérial contemporain[34]. Dans mes termes, je dirais que nous avons ici quelque chose comme une « pseudo-autonomisation » qui d’ailleurs rejette la dépendance première du sujet, et donc empêche toute transmission et toute autonomisation psychique et discursive.

J’ai dit que Lacan fait référence aux Lumières. Voilà ce qu’il avance dans le séminaire Ou pire : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir »[35]. Ici, Lacan insiste sur le fait que la psychanalyse telle qu’il la conçoit est une élucidation et une élaboration des Lumières – et une élaboration sur Kant qui écrit que « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable »[36]. Or, il me semble que ce projet de sortie de la tutelle reste fécond, concernant les Lumières, même si la critique des Lumières – entre autres de leur évolutionnisme et de leur dualisme entre humain et non-humain – est nécessaire.

J’aimerais maintenant prendre un moment pour évoquer la pratique psychanalytique et la pensée de Lucien Israël. Que nous dit-il ? Dans la lignée de Freud (du Freud plus ouvrant), il nous dit que la psychanalyse ouvre à une séparation subjectivante d’avec les figures de transmission ou d’autorité, dont parentales. Mais aussi d’avec l’analyste – qui lui n’est pas une autorité.

En effet, à propos de la séparation, Israël, traite de manière très parlante de l’éthique de la psychanalyse et du fait que le psychanalyste doit justement avec l’analysant, dans son appui pour la dynamique psychanalytique, faire preuve d’une certaine humilité et ne pas se considérer comme la fin en soi du processus psychanalytique. Bien plutôt, il doit être au service du déploiement du processus psychanalytique, et donc de la subjectivation du psychanalysant. Pour élaborer cela dans mes termes, je dirais que le psychanalyste, et en premier lieu son désir, est un simple appui pour la subjectivation, qui pourra être abandonné le moment venu ­ -­ dans le mouvement dialectique de l’autonomisation discursive et psychique.

Plus encore, Israël parle bien d’ « autonomie »[37], tout en faisant l’éloge de l’individualisme de la culture occidentale (sous sa forme féconde) : « le mérite de notre civilisation est d’être une civilisation individuelle et subjective »[38]. Et en étant lucide sur la question du pouvoir : « dans notre civilisation, tout conspire au maintien d’une dépendance par rapport au pouvoir »[39].

Une question se pose alors concernant Israël : y a-t-il un auteur, en plus de Freud, qu’il a élaboré pour parler ainsi d’autonomie ? A mon sens, c’est Adorno, qu’il ne cite pas sur ce point, mais évoque ailleurs, particulièrement concernant ce que le philosophe allemand appelle la « personnalité autoritaire » – dans les Études sur la personnalité autoritaire – et où il évoque bien cette question de l’autonomie. D’ailleurs Adorno a développé une pensée rigoureuse de l’autonomie comme sortie de la tutelle – particulièrement dans « Education à la majorité »[40]. Opposée comme il le dit à tout le discours de la pseudo-autonomie qui en fait sert la mise sous tutelle. De la réflexion d’Adorno dans ce texte, je parlerai d’ailleurs plus loin.

Pour en revenir à la transmission qu’opère la pratique psychanalytique, je dirais que le psychanalyste transmet la technique psychanalytique et l’éthique en acte dans la cure, tels qu’il les élabore lui, le psychanalyste, pour que l’analysant les élabore à sa manière, dans son indocilité subjectivante, son infidèle fidélité.

D’ailleurs, le fait que le psychanalyste fasse preuve de plasticité, et pratique l’accueil de l’autre sujet dans son altérité, permet cela. Et, toujours pour élaborer sur le lien entre psychanalyse et philosophie, j’aimerais d’ailleurs ici insister sur le fait que sur cette question de l’accueil de l’autre sujet dans son altérité, Lucien Israël élabore explicitement Levinas[41].

Mais j’en reviens maintenant à Lacan. Car, pour essayer d’éclairer sur cette question de l’autonomie, j’aimerais maintenant parler d’un point précis du large débat de Lacan avec Marx. En effet, Lacan a parlé de l’inscription nécessaire du sujet dans le symbolique, dont je vous ai parlé plus avant, en termes d’ « aliénation ». A mon sens, il a ainsi voulu insister sur la dépendance du sujet par rapport au symbolique, sur la prise du sujet dans le signifiant, mais en même temps il a temps cherché à s’approprier polémiquement le concept marxiste d’aliénation – en même temps qu’il a mis au travail psychanalytiquement certains apports de Marx. Et à s’opposer de manière quelque peu conservatrice à toute réflexion – marxiste ou bien progressiste – sur l’autonomie. Pour ma part, je trouve assez malheureuse cette utilisation conservatrice du terme d’aliénation. Car cela vient plus obscurcir nos enjeux que les éclairer, et cela amène à mon sens Lacan ne pas pleinement voir la conséquence de son geste fondamental à lui : d’orienter la psychanalyse vers l’autonomisation, discursive et psychique, en ce que celle-ci a de dialectique, et est permise par une transmission véritable. En tout cas, c’est ainsi que j’interprète – dans le sens de ce que j’appelle un progressisme subjectivé[42] –  le geste de Lacan sur ce point.

J’ai donc parlé d’un certain conservatisme de Lacan. Mais tomme toujours chez lui, les choses ne sont pas unilatérales. Ce conservatisme est bien complexe. Il reste que ce conservatisme s’exprime paradigmatiquement lorsqu’il avance que la revendication sociale et culturelle des jeunes générations de son époque, dans le cadre de Mai 68 et plus largement, relève fondamentalement de la recherche d’une nouvelle forme de Maître. A ceci, je réponds avec mon ami Benjamin Lévy, qu’il existe des revendications problématiques, mais aussi des revendications désirantes[43].

J’aimerais maintenant en revenir à la dialectique de l’autonomisation discursive et psychique, Cette dialectique de l’autonomisation, elle peut se déployer dans la cure psychanalytique, mais aussi ailleurs. Et pour parler de cette autonomisation véritable en ce qu’elle est dialectique, j’ai plus avant cité Celan. Mais j’aimerais ici évoquer Adorno, qui l’a bien pensée dans ses termes à lui, cette autonomisation discursive et psychique. Il l’a pensée à ma connaissance dans deux textes. 

Le premier de ces textes, c’est dans la courte et géniale interview « Education à la majorité ». Dans ce texte, s’appuyant sur Freud, sur le Freud créatif insistant sur le mouvement d’indépendance du sujet par rapport aux figures parentales (dont je vous ai parlé plus avant), il élabore l’idée selon laquelle, selon lui, le sujet a, dans son cheminement psychique (et discursif) :

1. dans un premier temps : besoin d’un « moment d’autorité », d’une « identification à la figure du père (nous dirions de nos jours au tiers[44]) et à la figure paternelle de l’idéal du moi » ;

2. puis dans un deuxième temps, il avance que le sujet « doit se séparer de cette identification pour accéder à l’état de majorité ». Et Adorno insiste sur le fait que ce moment d’identification à la figure paternelle (nous dirions tierce) ne doit pas être « vénéré » ni « maintenu », mais bien envisagé de manière critique et dépassé[45].

Le deuxième de ces textes, où il a pensé l’autonomisation discursive et psychique, c’est dans sa réflexion sur Hölderlin dont je vous au parlé, intitulée « Parataxe » que l’on trouve dans « Notes sur la littérature ». Nous y trouvons d’ailleurs la même théorie de l’autonomisation discursive et psychique. Adorno voit en effet dans la poésie d’Hölderlin, je traduis, quelque chose qui exprime « la dureté de son destin » ; et ce destin a à voir, dit-il avec une « grande indépendance par rapport aux pouvoirs de son origine, particulièrement la famille ». Je cite encore Adorno : « dans les faits, cela le mène loin. Hölderlin a cru en l’idéal qu’on lui a appris, et l’a en tant que protestant pieux vis-à-vis de l’autorité, intériorisé jusqu’à en faire une maxime. Puis il a dû expérimenter que le monde est autre que les normes que cet idéal a implantées en lui ». Et Adorno insiste aussi sur le fait que c’est dans le travail poétique sur la « langue », qu’a lieu ce qu’il appelle génialement la « sublimation de sa première conformité » – en termes psychanalytiques je parlerais de traversée de l’idéal que l’environnement familial transmet dans ses symptômes. Puis Adorno précise même que ce travail poétique sur la langue prend la forme de ce qu’Hölderlin lui-même appelle l’ « inversion des mots » et « l’inversion des périodes »[46], du rythme au sens poétique, justement dans la poésie paratactique, introduisant du vide – évidant la parole. D’ailleurs, Celan, que j’ai aussi évoqué car il a aussi pensé cette autonomisation discursive et psychique, parlera lui aussi d’inversion ou plutôt de « renverse de souffle »[47].

Et, pour revenir à la psychanalyse, je vous l’ai dit, cette autonomisation de la parole du sujet par l’inversion des mots et du rythme de parole, qu’Adorno et Celan mettent en lumière, en général ou dans l’écriture poétique, elle peut aussi avoir lieu dans la cure (tel que je la conçois avec Lacan et Israël). Et, pour faire écho à ce qu’avance Adorno, j’ajouterais même à cela qu’elle peut avoir lieu dans la cure par le retour du sujet sur l’envers, ou bien l’équivocité, des mots, mais aussi dans la mise en place dans la parole du sujet de ce que Lacan appelle des scansions, des moments d’expérimentation du vide – en termes poétiques : des moments de parataxe.

Plus encore, pour essayer de bien poser les enjeux entre les différents auteurs que j’évoque, je dirais que, de leur côté, Lacan et Lucien Israël ont insisté sur la transmission symbolique – qui est aussi transmission du désir. Alors que de l’autre, Freud et Adorno ont plus insisté sur l’identification au père (ou au tiers) et l’idéal. Mais Lacan et Lucien Israël rejoignent Adorno sur cette question : il existe une part d’idéal – et symptômale – du discours du parent que le sujet doit reprendre et traverser, pour s’en détacher.

Dans cette réflexion sur la transmission et l’autonomisation comme dialectique, j’aimerais aussi, évoquer les élaborations de Winnicott[48]. En effet, Winnicott insiste sur la manière dont, dans la cure, l’analysant utilise (c’est là son terme) l’analyste pour son geste à lui de subjectivation. Mais il insiste aussi sur la manière dont dans le champ de l’éducation et de la transmission en général, le jeune sujet utilise le parent ou la figure adulte d’appui pour son geste à lui de subjectivation, dans lequel il fera ce qu’il désire lui de ce qui lui a été transmis. Et dans lequel la figure d’appui – ce que j’appelle le passeur – ne peut soutenir la subjectivation du jeune sujet que s’il laisse le sujet faire son geste à lui, en ce qu’il est différent du sien, et accepte donc d’être utilisé en ce sens.

Dans la réflexion de Winnicott, nous retrouvons d’ailleurs les deux temps de l’autonomisation psychique et discursive évoqués avant :

1. Dans un premier temps, il en va de l’enrichissement de la vie psychique et la parole du sujet, par son appui préalable sur les figures de transmission, ou dans la cure, sur l’analyste. Et c’est là un appui sur la créativité de ces figures d’appui, dans ce qu’il appelle le jeu, la dimension ludique de toute élaboration dans le lien de parole (qu’il appelle transitionnel), qui permet au sujet de déployer sa créativité à lui. Cela implique d’ailleurs ajoute à cela Winnicott, le fait que le sujet peut pleinement vivre avec ces figures d’appui (parentales, adultes ou autres – psychanalytiques si nécessaire) son état de dépendance ou de minorité psychique et discursive. Cela permet aussi que le sujet déploie dans son enfance, ou dans le premier temps de sa subjectivation, ce que j’appellerais des éléments d’autonomie que le sujet, pour pouvoir dans un deuxième temps s’autonomiser – point sur lequel Freud a insisté, comme je l’ai évoqué plus avant.

2. Dans un second temps peut alors avoir lieu l’autonomisation et la singularisation de la vie psychique et de la parole du sujet lorsque le sujet, ayant vécu jusqu’à son terme cet état de dépendance et de minorité, peut s’en détacher.

Cela implique d’ailleurs, comme le montre Winnicott qui a d’ailleurs développé des réflexions très intéressantes sur la démocratie[49],  deux choses :

A. Dans la vie psychique et la parole du jeune sujet, à l’adolescence, cela implique une nécessaire mise à mort fantasmatique des figures d’autorité – une mise à mort fantasmatique et non réelle. Et ici, selon Winnicott, la figure d’appui a pour fonction de survivre et d’accueillir ce geste autonomisant, subjectivant.

B.  Toujours dans la vie psychique et la parole du jeune sujet adolescent, Winnicott insiste aussi sur la nécessaire mise en crise du discours des parents et des figures d’appui. Et ce qui aide alors ici, c’est que ceux-ci acceptent cette mise à mort fantasmatique et cette mise en crise. D’ailleurs cette mise en crise s’appuyant, pour devenir subjectivante, sur ce qui a été transmis, par une élaboration de ce qui a été transmis de créatif et de fécond (mais aussi, ajouterais-je, une traversée des failles des figures d’appui)

Bref, dans sa réflexion politique fort stimulante, Winnicott insiste sur la relation entre l’existence politique et sociale de la démocratie et l’existence psychique et existentielle de la crise d’adolescence. Selon lui, la démocratie est selon lui un système politique et culturel où les jeunes générations peuvent mettre en crise le(s) discours des anciennes générations.

J’en reviens à la cure. Que fait l’analyste dans la cure ? Eh bien il écoute, de manière également flottante, comme nous dit Freud. Il pratique une technique d’écoute et de parole, qu’en passeur il transmet. Sans être en position d’autorité. Il laisse-être, dit Lacan. Ainsi propose-t-il ce que j’appelle un lien de parole désirant. Permettant au sujet déjà subjectivé de cheminer dans le sens que j’évoquais. Mais permettant aussi au sujet désubjectivé – pour peu qu’il ne soit pas pris dans une désubjectivation trop massive, mais qu’il ait gardé une capacité d’ouverture – de s’inscrire dans le langage, dans le symbolique. De naître ainsi au désir inconscient, à une parole subjective, symboliquement créative. Ainsi, à ses patients non subjectivés, l’analyste peut procurer un lien de parole désirant, une expérience de rencontre symbolique et de dépendance au symbolique, discursive, psychique, pour qu’il puisse naitre à sa subjectivité, à son désir, en s’inscrivant dans la symbolique[50].

Et avec le patient déjà subjectivé, il peut l’inviter à revivre sa dépendance discursive et psychique, passée, pour la retraverser autrement, de manière plus désirante, subjectivante, plus autonomisante discursivement et psychiquement.

On comprend dès lors pourquoi les institutions, les dispositifs de tutelle et de pouvoir, et le service des biens, ont tant de mal avec la parole psychanalytique. Comme avec la vraie parole en général. C’est pour cela qu’avec Foucault je parle de « logophobie », de haine du discours, de haine de la parole.

De plus, ce que je vous ai présenté ici implique que, concernant le sujet né à sa subjectivité par une inscription dans le symbolique, qu’il peut cheminer vers son autonomisation discursive et psychique, et sortir des tutelles discursives et psychiques que certaines parties de son environnement cherche à lui imposer. Bref, la technique de parole psychanalytique va dans le sens de la singularisation du discours du sujet par le déploiement du désir inconscient. Cela passe par le dégagement de la parole du sujet du discours collectif – et de la norme collective – dans lequel celui-ci est plongé.

Ainsi, par la forme même de son écoute, le psychanalyste écoute-t-il le discours collectif dans lequel l’analysant est plongé. Dès lors, si le travail psychanalytique se fait, aide-t-il aussi le sujet dans le travail d’écoute du discours collectif et de la norme dans lesquels il est pris, et ainsi vers la sortie de toute tutelle discursive, psychique, sociale. Vers le dégagement discursif de toute norme aussi, car cette autonomisation implique  dénormativation, une singularisation. Vers le dégagement discursif de toute norme, qu’elle soit institutionnelle, ou culturelle, c’est-à-dire de toute norme patriarcale, androcentrée, hétéronormée, binaire en termes de genre, ou dualiste du point de vue de la relation humain/non-humain. Et vers la relation de mise en crise de l’autorité que cela implique, particulièrement si cette autorité déploie une parole normative.

Je dirais même, en ce point, que dans sa manière de dénormativer la parole, la psychanalyse, à sa manière, mais comme la parole démocratique, produit ce que

concernant la démocratie appelle un vide au centre[51]. Et ce vide au centre, sur ces deux plans différents que sont la psychanalyse et la démocratie, eh bien il implique que toute norme est remise en question, débattue., mise en crise. Car la dynamique démocratique implique elle aussi une dénormativation sociale permanente. Liée au fait que le collectif est ouvert aux singularités des sujets, et de leurs paroles. Bref, la dénormativation démocratique contemporaine, dont relève les nouveaux discours collectifs féministes, sur l’orientation sexuelle, sur le genre, écologiste, est bien parallèle à la dénormativation psychanalytique, et ces deux dénormativations peuvent se rencontrer – sans se confondre.

Tout ce que je dis là implique pour le sujet que, s’il a la chance de pouvoir vivre un lien subjectivant, un lien de parole fécond – et ce peut être l’analyste –, il peut, par l’analyse en 1er lieu, avoir une marge de manœuvre par rapport au système de tutelle dans lequel est. Cela passe par le déploiement d’une créativité. Cette créativité peut ouvrir des interstices, voire des espaces, ou échouer ; puisqu’avoir son geste implique toujours un risque. Plus encore, cette créativité peut aussi travailler à une mutation discursive subjective et collective qui rend le collectif favorable à la subjectivité – et donc démocratique.

Ainsi, concernant la question de l’autorité dans nos sociétés (par exemple l’autorité parentale), eh bien, il me semble que la psychanalyse, si elle est soucieuse de la question de la transmission, ouvre à la prise en compte, à la reconnaissance, ou même à la création, de formes d’autorité, mais aussi donc de transmission, qui sont des appuis pour la subjectivation. Sachant qu’une autorité ouvrante assumera aussi une fonction de transmission, qui permettra au sujet de la remettre en question.

Tout ceci me semble important à dire, particulièrement dans notre société où une très grande partie des jeunes générations met en crise la verticalité patriarcale et déploient des liens plus horizontaux. Cela va régulièrement avec le déploiement de revendications désirantes, pour parler comme mon ami Benjamin Lévy, qui a développé une réflexion très féconde sur la relation entre psychanalyse et politique dans son très important livre L’ère de la revendication.

Cette horizontalité nouvelle, mise en place par l’évolution culturelle et par une très grande partie des jeunes générations, peut être l’espace de déploiement d’une transmission, car la transmission, ça opère depuis un ailleurs – mais non pas depuis une verticalité –, et depuis un ailleurs symbolique. Je tiens à insister sur ce point pour répondre sur ce point aux conservateurs qui eux ont une conception verticale de la transmission. Bref, il existe bien – en psychanalyse et plus largement – une pensée progressiste subjectivée de la transmission. Et c’est sur ce point, insistant sur la nécessité de poser en psychanalyse le débat dans les termes d’une politique subjectivée, et donc aussi sur celle de caractériser – encore une fois avec mon ami Benjamin Lévy – l’écart entre progressisme et conservatisme, que je conclurai ma réflexion.


[1] https://www.misha.fr/agenda/evenement/colloque-pratiques-et-contre-pratiques-de-lautorite

[2] Pour une présentation plus détaillée de la manière dont j’appréhende la psychanalyse dans notre situation contemporaine, je me permets de renvoyer à « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/, et « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[3] Adorno, « Parataxe » dans Notes sur la littérature.

[4] Voir Freud, L’interprétation du rêve.

[5] Je fais ici particulièrement référence à la réflexion de Lacan sur l’éthique de la psychanalyse.

[6] Ce sont deux niveaux différents, mais toujours articulés.

[7] Sur cette question de l’opposition entre éthique créative et morale répressive, je renvoie à A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, mais aussi au texte de D. Winnicott, « Morale et éducation », dans Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1970, p. 55-70.

(8) Sur les oscillations de de Freud sur la question politique, on pourra consulter Florent Gabarron-Garcia, L’héritage politique de la psychanalyse. Ainsi qu’Elizabeth Ann Danto, Freud′s Free Clinics – Psychoanalysis and Social Justice 1918–1938. Concernant ce que j’appelle le pessimisme – dialectique – de Lacan, je le relie à la part de fascination – à mon sens mélancolique – pour la mort que l’on trouve dans son oeuvre, telle que l’étudient en philosophie J. Rogozinski dans Le Moi et la chair et, dans une optique psychanalytique freudo-lacanienne, P. Guyomard, dans La jouissance du tragique, Paris, Aubier, 1998.

[8] Sur ces questions de l’optimisme tragique d’Israël et de Winnicott, je renvoie à D. Lorrain, « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

(9) Sur la dimension fécondement irritante de Freud et de Lacan, voir J.-M. Rabaté, Lacan l’irritant, Paris, Stilus, 2023. Sur le caractère dialectique de leurs pessimismes, je renvoie à D. Lorrain, « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[9] Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2010.

[10] N. Janel , https://dimitrilorrain.org/2021/03/20/nicolas-janel-la-psychanalyse-est-une-operation-de-creation/

[11] Sur cette singularisation de la parole, voir J. Lacan, Le Séminaire : Livre XVI. D’un Autre à l’autre, 1968-1969, Paris, Seuil, 2006 ; Lucien Israël, Boîter n’est pas pécher, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2010 ; mais aussi D. Lorrain, https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[12] M. Foucault, par ex. L’archéologie du savoir.

[13] J. Lacan, Le Séminaire : Livre VII. L’éthique de la psychanalyse, 1959-1960, Paris, Seuil, 1986.

[14] Sur ce point, voir mon intervention au séminaire de l’ARPPS : https://www.youtube.com/watch?v=Qq7p_il9vCI&t=5720s.

[15] J. Lacan, Le Séminaire : Livre VII. L’éthique de la psychanalyse, 1959-1960, op. cit.

[16] Minima Moralia.

[17] Foucault parle de « logophobie » dans L’ordre du discours. Sur cette question, je renvoie à D. Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/.

[18] Sur  cette direction de parole ou de conscience, je renvoie à D. Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/.

[19] Sur cette question, voir D. Lorrain, « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[20] Sur cette question, dans mon intervention au séminaire de l’ARPPS du 9 mai 2023, j’élabore psychanalytiquement les apports de Ph. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005 ; et B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 1991. Sur ce point, je renvoie aussi à G. Cometti, Lorsque le brouillard a cessé de nous écouter. Changement climatique et migrations chez les Q’eros des Andes péruviennes, Peter Lang, 2015.

[21] M. Horkheimer et T. W. Adorno, Dialektik der Aufklärung  (trad. fr : Dialectique de la raison), Fischer, 1969, p. 43.  

[22] M. Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Paris, Seuil, 1988.

[23] S. Freud, Psychologie des masses et analyse du moi.

[24] L’avenir d’une illusion.

[25] Ce dans Trois essais sur la théorie sexuelle, trad. Ph. Koeppel, Paris, Gallimard, 1987, p. 127.

[26] Sur cette question, voir D. Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/.

[27] Sur cette question de la transmission, je me permets de renvoyer à « Avec Delphine Horvilleur: sur l’interprétation, une lecture de « Le rabbin et le psychanalyste » (Hermann, 2020) », https://dimitrilorrain.org/2020/12/04/avec-delphine-horvilleur-sur-linterpretation-une-lecture-de-le-rabbin-et-le-psychanalyste-hermann-2020/

[28] Le Méridien : « Geh mit der Kunst in deine allereigenste Enge. Und setze dich frei ».

[29] D.W Winnicott, Lettres vives, Paris, Gamillard, p. 69.

[30] Je renvoie ici, pour une critique de leur maître, à : S.Leclaire Rompre les charmes, Paris, Inter Éditions, 1981 ; L. Israël, Boîter n’est pas pécher; ou M. Safouan, La Psychanalyse. Science, thérapie — et cause, Vincennes, Thierry Marchaisse, 2013. Une autre critique fort ouvrante de ce versant problématique de la pratique, la pensée et l’enseignement de Lacan, est celle de Patrick Guyomard, La jouissance tragique, Paris, Aubier, 1992.

[31] Sur ce point, je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[32] Sur l’ambiguïté des Lumières, voir Th. Adorno et M. Horkheimer, Dialectique de la raison. Sur les Lumières alors que nous prenons la mesure du grand partage, voir C. Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant.

[33] « Dostoïevski et le parricide », dans Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1995, p. 162.

[34] Voir particulièrement R. Gori, La Fabrique des imposteurs.

[35] Lacan J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.

[36] I. Kant, « Qu’est-ce que les Lumières », in Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières ? , trad. J-F. Poirier et F. Proust, Flammarion, 1991.

[37]Boiter n’est pas pécher, p 83.

[38] Idem., p 83

[39]  Idem., p. 101.

[40] Pour ma part, je fais référence au texte allemand « Erziehung und Mündigkeit » dans le recueil de textes Erziehung und Mündigkeit Frankfurt, Suhrkamp, 1971, p. 133-147.

[41] Je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[42] Je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[43] Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Paris, Flammarion, 2020.

[44] Pour prendre en compte les nouvelles configurations familiales.

[45] « Erziehung zur Mündigeit », op. cit., p. 140.

[46] « Parataxis », op. cit., p. 477-478.

[47] Voir son texte Renverse du souffle.

[48] J’évoquerai surtout le grand livre de Winnicott : Jeu et réalité.

[49] Winnicott développe cette réflexion dans « Concepts actuels du développement de l’adolescent », in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975  et « L’immaturité de l’adolescent », in Conversations ordinaires (Home is where we start from), Paris, Galllimard, 1988. Bref, même s’il a malheureusement été problématiquement critique du féminisme (par ex. dans ce même livre), Winnicott nous donne à penser.

[50] Sur ce lien de parole désirant, je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.

[51] C. Lefort, L’invention démocratique.

Chères amies, chers amis,

Pour celles et ceux d’entre vous qui comprenez l’anglais, ici une intervention passionnante d’Elissa Marder sur la question du changement climatique, envisagée principalement en élaborant Freud.

Elle y dialogue avec Patricia Gherovici, Clint Burnham et David Lichtenstein. Jamieson Webster modère la séance.

Cette intervention a lieu dans le cadre de l’association Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.

Elissa Marder est professeure de littérature française et comparée à Emory University et affiliée aux départements de philosophie et de « Women’s gender and sexuality » de la même université. Elle est membre fondatrice du programme d’études psychanalytiques d’Emory dont elle a été la directrice. Elle est aussi associée à l’ICI Berlin.

Ses travaux sont situés à l’intersection entre psychanalyse, déconstruction et féminisme. Ils élaborent les questions de la temporalité, de la naissance, de la différence sexuelle et des limites de l’humain.

Parmi ses publications: « Literature and Psychoanalysis: Open Questions », dir. Elissa Marder, in « Paragraph », vol.40, issue 3, nov. 2017; « The Mother in the Age of Mechanical Reproduction: Psychoanalysis, Photography, Deconstruction », 2012; « Dead Time: Temporal Disorders in the Wake of Modernity (Baudelaire and Flaubert) », 2001.

Elle a participé au livre collectif « Psychoanalysis, gender, and sexualites », dir. Patricia Gherovici and Manya Steinkoler:

J’aimerais finir ce texte en précisant que Clint Burnham, qui intervient dans la vidéo, a avec Paul Kingsbury publié un livre collectif sur Lacan et l’environnement: « Lacan and the environment », Palgram Macmillan, 2021.

https://link.springer.com/book/10.1007/978-3-030-67205-8

Chères amies, chers amis,

Pour celles et ceux qui comprennent l’anglais, je vous mets ici le lien vers la passionnante intervention de Patricia Gherovici et Manya Steinkoler sur le récent livre collectif qu’elle ont dirigé : Psychoanalysis, Gender and Sexualities: From Feminism to Trans* (Routlegde, novembre 2022). Cette intervention, menée dans le cadre du podcast de Vanessa Sinclair Rendering uncounscious, que je vous conseille très vivement, vous présente l’ouvrage en détails.

RU231: PATRICIA GHEROVICI & MANYA STEINKOLER ON PSYCHOANALYSIS, GENDER & SEXUALITIES

Elaborant particulièrement les apports féministes et trans, mais aussi ceux des études de genre, ou encore des pensées queer, cet ouvrage collectif est un livre majeur. Il ouvre entre autres à une psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, car relisant Freud et Lacan de manière novatrice, mais aussi, lorsque cela est nécessaire, critique. La préface de Patricia Gherovici et de Manya Steinkoler propose une réflexion particulièrement éclairante sur la situation contemporaine de la subjectivité et de la psychanalyse.

.

Présentation de l’éditeur 

Transcending the sex and gender dichotomy, rethinking sexual difference, transgenerational trauma, the decolonization of gender, non-Western identity politics, trans*/feminist debates, embodiment, and queer trans* psychoanalysis, these specially commissioned essays renew our understanding of conventionally held notions of sexual difference.

Looking at the intersections between psychoanalysis, feminism, and transgender discourses, these essays think beyond the normative, bi-gender, Oedipal, and phallic premises of classical psychoanalysis while offering new perspectives on gender, sexuality, and sexual difference. From Freud to Lacan, Kristeva, and Laplanche, from misogyny to the #MeToo movement, this collection brings a timely corrective that historicizes our moment and opens up creative debate.

Written for professionals, scholars, and students alike, this book will also appeal to psychoanalysts, psychologists, and anyone in the fields of literature, film and media studies, gender studies, cultural studies, and social work who wishes to grapple with the theoretical challenges posed by gender, identity, sexual embodiment, and gender politics.

Transcending the sex and gender dichotomy, rethinking sexual difference, transgenerational trauma, the decolonization of gender, non-Western identity politics, trans*/feminist debates, embodiment, and queer trans* psychoanalysis, these specially commissioned essays renew our understanding of conventionally held notions of sexual difference.

Looking at the intersections between psychoanalysis, feminism, and transgender discourses, these essays think beyond the normative, bi-gender, Oedipal, and phallic premises of classical psychoanalysis while offering new perspectives on gender, sexuality, and sexual difference. From Freud to Lacan, Kristeva, and Laplanche, from misogyny to the #MeToo movement, this collection brings a timely corrective that historicizes our moment and opens up creative debate.

Written for professionals, scholars, and students alike, this book will also appeal to psychoanalysts, psychologists, and anyone in the fields of literature, film and media studies, gender studies, cultural studies, and social work who wishes to grapple with the theoretical challenges posed by gender, identity, sexual embodiment, and gender politics.

.

Table des matières

Introduction 

Part 1: The Genealogy of Sex and Gender 

1. ‘Freud’s Ménage à quatre’ 

Tim Dean

2. ‘Glôssa and « Counter-Will »: The Perverse Tongue of Psychoanalysis’ 

Elissa Marder

3. ‘The Gender Question from Freud to Lacan’

Darian Leader

4. ‘Two Analysts Ask, « What is Genitality? Ferenczi’s Thalassa and Lacan’s Lamella »‘ 

Jamieson Webster and Marcus Coelen

5. ‘Undoing the Interpellation of Gender and the Ideologies of Sex’ 

Genevieve Morel

Part 2: Queering Psychoanalysis: Fantasy, Anthropology and Libidinal Economy 

6. ‘The Role of Phantasy in Representations and Practices of Homosexuality: Colm Tóibín’s The Blackwater Lightship and Edmund White’s Our Young Man‘ 

Eve Watson

7. ‘Oscar Wilde: Father and Som

Ray O’Neill

8. ‘Does the Anthropology of Kinship Talk about Sex?’ 

Monique David-Ménard

9. ‘From Fundamentalism to Forgiveness: Sex/Gender Beyond Determinism or Volunteerism’

Kelly Oliver

10. ‘Sexual (In)difference in Late Capitalism: « Freeing Us from Sex »‘ 

Juliet Flower MacCannell

Part 3: Being and Becoming TRANS-* 

11. ‘Tiresias and the Other Sexual Difference: Jacques Lacan and Bracha L. Ettinger’ 

Sheila L. Cavanagh

12. ‘In-Difference: Feminisim and Transgender in the Field of Fantasy’ 

Oren Gozlan

13. ‘Translation, Geschlecht and Thinking Across: On the Theory of Trans-‘ 

Ranjana Khanna

14. ‘Scenes of Self-Conduct in Contemporary Iran: Transnational Subjectivities Knitted On Site’

Dina Al-Kassim

15. ‘Lacanistas in the Stalls: Urinary Segregation, Transgendered Abjection, and the Queerly Ambulant Dead’ 

Calvin Thomas

16. Dany Nobus, ‘Becoming Being: Chance, Choice and the Troubles of Trans*cursivity’ 

Dany Nobus

17. ‘Just Kidding: Valeria Solana’s SCUM and Andrea Long Chu’s Females‘ 

Elena Comay del Junco

18. ‘Transgender Quarrels and the Unspeakable Whiteness of Psychoanalysis’

Yannik Thiem

https://www.routledge.com/Psychoanalysis-Gender-and-Sexualities-From-Feminism-to-Trans/Gherovici-Steinkoler/p/book/9781032257600

.

Patricia Gherovici et Manya Steinkoler ont déjà publié ensemble Lacan On Madness: Madness Yes You Can’t ( Routledge, 2015) et Lacan, Psychoanalysis and Comedy (Cambridge University Press, 2016).

.

Patricia Gherovici est psychanalyste, elle exerce à Philadelphie et à New York. Elle a obtenu en 2020 le Sigourney Award pour son travail clinique et théorique à propos de la question du genre et de la communauté latino aux Etats-Unis.

Elle a est la co-fondatrice et la directrice du Philadelphia Lacan Group et de l’Associate Faculty, Psychoanalytic Studies Minor, University of Pennsylvania (PSYS).

Elle est membre honoraire de l’IPTAR, l’Institute for Psychoanalytic Training and Research à New York.

Elle participe aussi aux travaux de l’institution de Formation Pulsion : https://pulsioninstitute.com/

Elle est encore membre fondatrice de l’institut de Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.

A noter encore: sa passionnante intervention (en anglais) sur le futur de la psychanalyse (avec le Covid, la mondialisation des échanges psychanalytique grâce à Internet…), sur le site de Vanessa Sinclair (New York), dans le cadre du podcast « Rendering unconscious »:

RU212: PATRICIA GHEROVICI – IS THERE A FUTURE FOR PSYCHOANALYSIS?

D’ailleurs, je vous conseille très vivement ce podcast: http://www.renderingunconscious.org/

Ici le site (en anglais) de Patricia Gherovici : https://www.patriciagherovici.com/

Et le site passionnant (en anglais), que je vous conseille (beaucoup de vidéos, de textes etc.) de Das Unbehagen : http://dasunbehagen.org/
​Parmi ses livres, l’on trouve son livre de référence sur la question trans : « Transgenre. Lacan et la différence des sexes (Stilus, 2021). Voir : https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/

Et puis son absolument passionnant « Lacan dans le ghetto. Psychanalyser le « syndrome porto-ricain », qui a reçu le Gradiva Award et le Boyer Prize. Mais aussi  Please Select Your Gender: From the Invention of Hysteria to the Democratizing of Transgenderism (Routledge, 2010).

Elle a aussi publié avec Chris Christian, Psychoanalysis in the Barrios: Race, Class, and the Unconscious  (Routledge, 2019, vainqueur du Gradiva Award et du American Board and Academy of Psychoanalysis Book Prize).

.

Manya Steinkoler est psychanalyste à New York et professeur de littérature, cinéma et théorie psychanalytique d’orientation lacanienne, Borough of Manhattan community college, City university of New York (CUNY).

Elle a aussi dirigé, avec Vanessa Sinclair, le livre collectif On Psychoanalysis and Violence: Contemporary Lacanian Perspectives (Routledge, 2018).

En français, elle a publié différents articles, et a participé à l’ouvrage collectif dirigé par J.-J. Moscovitz (auquel a participé entre autres Benjamin Lévy) Violence en cours, Erès, 2017.

           

Chères amies, chers amis,

Je vous fais ici part d’un texte élaboré en lien à différentes interventions sur différentes questions : mon intervention, au séminaire de recherches de l’équipe RPPsy de l’Université Catholique de l’Ouest (à Angers), animé par Patrick Martin-Mattera et Alexandre Lévy, le 17 mars 2023, portant sur ma pratique et ma conception de l’analyse, particulièrement en lien à l’apport de Lucien Israël ; le travail en commun au séminaire de l’ARPPS; mais aussi le séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY) portant sur la question du « féminin », que nous co-animons avec Dominique Marinelli et Emmanuelle Chatelat, et où nous mettons psychanalytiquement au travail les apports des études de genre et des pensées féministes et queer les plus fécondes [1]

            Cette réflexion n’engage que moi-même.

**

            J’aimerais dans ce texte vous parler de ma pratique et de ma conception de la psychanalyse, au regard de la situation contemporaine de la subjectivité. Pour cela, je vous présenterai la manière dont je mets au travail les enseignements de Lacan et de son élève strasbourgeois Lucien Israël (1925-1996). J’aimerais rappeler qu’Israël est un classique du freudo-lacanisme français et est la figure qui a permis que la psychanalyse dans l’Est de la France soit en grande partie freudo-lacanienne. Il a d’ailleurs élaboré une œuvre singulière, novatrice, dont je vais vous parler.

            Au regard de l’évolution contemporaine des discours et des mécanismes psychiques, j’aimerais ici insister sur un point qui me semble particulièrement important : c’est seulement en insistant sur la dynamique créatrice de la parole dans la cure, que la psychanalyse pourra continuer d’apporter des choses[2].

**

            Je parle donc de création, mais en quel sens ? Pour dire quelques mots de cela, j’aimerais faire une remarque préliminaire. La psychanalyse, ça part de ce qui cloche dans l’existence, dans la vie psychique et dans la parole du sujet. Ca part de ce qui cloche, est illogique, dans les formations de l’inconscient existant dans sa parole (rêve, symptôme, lapsus, acte manqué) et liées à l’ambiguïté de celle-ci.

            La psychanalyse part donc de ce qui cloche, en soutenant la dynamique de parole, le geste d’énonciation, le dire subjectif et créateur, chez le sujet. En ce sens, la psychanalyse, ça crée du sujet et du nouveau au niveau de la parole singulière du sujet. Ca produit du subjectif et du nouveau symbolique, signifiant. Et pour cela, point fondamental (dont je parlerai plus loin), ça évide la parole. Ca crée le vide qui, lui, crée le saut de parole, le saut signifiant, la métaphore, qui va permettre le nouveau dans la parole, ce que Lacan appelle le changement de discours.

            Dès lors, l’écoute, en psychanalyse, de la singularité de sa parole fait que le sujet, s’il n’a pas encore pu accéder à sa subjectivité, va pouvoir naître à sa subjectivité. Et, si le sujet y a déjà accédé, il pourra par le travail psychanalytique se positionner autrement par rapport à ce qui cloche, et par rapport ce qui est important dans sa vie. Et il pourra envisager les choses autrement, de manière plus désirante, subjective, créative, mais aussi en acceptant toujours plus (interminablement) l’existence du réel. Du réel, tel que le définit Lacan, comme « impossible ». Le réel, en effet, c’est en premier lieu la mort, mais aussi le sexe, ou tout ce qui excède inéluctablement notre capacité de représentation et d’appréhension[3]. Et, par le travail psychanalytique, le sujet pourra tout d’abord se mettre en crise, il pourra assumer que quelque chose cloche, puis, avec le temps, savoir y faire, de manière créatrice, avec ce qui cloche – avec le symptôme. Savoir y faire avec ce qui cloche, l’ambiguïté dans sa parole (féconde si le sujet l’accueille), l’existence d’un inconscient, d’un latent, dans sa parole. Savoir y faire avec son symptôme, ses angles morts, ses mécanismes de défense et d’évitement. Avec ce que cela implique en termes de plasticité psychique[4], d’accueil de l’existence de l’inconscient, du latent. Avec ce que cela implique de souplesse des mécanismes de défense et d’évitement. Pour être moins dans le contrôle (même si le sujet pour raison narcissique a toujours une tendance au contrôle). Pour être plus capable d’accueillir de manière créative le désir et l’inconscient, d’accepter l’existence du réel. Et être plus capable d’accueil l’altérité de l’autre. Il en va là d’une dynamique de subjectivation.

            Bref, avec la psychanalyse, il va pouvoir y avoir du nouveau pour le sujet, dans sa parole et dans sa vie. Du nouveau venant de soi, l’autre, du monde. Du nouveau dans le fait qu’émerge le désir du sujet, avec son énigme, sa latence, dans sa parole et sa vie. Il en va là du désir et de son énigme, qui rend, malgré tout, si le sujet s’ouvre à lui, la vie ouverte, savoureuse. Avec ce que cela implique, en plus de l’acceptation de l’existence du réel, en termes d’accueil de soi et de l’autre. Avec ce que cela implique aussi pour le sujet de capacité à se dégager de la demande de l’environnement, et à se dégager de la norme liée à cette demande ; de sa capacité à dénormativer sa parole ; pour suivre son geste singulier, créatif, et accueillant aussi et soi et l’autre.

            En somme, la psychanalyse, ça produit des nouveaux mots, des nouveaux signifiants, ça produit les sauts qualitatifs subjectivants de sa parole, qui produit le changement de discours, de positionnement, de perspective. La psychanalyse, ça permet une dynamique de changement, de subjectivation, porteuse de nouveau. Et particulièrement ça permet l’acceptation de l’existence du réel, et l’accueil de soi et de l’autre.

            En cela, la psychanalyse, ça peut aider le sujet à naître à sa subjectivité et à sortir de la compulsion de répétition sous sa forme massive. En même temps qu’il y aura toujours du symptôme, des angles morts, de l’évitement, de la compulsion de répétition.

            Dans ce cadre, l’appréhension, dans l’écoute psychanalytique, des normes (institutionnelles, ou bien binaire, androcentrée, hétéronormative[5], ou autre) dans lesquelles le sujet est pris, cette appréhension est nécessaire. Justement pour aider le sujet à se dégager de cette norme, en ce qu’elle verrouille sa compulsion de répétition, et empêche la plasticité psychique, et sa subjectivation.

            En d’autres termes, la psychanalyse, c’est un dispositif de parole permettant, dans une énonciation subjective, un dire créateur – spécifiquement créateur –, le déploiement d’une dynamique créatrice et éthique – éthiquement créatrice – de parole. Qui est profondément dénormativante.

            Autre manière de dire aussi, que la psychanalyse, c’est une question de dynamique de parole. Ce quelques soient les thématiques dont il est question.

            C’est pour cela (j’en parlerai plus tard dans ce texte) que, si la lecture thématique de Freud et de Lacan, pour en critiquer les dimensions normatives (binaires, androcentrées, hétéronormatives, ou autre) est féconde et nécessaire, cela n’annule en aucun cas la fécondité de la psychanalyse comme dynamique de parole créatrice. Et cette dynamique créatrice est permise en premier lieu par les apports fondamentaux, sur cette question comme sur d’autres, de Freud et de Lacan (6) – particulièrement les réflexions de ce dernier sur le symbolique et le signifiant. Bref, s’il s’agit de critiquer certaines dimensions des discours de Freud et Lacan, mais aussi du freudo-lacanisme, il s’agit à mon sens aussi de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain, pour pratiquer un freudo-lacanisme ouvert. De la même manière, en ce qui concerne les réflexions de certains auteurs hors-psychanalyse, ayant une dimension binaire, androcentrée ou hétéronormative, je trouve fécond de mettre au travail leurs apports, malgré cette dimension.

            Ainsi, pour faire référence aux débats sur le symbolique ou le structuralisme, parler de symbolique et de signifiant, surgissant subjectivement, créativement, dans la parole, dans l’énonciation, dans le dire, cela n’a rien de dogmatique. Mais, au contraire, cela nous permet d’appréhender en quoi la parole peut être créatrice, porteuse de nouveau, de subjectivité, de désir, d’accueil de soi et de l’autre ! Plus encore, envisager le symbolique et le signifiant dans la dynamique de parole, de l’énonciation, du dire, comme le fait Lacan, eh bien cela éloigne dans les faits de ce que l’on appelle le « structuralisme » sous sa forme mainstream, pour en donner une forme subjectivée.

**

            Voici donc pour ma remarque préliminaire. Une fois cela dit, j’aimerais insister sur le durcissement institutionnel généralisé qui a lieu en ce moment – dont j’ai parlé dans mon texte intitulé « Apports de la psychanalyse créative »[7]. Bien sûr, il existe parfois des institutions qui échappent à ce durcissement. Mais ce durcissement est toutefois une tendance dominante dans les institutions contemporaines.

            A mon sens, en ce qui concerne les questions du psychisme et du discours, ce durcissement cherche à empêcher que la parole – et le lien de parole qui va avec – se déploie. Il en va là de ce que Foucault en 1971 appelle la logophobie : « il y a sans doute, dit-il, dans notre société (…) une profonde logophobie, une sorte de crainte sourde contre ces événements, contre cette masse de choses dites, contre le surgissement de tous ces énoncés, contre tout ce qu’il peut y avoir là de violent, de discontinu, de batailleur, de désordre aussi et de périlleux, contre ce grand bourdonnement incessant et désordonné du discours »[8]. Et cette logophobie, ce rejet de la parole – je dirais, en termes psychanalytiques, ce rejet de la parole subjective, créatrice –, elle a une histoire. Foucault nous aide beaucoup pour cette histoire. Lui qui a dégagé ce qu’il est de ce qu’il appelle le « pastorat » dans l’histoire longue, bref ces dispositifs relevant de ce que la tradition appelle la « direction de conscience ». Je parlerais pour ma part de dispositifs de direction du discours, de direction de la parole du sujet. Foucault a posé la question de la directivité discursive qui se déploie sous différentes formes dans l’histoire, justement, des institutions. Et, dans les faits, cette directivité discursive va dans le sens du déploiement collectif d’un discours normatif qui est logophobe, qui, je dirais, empêche la parole, la parole subjective et créatrice. Plus encore, Foucault nous permet aussi de penser la manière dont cette directivité discursive est allée avec la binarité, l’hétéronormativité – ou l’androcentrisme.

            Historiquement, cela implique la critique d’une certaine forme de christianisme, mais aussi des discours dominants de l’Etat, de la bureaucratie,  du capitalisme – de nos jours, cela implique une critique du discours managérial. Ces discours, en effet, déploient une mise sous tutelle discursive des sujets, et un rejet de la parole subjective et créatrice. De plus, dans ces logiques discursives de pouvoir, normatives, cette mise sous tutelle est rationalisée par la mythologie d’une subjectivité de maîtrise et indemnisée, et d’un Savoir de surplomb. Ce qui, du point de vue du destin des pulsions, va dans le sens de la compulsion de répétition massive.

            Je tiens à préciser qu’en ce qui concerne la tradition riche et complexe du christianisme, il existe bien sûr des éléments ouvrants dans cette tradition. Toutes les traditions religieuses sont complexes. Mais, pour parler quelque peu de religion, j’évoquerai dans ce texte le judaïsme [9], mais aussi la philosophie élaborant le judaïsme (Rosenzweig, Levinas[10]) – d’ailleurs telles qu’elles ont été élaborées par Lacan ou Israël. Je les évoquerai en athée, et donc, concernant le judaïsme, en négligeant sans doute un élément important de celui-ci, la ritualité.

            Plus encore, toujours revenir à l’institution contemporaine, l’accélération de nos rythmes d’existence[11], liée à cette logique institutionnelle, arrive dorénavant souvent (pas toujours heureusement) à imposer une accélération de notre relation au langage, un court-circuitage de la parole ; à empêcher toute durée permettant le parole et lien de parole – et le sujet se constitue dans le lien de parole.

            Lorsque je parle d’institutions, je parle aussi des institutions numériques et du discours numérique, algorithmique, traitant les signes comme des datas, et non comme des mots, des symboles – en même temps que dans le monde numérique, aussi, des choses sont ouvrantes et fécondes[12].

            Dans le texte auquel je me permets de renvoyer le lecteur, j’ai aussi esquissé, au côté de la dimension institutionnelle, ce qu’il en est pour moi de la dimension culturelle. En ce sens, il me semble que l’évolution culturelle contemporaine, particulièrement chez une bonne partie des jeunes générations, liée aux questions de genre, ou au féminisme, va dans le bon sens sur bien des points. Et cela concerne en premier lieu la débinarisation des subjectivités et de la culture, la diversité sexuelle et de genre, et la singularisation des cheminements subjectifs[13]. Ce malgré les éléments de fermeture manichéenne qui jalonnent parfois certains discours militants  favorisant cette évolution culturelle féconde.

            Cette évolution culturelle contemporaine est ouvrante, en premier lieu parce qu’elle procède, comme le dit mon ami Benjamin Lévy, de revendications désirantes[14], particulièrement concernant les femmes (avec Metoo), les personnes LGBT – ou aussi concernant la question écologique. Cette évolution culturelle féconde est aussi liée chez nombre de sujets à un souhait de parole et de lien de parole, allant globalement dans le sens de la subjectivation.

            Bref, l’évolution culturelle contemporaine, chez une bonne partie des jeunes générations, approfondit à mon sens le fait que, comme le dit Israël, « le mérite de notre civilisation est d’être une civilisation individuelle et subjective »[15].

            Et puis, cette évolution culturelle est aussi ouvrante, car elle facilite, si le sujet va en ce sens, l’élaboration de la bisexualité psychique – que la binarité, l’androcentrisme et l’hétéronormativité rejettent. Plus encore, la remise en cause contemporaine de la binarité, de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité est permise par le féminisme, les études de genre et la pensée queer. Cela ouvre, concernant le sujet – qu’il soit LGBT ou hétérosexuel, personne non-binaire ou femme ou homme – de se dégager de la manière dont la binarité, l’androcentrisme et l’hétéronormativité poussent les sujets dans une désubjectivation. C’est là une question cruciale, sur laquelle il me faudra revenir de manière approfondie dans un autre texte. Mais je tiens ici à préciser que ce sont bien sûr les femmes et les personnes LGBT qui souffrent en priorité des conséquences sociales et subjectivement désubjectivantes de la binarité, de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité. Et il s’avère aussi que les sujets hétérosexuels en général, mais aussi les hommes, subissent, une forte désubjectivation, du fait de ces derniers. Et, pour parler des hommes, cette désubjectivation, malheureusement, régulièrement ils la font leur, pour perpétuer les normativités binaires, androcentrées et hétérocentrées, avec leurs conséquences désubjectivantes pour les femmes et les personnes LGBT. Ce qui pose la question du discours de la « virilité », de ce que Lacan a caractérisé de manière critique comme logique phallique. J’aimerais d’ailleurs insister sur le fait qu’Israël a largement critiqué le discours de la virilité – dans son grand livre Boiter n’est pas pécher. A ceci s’ajoute le fait que, chez les femmes aussi, il peut exister une tendance à la servitude volontaire, comme le montre Manon Garcia, dans le sens de la soumission au discours de la virilité. En somme, cela pose la question de la manière dont la psychanalyse peut soutenir une débinarisation subjective, une sortie de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité au niveau du sujet, et donc aussi pour les sujets hétérosexuels et pour les hommes – ouvrant ainsi à une hétérosexualité et à une masculinité ouvertes et subjectivées(16).

            Lorsque je parle de binarité, je tiens à insister sur le fait que je parle d’une binarité à la fois : culturelle, liée à discours collectif qui crée un monde où concernant le genre, il n’y a que deux genres et ils sont opposés ; et psychique, en ce que le sujet est amené à rejeter sa bisexualité psychique.

            Sachant que cette binarisation du genre, est une construction historique existant dans certaines sociétés seulement. Beaucoup de sociétés ont plus de deux genres. Et puis, concernant l’Occident, cette histoire de la binarisation culturelle a été faite de manière rigoureuse[16].

            Plus encore, l’ouverture culturelle permise par la remise en cause de la binarité ouvre pour le sujet, par exemple dans le travail psychanalytique, à une élaboration de la bisexualité psychique et à la subjectivation de sa sexuation (17). Mais elle ouvre aussi à une élaboration du fait, central pour la psychanalyse, que l’objet du désir est contingent, en ce sens qu’il n’y a pas de nécessité normative existante faisant que l’objet doit être hétérosexuel. C’est là la grande découverte de Freud, qu’il déploie dans ses Trois essais sur la théorie sexuelle de 1905. Dans ce texte, il explicite en effet en quoi l’objet du désir est contingent en ce que c’est bien l’histoire contingente du désir du sujet qui détermine son orientation sexuelle – hétérosexuelle, gay, lesbienne… C’est cela qui fait qu’il n’y a pas de norme sexuelle, comme le dit Lacan.

Ce que j’ai dit là est sans doute dû au progressisme qui est le mien. Nos discours sont toujours politiquement situés. Comme dit mon ami Benjamin Lévy, nos passions sont politiques. Et ce que j’essaie pour ma part de faire, ce n’est pas de neutraliser cette dimension politique de ma pratique et de ma pensée. Car une telle neutralisation du politique est illusoire. Mais bien plutôt j’essaie, cette dimension politique, de la dialectiser, de la subjectiver, de lui donner une forme ouverte, psychanalytique. Cela fait que j’essaie d’élaborer, de manière psychanalytique et subjectivée, les apports des philosophies récentes et contemporaines (en premier lieu Foucault et Derrida, [17]) qui me parlent le plus. Mais cela fait que j’essaie aussi d’élaborer les apports des pensées féministes et des études de genre, ou des pensées queer, les plus fécondes. Ce pour essayer d’appréhender en quoi le sujet est mis discursivement sous tutelle, est pris dans des dispositifs de pouvoir, qui le situent – comme hétéro, ou comme LGBT, ou comme femme ou comme homme ou comme autre – d’une certaine manière dans le discours collectif. Ce afin d’aider le sujet à se positionner de manière subjectivante, singularisée par rapport au discours collectif et à ces dispositifs de pouvoir. Ce afin de l’aider à sortir des tutelle discursives dans lesquelles sa parole est prise, en un geste d’« autonomie » (terme, je tiens à le relever, utilisé par Israël, en un sens bien particulier, psychanalytique – et important pour lui, nous le verrons), d’émancipation, à la fois psychique et discursif.

            Ce que je dis là implique pour le sujet de se dégager d’une réduction – par le discours collectif, mais aussi par lui-même – de sa subjectivité à des catégories relevant de l’orientation sexuelle et du genre. Bref, la psychanalyse aide le sujet à assumer son orientation sexuelle et son genre, mais aussi à fluidifier, à subjectiver, son orientation sexuelle et son genre[18].

            Cette prise en compte des apports des théories critiques ou déconstructrices nous permet encore d’élaborer comment, dans l’histoire, la psychanalyse, comme les pensées de Freud et de Lacan, sont, pour une partie d’entre elles (pas toute heureusement), prises dans la binarité, l’androcentrisme et l’hétéronormativité. Ce aussi pour montrer en quoi la psychanalyse, et les pensées de Freud de Lacan en premier lieu, sont, par-delà cela, fondamentalement subjectivantes, car créatrices, au niveau le plus fondamental, d’une dynamique de parole. Bref, il existe une conflictualité dans l’histoire de la psychanalyse, les pensées de Freud et de Lacan, entre normativité et créativité, que nous devons éclairer[19].

            Mais pour en revenir à mon progressisme, mon souci de la parole singulière du sujet fait aussi que je ne peux suivre les psychanalystes progressistes qui, certes, ouvrent la psychanalyse à des questions contemporaines fondamentales, mais mettent en continuité la psychanalyse avec l’engagement politique, en premier lieu avec la pensée de Foucault, ou les pensées féministes, les études de genre, la pensée queer. Ce en laissant il me semble de côté la question du réel du sexe – ou de l’inconscient comme inéluctablement insu.

            Sur ce point, je me permets de renvoyer aux réflexions de mon ami J. Reitter[20] et au livre Qu’est-ce que le sexe ? d’A. Zupancic – philosophe élaborant Lacan de manière rigoureuse, et pas assez connue en France[21]. Je tiens d’ailleurs à préciser que je ne suivrais pas forcément A. Zupancic sur tout ce qu’elle dit, particulièrement la manière dont elle laisse de côté la question cruciale de l’émergence du symbolique, du signifiant, dont je vous parlerai ici. Mais son apport est très important dans nos débats, ne serait-ce que pour montrer que la philosophie peut élaborer rigoureusement la psychanalyse et Lacan. Il n’y a pas de primat qui vaille entre philosophie et psychanalyse freudo-lacanienne, ces deux champs peuvent être articulés de manière rigoureuse. Comme l’a fait Israël qui élabore Levinas, Foucault, Adorno, Barthes – mais aussi, c’est mon hypothèse, j’en parlerai plus loin, Rosenzweig. En ce sens, Israël se démarque ainsi de l’ambivalence de Lacan vis-à-vis de la philosophie. Même si bien sûr il élabore largement l’enseignement de ce dernier.

            Par rapport à la question politique, donc, la psychanalyse va à mon sens avec le progressisme. Car pour que la subjectivation du sujet ait lieu, certaines conditions politiques, politiques et culturelles, favorables à l’émancipation du sujet, et favorables à la reconnaissance sociale et politiques des sujets n’ayant pas les caractéristiques demandées par la norme dominante (par exemple les personnes LGBT), sont aussi nécessaires. Mais la psychanalyse se situe sur un autre plan que l’engagement politique, sur un plan plus lié à la parole subjective, plus lié au un à un du lien de parole, que le plan de la reconnaissance sociale et politique. Dès lors, elle essaie de faire entendre, dans le social et dans le politique, les questions de la parole subjective et du lien de parole, mais aussi celles du sexe, du réel et de l’inconscient. En insistant sur la nécessité de la dénormativation de la parole. Afin d’ouvrir le social et la politique en ce sens. Ce qui va dans le sens de l’émancipation psychique et discursive, mais aussi politique, du sujet.

            Cela dit, j’aimerais maintenant en revenir à l’institutionnel. Et, pour situer les choses dans l’histoire longue de l’Occident (l’œuvre de Foucault nous y aide), je dirais que la logophobie, liée à la directivité discursive – avec ce qu’il déploie de discours normatif, de discours désubjectivé –, est plus ou moins dominante suivant les époques, cela fluctue. Et à notre époque, la logophobie institutionnelle connait une importante poussée – en même temps donc qu’elle a toujours existé dans l’histoire.

            Plus encore, c’est en bonne partie la logique institutionnelle, liée aux relations de pouvoir dans les institutions, qui déploie cette logophobie, rejette collectivement la paro­le et le lien de parole. Ce que je veux dire ici, c’est que, s’il existe en ce moment une fragilisation collective de la parole et du symbolique, du signifiant, ce n’est pas dû, comme l’avance certains dans une optique conservatrice voire réactionnaire, à l’évolution culturelle contemporaine chez les jeunes générations, mais bien au durcissement des institutions.

            Plus encore, j’aimerais ajouter à cela que la fragilisation collective de la parole, et du symbolique, du signifiant, est aussi due au poids encore fort important, dans le discours collectif, de la binarité, de l’androcentrisme, et de l’hétéronormativité. D’ailleurs, je l’ai dit, la logique institutionnelle logophobe va avec ces derniers.

            Mais pour en rester à l’institutionnel, si nous envisageons l’évolution récente, il s’avère que cette logique institutionnelle logophobe s’est bien étendue (et comme à d’autres moments historiques) depuis l’époque de Lacan ou de Foucault. De nos jours, elle s’en prend aux niches qui existaient à leur époque, et encore récemment. Parmi ces niches, il y avait la psychiatrie où la psychanalyse avait solidement sa place – en même temps que certaines normes binaires[22], s’y déployaient souvent de manière problématique. Parmi ces niches, il y avait aussi le champ du savoir universitaire, avec particulièrement les humanités et les sciences humaines – ces champs connexes à la psychanalyse – qui ont aussi leurs limites, en même temps que leurs apports.

            De nos jours, donc, le scientisme – et même le technoscientisme, y compris algorithmique – a bien pris la main dans le champ psy et dans le champ du savoir. Ce qui va avec l’évolution institutionnelle et la logophobe dont je parlais.

            Plus encore, le phénomène contemporain de logophobie, de défaut et de rejet de lien de parole dans les institutions, je crois que c’est quelque chose que beaucoup de nos contemporains appréhendent. En effet, culturellement, il faut à mon sens noter qu’une bonne partie de nos contemporains refusent la logophobie, refusent le défaut de lien de parole. J’en veux pour preuve les éléments suivants. Avant tout, les demandes aux « psys », et particulièrement aux psychanalystes, affluent. Le fort regain de l’intérêt pour la psychanalyse, dans le champ culturel (par exemple en France dans des émissions sur Arte – comme « En thérapie » ou à France Inter, etc.), témoigne aussi de cela. L’intérêt des étudiants, que je peux constater, pour la psychanalyse, va aussi en ce sens. D’ailleurs, cet intérêt s’éveille lorsque la psychanalyse, justement, pose la question du pouvoir et du discours institutionnel normatif comme mise sous tutelle – mais aussi celle du défaut du lien de parole et de possibilité de la parole qui va avec.  Bref, je crois constater que la psychanalyse peut parler à une solide partie de la jeune génération – qui appréhende très bien, parce qu’elle subit massivement, qu’elle a à faire à un discours dominant de mise sous tutelle très puissant, économiquement, politiquement, technoscientifiquement, pédagogiquement, culturellement. Avec la logique de pouvoir et la conception du sujet et du savoir, relevant de la maîtrise, de l’indemnisation et de la binarité[23], qui renvoie à cela. Avec aussi les dimensions rejetant la parole, désubjectivante, rejetant le vide[24] et le réel, mais aussi massivement manichéenne, surmoïque et ségrégationniste[25], de cela. Sachant aussi qu’ici un auteur comme Israël, avec sa réflexion sur la paranoïa collective (et sa logique de pouvoir) et sur l’obsessionnalité collective (et sa normalité et sa soumission au pouvoir), nous éclaire sur la manière, dont c’est bien la possibilité du vide, de la naissance du sujet ou du nouveau, qui est alors attaquée[26]

            Sur cette question du pouvoir, j’aimerais citer Lacan dans le séminaire Ou pire : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir. »[27] J’aimerais aussi citer Kant : « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. » [28] J’aimerais encore citer Israël (il cite d’ailleurs abondamment Adorno et Foucault, qui ont largement médité Kant sur cette question des Lumières, de la mise sous tutelle et de la sortie de la tutelle ou autonomie) : « dans notre civilisation, tout conspire au maintien d’un dépendance par rapport au pouvoir. »[29]

            En ce sens, la psychanalyse amène à la sortie de la tutelle psychique et discursive, à l’autonomisation, l’émancipation psychiques et discursives – ce en quoi elle rejoint certains éléments des Lumières et le progressisme, et en donne même une forme subjectivée.

            Ainsi, telle que je l’envisage, si la psychanalyse porte un regard tragique sur le contemporain, elle relève en pratique d’un optimisme tragique, malgré tout. Elle fait le pari de la parole dynamique, de la subjectivité et du désir, malgré tout ; elle pose que le sujet peut trouver les ressources pour se subjectiver, malgré tout. Même si parfois cela ne s’avère malheureusement pas possible.

**

      Du point de vue de la subjectivité contemporaine, pour ma part, je vois dans les nouvelles formes de discours et de mécanismes psychiques, une possibilité de mise en place d’une nouvelle forme du processus psychanalytique. À mon sens, cela implique, du côté du psychanalyste, une forme renouvelée de l’écoute psychanalytique, positionnée dans le sens de la création du lien de parole désirant et de la création du lien psychanalytique. Alors, comme l’expérience psychanalytique permet de le constater et de l’éclairer, la psychanalyse a une grande efficacité subjectivante.

            Dans ce contexte, du point de de vue du travail psychanalytique, je veux insister sur le fait que, face à la logophobie, la binarité culturelle et le défaut de lien de parole[30], lorsque le psychanalyste pose un lien de parole et qu’il donne la parole au psychanalysant, il arrive régulièrement (pas toujours bien sûr) que la parole surgisse, spontanément. Bref, pour peu donc que le psychanalyste se positionne en ce sens, il est possible de mettre en place un solide processus psychanalytique. La question est alors de savoir comment nous pouvons penser plus en détails ce lien de parole désirant, et comment l’on peut envisager la création du lien de parole désirant, et donc du lien psychanalytique. Je traiterai de cette question un peu plus loin.

            Pour continuer cette réflexion, j’en viens à la difficulté à parler que nous constatons souvent chez les patients. Cette difficulté contemporaine à parler que nous constatons chez le sujet a selon moi différentes raisons. Premièrement, elle est une manifestation spécifique du fait que le sujet (le psychanalyste en premier lieu) a toujours à faire au réel comme irreprésentable, comme inappréhendable, comme défaillance inéluctable du symbolique. Ce que la psychanalyse invite à accepter, élaborer et non à rejeter. Comme le montre Lacan, il existe un point fondamental dans la vie psychique et la parole du sujet où la parole, le symbolique, est structurellement en défaut : le réel. C’est comme ça.

            Deuxièmement, cette difficulté contemporaine à parler est une manifestation, aussi, du surmoi en ce qu’il enjoint au sujet de ne pas parler[31]. Du surmoi aussi en ce qu’il a voir avec la binarité culturelle.

            Troisièmement, pour en revenir à ce que je disais sur la logophobie et le défaut collectif du lien de parole, cette difficulté contemporaine à parler est aussi liée au fait qu’une grande partie des institutions contemporaines, par leur rejet systématique de la parole et du lien de parole, par leur mise en place d’une tutelle discursive généralisée (allant d’ailleurs dans le sens de la binarité culturelle), poussent très souvent les sujets dans le désarroi complet par rapport au réel et dans une logique surmoïque et donc dans la difficulté à parler.

            Ainsi adviennent ce que l’on appelle de manière courante les « burn-out » ; plus psychanalytiquement, je dirais : les expériences de désubjectivation dans le cadre du lien professionnel…. Bref, il faut à mon sens redire qu’il est, du fait de la logophobie actuelle dans les institutions, très souvent difficile pour le sujet de déployer une parole. Même s’il le souhaite. Dans ce cas, même s’il peut tâcher de faire face à cette situation, le sujet ne peut que connaître une expérience désubjectivante.

            Sans doute joue aussi, dans la difficulté à parler des sujets contemporains, le fait que, dans le bain discursif général que l’on trouve dans la société, la binarité culturelle, lui aussi, va dans le sens du rejet de la parole et du lien de la parole. Foucault a en ce sens noté que l’amitié – avec le lien de parole qui va de pair – est rendue ainsi difficile.

            En même temps, les choses sont heureusement plus complexes et conflictuelles : car le rejet institutionnel et collectif de la parole et du lien de parole, ainsi que la rigidité de la logique de mise sous tutelle discursive, mais aussi celle de la binarité culturelle, ou encore les conséquences subjectives, collectives, politiques et écologiques de la logique de maîtrise qui va avec, ont de nos jours atteint un tel point que, contradictoirement, cela pousse nombre de sujets à appréhender, certes souvent de manière un peu vague, leur besoin de parole et de lien de parole, et leur besoin de subjectivation. Cela les amène, ces sujets, à s’écarter quelque peu du surmoi qui leur enjoint de se taire, et cela les pousse à se confronter au réel. Cela les pousse aussi le plus souvent à remettre en question la binarité qui va avec la mise sous tutelle. Et ceci est ouvrant ! Même si cela peut aussi tragiquement les pousser vers la désubjectivation, s’ils n’ont ni les liens ni les ressources psychiques et discursives pour se confronter au réel qui surgit alors brusquement.

            Au niveau des subjectivités contemporaines, donc, d’un côté, nous pouvons ainsi constater que l’extension contemporaine de la logophobie, de la logique de mise sous tutelle discursive, de la binarité culturelle et du défaut du lien de parole, a souvent pour effet d’enfoncer surmoïquement les sujets dans la difficulté de parler ; mais aussi dans une stupeur désubjectivante face au réel qui fait ainsi retour de manière massive et sans élaboration. Il reste que, d’un autre côté, cela a pour contrepoint paradoxal l’immense et féconde expression actuelle d’un souhait de subjectivation, de lien de parole et de parole subjective, avec le refus de tutelle qui va de pair par exemple dans le Big Quit et le Quiet Quitting ; ou encore avec la remise en question de la binarité culturelle, de l’androcentrisme et de l’hétéronormativité.

            Face à cette nouvelle situation, la psychanalyse doit se renouveler, produire le  déploiement d’une nouvelle forme de processus psychanalytique. En sens, elle peut à mon sens se  centrer sur le lien de parole et la parole subjective du sujet, sur la subjectivation – et la débinarisation – de ses mécanismes psychiques. Le déploiement et l’écoute des mots et de la parole du patient, de ses signifiants, et de la dynamique de sa parole, dans son énonciation, dans son dire, avec la dimension d’ambiguïté et de latence – effective, ou bien à faire naître – étant ici centraux. Tout comme le déploiement et l’écoute du fantasme au sens psychanalytique de ce terme.

            Face au réel, dans le travail psychanalytique, il s’agit d’aider le sujet à déployer une acceptation de son existence, puis une élaboration malgré tout de l’impossible du réel. Ce en introduisant la question de l’existence de ce dernier avec tact. Mais aussi en déployant une certaine création et richesse de parole, symbolique, ainsi qu’un narcissisme, un imaginaire le plus ouvert possible ; l’imaginaire tamponnant le réel, procurant au sujet une protection – nécessaire dans une certaine mesure – face au réel.

            Bref, il s’agit d’aider le sujet à mettre en place un interminable travail d’acceptation de l’existence du réel, à sortir de l’évitement massif de celui-ci. Même si sur le fond, une partie du sujet (et cela concerne l’analyste) l’évitera toujours. C’est là une variable clé dans le travail psychanalytique.

            Et cette acceptation de l’existence du réel permet au sujet d’éviter son retour massif, dans la compulsion de répétition, avec son lot de décharge pulsionnelle directe et de souffrance désubjectivante. Elle ouvre ainsi à une dynamique d’élaboration et de subjectivation.

            Bref, c’est l’interminable geste d’acceptation de l’existence du réel (Nietzsche parlait pour sa part d’ « éternel retour du même »), qui peut permettre des avancées, qui ne réduisent en aucun cas sa dimension d’impossible à se représenter.       

            Ainsi, par le travail psychanalytique, il est possible pour le sujet de produire une avancée sur ce point du réel, de déployer une solide acceptation de l’existence du réel. Qui fait que l’inéluctable part de sa parole, fantasmatique, qui est dans le contrôle, et tamponne et rejette le réel, est limitée. Ce travail psychanalytique fait aussi que, si le réel existe toujours, il ne fait plus retour de manière désubjectivante. Son retour est alors limité, il creuse la subjectivité du sujet, troue celle-ci de son trou, mais ne le désubjective pas. Bref, le travail interminable d’acceptation de l’existence du réel est permis le positionnement du psychanalyste, mais aussi par le travail psychanalytique en tant que tel.

            Avec, point fondamental, au centre de la dynamique de parole du sujet, de son énonciation, de son dire, un vide. Un vide que le travail psychanalytique essaie d’introduire, de creuser, dans un évidement créatif de la parole. Je parlerai plus loin de ce vide.

            A un autre niveau psychique et discursif, celui de la norme, la psychanalyse oriente le sujet vers la dénormativation de sa parole. Dans et par la psychanalyse, le discours du sujet en vient à ne plus être massivement encastré dans un discours collectif, dans la norme institutionnelle ou binaire – inhérent à celui-ci. Alors que la norme, au niveau subjectif, entrave cette dynamique et cette richesse de parole, symboliques, et cette singularisation, mais aussi entrave l’acceptation de l’existence du réel.

            Il reste qu’il existe différentes qualités de norme. D’un côté, il existe des normes plus massivement surmoïques et désubjectivantes – ainsi des normes institutionnelles contemporaines, ou de la binarité culturelle. De l’autre, il existe des normes entravantes certes, car freinant la dynamique de parole, la singularisation, l’acceptation de l’existence du réel, mais portant en leur sein une possibilité de subjectivation. Ce car le geste collectif que cette norme organise relève en premier lieu d’un souhait de parole et de lien de parole. Ainsi par exemple de la norme qui se déploie dans les militantismes de type fermé – car il existe bien sûr des militantismes plus ouverts, subjectivés.

            En effet, tout discours est inscrit dans un discours collectif, avec sa norme. Mais la psychanalyse vise à la singularisation de la parole du sujet par rapport au discours collectif[32], et donc à la dénormativation de cette parole. Cela ouvre au fait que la relation de la parole du sujet à la norme soit subjectivement négociée, indocile, pour permettre la subjectivation. Ce qui s’oppose à un encastrement massif dans le discours collectif.

            Ainsi que le dit Lacan, comme le sexe relève du réel, il n’y a pas de norme sexuelle, et les normes collectives essaient d’occulter l’existence de ce réel. D’ailleurs, sur cette question de l’absence de norme sexuelle, et de ses implications pour la réflexion sur le genre, j’aimerais pointer le fait que Maggie Nelson, en penseuse queer largement nourrie de psychanalyse, dans son livre trop peu connu en France, « De la liberté », a ouvert à des élaborations fort fécondes (33). Elle insiste en effet sur la nécessité pour le sujet de s’interroger sur la manière dont il est lui pris dans la norme collective (serait-elle hétérocentrée ou LGBT-centrée) de son environnement. Ce en amont du fait de réfléchir sur les normes dans lequelles sont prises les personnes ayant une autre sexualité ou un autre genre que lui.

Dans ce cadre, je dirais moi que c’est sur la création du lien de parole désirant, sur la création de la parole, que le psychanalyste peut s’appuyer pour aider le sujet à subjectiver et à dénormativer sa parole.  Car dans le processus psychanalytique, la dynamique (symbolique) de la parole est en soi créatrice[33], elle n’implique en soi aucune norme sociale ni sexuelle – aucun « ordre » symbolique a priori. Elle est bien plutôt une ressource, une potentialité, existant dans la parole de chacun ; et la mise en place, dans le travail psychanalytique, d’un lien de parole désirant, peut permettre la naissance et le déploiement de la dynamique de parole créatrice, ouvrant à une subjectivation dénormativante – certains diront queer, terme qui en anglais, j’aimerais le rappeler, veut dire bizarre, « hors-norme ». C’est en ce sens que la pensée queer, en premier lieu Judith Butler, travaille a interroger les normes, y compris LGBT, et que la psychanalyse a pu s’en inspirer (34).

            Sachant que la norme, sous sa forme la plus massivement rigide, en premier lieu la norme binaire, androcentrée et hétéronormative, cela implique du tiers-exclu et de ségrégation. De ce point de vue, la psychanalyse, en ce qu’elle est dénormativante, s’oppose à tout discours manichéen qui crée du tiers-exclu, et de la ségrégation. Elle écoute la manière dont les sujets sont pris dans les dispositifs de pouvoir et de ségrégation de la norme. Et particulièrement concernant les sujets qui sont en-dessous dans les logiques de pouvoir, dont les femmes, ou les minorités sexuelles ou de genre (les personnes LGBT), mais aussi les minorités sociales ou culturelles[34]. Bref, la psychanalyse féconde va dans le sens d’une ouverture subjectivante, singularisante, dénormativante, à la diversité sexuelle et de genre, mais aussi sociale et culturelle.

            Et ici, concernant les subjectivités contemporaines, il me semble utile de repérer le statut complexe de la difficulté contemporaine de parole que l’on trouve dans les nouvelles formes de discours et de mécanismes psychiques. Cette difficulté, je l’ai dit, est reliée aux questions de la confrontation au réel, du poids du surmoi, au poids de la logophobie institutionnelle et collective, mais aussi au poids de la binarité culturelle. Plus encore, il me semble aussi utile d’essayer de voir comment le psychanalyste peut permettre d’élaborer cette difficulté, par la mise en place d’un lien de parole et par la création du lien psychanalytique.

            Ainsi, concernant notre situation contemporaine, je verrais les choses ainsi. Chaque sujet, et en premier lieu le sujet psychanalyste, a éthiquement sa part de responsabilité dans la manière dont il se positionne par rapport au lien de parole, par rapport à la parole des autres et à la sienne, par rapport à la subjectivité des autres et à la sienne. J’ai, me dit l’éthique subjectivante de la psychanalyse, pour responsabilité de ne fuir ni la singularité de la parole, ni le lien singulier de parole ; pour responsabilité de ne pas faire partie, comme dit Freud, de la « majorité compacte »[35] ; de ne pas être conformiste ; et de m’interroger sur la part qui est la mienne dans le trouble dont je me plains : en d’autres termes, sur la manière dont je parle  (subjectivement, mais aussi en ce que ma parole déploie le discours collectif dans lequel je suis pris) produit en bonne partie le trouble qui est le mien.

            Mais, pour déployer cette éthique, encore faut-il que le sujet ait connu un lien de parole solide. Cela n’est dans les faits pas souvent le cas. Que ce soit dans les institutions (et leurs relations de pouvoir), ou dans les familles. Surtout que, il faut bien le noter, avec le bouleversement culturel qui a lieu en ce moment, les parents ont souvent du mal à se référer à des discours collectifs tiercéisants, soutenant la différence des générations et le rôle du tiers. En même temps que, dans le bain discursif contemporain, des éléments de discours collectifs tiercéisants existent pourtant bien[36].

            Ainsi, la manière dont nous nous référons à l’éthique de la psychanalyse ne doit pas être dogmatique. Lorsqu’un sujet n’a pas connu dans son histoire de lien de parole, eh bien il fait ce qu’il peut, et c’est bien à la potentialité de l’éthique que nous gagnons à être attentif – plutôt que de tenir un discours moraliste toujours fermant. Au regard de cela, voilà ce que je crois pour ma part constater du point de vue de l’expérience psychanalytique[37].

            Premièrement, je tiens d’abord à préciser qu’il existe des sujets qui ont connu dans leur histoire un lien de parole subjectivant, sur lequel ils ont pu s’appuyer pour déployer une subjectivité, une parole subjective, une subjectivité – et donc les symptômes et la névrose qui vont avec. Ce sont là des sujets subjectivés, névrotiques.

            Deuxièmement, une partie non négligeable des sujets n’ayant pas connu de lien de parole déploient un fonctionnement psychique et discursif massivement désubjectivé. Souvent, cette désubjectivation est socialement adaptée aux discours collectifs désubjectivants existants dans notre société (qui est parcouru de différents discours collectifs, plus désubjectivant ou plus subjectivants), et nous avons ici des fonctionnements qui sont même massivement désubjectivants – pour soi comme pour les autres. L’on trouve alors ici un positionnement surmoïque et massivement normatif, et massivement, structurellement, opposé à la parole, au lien de parole, à la subjectivation. Une parole massivement manichéenne, ségrégatrice, produisant du tiers-exclu. Avec ce que cela implique de décharge pulsionnelle massive contre celui-ci. En somme, c’est là une forme de psychose socialement adaptée, relevant de la « majorité compacte ». Ici, la psychanalyse peut peu de choses.

            Troisièmement, il existe des sujets n’ayant pas connu de lien de parole et massivement désubjectivés, sans parole subjective, qui n’ont pas encore eu l’occasion de naître à la subjectivité, mais qui ont le mérite de faire une psychose personnelle. Cette psychose personnelle, par rapport à la psychose collective, elle se voit : elle comprend des éléments de délire singularisé, non adapté socialement, non conformiste. Cette psychose personnelle donc porte en elle une éthique de la singularité – malgré tout. Il y a là sans doute une part de réaction personnelle à la désubjectivation dominante dans leur environnement. Cette psychose personnelle peut d’ailleurs prendre une forme créative, en ce que le sujet rend sa psychose créative. Ainsi par exemple des écrivains Joyce[38] et Artaud[39]. Ici, la psychanalyse peut aider le sujet à déployer des mécanismes de défenses psychotiques moins rigides, et à faire naître des bouts de subjectivités.  

            Quatrièmement, je dirais aussi qu’une bonne partie des sujets n’ayant pas connu de lien de parole bricolent comme ils peuvent avec ce défaut de lien de parole. Ici, le sujet a beaucoup de mal avec la parole ; il est, je dirais, (simplement) désubjectivé, sans pour autant être massivement désubjectivé, socialement psychotique. Par rapport au sujet massivement désubjectivé qui a refermé la possibilité de la subjectivation par un positionnement structurellement désubjectivant, ce sujet simplement désubjectivé a réussi à garder ouverte la possibilité de la subjectivation, s’il s’avère qu’un élément de son environnement lui offre un lien de parole. Et ce peut être le psychanalyste.

            La parole du sujet (simplement) désubjectivé reste très profondément encastrée dans le discours collectif, mais c’est par défaut d’avoir connu un lien de parole subjectivant, pas par conformisme structurel. Et, régulièrement, le bricolage mis en place relève d’une tentative de faire de son mieux, dans un contexte massivement défavorable. Concernant ce type de structure psychique, l’on a pu dans le passé parler en psychanalyse d’« état-limite », de sujet borderline. Pour ma part, je parlerais plutôt de sujet simplement désubjectivé. Bref, ce ne sont là ni des sujets massivement désubjectivés, socialement psychotiques, ni subjectivés ou névrosés.

            Plus encore, il me semble – j’ai pu le constater dans le travail psychanalytique – que ces sujets désubjectivés, lorsque le psychanalyste appelle à un lien de parole qu’ils n’ont jamais véritablement solidement connu, peuvent bien répondent à cet appel, et se subjectiver. Parfois cela ne peut avoir lieu, malheureusement

Dans ce texte, j’insiste sur la fonction du désir du psychanalyste – et de son désir de désir – dans le lien de parole qu’il propose pour la naissance du sujet à sa subjectivité, à son désir. Au niveau de l’expérience psychanalytique, joue aussi ici, comme l’a montré Winnicott, la naissance du « sentiment d’existence » du sujet comme sujet singulier et unique, comme entité corporéo-psychico-discursive, à la fois singulière et divisée. Je ne développerai pas cette question ici, mais en ai parlé ailleurs [40].

**

            Je disais que la dynamique de parole, cette dynamique symbolique du dire, avec son pendant le désir, est en soi créatrice. Et que cette dynamique de parole n’implique en soi aucune norme sociale ni sexuelle. Elle est une ressource existant potentiellement dans la parole de chacun, pour peu qu’un lien de parole désirant permette sa naissance et son déploiement. Et ici j’aimerais insister sur le fait que c’est une question de création, et de création depuis un vide, que le désir et le symbolique peuvent être créés quand ils n’existent pas encore[41]. Et sur le fait que la création de la dynamique de la parole, du dire, passe par la création d’un lien de parole désirant.

            Et plus généralement, pour le travail psychanalytique, je parle de création du symbolique, de création du nouveau signifiant, où c’est le vide qui en amont permet le saut du signifiant nouveau, le changement de discours.

            C’est en tout cas ce que l’on peut tirer de l’élaboration de l’enseignement de Lacan par Israël – qui insistent tous deux sur le fait que dans la parole désirante, le désir s’appuie sur son propre vide, il peut créer la symbolique. C’est bien, dit Israël, l’introduction du vide, du rien, par la rencontre symbolique, par la mise en place du lien de parole désirant, qui peut créer, faire naître la subjectivité, la dynamique de parole, le désir, le symbolique. La création du lien de parole désirant permet la création de la dynamique de parole et de la subjectivité.  

            Et ce, à tout moment, si les conditions le permettent. Le commencement peut avoir lieu à tout moment. L’écoute et la parole psychanalytiques ont bien une puissance créatrice, symboliquement créatrice.

            Dans cette optique, la psychanalyse, lorsqu’elle est pratiquée de manière créatrice, s’appuie sur le déploiement du lien de parole désirant comme fondement de la richesse symbolique de la parole, de la traversée de l’imaginaire, de l’acception de l’existence du réel. Bref, comme fondement du travail culturel, au sens de Freud. Et donc de la possibilité d’un renoncement pulsionnel et d’une perte de jouissance, qui permettent la régulation de la vie pulsionnelle, régulation ouverte, non répressive, qui sort le sujet de la compulsion de répétition massive – même s’il y aura du symptôme et donc de la répétition.

            Plus encore, la psychanalyse permet cela par la suspension du jugement moïque ou surmoïque qu’implique la règle psychanalytique de l’écoute du latent ou de la possibilité du latent, qui suspend toute finalité, toute finalisation de la parole. Il en va là de ce que Lacan appelle le « laisser-être » de la parole et de l’écoute, du symbolique – mais aussi du réel [42].

            Lorsque je parle de « laisser-être », bien sûr, j’élabore sur Lacan qui a lui élaboré ici la réflexion de Heidegger sur la « Gelassenheit »[43].

            Oui, Heidegger est bien un penseur nazi, archi-réactionnaire, follement antisémite, et absolument détestable. Mais les choses, dans l’histoire de la pensée, sont complexes. La pensée de Heidegger comprend, malgré cela, des éléments intéressants, et a en ce sens été élaborée par des penseurs à la pensée ouvrante, comme par exemple justement Lacan, Levinas et Derrida[44]. Ainsi concernant le laisser-être en psychanalyse, pour ma part, j’élabore aussi ce que dit Levinas, dans Totalité et infini, du « laisser être », du laisser être l’autre, comme dimension du « discours » qui permet d’accueillir le fait que l’ « Autre en tant qu’autre est Autrui »[45]. J’y reviendrai plus loin.

            Dans le lien de parole désirant de la psychanalyse, où se déploie le laisser-être, l’accueil, en une plasticité psychique, le sujet peut se déprendre discursivement de l’attitude de contrôle et de totalisation inhérente à la part narcissique, fantasmatique, imaginaire, de son discours, et de l’évitement massif du réel qui va avec.

            Plus encore, ce laisser-être relevant de la plasticité psychique, dirais-je avec Israël, introduit une page blanche, un rien, un vide. Je cite Israël : « A chaque séance, à chaque moment de chaque séance, il faut se lancer dans le vide »[46] ; « la psychanalyse est destinée à nous confronter au rien »[47]. Ailleurs il parle de « page blanche ». Selon son enseignement, il s’agit bien d’évider la parole, d’introduire un vide. Un vide qui permet la création symbolique, qui va permettre le saut du signifiant nouveau, le changement de discours. Et puis, en parlant de vide et de rien, je tiens à insister sur le fait qu’Israël fait référence à la tradition juive et à sa conception de la création ex nihilo[48]. J’en parlerai plus loin.

            Il en va là d’un évidement de la parole de la création du vide ouvrant la création symbolique du signifiant. Cet évidement de la parole, lié à la création ex nihilo, Lacan le pense à sa manière[49], et Israël l’élabore à sa manière.

            Par cet évidement créatif de la parole, pourra être déjouée la tendance à l’évitement du réel, et à l’illusion narcissique, fantasmatique, imaginaire, de contrôle et de totalisation (que cette tendance soit massive et désubjectivée, ou dialectisée et subjectivée car relevant d’un fantasme) de la réalité. Lorsque je parle de totalisation, cela renvoie au scénario d’un Savoir (avec majuscule) de surplomb qui cherche donc à totaliser, unifier intégralement une connaissance sur le sujet, l’autre, le monde – sans réel inappréhendable, sans énigme. Cette illusion narcissique habite nécessairement chaque sujet et la psychanalyse invite à sa réduction, et à sa dialectisation.

            Sachant que dans les discours collectifs dominants (scientiste, capitaliste, managérial) de la culture occidentale contemporaine, avec la conception utilitariste et désubjectivante de la raison qui va avec, valorisent la maîtrise et la totalisation par la conscience, et met la raison et la science au service de sa logique de maîtrise et de totalisation – dans le sens du scientisme. Ici, la tendance au contrôle et à la totalisation au niveau de l’imaginaire, s’enkyste, n’est pas dialectisée, et devient logique de maîtrise. Avec sa rigidité massive, son manichéisme, son surmoïsme – opposées à la plasticité psychique, à l’accueil et au laisser-être.

            Et pour en revenir donc à la plasticité, à l’accueil et au laisser-être de la parole psychanalytique, à mon sens, c’est principalement cette dimension qui fait que la psychanalyse, discursivement, invite le sujet à se dégager de la norme institutionnelle ou collective, et s’oppose aux discours collectifs dominants dans nos sociétés, très souvent orientés, de manière scientiste, vers le Savoir de surplomb et totalisant, la maîtrise, l’indemnisation (sous différentes formes) ou la binarité[50].

            Bref, le processus psychanalytique s’appuie sur le déploiement – dans la plasticité psychique, l’accueil et le laisser-être – de la dynamique créatrice de la parole, mais aussi sur le déploiement de l’acceptation de l’existence du réel. Ce en lien au fait que le sujet (tout sujet, dont le psychanalyste en 1er lieu) est, je l’ai dit, toujours en prise au réel, à la difficulté de parole, à l’inéluctable défaillance du symbolique, mais aussi au surmoi, au malaise dans la culture. C’est cela, entre autres, à mon sens, l’une des formidables ouvertures qu’opère Lacan : nous montrer que chaque sujet (dont le psychanalyste en premier lieu) est (plus ou moins certes) dans la défaillance du symbolique, en ce qu’il est confronté au réel, mais aussi au surmoi, au malaise dans la culture ; et doit bricoler avec cela.

            Plus encore, la psychanalyse, en ce point de difficulté de parole, peut aider le sujet à se subjectiver, à déployer un discours et des mécanismes psychiques qui sont à la fois plus riches (au niveau du symbolique), plus perlaborants, traversants (au niveau de l’imaginaire), plus acceptants (au niveau du réel). Et pour cela plus plastiques, accueillant et « laissant-être » (face au surmoi – car avec le laisser-être, c’est bien du surmoi dont il est question).

            Ce car il y aura toujours du fantasme, de la résistance, à interminablement traverser, du réel à interminablement accepter, du surmoi dont interminablement se déprendre, du malaise dans la culture à interminablement dialectiser, de la défense et de l’évitement à interminablement assouplir, du symptôme à interminablement dialectiser (ou à mettre en place), du sinthome à interminablement raboter (ou à mettre en place)… J’aimerais ici rappeler que le sinthome, c’est le point d’évitement le plus massif du sujet, justement là où le symbolique défaille face au réel.

             La question advenant ici est celle de la résistance du psychanalyste. Du fait que la psychanalyse, c’est avant tout, je l’ai dit, pour le psychanalysant, parler depuis ce qui cloche, en partant de l’acceptation de l’existence du réel qui perce dans ce qui cloche. Et cela n’est possible que si, de son côté, dans un à un du travail psychanalytique, le psychanalyste travaille à dialectiser sa propre résistance (comme y insiste Lacan), en déployant justement une plasticité psychique, un laisser-être. Il s’agit, pour le psychanalyste, dans son écoute, de faire preuve de plasticité psychique, d’être attentif au fait qu’il a lui aussi ses évitements, ses angles morts, sa faille irréductible, son symptôme et son sinthome. Ce pour ne pas prendre le psychanalysant dedans. Ce qui veut dire que le psychanalyste sait par sa pratique de la psychanalyse y faire avec son symptôme et plus largement avec ses évitements. Qu’il sait se mettre en crise en tant que sujet. Qu’il a par sa pratique psychanalytique quelque peu dialectisé ses défenses, évitements, circonscrit sa faille, traversé son fantasme, même s’ils restent bien existants. Et traverser son fantasme, c’est cela : c’est, comme l’a montré Lacan, se déprendre en bonne partie de la croyance fantasmatique en un Savoir et un Autre Supposé Savoir, tous deux de surplomb, procurant l’illusion totalisante de contrôle qui indemnise du réel. Et ce dégagement est passé par le déploiement de la plasticité psychique, de l’accueil et du laisser-être qui ouvrent à la création de parole symbolique et à une solide acception de l’existence du réel.

            Mais pour en revenir au psychanalysant, dans le travail psychanalytique, la parole du psychanalysant va nécessairement chercher à se ficher sa faille subjective dans la faille du psychanalyste. Car elle va chercher à faire de la psychanalyse un giron narcissique. Et l’écoute et la parole du psychanalyste doivent avant tout, par leur plasticité, leur accueil, leur laisser-être, leur créativité – liés au respect de la règle d’association et d’écoute flottante –, faire en sorte que le psychanalysant ne trouve pas la possibilité d’enkyster sa faille subjective dans la faille du psychanalyste. Il s’agit d’éviter la refermeture sur le giron narcissique, et d’ouvrir le narcissisme au réel et symbolique.

**

            J’aimerais maintenant en revenir à ce que peut faire, en pratique, le psychanalyste face à la difficulté contemporaine de parole liée à la logophobie institutionnelle et à la binarité culturelle. Eh bien il peut déjà reconnaître cette difficulté de parole, le réel qui se révèle, et même reconnaître le souhait de parole potentiel qui s’exprime contradictoirement dans cette difficulté. Bref, le psychanalyste, face au défaut de parole ici présent, face au rejet du réel, face au surmoi qui rôde, face à la logophobie qui règne, face au défaut de lien de parole, peut aider à produire une ouverture, en aidant au déploiement du processus psychanalytique. Pour essayer de qualifier cette ouverture, je dirais pour ma part que le psychanalyste peut proposer un lien de parole désirant, une rencontre symbolique qui sera ouvrante, car fondée sur la plasticité psychique, l’accueil et le laisser-être de son écoute et de sa parole. Il en va là, je dirais, d’un appel symbolique. Et cette rencontre symbolique est aussi une rencontre de l’existence du réel, une rencontre acceptante de l’existence du réel, qui aide à son acceptation. Non pas une rencontre massive, sans possibilité d’élaboration.

            Dans ce que j’essaie d’élaborer résonne, avec le terme d’appel, ce que la tradition juive, dans sa métaphorisation propre, appelle l’événement de l’alliance du Sinaï[51]. Si Freud (dans son Moïse mais aussi ailleurs concernant le judaïsme) ne prend pas en compte ce que le judaïsme appelle l’alliance du Sinaï, Lacan lui l’a pris au sérieux. Cela lui a permis d’ouvrir plus encore la psychanalyse[52]. En athée, Lacan s’est en effet intéressé à la portée discursive, symbolique – psychanalytique et culturelle – de ce que le judaïsme appelle l’alliance du Sinaï. Ce en l’élaborant comme relevant d’un don de la parole, d’un don du Je, puisqu’il appréhende le Buisson Ardent comme l’advenue du « je suis ce que Je est »[53].

            Ainsi, si le psychanalysant accepte d’y répondre, à cet appel, en une forme de « Me voici ! », la rencontre symbolique, la naissance du désir, la rencontre du sujet avec le symbolique, mais aussi l’acceptation de l’existence du réel peuvent avoir lieu. Certes le psychanalysant peut très bien ne pas répondre à cet appel, mais la psychanalyse fait bien le pari de cette réponse.

            Plus encore, le « Me voici ! » du psychanalysant ne sera pas le fait du moi, ce sera celui du désir, du Je parlant énigmatiquement depuis le désir[54]. Ce dans le sens du « Où le Ca était, le Je doit advenir » de Freud – tel que l’interprète Lacan.

            L’appel symbolique, depuis la parole désirante du psychanalyste, relève d’un désir de désir qui gît dans la plasticité, dans l’accueil, dans le laisser-être inhérents aux positionnements du psychanalyste. Mais aussi cet appel relève d’une acceptation de l’existence du réel, car ce désir de désir (lié au symbolique) a pour pendant la transmission de l’acceptation de l’existence du réel. Cette acceptation étant liée la question de l’angoisse, à la manière dont le psychanalyste aide le sujet à accueillir et élaborer l’angoisse.

            J’espère qu’ici l’on entendra en quoi j’essaie de reformuler les questions, présentes dans la tradition juive, de la création ex nihilo, de l’alliance, de l’appel et du « Me voici », de la sortie de l’anonymat. Autant de questions traitées par Israël – ou encore Didier-Weill dans son important livre Les Trois temps de la loi dont j’ai déjà parlé, qui d’ailleurs a élaboré ensemble sur cette question les pensées de Lacan et de Levinas, entre autres.

            Bref, la tradition juive, comme l’a élaboré Lacan[55], a métaphorisé tout un ensemble de questions fondamentales pour la subjectivité, le collectif et la psychanalyse, et particulièrement la question du symbolique et de la parole créative. Je tiens tout de même à préciser que le judaïsme n’a bien sûr pas le monopole de cela. Lacan en effet a insisté sur le fait que ce qu’il appelle le « don de la parole » existe dans d’autres cultures et religions, par exemple dans l’hindouisme[56]. Sachant que ce don de la parole, c’est aussi, du point de vue du travail psychanalytique et plus généralement, un don de l’écoute, dans la plasticité, l’accueil et le laisser-être.

**

            Plus encore, car cela me semble important dans la dynamique psychanalytique, je tiens à insister sur le fait que le geste psychique et discursif d’acceptation de l’existence du réel s’oppose à la désubjectivation du sujet. Dans le processus complexe de la parole psychanalytique, il ouvre plutôt à une élaboration de l’existence du réel, par la création symbolique et la traversée du fantasme, mais aussi dans le déploiement d’une angoisse structurante. Cette acceptation de l’existence du réel est ouvrante et subjectivante.

            Bref, je tiens à insister sur le fait que cette acceptation, liée à la plasticité psychique, à l’accueil et au laisser-être, n’est pas une soumission surmoïque au réel, au réel qui fait retour de manière clivée pour le sujet qui le rejette, s’en indemnise. Une telle soumission surmoïque au réel peut avoir lieu dans les cures conduites de manière désubjectivante, et donc n’appréhendant pas ce qu’il en est, à mon sens, de l’éthique de la psychanalyse.

            Il reste qu’il s’agit maintenant de se demander ce qui dans le travail psychanalytique permet que la rencontre du réel soit ouvrante, subjectivante et non désubjectivante. Sur ce point, Lacan et Israël ont justement insisté sur le fait que le psychanalysant a besoin de pouvoir vivre un processus subjectivement dépressif, lié à sa détresse fondamentale, son « Hilflosigkeit » (pour parler comme Freud) fondamentale. Et c’est cette détresse fondamentale qui doit être accueillie, laissée-être.

            En effet, de son coté, Lacan a précisé que l’éthique de la psychanalyse implique pour le psychanalysant le fait de vivre une « position dépressive »[57]. Mais il me semble qu’il n’en a pas dit plus. Sur ce point, Israël a lui insisté sur le fait que le sujet peut justement vivre une tel processus dépressif subjectivant, si a lieu en ce point une rencontre – ce que j’appelle pour ma part la mise en place ou le déploiement (suivant le moment où en est le travail psychanalytique) d’un lien de parole désirant. Une « rencontre » qu’il qualifie de « symbolique »[58] qui va avec l’accueil de son altérité radicale en tant que telle – j’en parlerai plus loin. Une rencontre avec le symbolique, avec la parole, depuis la détresse fondamentale. Comme le dit Israël : « la ’’destitution subjective’’ pourrait correspondre à ce que Freud a appelé la Hilflosigkeit, la détresse »[59].

            D’ailleurs, puisque je compte plus loin pointer le lien de la pensée d’Israël avec celle de Levinas, j’aimerais ici insister sur le fait que cette réflexion, Israël la mène dans un passage de Boiter n’est pas pécher qui se situe dans le chapitre où il parle le plus de son élaboration de Levinas.

            Bref, il n’y a aucune désubjectivation, donc, dans cet accueil de la détresse fondamentale, dans cette destitution subjective, liée à l’acceptation de l’existence du réel et la déprise par rapport au fantasme narcissique. Il y a là bien plutôt un « dépouillement », comme y insiste Israël encore[60]. J’aimerais ici en ce point insister sur le fait que Didier-Weill – dont j’ai déjà parlé avant, et lui aussi lecteur de Levinas – va dans le même sens qu’Israël. Il insiste lui aussi sur le fait que la psychanalyse relève d’un « pacte » symbolique ou d’une « promesse signifiante », liée au laisser-être, qui fait que le sujet, dit-il, n’est pas exposé à « l’abandon originaire absolu »[61], à la désubjectivation.

            En tout cas, du point de vue de l’expérience psychanalytique, l’existence du réel implique pour le sujet, s’il l’accepte et s’y confronte psychiquement, discursivement, affectivement, la détresse fondamentale : l’« Hilflosigkeit », que Freud a repérée de manière géniale dans Inhibition, symptôme, angoisse, sans élaborer plus comment la psychanalyse peut ouvrir à la traversée subjectivante de de la détresse fondamentale. Dans l’histoire de la psychanalyse, c’est bien plutôt Mélanie Klein qui a, la première, solidement élaboré cette question cruciale au niveau de la pratique, dans sa réflexion sur ce qu’elle appelle la « position dépressive ». Rappelons que la position dépressive, selon Klein, c’est un processus subjectivement dépressif que le sujet vit affectivement, mais plus généralement psychiquement et discursivement. Justement, dirais-je en termes lacaniens, le sujet le vit, ce processus, lorsqu’il se confronte à l’existence du réel, c’est-à-dire en se dégageant du premier temps, chez le petit enfant, du positionnement relevant de la logique de contrôle, manichéen, et rejetant le réel – que Klein appelle « position schizo-paranoïde ». Il y a là un point de basculement pour le sujet, central pour le travail psychanalytique et la subjectivation.

            C’est cette question qu’Israël reprend. Tout d’abord, il insiste sur le fait qu’ « il ne s’agit pas de méconnaître des réalités comme la misère ou la souffrance humaine, (…) la dépression. Il s’agit, au contraire, (…) de traverser (…) la dépression. C’est en ce point que Freud a désigné la Hilflosigkeit, la détresse dit-on habituellement »[62]. Et puis, Israël insiste aussi sur le fait que le psychanalyste sur ce point, a pour rôle de procurer au sujet ce qu’il appelle même une « expérience » de « rencontre symbolique », ce que j’appelle moi un lien de parole désirant. Ce justement dans l’expérience de la détresse fondamentale liée à la compulsion de répétition, à la confrontation au réel. Bref, au niveau symbolique, et non imaginaire, le psychanalyste doit être là, dans ce qu’Israël appelle un « être ensemble ». Précisément, il parle en allemand de « beisammen sein » : « être ’’auprès’’ l’un de l’autre », et ce qui implique aussi une distance entre sujets dans cet être-ensemble de un à un, de désir à désir.

            Et c’est en élaborant Levinas qu’Israël pense et pratique ce point, que Lacan n’a pas élaboré véritablement, même s’il l’a pointé. J’y viendrai plus loin.

            Plus encore, pour caractériser la relation d’Israël à Lacan, c’est là un écart qu’introduit Israël par rapport à son maitre, tout en approfondissant son enseignement sur bien des points. Cela l’amène, Israël, à mon sens, à ouvrir le travail psychanalytique à des choses que Lacan n’avait pas envisagées[63].  Dans ce texte, je ne peux préciser les points fondamentaux qu’Israël approfondit de Freud et de Lacan, pour créer son style psychanalytique personnel. Il faudra que je le fasse ultérieurement.

            Concernant cette avancée pratique et théorique d’Israël, son apport singulier est fort précieux à mon sens dans la pratique psychanalytique. En effet, je dirais donc que son enseignement rend possible, avec les patients désubjectivés mais restant ouvert à la possibilité de la subjectivation, de leur procurer un lien de parole désirant qui va les faire naître à leur subjectivité, leur désir[64]. De leur faire connaître une rencontre symbolique, et avec le symbolique – et donc une inscription dans le symbolique. Et en même temps, car ici le symbolique et le réel sont intriqués, a lieu pour le sujet une première rencontre contenante avec le réel – car déployant, dans un positionnement d’accueil, de laisser-être de la détresse fondamentale, une présence symbolique face à la détresse fondamentale, qui va faire entrer le sujet à la fois dans le symbolique et dans l’acceptation du réel.

            Bref, dans la pratique psychanalytique, nous enseigne Israël, il est possible, si le psychanalyste est accueillant et présent symboliquement, que le psychanalysant mette en place le début d’une traversée, d’une perlaboration de la détresse fondamentale, dans le cadre d’un tel lien de parole, d’une telle rencontre avec le symbolique. Ce qui permet donc pour le sujet une naissance à sa subjectivité[65]. Ici alors la détresse est d’une certaine manière ensymbolisée ; la confrontation au réel est pour la première fois élaborée ; la jouissance, comme dit Lacan, en vient à consentir au désir. Dans le travail psychanalytique, le désir de désir du psychanalyste ouvre au désir du patient. Le sujet a accepté l’existence du réel, et par-là même il crée un symptôme. Quelque chose de singulier, qui cloche, mais qu’il va pouvoir reprendre et reprendre pour être créatif – et qui le dégage de l’encastrement désingularisant dans le discours collectif.

            Pour pointer un élément de la tradition juive intéressant en ce point, lorsque je parle de rencontre symbolique dans la détresse, je pense aussi à la manière dont Rachi interprète la Bible : « Je suis avec eux dans cette détresse, et je serai avec eux dans les autres détresses ». Ainsi l’alliance symbolique a lieu dans la détresse[66]. Et j’ajouterais à cela : c’est cela qui crée le vide créateur et ouvre à l’entrée dans la parole, dans le symbolique, pour le sujet pas encore subjectivé. Ou, pour le sujet déjà subjectivé, c’est celui qui ouvre à de nouveaux signifiants dans la perlaboration de sa détresse fondamentale. Avec ce que cela permet d’acceptation de l’existence du réel.

            Plus en détails, dans le travail psychanalytique, la mise en place du lien de parole, la rencontre symbolique fondatrice, pour le sujet pas encore subjectivé, cela amène le sujet à, comme le dit Israël, « entrer dans le monde signifiant » par la « constitution de ce support, de cette matrice, qu’est le ’’refoulement primaire’’ où le « signifiant va permettre d’évoquer la chose et la faire passer au statut d’objet »[67]. Bref, ici c’est bien ce que Lacan appelle le premier signifiant (le S1) qui est créé dans le travail psychanalytique[68]. Alors, dit Israël : « la chose – das ’’Ding’’ – devient ’’Sache’’, soit ce qui, en allemand, a la même étymologie que ’’sagen’’ dire. La chose dite, c’est l’objet ». [69]

            Ce qui est une élaboration de Lacan, de sa réflexion sur le fait que le sujet peut en venir à entrer dans la symbolique : « Le désir de l’analyste (…) est (…) un désir d’obtenir la différence absolue, celle qui vient quand, confronté au signifiant pri­mordial, le sujet vient pour la première fois en position de se l’assujettir »[70]. Ici, infidèlement fidèle (au sens que Derrida donne à cette expression) à Lacan, Israël élabore Lacan pour produire une avancée pratique et théorique spécifique.

            Ainsi, c’est bien par l’introduction du vide, du rien, dans la parole que le travail psychanalytique met en place au niveau de la détresse fondamentale du sujet. Alors le sujet entre dans l’interminable travail – toujours énigmatique, sauf lors de certains moments de réflexion sur le fantasme – de création symbolique, d’acceptation du réel, de traversée de l’imaginaire.

**

            Je parle ici du point de rencontre entre le symbolique, le réel et l’imaginaire, ces trois dimensions fondamentales du psychisme et du discours du sujet. En ce point, il en va de la mise en place de ce que Lacan a appelé l’objet petit a, cet objet de désir, cause du désir, au croisement de ces trois dimensions fondamentales, croisement lié, dans la parole du sujet, au vide, à la perte, et même à la séparation, la chute, l’abandon. Cet objet petit a, dans le travail psychanalytique, on le repère en effet dans la parole du sujet, en tant que lien aux questions de le chute, de l’abandon et à la perte ; et il est lié à la création du vide.

            D’ailleurs, à propos de la séparation, Israël, traite de manière très parlante de l’éthique de la psychanalyse et du fait que le psychanalyste doit justement, dans son appui pour la dynamique psychanalytique, faire preuve d’une certaine humilité et ne pas se considérer comme la fin en soi du processus psychanalytique. Bien plutôt, il doit être au service du déploiement du processus psychanalytique, et donc de la subjectivation du psychanalysant. Pour élaborer cela dans mes termes, je dirais que le psychanalyste, et en premier lieu son désir, est un simple appui pour la subjectivation, qui pourra être abandonné le moment venu. Concernant le psychanalyste il s’agit en effet, dit Israël qu’il « ne désire pas garder pour soi ses analysants »[71]: « il lui appartient aussi de délivrer l’analysant de sa néo-névrose (…) qui n’aurait dû être que provisoire, qu’est le transfert. Ca ne va pas toujours sans peine. Il se peut que cette libération soit pour l’analysant le premier deuil qu’il ait connu. »[72]. « Du coup, ajoute-t-il, il deviendra possible de le quitter sans en faire un héros » ; une perte, et une autonomisation psychique et discursive aura vraiment lieu – et donc aussi une sortie de la tutelle. D’ailleurs, Israël parle bien d’ « autonomie »[73], tout en faisant, je l’ai déjà dit, l’éloge de l’individualisme de la culture occidentale (sous sa forme féconde) : « le mérite de notre civilisation est d’être une civilisation individuelle et subjective »[74].

            Bien sûr, Israël nous enseigne qu’il s’agit avec la psychanalyse de l’advenue d’une autonomie, d’une émancipation psychiques et discursives véritables – et non pas d’une pseudo-autonomie (telle que par exemple le discours managérial contemporain la déploie). Et cette autonomie est permise par une reprise permise par une inscription dans le symbolique, et particulièrement dans le vide fondateur du symbolique.

            J’aimerais ici pointer que par rapport à Lacan, qui considère de son côté l’autonomie comme une illusion, il y a bien un écart, produit par Israël depuis l’enseignement de Lacan. Je l’ai dit, Israël est infidèlement fidèle à Lacan. Il s’autorise de son propre geste par rapport à son maitre. Sur ce point de l’autonomie, il approfondit en quoi, dans le Séminaire XVI., D’un Autre à l’autre, Lacan montre bien que le travail psychanalytique vise à une singularisation de la parole par rapport au discours collectif dans lequel sa parole est plongée – ce qu’Israël interprète dans les termes d’une autonomie psychique et discursive.

            Plus encore, pour qualifier l’autonomisation, l’émancipation psychiques et discursives du psychanalysant par rapport au psychanalyste, Israël parle de la phase « postnévrotique » dans le processus psychanalytique. Ici le sujet « se délivr(e) ou fai(t) le deuil de la partie parentale inscrite en nous, de façon à prendre conscience de toutes les identifications qui nous ont marquées, et à atteindre notre propre subjectivité. » Et Israël de préciser : « toute une série d’expériences peuvent la favoriser (cette phase postnévrotique). Le deuil et l’amour sont les plus fréquentes »[75].

            Une question se pose alors concernant Israël : y a-t-il un auteur qu’il a élaboré pour parler ainsi d’autonomie ? A mon sens, c’est Adorno, qu’il ne cite pas sur ce point, mais évoque ailleurs, particulièrement concernant ce que le philosophe allemand appelle la « personnalité autoritaire ». Et Adorno a bien développé une pensée rigoureuse de l’autonomie comme sortie de la tutelle[76]. Opposée comme il le dit à tout le discours de la pseudo-autonomie qui en fait sert la mise sous tutelle.

            Pour le dire dans mes termes, concernant le travail psychanalytique, le psychanalyste donne, avec sa parole, son accueil, son désir, son lien de parole désirant, un appui à la subjectivation du sujet, que celui-ci pourra abandonner, pour s’autonomiser, s’émanciper psychiquement et discursivement, en premier lieu par rapport à lui. Ce qui ouvre plus généralement à l’émancipation par rapport aux autres tutelles qu’il connaît, et auxquelles il se prête.

**

            Plus encore, il s’agit ici pour le psychanalyste – en une éthique, nous dit explicitement Israël, que Lacan a pratiquée, mais dont la pensée de Levinas permet de penser en profondeur – de considérer l’analysant comme radicalement autre. Il s’agit, dans son écoute, sa parole, sa plasticité psychique, son accueil et son laisser-être, bref par son positionnement, avec le sujet qu’est le psychanalysant, de le poser a priori,comme radicalement séparé de lui. De poser un lien (de parole) fondé sur la séparation. Il en va là, dit Israël explicitement avec Levinas, de « l’ouverture au radicalement autre »[77]. Ce qui ouvre, concernant le psychanalysant, au fait qu’il peut déployer sa propre parole et se subjectiver.

            Mais aussi, insiste Israël, cela ouvre au fait que le psychanalysant peut s’ouvrir à la joie de suivre son chemin à soi. Voici en effet ce qu’il dit : « chaque fois qu’une de nos interventions fait toucher du doigt » au psychanalysant « qu’il sera devenu une preuve de son autonomie, il va éprouver la même intense satisfaction et la même libération dont il va pouvoir se servir pour continuer à construire sa vie personnelle »[78]. J’aimerais d’ailleurs ajouter à cela que cette satisfaction spécifique, cette joie de la subjectivation, implique selon Israël que le psychanalyste n’est alors pas sans ressentir lui aussi de la « joie »[79]. Bref, du point de vue de la dynamique du travail psychanalytique, je dirais qu’Israël nous aide à repérer, à côté de l’angoisse et de la détresse fondamentale, l’affect de la joie, qui est un signal de la subjectivation. Et cela est très utile dans notre écoute psychanalytique. D’ailleurs, Israël insiste, sur ce point de la joie, sur le fait que le psychanalyse ne doit pas considérer le « domaine de l’affect (…) comme névrotique ». Considérer l’affect comme névrotique, cela va, dit-il, avec l’emploi d’un « vocable péjoratif », qui « stigmatise » – je dirais : de manière binaire et androcentrée – « le manque de virilité, ou la féminité dont on ne veut pas »[80].

            Cela que je dis là implique un point important : le psychanalyste, s’il n’est comme je l’ai dit qu’un simple appui à la subjectivation du sujet, n’est en aucun cas une autorité[81], sous la tutelle de laquelle le sujet devait rester. D’ailleurs le fait que le psychanalyste doive être dans la plasticité, l’accueil, le laisser-être, le plus radical, va aussi en ce sens.

            Plus encore, dans la transmission qu’opère la pratique psychanalytique, le psychanalyste transmet la technique psychanalytique et l’éthique en acte de la psychanalyse tels qu’il les élabore lui, le psychanalyste, pour que l’élève les élabore à sa manière, dans son indocilité, son infidèle fidélité. Bref, le psychanalyste n’est en aucun cas une autorité, et encore moins un Maître avec majuscule. La psychanalyse s’oppose à toute mise sous tutelle des psychanalysants.

            En ce sens, en citant la très belle formule de Levinas, je dirais que le psychanalyste est dès lors « capable d’un autre destin que le sien »[82].

            Mais, pour en revenir à la dynamique psychanalytique, Israël insiste aussi, toujours en écart par rapport à Lacan, sur le fait que, lorsque la dynamique de la parole se fait solidement subjectivante, la répétition peut se faire créatrice. Alors, dit-il, « la répétition retrouve cette dimension de création qui est signe de vie »[83]. Cela a lieu, avance Israël, si le psychanalyste, par sa pratique du lien de parole désirant, de la rencontre symbolique, part de l’altérité radicale entre soi et l’autre, et s’envisage comme un simple appui qui pourra être abandonné le moment venu. Afin d’accueillir, de laisser-être la subjectivité et la parole du psychanalysant. Afin de – c’est là mon terme[84] –  soutenir la traversée, la perlaboration de la détresse fondamentale. En somme, il s’agit, dans le travail psychanalytique, de laisser le sujet répéter la compulsion de répétition pulsionnelle du sujet, la confrontation au réel, et l’expérience de la détresse fondamentale qui va de pair. Et ce autant de fois que nécessaire, jusqu’au moment où la répétition trouve une forme créative. C’est bien cette patience que le psychanalyse gagne à avoir : il en va là, dit Israël, du « temps de l’attente » et de la « fonction rythmique ». Ici, le sujet n’a « pas besoin d’une scansion imposée de l’extérieur »[85], il s’agit pour le psychanalyste encore une fois, d’être dans l’accueil, le laisser-être, de ne pas forcer le rythme du sujet.

            Le style psychanalytique singulier d’Israël, pratiquant solidement l’accueil et le laisser-être et donc aussi la plasticité psychique, ou ce qu’il appelle le temps de l’attente, rejoint à mon sens l’insistance de Leclaire sur un point important. En effet, celui-ci insiste, dans son débat avec Lacan, sur le fait que le désir de l’Autre gagne, dans le travail psychanalytique, à prendre une forme « un peu déliée »[86]. Plus déliée qu’il ne le prend assez régulièrement, mais pas toujours, chez Lacan – Lacan ayant aussi son symptôme, comme chacun.

            En d’autres termes, le positionnement du psychanalyste gagne à prendre une forme pleinement accueillante et créative, dégagée de toute volonté directive. On le voit, chez Israël comme chez Leclaire, c’est là une lecture de Lacan – et de son éclairage sur la créativité du signifiant – qui s’émancipe de Lacan, en un point où cela est nécessaire. De ce point de vue, en ce qui concerne l’histoire de la psychanalyse, l’apport de Lacan, pour génial et mettant en crise le caractère assez massivement directif de l’enseignement de Freud[87], n’a pas été sans réintroduire une certaine directivité. Et Israël et Leclaire, comme d’autres de ses élèves[88] proposent de mettre en crise, de l’intérieur de l’apport lacanien, le reste de directivité qui habite l’enseignement de Lacan.

            Dès lors, si du côté du psychanalyste, il y a assez de la plasticité, d’accueil, de laisser-être, pour que se déploie le temps de l’attente, du côté du psychanalysant, le symptôme, l’évitement, peuvent muter, s’ouvrir. Le psychanalysant peut cheminer vers le fait d’y faire avec eux de telle manière qu’il dépasse la névrose en tant que telle – cela a tout à voir avec l’autonomie psychique et discursive à laquelle mène le travail psychanalytique selon Israël. Alors la répétition peut être solidement dialectisée, devenir créative. Ce en même temps qu’il y aura toujours du symptôme – et du sinthome. Mais ceux-ci peuvent prendre une forme plus souple, moins rigide, dans le sens concernant la psychanalysant aussi, de la plasticité psychique, et de l’accueil de soi et de l’autre.

**

            Bref, Israël nous éclaire à mon sens sur la question de l’intersubjectivité (il n’utilise pas ce terme, c’est moi qui élabore), sur une forme ouverte de l’intersubjectivité. Et sur l’éthique de la psychanalyse telle qu’elle peut ouvrir à une solide subjectivation. Dans cette éthique, le psychanalyste a le souci de la singularité subjective de le psychanalysant en son altérité et son énigme, et accueille plastiquement l’altérité, la subjectivité, la parole et l’énigme du psychanalysant, justement depuis le temps de l’attente. Tout en prenant en compte, à un autre niveau, la question des pulsions, du désir, de l’objet petit a – que Lacan a élaborées solidement. Ce sont des dimensions différentes, montre-t-il.

             Pour revenir à ce que l’on peut dire avec Israël du travail psychanalytique, ce souci du lien de parole désirant du côté du psychanalyste, cela permet donc que, du côté du psychanalysant, que se déploie, en lien à la créativité de sa parole, et à sa plasticité psychique, une capacité d’accueil de sa subjectivité, mais aussi de l’altérité de l’autre. Cela lui permet d’accéder à un lien à l’autre, en amour ou en général, où il s’extraie de son narcissisme. C’est pour cela qu’Israël parle d’amour « transnarcissique », et qu’il insiste sur le fait que l’intersubjectivité sous sa forme ouverte, est une question importante en psychanalyse. Bref, montre Israël, l’amour en soi n’est pas narcissique – contrairement à ce qu’avançait Freud.

            Bref, Israël nous montre à mon sens que la prise en compte du réel, du sexe, des pulsions partielles, de l’objet petit a, n’implique pas, comme le pensait Lacan, une disparition de l’intersubjectivité, de l’autre comme sujet, une disparition de la question du lien à l’autre comme sujet autre. Ce sont là, montre-t-il, deux niveaux différents : d’un côté le pulsionnel et le désir avec l’objet petit a ; de l’autre le lien à l’autre et l’intersubjectivité. Plus encore, Israël pense que c’est une question importante que ne prend pas assez en compte Lacan – malgré l’immense apport de son enseignement. Que ce soit, dirais-je, lorsque Lacan se détourne, plus tard dans son enseignement, de l’intersubjectivité ; ou lorsqu’il pense, plus tôt dans son enseignement, l’intersubjectivité, la rencontre symbolique, mais sans encore la relier au laisser-être et à la traversée de la détresse fondamentale.

            J’aimerais ici préciser que cette intersubjectivité, Israël l’envisage de manière ouverte, ouvrante, créatrice, non narcissique, non imaginaire : détotalisante – élaborant d’une certaine manière à ce que Lacan appelle le « pas-tout ». Il en va là pour Israël comme pour Levinas, je le répète, de « l’ouverture au radicalement autre ».

            Une remarque philosophique est ici nécessaire. J’aimerais rappeler qu’en élaborant Heidegger, et pour penser la singularité du sujet à laquelle Heidegger l’oppose, Levinas insiste sur le fait que le sujet singulier est l’ « étant » par excellence. Et cet étant subjectif singulier, eh bien, selon Levinas, il convient de l’accueillir en son événementialité, en son extériorité, en son altérité, en dehors de toute tentative de totalisation relevant d’une logique de maîtrise. Ce dans un geste éthique d’hospitalité, d’accueil et d’ouverture à la détresse – à l’Hilflosigkeit dirait le psychanalyste. Cela implique d’ailleurs chez Levinas un refus de toute totalité qu’un Savoir de surplomb pourrait croire permettre de maîtriser, et cela ouvre à une « intelligibilité différente du savoir »[89], concernant le sujet.

            Ce qui en psychanalyse nous intéresse, car dans notre champ il en va d’une intelligibilité spécifique de la psychanalyse. D’ailleurs, celle-ci implique plus encore une pensée expérimentale, liée à l’expérience du travail psychanalytique, et déployant une plasticité créative posant des hypothèses, pour conserver les plus pertinentes, mais restant toujours ouverte, mobile. Bref, nous sommes ici à l’opposer de la rigidité théorique, du dogmatisme[90].

            Mais j’en reviens à Levinas. Ce donc je parlais ouvre aussi à la réalité en ce qu’elle relève d’une pluralité concrète, échappant à toute totalisation, et composée des singularités des sujets, irréductibles les uns aux autres. D’ailleurs, pour revenir au vide, dans Totalité et infini, Levinas dit que c’est le « vide » qui vient rompre la totalité, la logique de totalisation[91] – que j’appréhende en psychanalyse comme logique de contrôle imaginaire de la part du sujet.

            Pour en revenir à Israël, sa conception et sa pratique de l’accueil de l’autre dans son extériorité, donc nourries de Levinas, font d’ailleurs qu’Israël ne souscrit pas à la théorie du stade du miroir de Lacan, en même temps qu’il élabore de manière rigoureuse et personnelle son apport si ouvrant sur la question du narcissisme et de l’imaginaire.[92]

            Plus encore, la mise en place d’un lien de parole désirant, comme je le dis dans mes termes, ou d’un lien de rencontre symbolique entre le psychanalyste et le psychanalysant au sens d’Israël, implique l’accueil et la création d’un vide, lié à la perte. Lié au processus même de la perte de l’objet premier, avec ce que cela implique au niveau pulsionnel et du désir en termes d’objet petit a, mais avec ce que cela implique donc aussi en termes d’intersubjectivité ouverte au radicalement autre.

            Et, puisant chez Levinas et dans la tradition juive, Israël considère que la rencontre symbolique, dans être auprès l’un de l’autre (qui est une variation psychanalytique du face à face de la tradition juive), déployant la création symbolique, crée du vide dans la parole, évide la parole et la subjectivité. Ce pour créer une dynamique de parole, une chaîne signifiante avec un point fondateur de vide, et pour créer du nouveau, en premier lieu des nouveaux signifiants. Dans sa définition créatrice du symbolique, il rejoint Lacan. Il le rejoint aussi dans son élaboration du judaïsme. En effet, Lacan dit qu’il est proche du judaïsme en ce qu’il constate l’être de Dieu, mais ne pense pas qu’il existe. Je le cite, parlant du Dieu des Juifs, du Dieu du « Je suis ce que je suis » : « Dieu est, ça ne fait aucune espèce de doute, ça ne prouve pas absolument pas qu’il existe »[93].

            Mais à cela, Israël ajoute que la création est liée à l’amour, et à l’amour en tant que non imaginaire mais bien symbolique[94]. Car selon Israël, je cite, « l’amour crée le sujet, c’est la fonction du psychanalyste ». En ce sens, « l’amour (…) c’est ce qui vient amener ce qui justement n’existait pas pour une personne ». « L’innovation, l’inouï, le jamais vu, le jamais entendu, constituent le domaine de l’amour ». La création du lien symbolique de parole crée la créativité symbolique de la parole, la possibilité de nouvelle utilisation des signifiants du discours du sujet, mais aussi de création de nouveaux signifiants. « L’amour n’est pas la soi-disant répétition d’un amour primordial » ; il « ne renforce pas le Moi »[95]. Bref, dans cet amour symbolique fondateur, amour présent dans  le lien de parole, la rencontre symbolique, et dans la parole du sujet parlant en premier lieu – et donc le psychanalysant comme le psychanalyste –, la création du lien symbolique crée un vide fondateur, un vide fondateur qui rend possible la création de nouveaux signifiants – mais aussi la nouvelle élaboration d’anciens signifiants.

            Sur ce point encore de l’amour, Israël élabore Lacan, et, infidèlement fidèle à celui-ci, il approfondit son enseignement pour produire une avancée pratique et théorique spécifique. En effet, la naissance du sujet à la parole, au symbolique et au désir, dit Lacan, va avec l’émergence de la « différence », qualifiée d’ « absolue », et de l’ « amour » qualifié de « sans limites ». Je cite ici la fin du Séminaire XI., Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse : « Le désir de l’analyste (…) est (…) un désir d’obtenir la différence absolue, celle qui vient quand, confronté au signifiant pri­mordial, le sujet vient pour la première fois en position de se l’assujettir. (…) Là seulement peut surgir la signification d’un amour sans limites parce qu’il est hors des limites de la loi, là seulement il peut vivre » [96]. Bref, ce sont bien là des pistes que Israël élabore et approfondir à sa manière.

            Et, pour continuer de caractériser l’apport spécifique d’Israël, j’aimerais vous parler d’un autre philosophe, important pour Levinas, mais aussi pour notre réflexion sur la création en lien à la tradition juive. Je veux parler de Rosenzweig, ce penseur (1886-1929) ayant réélaboré philosophiquement la tradition juive, et particulièrement ce qu’il en est selon elle de la création de parole.

            Avant d’en venir à Rosenzweig, j’aimerais rappeler qu’Israël a très vraisemblablement élaboré Rosenzweig pour faire avancer la psychanalyse à sa manière. C’est ce que je vais essayer de montrer.

            Une fois cela dit, j’aimerais rappeler qu’un élément important de la pensée de Rosenzweig – que nous retrouvons chez Levinas et, j’en pose l’hypothèse, chez Israël –, c’est son insistance sur la singularité irréductible du sujet, opposée à toute totalisation, la pratique du face à face de l’alliance, crée le monde. Chez lui, la création (ex nihilo) de la parole peut avoir lieu à tout moment, elle n’a pas lieu au début du monde. Le commencement n’est pas le début. La création a lieu à chaque fois que le sujet agit et parle selon l’alliance, et selon ce qu’il appelle le « commandement d’amour » de l’alliance – commandement non moraliste, non normatif. Car cela crée un vide qui sera lui-même créateur dans le monde.

            Ici, dans cette insistance sur l’amour, sur la séparation et le lien de parole en lien à l’amour, Rosenzweig, Levinas et Israël vont, chacun à sa manière, dans le même sens. Je cite Levinas dans son très beau texte sur Rosenzweig, « Entre deux mondes », prononcé d’ailleurs au Congrès des Intellectuels juifs en 1959[98]. C’est un point important car Israël a collaboré avec Levinas dans ces congrès (je ne sais pas exactement pour celui de 1959).

            Il en va là, dit Levinas dans ce texte sur Rosenzweig, d’un « commandement d’aimer », d’ « aimer » le sujet (Levinas dit l’ « homme » ) « dans sa singularité », à l’écart de toute croyance en un Savoir totalisant. Le lien à l’autre, relevant de l’amour, n’est pas, ajoute Levinas dans ce texte (dans d’autres textes, il parlera de l’amour dans d’autres termes), un « formalisme moral, mais la vivante présence de l’amour (…), éternellement renouvelée »[99]. Ainsi la « séparation »[100], dit Levinas reprenant Rosenzweig, implique-t-elle une « vie de relation »[101] où le rapport est « irréductible, unique, original »[102]. « La singularité est nécessaire (…) à l’exercice de cette vie précisément comme irremplaçable singularité, la seule qui soit capable d’amour, la seule qui puisse être aimée, qui sache aimer »[103]. Bref, nous retrouvons ici, chez Rosenzweig éclairé par Levinas, l’intersubjectivité créatrice, ouverte, détotalisante, que nous trouvons aussi chez Levinas, et dont Israël nous parle, en lien à l’amour.

            Mon hypothèse est donc qu’Israël, qui connaissait la tradition juive (et les philosophes élaborant cette tradition), et qui, nous le verrons, développe sur bien des points une pensée très proche de celle de Rosenzweig, élabore de manière psychanalytique, en plus de Levinas, ce qu’il est de l’intersubjectivité ouverte et créatrice et de l’amour chez Rosenzweig. Encore que ce point n’est pas le plus important, car ce qu’Israël nous dit est en premier lieu psychanalytiquement fort fécond.

            J’aimerais ici ajouter un autre point. Je l’ai dit, Israël élabore donc explicitement Levinas, mais aussi sans doute implicitement la conception juive de la parole comme création ex nihilo – telle la parole de Dieu dans la Genèse : le Berechit. Et sur ce point, j’aimerais ici citer Rosenzweig, à la fois pour étayer mon hypothèse comme quoi Israël élabore Rosenzweig ; mais aussi pour donner à lire ce philosophe, fort intéressant pour la psychanalyse.

            Je l’ai dit, Rosenzweig a réélaboré philosophiquement la tradition juive concernant la question du la création de la parole et la nouveauté qu’elle produit. Et je voudrais citer un passage de cet extraordinaire ouvrage qu’est L’Etoile de la Rédemption, à la fois pour nous donner à penser, mais aussi pour pointer l’écho avec Israël. Dans ce passage, Rosenzweig parle de l’ « énonciation » « créat(rice) » du sujet[104] en lien à l’amour – et à Dieu. Il parle de l’énonciation créatrice en ce qu’elle est uniquement de parole, symbolique, qu’elle se situe au niveau de la parole et du symbolique. Et il essaie de caractériser comment « la langue (…) s’éveille à sa véritable vie » [105], en lien au « Je humain individuel, (…) simplement ouvert, encore vide »[106]. Plus encore, il dit que c’est un « miracle » qui « est entièrement signe », et qu’alors « a lieu la Révélation d’une éternelle nouveauté » qui « renouvelle la Création immémoriale pour en faire un présent sans cesse recréé à neuf ». En effet, ajoute-t-il, « la parole de l’homme est symbole. A chaque instant, elle est recréée dans la bouche de celui qui parle, cependant, c’est uniquement parce qu’elle est dès le commencement et qu’elle porte déjà en son sein chaque locuteur qui un jour en elle opère le miracle du renouvellement »[107]. Bref, la parole en ce qu’elle symbolique, dit Rosenzweig, est un lieu qui porte en son sein la parole singulière de chaque sujet parlant, et elle est créatrice, créatrice d’un perpétuel nouveau.

            En termes lacaniens, Rosenzweig nous parle du symbolique créateur, fondateur, que chaque sujet porte potentiellement en lui, et qui porte en lui la parole singulière de chaque sujet singulier. Cela va, comme le montre Lacan, avec un grand Autre symbolique. Cet Autre avec un grand A, Rosenzweig, dans sa pensée religieuse, le relie à Dieu.

            En plus de cela, j’aimerais d’ailleurs préciser, pour montrer les échos entre Rosenzweig et la psychanalyse, puisque j’ai parlé du lien entre le symbolique et le réel, que par son livre L’Etoile de la Rédemption, Rosenzweig introduit d’une certaine manière la question de la mort (du réel) dans la tradition philosophique.

            Pour ma part, en psychanalyste athée, je vois dans les formulations de Rosenzweig, élaborant la tradition juive, une métaphorisation spécifique, religieuse (on pourra en trouver d’autres, par exemple philosophique, littéraire ou poétique), de la capacité de création de la parole, du symbolique. De la parole, du symbolique qui, dans la psychanalyse telle que je l’entends, s’ancre dans l’accueil et l’être-ensemble au sein la détresse fondamentale, et ouvre à une acceptation de l’existence du réel et au déploiement du désir. Cet accueil et cet être-ensemble, symboliques et non imaginaires, ils relèvent, dirais-je avec Israël et Rosenzweig, d’un amour symbolique et d’une intersubjectivité ouvrante, tous deux créateurs.

            Et, concernant le processus psychanalytique, l’accueil et l’être-ensemble (pour reprendre ce terme d’Israël) de la parole et du symbolique, ou du dire, de l’énonciation et de l’écoute, cela naît d’une distance, une séparation, et du vide qui en suit et permet la création de la parole. Entre sujets dans cet être-ensemble de un à un, de désir à désir.

            D’ailleurs, pour insister sur l’articulation entre séparation et être-ensemble dans le lien de parole symbolique, j’aimerais rappeler que symbolôn, en grec ancien, cela signifie, dans une relation d’alliance et d’hospitalité, à la fois la séparation et le lien. En effet, le symbolôn est un signe de reconnaissance dans les relations d’hospitalité. Très précisément, c’est un objet coupé en deux, dont deux hôtes conservaient chacun une moitié. Ces deux parties rapprochées servaient en Grèce antique à faire reconnaître les porteurs et à prouver les relations d’alliance et d’hospitalité, d’accueil contractées antérieurement. Bref, le symbolique, comme symbolôn, implique une articulation entre l’être ensemble et la séparation. En ce sens, le lien de parole désirant, en psychanalyse, prend une forme spécifique, symbolique : il articule séparation et alliance. Et la psychanalyse élabore spécifiquement, et de manière particulièrement subjectivante, ce qu’il en est plus généralement du lien de parole désirant et du symbolique.

            Dans le zigzag de mes réflexions j’aimerais maintenant revenir à ce qu’Israël dit de l’amour, dans un long passage que je vous ai déjà en partie cité, mais que je vais citer entièrement : « L’innovation, l’inouï, le jamais vu, le jamais entendu constituent le domaine de l’amour. L’amour, c’est justement ce qui vient amener ce qui jusque-là n’existait pas pour une personne, pour un couple, pour un groupe, peu importe. L’amour n’est pas la soi-disant répétition d’un amour primordial. L’amour n’est jamais la répétition de ce qui a pu se jouer avec la mère, de ce qui a pu se fantasmer avec la mère. Cet amour-là n’a pour seule fonction que de disparaître, que de faire place nette par le deuil et c’est sur ce deuil que les expériences nouvelles ouvertes sur l’avenir peuvent se développer, peuvent se dérouler, peuvent se jouer (…). Ce qui fait que, encore une fois, le poète ou le chanteur ont parfaitement raison de dire lorsqu’ils disent que ’’l’amour, c’est toujours la première fois’’. Ca n’est pas la répétition. L’amour ne renforce pas le Moi. Il crée le sujet. C’est la fonction de la psychanalyse. »[108]. Et

            Ici Israël insiste sur l’apport spécifique de sa pensée de l’amour qui, au profit d’un certain optimisme tragique, sort la psychanalyse du pessimisme de Freud – pessimisme certes dialectique (109)- concernant l’amour, le lien à l’autre, la possibilité d’une solide subjectivation. Et ce quel que soit l’immense apport de Freud, qu’élabore Israël.

Mais avant de continuer sur Israël, je voudrais citer Freud en réponse à Viereck : « L’humanité ne choisit pas le suicide, car la loi de son existence abhorre la route directe vers son objectif. La vie doit accomplir son cycle d’existence. Chez chaque personne normale, le désir de vie est assez fort pour contrebalancer le désir de mort, bien qu’à la fin de désir de mort se montre plus fort ». Et Freud de parler de Nietzsche – ce qui signifie qu’il connaissant bien l’oeuvre de ce dernier, quoiqu’il en dise ailleurs – : « Il est surprenant de voir à quel point son intuition préfigure nos découvertes. (…) Personne d’autre que lui n’a si profondément ressenti la dualité des motivations de la conduite humaine et l’insistance du principe de plaisir à prédominer indéfiniment »; avant de citer le Zarathoustra de Nietzsche : « La douleur dit: Passe et finis ! / Mais toute joie veut l’éternité. Veut la profonde éternité ! » »(109). Ce que pour ma part, concernant Freud, j’élabore en caractérisant son pessimisme de dialectique.

            Mais surtout, Israël nous parle du dire et de l’énonciation créateurs, liés à l’amour tel qu’il l’entend, et qui crée du nouveau, et qui est la fonction de la psychanalyse. Car la psychanalyse, je l’ai dit, ça crée de la nouvelle parole, du nouveau signifiant, plus même ça produit le vide qui va permettre le saut signifiant qui va permettre changement de discours. Autre manière de dire que c’est là une forme de poésie spécifique.

            Et, concernant cette question de l’amour créateur, j’aimerais ici, pour insister sur l’intérêt de la pensée de Rosenzweig pour nous, mais aussi pour insister sur le rapport d’Israël à Rosenzweig, citer un passage de Rosenzweig qui exprime une conception très proche de l’amour comme créateur. En effet, Rosenzweig parle de l’amour du côté de l’amant qui est « cette autodonation chaque instant recommencée »[109], « qui ne veut pas cesser d’être neuf »[110], « l’amour (…) ne cesse de ressurgir à neuf ; c’est un permanent recommencement au départ »[111].

            J’en reviens maintenant à l’apport d’Israël. A mon sens, je l’ai dit, Israël est infidèlement fidèle à Lacan. Il élabore et approfondit son enseignement pour produire une avancée pratique et théorique spécifique. Enfin, c’est ce que je pense moi, car d’un point de vue lacano-freudien plus strict, Israël céderait quelque peu à l’idéalisme. Mais, à l’expérience que j’ai de la psychanalyse, je dirais pour ma part qu’Israël a raison sur ces points et qu’il a ouvert le freudo-lacanisme à ce que j’appellerais un optimisme tragique – opposé à l’optimisme indemnisant du discours courant normopathe. D’un côté, j’utilise ici le terme de tragique, car Israël va dans le sens de la constatation freudienne, à la fois lucide et tragique, du fait que, pour beaucoup de sujets, l’existence courante de la compulsion de répétition massive, avec la décharge pulsionnelle massive et directe qui va de pair, a des conséquences massivement désubjectivantes, pour les sujets et le collectif. De l’autre, Israël ouvre à un optimisme tragique, pour différentes raisons. Premièrement, il nous aide à mieux appréhender en quoi, il est bien possible, concernant certains patients désubjectivés, d’ouvrir malgré tout les choses, de les faire entrer dans la parole et dans la subjectivité. Alors, le travail psychanalytique peut mener jusqu’à une subjectivation où la répétition se fait en partie créatrice. Ce qui fait que, s’il y a répétition chez le sujet, elle ne prend pas – plus – une forme désubjectivante. Et peut devenir solidement dialectisée.

            Deuxièmement, par rapport à Lacan, mais aussi Freud, l’apport d’Israël permet d’envisager de manière solide en quoi l’amour, la joie, et l’accueil de la subjectivité et de l’autre, en tant que symboliques et non imaginaires, dans l’intersubjectivité ouverte, peuvent avoir leur place dans le travail psychanalytique.

            Troisièmement, l’apport d’Israël permet d’ouvrir la psychanalyse à quelque chose comme une autonomie discursive et psychique. Avec toutes les implications que cela a pour que la psychanalyse, comme le pointe Lacan, je l’ai rappelé, aide la sujet dans le sens d’une une sortie de la tutelle – et j’ajouterais moi : que ce soit dans la relation institutionnelle ou dans la tutelle inhérente à la binarité, l’androcentrisme, l’hétéronormativité.

            Et pour continuer sur Israël, c’est d’ailleurs son optimisme tragique qui fait qu’il ne peut suivre Freud ni Lacan sur l’hypothèse de la pulsion de mort comme compulsion de répétition désubjectivante chez tous les sujets. Et qu’il ne peut suivre, comme il le dit aussi, Lacan sur ses réflexions sur le stade du miroir ou sur le père comme « père-version ». Toutefois, concernant la pulsion de mort, il propose une réflexion fort lucide sur la Schadenfreude, la jouissance sadique de la souffrance de l’autre,inhérente au fonctionnement du sujet pris dans la compulsion de répétition sous sa forme désubjectivante[112]. Il propose aussi une conception du narcissisme et de la transmission qui sont fort ouvrantes.

**

            En conclusion, j’aimerais insister sur le fait que c’est pour ma part en très bonne partie dans la méditation d’Israël, en plus de Lacan[113], que je trouve dans ma pratique psychanalytique, une manière de soutenir le psychanalysant vers la possibilité d’une naissance de la subjectivité, mais aussi d’une solide subjectivation, par la pratique du lien de parole désirant et de la parole créatrice.

            C’est pour cela que je pense que, face à tout ce qui dans notre situation contemporaine, rend la parole, le lien de parole, la naissance de la subjectivité et la subjectivation si difficiles, les choses sont malgré tout ouvrables, parfois, grâce à l’accueil et à la rencontre psychanalytiques. En effet, celles-ci ouvrent à la création d’un lien de parole et la création de parole, à la nouveauté de parole et au fait d’y faire avec son symptôme, ses évitements, malgré tout – parce la répétition a été ouverte.

            Bref, avec les sujets pas encore nés à leur subjectivité, je pense avec Israël, que, comme le dit d’ailleurs Lacan, l’offre du psychanalyste crée la demande : comme le décline Israël, il est possible de créer un lien psychanalytique, un lien de parole désirant, qui amène le sujet à accéder à une parole subjective désirante.

            Et puis, avec le sujet déjà subjectivé, une telle pratique de la psychanalyse, tragiquement optimiste donc, permet au psychanalysant de se subjectiver solidement. Ce concernant les différentes dimensions de la vie psychique et de la parole que j’ai essayé d’articuler dans ce texte : du symbolique, du réel et de l’imaginaire ; mais aussi de la dénormativation et de la singularisation du discours du sujet par rapport au discours collectif et aux dispositifs de pouvoir – avec ce que cela implique d’autonomisation psychique et discursive, de sortie de la mise sous tutelle et de débinarisation – ; ou encore du surmoi ; de la bisexualité psychique (et de la sexuation) ; du destin des pulsions ; de la détresse fondamentale ; et puis donc du lien à l’autre, bref de l’intersubjectivité envisagée de manière accueillante, créatrice, ouverte, détotalisante, et donc non narcissique. A ceci s’ajoute d’ailleurs la dimension du sentiment d’existence subjective – qu’a éclairée Winnicott.


[1] Je remercie vivement Patrick Martin-Mattera et Alexandre Lévy de leur invitation à l’UCO et de leurs retours sur ma présentation.

[2] Sur la création, ici je fais référence à la réflexion de Patrick-Martin-Mattera dans Théorie et clinique de la création. Perspective psychanalytiqueAnthropos-Economica, 2005.

[3]

[4] J’élabore ici Freud qui parle plutôt de plasticité des pulsions.

[5] Sur cette question, bien des références seraient à donner. Je me contenterai de faire référence, concernant l’hétéronormativité et la binarité, à Patricia Gherovici, Transgenre : Lacan et la différence des sexes, Paris, Stilus, 2021 ; Jorge N. Reitter, Heteronormativity and psychoanalysis, Routledge, 2023. Sur ce dernier ouvrage, j’ai fait une recension ici : https://dimitrilorrain.org/2023/01/13/sortie-de-heteronormativity-and-psychoanalysis-de-jorge-n-reitter-routledge-2023/

[6] Winnicott me semble d’ailleurs particulièrement intéressant aussi.

[7] https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/

[8] M. Foucault, L’ordre du discours, Paris, Gallimard, 1971, p. 92-3.

[9] Concernant la tradition juive, je tiens à faire référence aux travaux de David Lemler, avec lequel j’ai eu la chance de beaucoup apprendre. Ici un enregistrement de la rencontre sur son livre Création du monde et limites du langage, Paris, Vrin, 2020,

 que j’ai organisée : https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/david-lemler-univ-sorbonne-a-propos-de-son-ouvrage-creation-du-monde-et-limites-du-langage-librairie-des-bateliers-strasbourg-15-1-2022/

[10] F.-D. Sebbah, Levinas, Paris, Les Belles Lettres, 2000.

[11] Sur l’accélération, voir B. Stiegler, Dans la disruption, Paris, LLL, 2016 ; H. Rosa, Aliénation et accélération, Paris, La Découverte, 2012.

[12] Sur cette complexité et cette ambivalence, je renvoie à Be. Stiegler, op. cit.

[13]  Je préfère parler de cheminement de genre que d’identité de genre, pour insister sur le caractère dynamique de l’élaboration subjectivante de la question du genre par le sujet. Sur la question du genre, je renvoie en premier lieu aux travaux de P. Gherovici, op. cit. ; T. Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022 ;  André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018 ; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120 ; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180 ; J. N. Reitter, op. cit. ;  Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018.

[14] B. Lévy, L’ère de la revendication, Paris, Flammarion, 2022. Voir : https://dimitrilorrain.org/2022/06/17/autour-de-benjamin-levy-pour-son-livre-lere-de-la-revendication-flammarion-2022/

[15] Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2010, p. 83.

(16) Sur cette question de la masculinité ouverte, je renvoie paticulièrement à I. Jablonka, Des hommes justes, Paris, Seuil, 2019; P. Farges, Le Muscle et l’esprit, Bruxelles, Peter Lang, 2020. Ou encore bell hooks, La volonté de changer, Divergences, 2021. Sur le mythe de la virilité, voir le livre du même nom d’Olivia Gazalé, Paris, Robert Laffont, 2017. Sur la servitude volontaire à laquelle cèdent certaines femmes, voir le livre de Manon Garcia, On ne naît pas soumise: on le devient, Paris, Flammarion 2018.

[16] Ne citons que Th. Laqueur, La Fabrique du sexe, trad. Michel Gautier, Paris, Gallimard, 1992.

(17): Sur la sexuation, envisagée selon un freudo-lacanisme ouvrt, voir P. Gherovici, op. cit.

[18] Dans le cas du sujet trans, voir particulièrement p. Gherovici, op. cit. Sur cette fluidification, voir S. Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.

[19] Pour cette conflictualité entre ouverture et normativité binaire, androcentrée et hétérenormée chez Freud et Lacan, voir par exemple N. Reitter, op. cit.; P. Gherovici et M. Steinkoler (dir.), Psychoanalysis, gender, and sexualities, Londres et New York, Routledge, 2023: particulièrement les textes d’Elissa Marder, « Glôssa and ‘Counter-Will’: The Perverse Tongue of Psychoanalysis » (p.56-69) et de Darian Leader, « The Gender Question from Freud to Lacan » (p.70-93). Pour une critique ouvrante de Freud et de Lacan du point de vue de philosophies féministes, voir particulièrement M. Garcia, op. cit.; et C. Froidevaux-Metterie, La révolution du féminin, Paris, Gallimard, 2015.

[20] Op. cit.

[21] Dijon, Les Presses du réel, 2019.

[22] Lorsque je parle de binarité, je parle aussi d’androcentrisme et d’hétéronormativité. La binarité impliquant ces deux derniers.

[23] Lorsque je parle de binarité, cela implique aussi l’androcentrisme et l’hétéronormativité. C’est le même discours collectif qui relève des trois.

[24] Je renvoie aux réflexion sur la lathouse de A. Lévy et P. Martin-Mattera dans Patrick Martin-Mattera et Alexandre Lévy, « Le ’’concept’’ de lathouse dans l’œuvre de Jacques Lacan. Implications psychologiques, cliniques et sociales », Bulletin de psychologie, 2017/4, 550, p. 311-319.

[25] Question dont parle largement Lacan.

[26] Boiter n’est pas pécher, op. cit.

[27] J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.

[28] « Qu’est-ce que les Lumières », in Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières ? , trad. J-F. Poirier et F. Proust, Flammarion, 1991.

[29] Boiter n’est pas pécher, p. 101.

[30] Sur cette question du lien de parole et du défait de lien de parole, je suis aussi marqué par les travaux de Winnicott, que j’élabore de manière personnelle. Winnicott parle pour sa part de « déprivation ».

[31] Alain Didier-Weill, Les Trois temps de la Loi, Paris, Seuil, 1995.

[32] Dans lequel il est, comme y insiste Lacan dans Le Séminaire : Livre XVI. D’un Autre à l’autre, 1968-1969, Paris, Seuil, 2006 ; et Israël dans Boiter n’est pas pécher, op. cit.

(33) Maggie Nelson, De la liberté, Paris, Sous-sol, 2022.

[33] Telle que l’éclairent Lacan et Israël. Lacan a pu parler un temps d' »ordre symbolique », mais il en est revenu à un moment de son enseignement.

(34) Fabrice Bourlez, Queer psychanalyse, Paris, Hermann, 2018.

[34] Sur cette question, voir parmi d’autres, dans une optique freudo-lacanienne, P. Gherovici, Lacan dans le ghetto, Paris, Le Bord de l’eau, 2016.

[35] S. Freud, dans Sigmund Freud présenté par lui-même.

[36] C’est une question qu’il me faudra traiter. En quoi la mythologie contemporaine, particulièrement les productions culturelles (série, chanson, films, livres, etc.) propose-t-elle de tels éléments ?

[37] Dans ce que je vais présenter là, je suis proche de ce que nous dit Winnicott, Conversations ordinaires, Paris, Gallimard, 1988.

[38] Comme l’a éclairé Lacan dans Le Séminaire : Livre XXIII. Le sinthome, 1975-1976, Paris, Seuil, 2005.

[40] Winnicott parle lui de « self » pour élaborer cette question du sentiment d’existence, concept que je ne retiens pas pour me situer dans l’héritage de Freud et de Lacan. Le sentiment d’existence, c’est là une question importante dont j’ai parlé lors de la séance du 30 mars du séminaire de l’ARPPS dont j’ai parlé avant. J’aimerais juste ici préciser que je rejoins ici J.-M. Jadin (La structure inconsciente de l’angoisse, Strasbourg-Toulouse, Arcanes-erès, 2017) dans son souci d’articuler le freudo-lacanisme et cet apport de Winnicott. J.-M. Jadin travaille sur cette question aussi avec Anzieu, Diamantis et Dolto. Voir : https://dimitrilorrain.org/2021/02/19/jean-marie-jadin-langoisse-est-deja-un-exil-et-de-cet-exil-on-sort-par-le-desir/

[41] Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, op. cit. ; J.-R. Freymann, La naissance du désir, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2005.

[42] Sur le laisser-être, voir A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, op. cit.

[43] D. Espinet, Phänomenologie des Hörens. Eine Untersuchung im Ausgang von Martin Heidegger, Tübingen, Mohr Siebeck 2016.

[44] Idem.

[45] Martinus Nijhoff, p. 67

[46] Lucien Israël, La parole et l’aliénation, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2007, p. 17.

[47] Idem, 134.

[48] J’élabore singulièrement sur le lien d’Israël à la tradition juive. Sur cette question, voir aussi D’A. Abécassis, voir son formidable texte sur la conception de l’interprétation de Lucien Israël, intitulé « Entre le MiDRaCH et l’interprétation psychanalytique », dans Psychanalyse et liberté, Arcanes 1999, volume collectif en l’honneur de Lucien Israël ;  J.-J. Rassial, La psychanalyse est-elle une histoire juive ? Paris, Seuil, 1981.

[49] Voir P. Martin-Mattera, Théorie et clinique de la création, op. cit. ;  A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, op. cit., 44sq.

[50] Ce que Lacan a très bien mis en perspective. Et que Foucault et Derrida permettent aussi de penser.

[51] Que cet événement ait historiquement ait eu ou non lieu. Sur cette question, voir Rogozinski, Moïse l’insurgé, Paris, Cerf, 2022.

[52] Voir G. Haddad, Le péché originel de la psychanalyse, Paris, Seuil, 2007. Toutefois, G. Haddad ne tire à mon sens pas pleinement les implications concernant Lacan d’une telle prise en compte.

[53] J. Lacan, Le Séminaire, livre XVI., D’un Autre à l’autre, 1968-1969, op. cit., 11.12.68, p. 79. En cela il reprend explicitement la traduction anglaise dénommée Bible de King James, de 1611 : « I am that I am ».

[54] Les Trois temps de la loi, op. cit., p. 348.

[55] Sur cette question, voir entre autres G. Haddad, op. cit.

[56] Voir la conclusion de « Fonction et champ de la parole et du langage », in Ecrits, Paris, Seuil, 1966.

[57] Ainsi dans « La proposition de 67 » et dans « L’Etourdit ». Voir les Autres écrits, Paris, Seuil, 2001.

[58] Voir le chapitre sur la question dans Boiter n’est pas pécher.

[59] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 53.

[60] Idem, p. 67.

[61] Les trois temps de la loi, op. cit. p. 341.

[62] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 266.

[63] Il faudrait insister plus systématiquement sur la manière dont Israël reprend l’héritage de Freud et de Lacan. Mais dans ce texte, je préfère marquer l’écart, tout en marquant certains liens.

[64] J.-R. Freymann nous éclaire sur cet apport de l’œuvre d’Israël. Voir La naissance du désir, op. cit. ; ou Eloge de la perte, Strasbourg-Toulouse, Arcanes-érès, 2015

[65] Comme je l’ai dit en note, une autre dimension dont je parle trop peu dans ce texte est la mise en place du sentiment d’existence.

[66] Le Moi et la chair, op. cit. ; Moïse l’insurgé, op. cit.

[67] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 65-66.

[68] Voir J.-R. Freymann, Eloge de la perte, op. cit.

[69] Idem, p. 66.

[70] Le Séminaire : Livre XI. Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1964, Paris, Seuil, 1973, leçon du 24.6.64.

[71] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 292.

[72] Idem., p. 255.

[73] Idem., p 83

[74] Idem., p 83

[75] Idem., p 245

[76] Voir par exemple L’éducation à la majorité.

[77] Boiter n’est pas pécher, op. cit., p. 69.

[78] Idem., p. 286

[79] Idem., p. 266.

[80] Idem., p. 81.

[81] Il peut exister par ailleurs, dans l’existence du sujet, des autorités subjectivantes. Comme le dit Adorno dans son texte l’éducation à la majorité. Mais le psychanalyste n’est pas une autorité.

[82] Totalité et infini, op. cit., p. 314.

[83] Pulsions de mort, Strasbourg-Toulouse, Arcanes-erès, 2007, p. 189.

[84] Assez winnicottien d’ailleurs.

[85] Boiter n’est pas pécher, op. cit., 257.

[86] Serge Leclaire, Rompre les charmes,Inter Éditions, 1981, p. 167.

[87] Voir entre autres M. Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988.

[88] Voir aussi particulièrement F. Perrier, La Chaussée d’Antin : Œuvre psychanalytique I., Paris, Albin Michel, 2008 et La Chaussée d’Antin II. : Œuvre psychanalytique II., Albin Michel, 2008.

[89] Comme le dit F. Poché, La culture de l’autre. Une lecture postcoloniale d’Emmanuel Levinas, op. cit., p. 83.

[90] Ici la psychanalyse ouverte, créatrice, rencontre la philosophie la plus féconde, par exemple celle de Nietzsche, telle que l’éclaire E. Salanskis, Nietzsche, Paris, Belles Lettres, 2015.

[91] Totalité et infini, op. cit., p. 30.

[92] Ici joue sans doute sa méditation explicite de Barthes, et de son élaboration de la réflexion lacanienne sur l’imaginaire. Pour cette question, voir le Roland Barthes par Roland Barthes.

[93] Le Séminaire : Livre XVI. D’un Autre à l’autre, 1968-1969, op. cit., p. 103-104.

[94] Pour être rigoureux concernant l’amour selon Israël, il convient de préciser que sa méditation de la réflexion sur le discours amoureux de Barthes joue aussi un rôle dans sa conception de l’amour, et

[95] L. Israël, « La parole et l’aliénation », op. cit., p. 103.

[96] Op. cit, leçon du 24.6.64.

[98] Dans Difficile liberté, Paris, Albin Michel, 1963, p. 272-302.

[99] « Entre deux mondes », op. cit., p. 286-287.

[100] Idem, 283.

[101] Idem, 289.

[102] Idem, 284.

[103] Idem, 289.

[104] Paris, Seuil, 1982, p. 200.

[105] Idem, p. 162-163.

[106] Idem, p. 250.

[107] Idem, p. 162-163.

[108] L. Israël, « La parole et l’aliénation », op. cit., p. 103.

[109] L’Etoile de la rédemption, op. cit., p. 232

(109) Interview de Freud par Vereck, que l’on trouve en ligne en français. Citée par J.-M. Rabaté, Lacan l’irritant, Paris, Stilus, 2023, p. 35.

[110] Idem, p. 233.

[111] Idem, p. 303.

[112] Pulsions de mort, op. cit.

[113] Mais aussi de Winnicott.

Chères amies, chers amis,

Voir: https://www.rcf.fr/articles/culture-et-societe/la-question-du-genre-sujet-pregnant-pour-les-ados-et-les-adultes

Ils y parlent de leur récent ouvrage « Choisir son genre? » (Chronique sociale, 2022).

Bonne écoute !

Chères amies, chers amis,

Je vous mets ici le lien vers la passionnante intervention de Patricia Gherovici à la librairie Le Divan (Paris), le 12 octobre 2021. Elle y dialogue, entre autres, avec Luis Izcovich et Patrick Landman, à propos de son très important ouvrage « Transgenre. Lacan et la différence des sexes (Stilus, 2021) :

En effet, le livre majeur de Patricia Gherovici ouvre à une avancée fondamentale dans la réflexion psychanalytique contemporaine, en ce qui concerne la clinique des sujets trans, mais aussi plus généralement concernant ce que la prise en compte des subjectivités trans permet d’ouvrir en psychanalyse et dans la pensée et dans la société contemporaines.

Pour cela, la réflexion de l’autrice retraverse Freud et Lacan autrement. Cela ouvre une nouvelle lecture de leurs œuvres, mais aussi à une psychanalyse – et à une psychanalyse freudo-lacanienne (1) – prenant pleinement en compte la diversité sexuelle et la diversité des cheminements de genre, mais aussi la féconde démocratisation qui a lieu dans les jeunes générations, avec ce qu’elle apporte de fécond pour la subjectivation (2).

Présentation de l’éditeur (3)

Ce livre porte sur un sujet d’actualité, celui de l’identité sexuelle. Relève-t-elle de l’anatomie, de la culture, du discours ? Quelle est la part du choix du sujet par rapport à l’identité assignée ?
Il s’agit, dans cet ouvrage en français, de la version augmentée du livre Transgender Psychoanalysis, paru en 2017 aux États-Unis. Au moment où l’on assiste à des bouleversements de société concernant le sexe et les transformations du corps, ce livre constitue une contribution fondamentale au débat sur la norme sexuelle.

Il prend appui sur des questions qui traversent la société américaine et il aborde, à partir des récits cliniques, la place de la psychanalyse avec des patients dits « trans ».

Traduit de l’anglais par Marie-Mathilde Bortolotti-Burdeau.

Patricia Gherovici est psychanalyste, elle exerce à Philadelphie et à New York. Elle a obtenu en 2020 le Sigourney Award pour son travail clinique et théorique à propos de la question du genre et de la communauté latino aux Etats-Unis.

Elle a est la co-fondatrice et la directrice du Philadelphia Lacan Group et de l’Associate Faculty, Psychoanalytic Studies Minor, University of Pennsylvania (PSYS).

Elle est membre honoraire de l’IPTAR, l’Institute for Psychoanalytic Training and Research à New York.

Elle participe aussi aux travaux de l’institution de Formation Pulsion : https://pulsioninstitute.com/

Elle est encore membre fondatrice de l’institut de Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.

A noter encore: sa passionnante intervention (en anglais) sur le futur de la psychanalyse (avec le Covid, la mondialisation des échanges psychanalytique grâce à Internet…), sur le site de Vanessa Sinclair (New York), dans le cadre du podcast « Rendering unconscious »:

RU212: PATRICIA GHEROVICI – IS THERE A FUTURE FOR PSYCHOANALYSIS?

D’ailleurs, je vous conseille très vivement ce podcast: http://www.renderingunconscious.org/

Ici le site (en anglais) de Patricia Gherovici : https://www.patriciagherovici.com/

Et le site passionnant (en anglais), que je vous conseille (beaucoup de vidéos, de textes etc.) de Das Unbehagen : http://dasunbehagen.org/


​Parmi ses autres livres, l’on trouve son absolument passionnant « Lacan dans le ghetto. Psychanalyser le « syndrome porto-ricain », qui a reçu le Gradiva Award et le Boyer Prize. Mais aussi  Please Select Your Gender: From the Invention of Hysteria to the Democratizing of Transgenderism (Routledge, 2010).

Elle a aussi publié différents ouvrages collectifs : avec Manya Steinkoler, Lacan On Madness: Madness Yes You Can’t ( Routledge, 2015) et Lacan, Psychoanalysis and Comedy (Cambridge University Press, 2016); avec Chris Christian, Psychoanalysis in the Barrios: Race, Class, and the Unconscious  (Routledge, 2019, vainqueur du Gradiva Award et du American Board and Academy of Psychoanalysis Book Prize.

Particulièrement : à noter la sortie d’un nouveau passionnant livre collectif qu’elle a dirigé  avec Manya Steinkoler : Psychoanalysis, Gender and Sexualities: From Feminism to Trans* (Routlegde, novembre 2022) :

https://www.routledge.com/Psychoanalysis-Gender-and-Sexualities-From-Feminism-to-Trans/Gherovici-Steinkoler/p/book/9781032257600

NOTES :

(1) : Pour un telle psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, voir: Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022 ( https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/a-noter-la-sortiede-louvrage-de-benjamin-levy-lere-de-la-revendication-flammarion-janvier-2022/); Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022 (https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/; André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180; Jorge N. Reitter, Heteronormativity and Psychoanalysis, Routledge, 2023: https://dimitrilorrain.org/2023/01/13/sortie-de-heteronormativity-and-psychoanalysis-de-jorge-n-reitter-routledge-2023/; Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018. Voir encore notre réflexion collective au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY): https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/

(2) :  Voir Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, op. cit.

(3) : https://www.editions-stilus.com/transgenre.html

Chères amies, chers amis,

Pour celles et ceux d’entre vous qui lisent l’anglais, je vous informe ici de la sortie du très important ouvrage de mon ami Jorge Reitter, « Heteronormativity and psychoanalysis » (1), avec une belle préface de Patricia Gherovici.

*

Dans ce livre nourri en profondeur de l’expérience de la cure, et écrit de manière fort vivante, Jorge Reitter nous éclaire sur ce qu’il appelle l’« expérience gay » envisagée dans sa spécificité, et sur la psychanalyse depuis cette expérience.

Sa réflexion élabore, de manière rigoureusement psychanalytique, les apports de la pensée de Michel Foucault, mais aussi des études féministes, queer, lesbiennes et gaies. Elle nous éclaire sur la manière dont le discours collectif hétéronormatif et binaire oriente les pratiques et les théories psychanalytiques vers une norme désubjectivante. Et en quoi cela amène à une scotomisation ou à un rejet de la subjectivité des sujets gays, et à leur normalisation s’opposant à leur subjectivation.

Aussi ce livre nous permet-il d’appréhender la position du sujet gay dans ce que Jorge Reitter appelle – en élaborant Foucault – le « dispositif de l’hétéronormativité », c’est-à-dire le dispositif de pouvoir, portant sur la sexualité, que déploie le discours collectif hétéronormatif et binaire. Un point important est d’ailleurs que ce discours collectif voit dans l’hétérosexualité la seule forme de sexualité légitime, et donc rejette la diversité sexuelle.

De plus, nous pouvons noter que l’auteur ne parle pas de l’hétérosexualité comme en soi normative ; ce que j’élabore ainsi : c’est la forme binaire (désubjectivée) de l’hétérosexualité qui est normative, mais une autre hétérosexualité (subjectivée) existe bien, même si minoritaire, à l’écart de l’hétéronormativité.

Ainsi, plus généralement, ce livre nous aide à appréhender les ressorts et l’histoire de l’hétéronormativité et de la binarité pour chaque sujet, qu’il soit LGBT+ ou hétéro.

Pour cela, Jorge Reitter relit Freud et Lacan en détails, en essayant de « ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Il rappelle que Freud nous a révélé la contingence de l’objet sexuel. Ce qui fait que – comme le disait Freud lui-même – l’homosexualité ne peut être considérée comme « pathologique ». Bref, il n’existe pas de norme sexuelle, et il s’agit d’essayer d’en tirer toutes les conséquences.

Cela permet à Jorge Reitter, en s’appuyant sur toute une bibliographie souvent encore à découvrir en France, d’éclairer ce qui dans les œuvres de Freud et de Lacan pose de manière géniale les problèmes fondamentaux de la subjectivité et de la psychanalyse, mais aussi ce qui participe de l’hétéronormativité et de la binarité.

En ce sens, le complexe d’Oedipe, montre l’auteur, vaut aussi bien pour les sujets non hétérosexuels. Plus largement, le complexe d’Oedipe est relié dans le livre à la « tâche », pour le sujet, « de devenir indépendant de l’autorité (du désir) des parents » (2).  

Plus encore, Jorge Reitter nous propose une formulation fort élaborative, quand il établit que le sujet gay reconnaît la différence des sexes – envisagée au plus près de la clinique, et de manière non hétéronormative ni binaire (3). Juste, ajoute-t-il, le sujet gay se positionne autrement par rapport à celle-ci que le sujet hétérosexuel.

Bref, ce livre nous permet donc d’envisager les problèmes classiques de la psychanalyse (comme ceux du complexe d’Oedipe ou du complexe de castration, ou encore celui de la différence des sexes, mais aussi celui du symbolique) sous un nouveau jour, pleinement ouvert à la diversité sexuelle et dégagé de la gangue hétéronomative et binaire.

Et, en suivant les réflexions de Jorge Reitter, nous pouvons reprendre à notre compte de manière créative – et non normative – l’interrogation fondamentale de Freud sur le rôle central de la sexualité dans la subjectivité, et dans l’enfance du sujet : sur la sexualité en ce qu’elle est fondamentalement hors-norme – queer diront certains.

Cela ouvre au fait de solidement prendre en compte – avec Lacan – le donné fondamental consistant dans le fait que, pour citer Jorge Reitter, « être dépendant de l’Autre et être très marqué par son désir est une condition nécessaire » (4) à la subjectivation. Car, dirais-je, ce sont, dans un premier temps, cette dépendance à l’Autre (à l’Autre du langage, mais aussi à l’Autre qui a donné au sujet le langage) et cette marque du désir (liée à cette dépendance à l’Autre), qui permettront au sujet, dans un deuxième temps, de devenir indépendant de l’autorité, du désir, des parents.

Dans la cure, cela nécessite le fait que la parole du sujet déploie ce qu’il en est du signifiant, mais aussi que « l’attention de l’écoute analytique (soit) portée sur la structure du signifiant » (5).

D’ailleurs, dans son insistance de l’émancipation du sujet par rapport aux autorités, Jorge Reitter rejoint à mon sens l’insistance de Serge Leclaire, dans son débat avec Lacan, sur le fait que le désir de l’Autre gagne, dans la cure, à prendre une forme « un peu déliée » (6). En d’autres termes, il gagne à prendre une forme pleinement créative, dégagée de toute volonté directive (7). On le voit, chez Jorge Reitter comme chez Leclaire, c’est là une lecture de Lacan – et de son éclairage sur la créativité du signifiant – qui s’émancipe de Lacan, lorsque cela est nécessaire.

Aussi, au regard des vifs et fort compréhensibles débats contemporains à son propos (8), le complexe d’Oedipe (comme son pendant le complexe de castration) n’apparaît-il pas comme quelque chose d’en soi normalisateur, même si son élaboration a pu, chez Freud et après lui, prendre une forme hétéronormative et binaire.

Par là même, ce livre fort important nous propose une articulation très subtile, et au plus près de l’expérience psychanalytique, entre psychanalyse et politique. Car nous trouvons ici une réflexion très opérationnelle sur la question du pouvoir – en lien au langage. En effet, de manière très concrète, pour Jorge Reitter, il s’agit dans la cure d’ « être attentif à la place que le sujet a dans le discours qui le nomme, et qui le situe dans des relations de pouvoir » (9).

Cela nous permet aussi de nous rappeler ce que dit Lacan, en passant par les Lumières, de la relation de la psychanalyse au pouvoir : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir » (10).

En somme, cet ouvrage constitue un apport fondamental sur tout un ensemble de questions cruciales. Il en va là de la mise en place d’une psychanalyse  – et d’une psychanalyse freudo-lacanienne (11) – ouverte à la fois à la diversité sexuelle, à la diversité des cheminements de genre,  mais aussi à la féconde démocratisation qui a lieu dans les jeunes générations, avec ce qu’elle apporte de fécond pour la subjectivation (12). Cette psychanalyse ouverte se positionnant de manière psychanalytique contre les discriminations. Ici, l’enjeu est aussi que cette psychanalyse ouverte soit aussi capable de soutenir solidement la subjectivation des sujets, en utilisant pour cela les apports cliniquement fondamentaux, et toujours actuels (pour peu qu’on les réinterprète de manière créative comme le fait l’auteur), de Freud et de Lacan.

Et je finirai sur ce point : Jorge Reitter insiste sur le fait que la psychanalyse qui se positionne contre les discriminations, c’est aussi la psychanalyse qui se positionne contre elles dans les institutions psychanalytiques. Ce alors que l’institution psychanalytique a mis tant de temps à dépathologiser l’homosexualité. D’ailleurs, l’institution psychanalytique, en cela, a bien été contre la volonté de Freud qui, il s’agit de le rappeler, était favorable au fait que des gays ou des lesbiennes deviennent analystes. C’est bien ce que montre le fait qu’il a longtemps collaboré avec Hirschfeld, ce sexologue et militant historiquement important pour la reconnaissance des droits LGBT (13).

*

Présentation de l’ouvrage par l’éditeur 

Heteronormativity and Psychoanalysis proposes a critical reading of the Freudian and Lacanian texts that paved the way for a heteronormative bias in the theory and practice of psychoanalysis.

Jorge N. Reitter’s theoretical-political project engages in a genealogy of how psychoanalysis approached the ‘gay question’ through time. This book determinedly seeks to dismantle the heteronormative bias in the theories of psychoanalysis that resist new discourses on gender and sexuality. Drawing on developments by Michel Foucault and lesbian and gay studies on queer theory and feminist theorizing, Reitter draws attention to the normalizing devices that permanently regulate sexuality neglected by psychoanalysis as producers of subjectivities.

Accessibly written, Heteronormativity and Psychoanalysis will be key reading for psychoanalysts in practice and in training, as well as academics and students of psychoanalytic studies, gender studies, and sexualities.

Table des matières

Prologue by Patricia Gherovici

Prologue to the first edition

I. Heteronormativity and psychoanalysis

1) Oedipus gay

2) The original entanglement. How psychoanalysis could not escape the heteronorm

3) Oedipus reloaded

4) Towards a post-heteronormative Oedipus

II. Miscellanea

5) On the political incorrectness of eroticism

6) Rethinking the possible as such

7) Felix Julius Boehm

III. Bonus tracks

8) Talking with Jorge Reitter : neither the Other nor sexuality exists outside of power relations

Epilogue

Jorge N. Reitter est psychanalyste d’orientation lacanienne, il vit et exerce à Buenos Aires (Argentine).

Il enseigne à l’Université de la République, Uruguay. Il a enseigné à la Faculté de Psychologie de l’Université de Buenos Aires et à l’Université Nationale Autonome de Zacatecas (Mexique).

Pour une présentation de l’ouvrage (en espagnol), sur la passionnante et fort subtile Chaîne Youtube Asociación Libre (en espagnol), portant sur la psychanalyse, avec Matias Tavil, voir :

Jorge N. Reitter intervient aussi régulièrement sur Asociación Libre, animée par Matias Tavil, et que je vous conseille vivement si vous comprenez l’espagnol :

https://www.youtube.com/channel/UCn-ca92YLNQjj_GSE4zxvag

NOTES :

(1) : La page Internet du livre: https://www.routledge.com/Heteronormativity-and-Psychoanalysis-Oedipus-Gay/Reitter/p/book/9781032171845#

(2) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 53.

(3) : Pour une clinique et une théorie ni hétéronormative ni binaire de la différence de sexes, voir P. Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021. Voir aussi Serge Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.

(4) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 60.

(5) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 31.

(6) Serge Leclaire, Rompre les charmes, Inter Éditions, 1981, p. 167.

(7) : De ce point de vue, en ce qui concerne l’histoire de la psychanalyse en France, l’apport de Lacan, pour génial et mettant en crise le caractère massivement directif de l’enseignement de Freud (voir Moustapha Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988), n’a pas été sans réintroduire une certaine directivité. Leclaire, comme d’autres de ses élèves (Perrier La Chaussée d’Antin : Œuvre psychanalytique I., Paris, Albin Michel, 2008 et La Chaussée d’Antin II. : Œuvre psychanalytique II., Albin Michel, 2008), Lucien Israël (Boiter n’est pas pécher, Arcanes/Erès, 2010)…), proposent de mettre en crise de l’intérieur de l’apport lacanien le reste de directivité qui habite l’enseignement de Lacan.

(8) : Plus en détails, Jorge Reitter débat avec son ami Fabrice Bourlez sur cette question du complexe d’Œdipe. Dans son fort intéressant ouvrage Queer psychanalyse (Hermann, 2018), Fabrice Bourlez propose en effet une psychanalyse post-oedipienne, nourrie en premier lieu de Deleuze et de Guattari (L’Anti-Œdipe, Paris, 1972).

(9) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 15.

(10) : J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.

(11) : Pour un telle psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, voir: Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022 ( https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/a-noter-la-sortiede-louvrage-de-benjamin-levy-lere-de-la-revendication-flammarion-janvier-2022/); Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022 (https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/; André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180; Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018. Voir notre réflexion collective au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY): https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/

(12): Pour cette démocratisation, voir Benjamin Lévy, op. cit.

(13) : Sur Hirschfeld et la proximité de Freud avec lui, voir P. Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021, p. 82-91.




Au regard de l’évolution contemporaine des discours et des mécanismes psychiques, j’aimerais ici insister sur un point qui me semble particulièrement important. Tout un ensemble de discours collectifs avancent de nos jours que la psychanalyse sous sa forme actuelle serait « dépassée » – souvent pour justifier sa minoration institutionnelle. Or cela ne me semble pas juste.

            En effet, s’il s’avère que la psychanalyse a pu souvent être dénaturée et devenir dogmatique, et ainsi renier sa créativité fondamentale, cela n’est heureusement pas toujours le cas. Elle existe aussi de nos jours sous une forme rigoureuse et créative (ce qui est la même chose). Dans ce cas-là, je dirais qu’elle se centre sur la création d’un lien de parole qui ouvre à la création du lien psychanalytique en tant que tel[1]. Bien sûr, la psychanalyse ne se réduit pas à ce lien de parole, que je définis plus loin comme désirant, même si c’est là selon moi une dimension importante, pour faire advenir et se déployer le processus psychanalytique.

            Sous cette forme, la psychanalyse élabore sur les critiques qui lui sont adressées. De plus, elle remet au travail ses apports, afin de prendre en compte les subjectivités contemporaines.

            Dès lors, la psychanalyse a une très grande efficacité subjectivante, comme nous le constatons en pratique. C’est le cas pour peu que le processus psychanalytique se mette en place, du fait d’un positionnement fécond du psychanalyste, dans le sens de la création du lien de parole et du lien psychanalytique. Bref, la psychanalyse en soi n’est pas « dépassée », et il s’agit de mieux la faire connaître sous sa forme véritable, créative. C’est en ce sens que je voudrais ici insister sur ses apports.

            Dans ce cadre, la minoration institutionnelle actuelle de la psychanalyse acquiert à mon sens la signification suivante. Il s’agit, dans ces institutions, d’empêcher le lien de parole nécessaire au sujet, ne pas laisser exister la parole, et particulièrement pas le lien de parole ni la parole sous leurs formes psychanalytiques. Ce afin que la psychanalyse ne risque pas de sortir les sujets et les institutions de leurs routines, ni d’un ennuyeux confort. Ce confort étant lié à une logique d’adaptation et de sécurité, et au déploiement désubjectivant de la compulsion de répétition, qui vont de pair. Bref, la psychanalyse est institutionnellement souvent mise de côté pour ne pas qu’elle risque d’apporter du nouveau au niveau du lien de parole, et dès lors ni subjectivement ni collectivement[2]. Voilà à mon sens la principale raison de la minoration institutionnelle actuelle de la psychanalyse. Ce même si, en même temps, la forme dénaturée, dogmatique, qu’elle peut parfois prendre, la dessert. Cela, bien sûr, il nous faut aussi le constater.

            Sur le fond, nous avons ici affaire au malaise dans la culture – tel que Freud l’a problématisé dans son ouvrage du même nom –, et au malaise dans la culture sous sa forme contemporaine. Bref, nous avons affaire aux forces subjectives et collectives allant contre la subjectivation et contre le lien de parole et la parole en général. Ce malaise dans la culture, la psychanalyse permet de l’appréhender de manière tragique.

            Il reste qu’au regard de ce que nous dit la tradition philosophique, ce rejet de la parole et du lien de parole, que nous constatons aujourd’hui, n’a rien de nouveau. Déjà, Levinas, en 1961, dans Totalité et Infini, posait les questions vertigineuses de l’« antilangage » et de la dystopie d’un « monde absolument silencieux ». En effet, considérant que « le monde est offert dans le langage d’autrui » – et donc dans le lien de parole avec l’autre –, Levinas repérait déjà dans nos sociétés une tendance vers le déploiement de l’« antilangage », du « monde absolument silencieux ». Ici, dit-il, « l’interlocuteur a donné un signe, mais s’est dérobé à toute interprétation »[3]  – et à tout lien de parole.

            Et j’aimerais en ce point insister sur le rejet du geste d’interprétation, alors que l’interprétation introduit du subjectif, du singulier, puisque le sujet s’y autorise de sa propre lecture, de sa propre parole, et du lien de parole, marqué par la séparation – par la perte –, qu’il a avec l’autre[4].

            Ici, nous dit encore Levinas, dans ce monde absolument silencieux, règne le « pur spectacle », la « pure objectivité », qui en son fond est un rire « ricanant », et qui relève du sarcasme et non de l’humour, un « rire qui cherche à détruire le langage »[5]. En termes psychanalytiques : ici se déchaîne le surmoi en ce qu’il enjoint le sujet à se taire, à ne déployer ni parole ni lien de parole[6].

            Plus encore, dans une autre problématisation que celle de Levinas, Foucault, en 1970, avançait que, derrière la prolifération apparente des discours de surface, « il y a sans doute dans notre société (…) une profonde logophobie, une sorte de crainte sourde contre ces événements, contre cette masse de choses dites, contre le surgissement de tous ces énoncés, contre tout ce qu’il peut y avoir là de violent, de discontinu, de batailleur, de désordre aussi et de périlleux, contre ce grand bourdonnement incessant et désordonné du discours »[7]. Le coup de génie de Foucault[8] étant de montrer que cette logophobie trouve largement sa source dans les institutions, dans la manière dont les institutions en Occident sont historiquement, le plus souvent, construites et envisagées.

            Ainsi, ces deux grands philosophes, de deux manières tout à fait différentes, ont repéré dans l’histoire de nos sociétés occidentales le rejet de la parole, que Foucault a situé au niveau institutionnel et collectif. Et nous pouvons constater de nos jours le fait que cette logophobie, et le rejet du lien de parole qui va de pair, se déploient de manière encore plus extensive qu’à leur époque, particulièrement dans ce que l’on appelle le champ du soin psychique.

            Rien d’antimoderne dans mon propos. A mon sens, dans l’histoire de l’Occident, la logophobie est plus ou moins dominante suivant les époques, cela fluctue. L’œuvre de Foucault – même si je ne le suivrais pas sur tout, particulièrement concernant la psychanalyse – aide à appréhender sa logique et à en faire l’histoire[9]. Plus encore, c’est à mon sens en bonne partie la logique institutionnelle dominante dans nombre d’institutions contemporaines, liée aux relations de pouvoir, qui déploie cette logophobie, qui réprime la parole et le lien de parole. De plus, cette logique institutionnelle logophobe, existante à l’époque de Levinas et de Foucault – mais aussi de Lacan –, s’est bien depuis étendue, pour s’étendre à nombre de champs qui lui échappaient[10].

            Ainsi, l’accélération de nos rythmes d’existence[11], liée à cette logique institutionnelle, arrive dorénavant souvent (pas toujours heureusement, car il existe des institutions où la parole peut exister et se déployer) à imposer une accélération de notre relation au langage, un court-circuitage de la parole, et ainsi à empêcher toute durée – tout après-coup – permettant la parole et le lien de parole.

            Et face à cette logophobie et face à ce défaut de lien de parole[12], lorsque, dans la cure, le psychanalyste pose un lien de parole et qu’il donne la parole au patient, il arrive régulièrement (pas toujours bien sûr) que la parole surgisse, spontanément, et que, dans la cure, pour peu que le psychanalyste se positionne créativement en ce sens, il soit possible d’en faire une demande et une parole au sens psychanalytique.

            Mais quelles sont les caractéristiques du lien de parole que gagne à poser le psychanalyste, afin de créer le lien analytique ? Eh bien, je dirais que ce peut être un lien de parole désirant, car marqué par la perte, mais aussi par le nouage désirant entre le réel, le symbolique et l’imaginaire. En somme, le désir de désir – et le désir de parole – du psychanalyste pose et propose un lien de parole désirant qui en appelle au désir et à la parole du patient, et au fait que la parole du patient soit désirante – et donc en premier lieu marquée par l’écart entre le manifeste et le latent.

            Dans ce lien de parole désirant, l’écoute du psychanalyste ouvre au déploiement du désir, du latent, dans la parole du patient, ou bien, si nécessaire, à la naissance du désir, du latent, dans celle-ci. Elle ouvre à une singularisation de la parole et à une richesse symbolique, poétique, de celle-ci, ainsi qu’au nouage (ou à l’articulation sinthomale) entre le réel, le symbolique et l’imaginaire.

            Ici, dans ce lien de parole désirant que (pro)pose le psychanalyste, l’écoute de celui-ci ouvre, du côté du patient, au déploiement d’une demande – la demande allant toujours dialectiquement avec le désir. Elle ouvre au fait que la parole du patient déploie une demande au sens psychanalytique, fondatrice du processus de la cure.

            Plus encore, le phénomène contemporain du défaut et du rejet de lien de parole dans les institutions, je crois que c’est quelque chose que beaucoup de nos contemporains appréhendent. Avec la dite « crise du Covid », s’est en effet à mon sens révélé au grand jour le fait que les institutions contemporaines rejettent la parole et le lien de parole. Et cela est maintenant allé si loin en ce sens que, par contrecoup, les demandes de parole, de lien de parole, affluent. En effet, culturellement, il faut à mon sens noter qu’une bonne partie de nos contemporains refusent la logophobie, refusent le défaut de lien de parole. J’en veux pour preuve les éléments suivants. Avant tout, les demandes aux « psys », et particulièrement aux psychanalystes, affluent. L’intérêt en France pour la série « En Thérapie », malgré ses imperfections, témoigne aussi de cela. Plus encore, nombre de revendications contemporaines sous leurs formes ouvertes et démocratiques[13], particulièrement les revendications féministes ou liées au mouvement LGBTQIA+, sont aussi le plus souvent liées (comme elles le disent d’ailleurs elles-mêmes très régulièrement) à un refus du défaut et du rejet de la parole et du lien de parole dominant dans les institutions.

            Mais, pour en revenir plus généralement aux nouvelles formes de mécanismes psychiques et de discours, il me semble que, parmi les différents facteurs contemporains expliquant ces formes nouvelles de mécanismes psychiques et de discours, pèsent à mon sens particulièrement deux éléments : le fait que le lien de parole est très souvent (pas toujours heureusement) empêché dans les institutions, parce que la logophobie y règne ; mais aussi l’appréhension par nombre de nos contemporains concernant ce défaut de lien de parole et cette logophobie. C’est un point important à relever cliniquement, il me semble, pour nous positionner dans le bon sens. Car si nous partons de cela, nous pouvons il me semble alors appréhender le fait que, si le psychanalyste se positionne dans le sens de la création d’un lien de parole désirant (qui est donc à mon sens régulièrement – et donc pas toujours – souhaité par les patients en quête d’un lien de parole), eh bien les choses peuvent s’ouvrir, et même qu’elles s’ouvrent assez régulièrement, dans le sens de la création du lien psychanalytique. Ainsi, telle que je l’envisage, la psychanalyse, pour tragique, relève d’un optimisme tragique, malgré tout.

            Pour ma part, je vois dans les nouvelles formes de discours et de mécanismes psychiques, une nouvelle forme de demande[14], et même une nouvelle forme de possibilité de demande. À mon sens, cela implique, du côté du psychanalyste, une forme renouvelée de l’écoute psychanalytique[15], positionnée dans le sens de la création du lien de parole désirant et de la création du lien analytique.

            C’est en ce sens que, comme le pointe le titre de ce texte, j’ai voulu ici insister sur les apports de la psychanalyse créative telle que je la conçois. J’ai ainsi voulu insister sur le fait que, sous sa forme créative, le psychanalyste peut travailler dans le sens de l’émergence, en une rencontre fondatrice[16], du lien de parole désirant entre le psychanalysant et le psychanalyste, et donc sur la création du lien psychanalytique. Alors, comme l’expérience de la cure permet de le constater et de l’éclairer, la psychanalyse a une grande efficacité subjectivante[17].


[1] Ce que j’élabore ici se situe dans l’apport de Lacan et de sa relecture créative. Sur la création du lien psychanalytique, voir particulièrement Lucien Israël, Boîter n’est pas pécher, Arcanes/érès, 2010 ; Jean-Richard Freymann, La naissance du désir, Arcanes/érès, 2005.

[2] Sur ce point, ce que dit Israël (op. cit.) n’a pas pris une ride.

[3] E. Levinas, Totalité et infini, essai sur l’extériorité, Livre de poche, 1991 (1961), p. 90-94.

[4] Sur l’interprétation, je me permets de renvoyer à ma réflexion intitulée « Sur l’interprétation. Une lecture de « Le rabbin et le psychanalyste » de Delphine Horvilleur. https://dimitrilorrain.org/2020/12/04/avec-delphine-horvilleur-sur-linterpretation-une-lecture-de-le-rabbin-et-le-psychanalyste-hermann-2020/ 

[5] E. Levinas, op. cit., p. 90-94.

[6] Tel que le psychanalyste Didier-Weill, d’ailleurs en lecteur de Levinas, le montre. Voir A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, Seuil, 1995.

[7] M. Foucault, L’ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 92-93. La leçon a été prononcée en 1970.

[8] De ce Foucault-ci, qui n’est pas le Foucault plus tardif. Ce dernier insiste plutôt sur la manière dont ce qu’il appelle le « pouvoir » fait parler. Autant de problématisations fécondes, d’hypothèses de travail différentes et donnant à élaborer la complexité des choses.

[9] C’est une longue histoire que le rejet du langage et de la parole : pour d’autres éléments concernant cette histoire, voir aussi l’admirable ouvrage du linguiste allemand J. Trabant, Humboldt ou le sens du langage, Mardaga, 1992. J’ai eu la chance de collaborer avec lui lorsque j’ai été Visiting Fellow à l’Université Humboldt de Berlin en 2011-2012.

[10] Sur l’institution contemporaine, voir les réflexions de R. Gori, par exemple La Fabrique des imposteurs, Les liens qui libèrent, 2013.

[11] Be. Stiegler, Dans la disruption, Les liens qui libèrent, 2016 ; H. Rosa, Accélération, La Découverte, 2010.

[12] Sur cette question du lien de parole et du défaut de lien de parole, j’élabore aussi sur la réflexion de Winnicott. Winnicott parle pour sa part de « déprivation » concernant ce que j’appelle le défaut de lien de parole. Voir par exemple Jeu et réalité, Gallimard, 2002.

[13] Il existe aussi des revendications contemporaines prenant une forme fermante, avec ses excès problématiques – ce qui à mon sens d’ailleurs sans doute reconduit une forme de logophobie. Sur cette question des revendications contemporaines, dans leur apport démocratique et leur complexité, voir Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022.

[14] J’élabore ici sur les récentes réflexions d’André Michels. Ainsi lors de la soirée de l’ASSERC « De la clinique psychanalytique à venir. Comment la concevoir ? », Strasbourg, le 25.2.22.

[15] Toujours comme nous y invite André Michels.

[16] Sur cette rencontre fondatrice, Lucien Israël a des pages fort éclairantes lorsqu’il parle de la « rencontre symbolique », dans Boiter n’est pas pécher, op. cit.

[17] La question est alors de savoir comment l’on peut penser plus en détails ce lien de parole désirant, et comment l’on peut envisager la création du lien de parole désirant, et donc du lien psychanalytique. C’est de cette question dont je traiterai, comme de notre situation discursive et psychique contemporaine, dans deux textes à venir, l’un dans la Lettre de la FEDEPSY, et l’autre sur le site de la FEDEPSY.

Chères amies, chers amis,

Ici la passionnante séance du 15.6..22 du séminaire « Freud, Lacan et nous. Les incidences du contemporain dans les processus de subjectivation », de l’association Psychanalyse actuelle, animé par J.-J. Moscovitz et Benjamin Lévy. Elle est consacrée au très important ouvrage de ce dernier, « L’ère de la revendication » (Flammarion, 2022). J’ai eu le plaisir de participer aux échanges.

Voici la présentation du livre sur le site de l’éditeur:

« Le ressentiment, l’indignation, la colère, la défiance et l’anxiété sont désormais omniprésents dans l’espace public, mais certaines voix s’élèvent pour réclamer le droit à un avenir meilleur. Se mettre à l’écoute des revendications collectives, aussi hétérogènes qu’elles puissent sembler ( féministes, antiracistes, écologistes, etc.), c’est devenir sensible à des trajectoires de vie, à des désirs singuliers qui incitent des femmes et des hommes à se montrer inventifs pour transformer la société.
D’un autre côté, la frustration prend parfois un chemin mortifère, s’inscrivant dans une dynamique paranoïaque, une radicalisation des pensées. Comment la revendication reste-t-elle porteuse d’avenir, et en vertu de quels mécanismes risque-t-elle au contraire de se retrouver du côté de la haine, de la destructivité ou même du meurtre ? J’ai voulu dans ce livre découvrir moins “si” que “comment” revendiquer peut être un bien en démocratie.
J’invite le lecteur à un voyage sur des eaux tumultueuses : des Gilets jaunes aux antivax, du mouvement #MeToo à Black Lives Matter en passant par les revendications LGBTQIA+, ce livre offre des outils pour mieux comprendre les débats contemporains. »
B. L.

A propos de ce livre:

Benjamin Lévy est psychanalyste, psychologue, philosophe, enseignant, ancien élève de l’ENS. Il a publié de nombreux articles, ainsi que plusieurs traductions d’ouvrages aux éditions Ithaque – dont par exemple la correspondance Freud-Federn (Cartes postales, notes & lettres de Sigmund Freud à Paul Federn, 1905-1938, Paris, Ithaque, 2018), autour de laquelle j’avais organisé une rencontre à la Librairie des Bateliers, Strasbourg, le 15.6.2019, pour un échange avec Jean-Raymond Milley.

Il publie aussi régulièrement des textes sur le blog (1).

Il anime avec Jean-Jacques Moscovitz le séminaire « Freud Lacan et Nous. Les incidences du contemporain dans les processus de subjectivation », de l’association Psychanalyse actuelle, hébergé dans les locaux de l’Ecole Normale Supérieure (2) .

Voici le lien vers son blog: https://benjaminlevy.wordpress.com/

NOTES:

(1): https://dimitrilorrain.org/category/textes-de-benjamin-levy/

(2): https://sites.google.com/site/psychanalyseactuel/seminaire-de-psychanalyse-actuelle?authuser=0

Delphine Horvilleur, Le rabbin et le psychanalyste, l’exigence d’interprétation, Hermann, Paris, 2020, avec un prologue de F. Gorog et L. Faucher, et une contribution de Stéphane Habib.

            Dans son dernier ouvrage, Delphine Horvilleur, rabbin au Mouvement juif libéral de France et directrice de la rédaction de la Revue de pensée(s) juive(s) Tenou’a (2), interroge la relation entre l’interprétation juive et l’interprétation psychanalytique. La lecture de ce livre est fort féconde pour le psychanalyste, parce qu’il rappelle et élabore des questions absolument fondamentales pour notre champ.

            J’aimerais ici vous proposer quelques associations sur ce réflexion passionnante – et pleine d’esprit. Plus encore, je vais vous proposer une présentation de son propos, déployée dans une élaboration – et donc une interprétation – personnelle.

            Je tiens à préciser que c’est là l’élaboration de quelqu’un qui n’est pas de culture juive, mais qui, ayant bien à l’esprit que la psychanalyse est liée à la judéité, essaie de se mettre à l’école de celle-ci. Je vous présente donc ici une réflexion en train de se faire, et qui a ses limites.

            J’aimerais insister sur le fait que l’auteure, dans sa réflexion sur l’interprétation juive, traite de questions importantes pour, comme moi, l’élabore, l’enseignement de Lucien Israël, tout en insistant sur le fait que la psychanalyse est une science spécifique – comme le disaient Freud et Lacan – ont largement puisé dans la conception juive de l’interprétation pour approfondir l’enseignement de Freud et de Lacan[3].

            Et c’est, rappelons-le, cet appui sur la conception juive de l’interprétation, élaborant l’éthique de la psychanalyse telle que l’a éclairée Lacan, qui a permis à la psychanalyse de l’Est de prendre une forme solidement créative et subjectivante, et non dogmatique.

            Bien sûr, il n’y a pas que dans l’Est que l’on a traité de manière féconde de cette question de la relation entre psychanalyse et judéité, ou entre psychanalyse et judaïsme. Les contributions sur cette question cruciale sont innombrables. Parmi tant d’autres, j’aimerais évoquer l’ouvrage collectif datant de 1980, tiré du colloque du même nom, et coordonné par J.-J. Rassial, La psychanalyse est-elle une histoire juive ?[4] J’aimerais encore citer le récent et très passionnant Manifeste déiste d’un psychanalyste juif de ce même J.-J. Rassial. J’aimerais aussi évoquer les contributions aussi différentes que celles de A. Michels, Didier-Weill, E. Roudinesco, J. Le Rider, ou E. H. Malet[5]. Mais enfin, cette question a trouvé chez nous une élaboration très poussée.

            Bref, l’apport de Delphine Horvilleur, dans cet ouvrage comme dans d’autres, nous permet d’approfondir notre conception strasbourgeoise de la psychanalyse. Il nous permet aussi, et surtout, de développer une conception créative et non dogmatique de la psychanalyse, fondée sur la lecture de Freud et de Lacan, en leur créativité. Ce à l’heure même où la psychanalyse souffre avant tout des conséquences des tendances dogmatiques qui ont eu le dessus dans le champ psychanalytique depuis plusieurs décennies, avec ce que cela implique de lectures fermées de Freud et de Lacan.

            Avant d’en venir au livre de Delphine Horvilleur, j’aimerais faire quelques rappels sur la relation entre psychanalyse et judéité.

            La psychanalyse est une science spécifique, comme le disent Freud et Lacan, relevant d’une forme spécifique des Lumières[6]. Elle est nourrie de la judéité et du judaïsme, et plus précisément héritière de la culture juive libérale. Celle-ci insiste à la fois : sur le texte et sur la lettre, sur le mot d’esprit et sur la métaphore, sur la séparation et sur la perte, sur l’Autre barré en tant que Dieu pas-tout, ou pas tout puissant, mais aussi sur la singularité et sur la transmission. De plus, elle se méfie de l’unanimisme qui rôde toujours dans notre culture occidentale et particulièrement dans notre culture contemporaine.

            Freud était un homme de science, tenant des Lumières, critique des religions, et donc du judaïsme, tout en étant fidèle au peuple juif et largement nourri du judaïsme. En ce sens, c’est, dit Freud, le fait qu’il était juif qui fait qu’il a toujours eu du recul vis-à-vis de la « majorité compacte ». C’est, dit Freud très exactement, le fait qu’il était juif qui a fait qu’« il se familiarisa précocement avec le destin de (s)e trouver dans l’opposition et d’être mis au banc de la majorité compacte »[7] : et c’est là une manière géniale de formuler l’exigence éthique de se dégager du discours de l’Autre[8], de se dégager de la prise dans le discours ambiant (dans lequel le sujet est toujours plongé), afin de singulariser sa parole[9].

            Concernant cette singularisation de la parole, pour continuer d’élaborer sur Freud et sur la judéité, je dirais que nous trouvons dans la psychanalyse l’exigence d’« indocilité » subjective qu’évoque Freud, toujours dans son Moïse – ce mythe pour les psychanalystes qu’a forgé Freud. En effet, Freud nous y dit que les « sauvages Sémites » ne sont pas « dociles » comme les « Egyptiens ». Il en va là d’une « revendication des hommes de Moïse » qui les a amenés à tuer le père – le Père imaginaire, dirais-je avec Lacan. Ce alors que, dans « l’histoire égyptienne, il (est) rarement question de l’éviction violente du meurtre de pharaon »[10]. En somme, Freud nous invite à être moins égyptiens et plus juifs, à être moins dociles et plus sauvages, à s’autoriser de soi-même (et de quelques autres) – aussi vis-à-vis de nos maîtres, car c’est la seule voie d’une effective, car créative, transmission de ce qu’ils nous ont donné.

            J’en viens maintenant aux neuf points que j’aimerais élaborer dans ce que nous dit Delphine Horvilleur. Je citerai amplement l’auteure, dont les formulations sont si souvent des trouvailles.

             Premier point : Delphine Horvilleur fait un parallèle fort éclairant concernant trois types d’interprétation : l’interprétation dans la lecture des textes de la tradition juive ; l’interprétation dans la lecture des textes psychanalytiques ; mais aussi l’interprétation dans la cure psychanalytique – puisque la psychanalyse, dit Lacan, c’est la lecture du texte que déploie la parole du psychanalysant[11]. Sur ce point, Lacan ira d’ailleurs jusqu’à dire que la psychanalyse se rapproche du midrash, en ce que, comme l’interprète de la tradition juive, le psychanalyste « sait lire, c’est-à-dire que de la lettre il prend distance de sa parole, trouvant là l’intervalle, juste à y jouer d’une interprétation »[12]

            Deuxième point : l’auteure nous dit que l’interprétation, c’est de l’ouverture. Qu’est-ce à dire ? L’interprétation, ce n’est pas la vérité. Bien plutôt, dans l’interprétation, il y a de la vérité. En somme, la vérité dans l’interprétation n’est pas tout, elle n’est pas-toute, comme y insiste dans sa préface Stéphane Habib – à la suite de la réflexion de Lacan sur le pas-tout[13]. En premier lieu, parce qu’il y a de l’équivoque, de l’ « ambivalence de sens » dans les mots (p. 43)[14].

            Troisième point : ce sur quoi insiste aussi à mon sens Delphine Horvilleur, c’est le fait qu’interpréter (un texte), c’est poser un collectif lié à ce texte, un collectif de lecteurs, et même un collectif transgénérationnel de lecteurs. Car, dans le passé, le texte (encore une fois celui de la tradition juive, celui de la tradition psychanalytique) a eu des lecteurs et des lectures. Ces lectures passées, l’interprète doit (c’est là un principe éthique) les discuter : « c’est le principe clé de l’interprétation juive », écrit l’auteure, « le lecteur doit toujours, d’une manière ou d’une autre, faire avec ce qu’on a fait dire aux textes avec lui » (p. 25-26).

            Plus encore, le judaïsme pose que le texte aura aussi, dans l’avenir, des lecteurs : « le sens même de l’exégèse juive, c’est celui-là : la conscience que le texte n’a jamais fini de parler, qu’il lui reste toujours à dire, et que le prochain lecteur vous dira peut-être ce que le texte veut dire et peut encore dire » (p.25).

            Bref, il en va là – et c’est là un quatrième point, fondamental, concernant ce que nous dit Delphine Horvilleur – du fait de laisser la signification ouverte, « de laisser de l’incomplétude à l’œuvre » (p. 38). En termes psychanalytiques, je dirais : le sujet, en posant un geste interprétatif, pose l’existence, dans son acte de parole en tant que parole, d’un Autre de parole, dans le passé, dans le présent, et dans l’avenir. Et cet Autre ne sait pas tout. C’est là ce que Lacan a appelé, pour l’opposer à l’Autre plein (qui saurait tout – de l’inconscient du sujet – serait détenteur d’un Savoir absolu), l’Autre vide, barré, l’Autre inhérent à la parole, l’Autre du langage. De ce langage qui a existé dans le passé, existe dans le présent, et existera dans le futur.

            Ainsi, le langage, c’est le Temps même. Parler (parler vraiment), c’est s’inscrire comme sujet dans le Temps, pour ouvrir à l’après-coup. Et cette question-là n’est pas de peu de portée, dans notre culture contemporaine enfoncée jusqu’au cou dans le présentisme[15].

            Et cet Autre du langage, cet Autre de la parole, a un lieu, un champ, qui est celui du pacte symbolique[16] – qui ouvre au Temps.

            En somme, comme l’a écrit Delphine Horvilleur, dans son Réflexions sur la question antisémite, pour les Juifs, « tout n’a pas été dit, tout reste à dire »[17]. D’ailleurs, par-là même, dans l’histoire longue de l’Occident, le Juif « empêche de faire tout »[18] – ce qui éveille le rejet du Juif, l’antisémitisme.

            Interpréter un texte, pour un rabbin, pour un psychanalyste, c’est donc poser une collectivité transgénérationnelle ouverte, plurielle, autour du texte, et une collectivité où la lecture doit (il en va là encore d’un principe éthique) être nouvelle, « inouïe » (p. 24).

            Et, élaborerais-je, cette lecture est nouvelle, inouïe, parce qu’à la fois subjective (chaque sujet se subjectivant est singulier) et répondant au contexte historique (et celui-ci change)[19]. En effet, la culture juive, et le Talmud (dont je ne suis guère spécialiste, je vous raconte juste ce que j’ai cru en comprendre) sont fondés, comme le rappelle Armand Abécassis, sur un geste de réinterprétation toujours subjective et singulière, des textes de la tradition. Cette réinterprétation cherche à éclairer à la fois ces textes dans leur contexte, et à voir comment repenser leur apport dans le nouveau contexte dans lequel nous nous situons. Cette réinterprétation singulière et contextuelle ouvre à des interprétations toujours singulières, toujours différentes, toujours nouvelles. Et c’est bien la singularité, la nouveauté, et la pertinence au regard du contexte de l’interprétation qui sont ici visées. Ce contre la plate exégèse, et contre son rejet de la singularité et du désir, mais aussi contre l’oubli de la contextualité et de l’historicité. J’aimerais insister sur ce que ce rejet et cet oubli impliquent en termes de savoir, qui se trouve considéré comme un attribut de statut et de pouvoir – et non, comme le fait la psychanalyse, en termes d’hypothèse au regard d’un réel énigmatique, et de traversée des illusions liées à une position narcissique de savoir (puisque la transmission opère toujours dans les failles du savoir).

            Cinquième point : cette collectivité transgénérationnelle, c’est le lieu de la transmission, de la transmission comme reprise créatrice, comme fidèle infidélité, ou comme infidélité pour être fidèle. Voici ce que Delphine Horvilleur en dit : « c’est la fameuse fidélité-infidélité en tant que ’’clé de la transmission’’, l’impossible réplication à l’identique d’un modèle qui nous a donné naissance et qui oblige tout héritier à assurer la pérennité du système dans leur fidélité partielle à ce même système » (p. 28).

J’aimerais faire ici remarque importante: en cela, Delphine Horvilleur est bien, comme elle le dit, une lectrice de Derrida qui a pensé, en lien la judéité, cette infidélité fidèle. Comme l’écrit Derrida, la perte, « le deuil est une fidélité infidèle »[20].

            Sixième point : ce que demande éthiquement le geste d’interprétation, c’est donc, pour le sujet, de partir, de sa singularité. Car le sujet, dans le judaïsme, pour la psychanalyse, et sans doute plus généralement, s’il est un sujet, est séparé, et pris dans un geste de singularisation. Il reste que cette séparation n’est pas isolement, bien au contraire. Car la singularisation est permise par le collectif transgénérationnel posant la nécessité éthique la séparation.

            Ainsi, à mon sens, en interprétant et en inscrivant le texte dans le grand jeu des interprétations de la collectivité transgénérationnelle, le sujet lecteur échappe au face-à-face dyadique avec le texte. Et même, il échappe aux deux formes de lecture que peut prendre ce face-à-face dyadique :

– à la lecture relevant du dogmatisme de la soumission, où le Texte serait la Vérité et dirait tout ce qu’il y a à dire – et alors le texte ne peut être écouté ;

– comme à la lecture relevant de l’arrogance, où le Lecteur se pose en position de surplomb face au texte, et ne laisse pas sa parole être travaillée, pas traversée, par lui ; alors que ce travail, cette traversée permet une déprise, de son propre discours ; et que ce travail permet aussi une traversée réflexive de son propre discours, permettant d’ouvrir ce dernier.

            En somme, ce n’est que dans l’indocilité (que j’ai évoquée précédemment) d’un sujet s’autorisant de sa propre parole (et de quelques autres) que peut naître une reprise véritable, une reprise créatrice.

            Delphine Horvilleur insiste sur cette indocilité, qu’elle appelle – au regard de la tradition juive – l’infidélité. Et elle le fait en interprétant de manière nouvelle et singulière le cheminement d’Abraham dans la Bible. Elle rappelle en effet qu’Abraham écoute l’appel du « Va vers toi ». Cela fait qu’ « il devient en cet instant un ’’Hébreu’’, littéralement qu’il devient ’’quelqu’un qui passe’’, ’’quelqu’un qui traverse’’. En un mot, il est celui qu’il est, parce qu’il n’est plus celui qu’il était. Il est celui qu’il est, parce qu’il n’est plus là où il était. Son identité est définie par une ’’non-identité’’ à ses origines et une rupture avec elle’’ » (p. 31-32). Ce qu’avance Delphine Horvilleur rejoint d’ailleurs les apports les plus fondamentaux de la psychanalyse. En effet, celle-ci pointe elle aussi le fait que cette fidèle infidélité implique, à un certain niveau, un refoulement de la généalogie. Cela fait que, si l’on transmet, l’on ne sait pas ce qui se transmet. Cela fait aussi que ce qui se transmet, se transmet toujours depuis la faille du sujet qui transmet[21].

            Bref, ajoute l’auteure, « Abraham est l’homme qui est parti du lieu de sa maison », qui est sorti de la tutelle discursive et psychique dans laquelle il était nécessairement plongé.  Il en va là, avec Abraham, du dégagement de l’Autre, de la singularisation du discours, avec la  pratique de la perte et de la séparation qui fondent la parole et la subjectivation.  

            Et Delphine Horvilleur de nous proposer un autre élément de lecture, subtil et nouveau, concernant Abraham. Elle insiste sur le fait que la père d’Abraham, déjà, dit la Bible, a été infidèle et indocile : il « s’est déjà mis en route » et « a été le premier à le faire dans la famille » (p. 35).  Aussi Abraham n’est-il pas un sujet autoengendré qui s’est autocréé. Non, dans son geste de dégagement, d’indocilité, d’infidélité, il a été fidèle au geste de dégagement, d’indocilité, d’infidélité, de son père. Il en va là, dit l’auteure, d’une « fidélité à une infidélité fondatrice » (p. 37). Dans sa relation à son père, Abraham a repris à son père son geste de perte, de séparation. En somme, « l’histoire d’Abraham, c’est celle d’un arrachement, d’une coupure. (…) Abraham est bien un révolutionnaire, un iconoclaste, un pionnier, quelqu’un qui se met en route d’une façon unique, inouïe, inédite, particulière. Mais l’histoire d’Abraham, c’est aussi l’histoire d’une continuité. Abraham parvient à rompre et à poursuivre à la fois le chemin de son père » (p. 36).

            Plus encore, ce que l’on peut retirer de ce que Delphine Horvilleur avance ici, c’est qu’Abraham a pu faire cet acte de fidèle infidélité parce que son père a été infidèle. Et cela a  permis une fidélité singularisante, une reprise créative, subjectivante. Ici, avec Lacan, l’on pourrait dire que la fonction paternelle, c’est la prise en compte de la mort, c’est le fait de faire le mort – pour que l’enfant (fille ou fils) puisse être infidèle, partir de son désir, et élaborer à sa manière, dans son discours propre, les signifiants reçus.

            J’en viens maintenant au septième point que j’aimerais élaborer. Interpréter, c’est introduire de l’écoute dans la parole[22]. Ainsi que le formule l’auteure : « la parole doit avoir pour priorité l’oreille et non la bouche ». C’est cela, dit l’auteure de manière si poétique, qui permet de « laisser fleurir des mots dans son oreille » (p. 38). Et baser la parole sur l’écoute, cela permet d’éviter, dans l’interlocution, l’obsession de l’effet rhétorique, du pouvoir, qu’aurait la parole, en ce qu’elle serait séduction, ou savoir. La parole vraie, ouverte par l’écoute, est en effet déprise, laisser-être ; et non : pouvoir, séduction, savoir, maîtrise – surdité.

            Huitième point, huitième élaboration, dans ma lecture de Le rabbin et le psychanalyste : le geste d’interprétation a à voir avec le féminin dans le sujet. Selon Lucien Israël, la psychanalyse, c’est la féminisation du sujet, dans la mesure où l’écoute est féminine en ce qu’elle relève de l’attente, qui soutient le geste et le déploiement par le sujet de son désir[23]. Delphine Horvilleur, elle aussi (en lectrice elle aussi de Lacan), relie l’écoute et l’interprétation au féminin qui est « précisément la place, le trou, le vide, qui fait de la place au ’’peut-être’’, à ce qui reste à être » (p. 48). Ce qui ouvre à la « nécessité de ne pas finir de dire » (p. 39). Bref, comme y insiste Stéphane Habib dans sa préface, nous retrouvons là la question du pas-tout de la femme (ou mieux : de la position féminine, qui peut être celle de la femme ou de l’homme). Ce pas tout, Lacan l’a éclairé, et Delphine Horvilleur avait insisté dessus dans Réflexions sur la question antisémite[24]. Cela l’avait amené à avancer le fait que la masculinité juive relève d’une féminisation[25]. Cela implique d’ailleurs, dit Delphine Horvilleur, dans le discours collectif dominant, l’association entre le Juif, la femme et l’homosexuel[26] – particulièrement dans l’antisémitisme.

            J’en viens maintenant à mon neuvième – et dernier – élément de lecture : le fait que la réflexion de Delphine Horvilleur nous donne à élaborer les apports de Freud et de Lacan de manière fort féconde, aussi parce qu’elle les met largement au travail. Car enfin, l’auteure nous propose une interprétation fort éclairante concernant le lien entre psychanalyse et judaïsme : la psychanalyse est bien juive en ce qu’elle relève de l’infidèle fidélité. Je la cite : « la psychanalyse, si elle doit quelque chose au judaïsme, c’est d’être l’enfant d’une infidélité juive. Elle est l’enfant d’un héritage infidèle qui a tout à voir avec la fidélité envers une infidélité de la lecture. Une fidélité à une infidélité fonde la possibilité d’une interprétation, et peut-être même de l’interprétation » (p. 29). En somme, en fondant l’interprétation sur la singularité du sujet interprétant (sur son désir), la psychanalyse, comme le judaïsme, se base sur le primat de la singularité (et du désir).

            C’est en ce sens que Lacan avance que le Dieu des Juifs est celui qui affirme la singularité du désir : « Je suis ce que Je suis »[27]. Et Lacan d’ajouter : le Dieu des Juifs est dans la parole de Freud profondément lié « au champ qu’(il) désigne comme la civilisation » [28] – au travail culturel. J’aimerais d’ailleurs rappeler que dans le séminaire RSI de 1974-75[29], Lacan y parle du « dieu juif qu’on ne peut nommer » qui est un « trou », le « trou du symbolique » lié à l’« interdit de l’inceste ». Et même il en va de la « croyance » (j’aimerais insister sur le terme de « croyance » au sens symbolique et non imaginaire du terme) qui « troue le monde », qui « troue le monde pour en faire un monde ». Bref, la rencontre symbolique que pratique et creuse la psychanalyse aide le sujet à fonder sa parole sur le pacte symbolique fondateur, afin de faire lever son désir et de reconnaître celui-ci, de traverser son propre fantasme et de se retourner dialectiquement sur ce dernier. Cette rencontre symbolique consiste en une rencontre fondamentale entre le sujet et l’Autre symbolique, ayant lieu dans l’expérience de la détresse originaire. En effet, comme y insiste L. Israël, l’élaboration et l’expérience du désir, le « champ du sujet », sont rendus possibles depuis le « champ de l’Autre » symbolique[30], de la « rencontre symbolique » : plus encore, il en va là d’une élaboration de la détresse originaire, de ce que Freud appelle l’« Hilflosigkeit »[31]. Et cette élaboration a lieu, dit L. Israël, dans un « être ensemble », un « beisammen sein »[32]. Ce que je traduirais par : « être ’’auprès’’ l’un de l’autre », et ce qui implique aussi une distance entre sujets dans cet être-ensemble de un à un, de désir à désir. Il en va là d’un « désarroi entouré »[33]. Et cette rencontre fondatrice, le judaïsme l’a formulée à sa manière : en lien à la question du Dieu et du Sinaï et à l’ « être-avec » dans la « détresse », comme le rappelle le philosophe J. Rogozinski en référence à Rachi[34].

            Pour en revenir à la question de la dimension juive de la pensée de Freud, c’est aussi en lien à la culture juive qu’il toujours insisté sur l’importance de la sublimation et de la spiritualité (Geistigkeit)[35], et du symbolique et de l’éthique qui leur sont liés. C’est là ce qu’il appelle dans le Moïse, concernant la culture en général, et la culture juive en particulier : « l’incitation à accomplir des progrès de la vie de l’esprit, l’encouragement à des sublimations », ce qui fait que le sujet, dans ce collectif « en arrive (…) à mettre l’accent sur l’éthique »[36]. Ce qui va en 1er lieu, dit Freud, vers le « renoncement pulsionnel »[37]

            Plus encore, la culture juive –  comme sa fille fidèlement infidèle, la psychanalyse – est pour Freud un acteur de « progrès de civilisation », où « l’homme se trouva conduit à reconnaitre d’une façon générale des pouvoirs ’’spirituels’’, c’est-à-dire des pouvoirs qui ne peuvent être appréhendés par les sens, notamment par la vue, mais qui exercent des effets indubitables, voire d’une extrême puissance. » (…) Et, ajoute Freud, il en va là de la « spiritualité » (Geistigkeit) et de « la découverte de l’âme comme progrès spirituel au sein de l’individu »[38]. Je dirais, pour en revenir à la clinique : il en va là de la reconnaissance, dans la cure analytique, du désir, du symbolique, et de l’éthique qui leur est inhérent.

            Ici, j’aimerais insister – à la suite d’A. Michels – sur le fait que c’est bien dans la métaphore, le travail de la lettre, le mot d’esprit, que se déploie cette spiritualité. D’ailleurs, dans sa correspondance à Karl Abraham, Freud insiste sur le « mode de pensée talmudique » dont relève le mot d’esprit[39].

            Ce qui a tout à voir avec une éthique : concernant cette question de la spiritualité et de son lien à l’éthique, j’aimerais aussi citer cette phrase extraordinaire de Foucault : « je crois qu’on pourrait appeler ’’spiritualité’’ la recherche, la pratique, l’expérience par lesquelles le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité »[40].

            Plus encore, Freud insiste dans le Moïse sur le fait que, face aux difficultés politiques et culturelles, ce qui permet au judaïsme de se transmettre et de se récréer de génération en génération, c’est l’étude vivante et non dogmatique, telle que la conçoit le judaïsme, des textes de la tradition. Ainsi, analogiquement, Freud pense-t-il que, face à la destruction du « monde d’hier » (pour reprendre l’expression de Stefan Zweig[41]) dans laquelle la psychanalyse est née, comme face à tous les mutations et catastrophes culturelles, la psychanalyse pourra aussi se transmettre, se recréer, dans l’étude en commun des textes de la tradition. Et c’est ainsi que se transmet la psychanalyse dans les institutions psychanalytiques fidèles au projet de Freud.

            Sur ce point, j’aimerais citer deux passages de Freud. Le premier passage, élaboré d’ailleurs par Delphine Horvilleur dans Réflexions sur la question antisémite[42], est issu de sa correspondance : « Ce ne fut qu’après la destruction du temple visible que l’invisible édifice du judaïsme put être construit »[43].

            Le second passage est tiré du Moïse : « Les Juifs gardèrent le cap sur des intérêts spirituels, le malheur politique de leur nation leur apprit à apprécier à sa valeur la seule propriété qui leur fut restée, leur Ecriture. Immédiatement après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus (remarque : et l’on ne peut pas ici ne pas entendre une résonance avec la situation historique tragique de 1939), le rabbin Yochanan ben Zacchaï sollicita d’ouvrir la première école où l’on enseigna la Tora, à Yabnéh. De ce moment, ce furent l’écriture sainte (je dirais : l’étude vivante des textes) et l’intérêt spirituel (je tiens à relever ici le terme de « spirituel », « geistig ») qu’elle inspira qui tinrent ensemble le peuple divisé »[44] et permit donc historiquement la perpétuation, la recréation vivante du judaïsme.

            J’aimerais ici remarquer que ce passage ne va pas, au sein de la lucidité face au tragique,  comme y insiste ce dernier Freud[45], sans une « confiance particulière dans la vie » et même sans une « une sorte d’optimisme »[46] A cet optimisme tragique, j’aimerais d’ailleurs associer à la joie, malgré tout, inhérente à la pratique de la parole, dont parle L. Israël[47]. Cette joie n’ayant bien sûr rien à voir avec un plat bien-être.

            C’est d’ailleurs sur cet optimisme tragique que j’aimerais conclure, à l’heure où la montée des périls à la fois sanitaires et économiques, politiques et écologiques, demande à la psychanalyse de se faire créative.


(1): Ceci est la version légèrement modifiée d’un texte publié dans Ephéméride n° 11, Journal de la FEDEPSY, novembre 2020: https://fedepsy.org/category/ephemeride/

[2] https://tenoua.org/

[3] D’A. Abécassis, voir son formidable texte sur la conception de l’interprétation de Lucien Israël, intitulé « Entre le MiDRaCH et l’interprétation psychanalytique », dans Psychanalyse et liberté, Arcanes 1999, volume collectif en l’honneur de Lucien Israël, et à son Il était une fois le judaïsme. Concernant la judéité et la psychanalyse, voir récemment  : par ex. les réflexions de Jean-Richard Freymann, « La judéité et son rapport à l’impossible », in Passages, no sur « L’éclat et l’écart », 2020.

[4] Qui a été suivi de L’interdit de la représentation.

[5] Voir entre autres : A. Michels, « Der jüdische Witz/Gesit bei Heine une Freud » in S. Weigel, éd. Heine und Freud ; A. Didier-Weill, Les Trois temps de la Loi ; E. Roudinesco, Retour sur la question juive et Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre  ; J. Le Rider, Freud, de l’Acropole au Sinaï et Les Juifs viennois à la Belle Epoque ; E. H. Malet, Freud et l’homme juif.

[6] A. Didier-Weill, Un mystère plus loin que l’inconscient ; E. Roudinesco, Freud en son temps et dans le nôtre.

[7] Sigmund Freud présenté par lui-même, trad. F. Cambon, Gallimard, p. 17

[8] Le Séminaire, Livre XVI., D’un Autre à l’autre, 1968-1969.

[9] L. Israël, Boiter n’est pas pécher.

[10] S. Freud, L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, Gallimard, collection Folio, 1986, p. 120-121.

[11] Voir par ex. M. Ritter, « La lettre et le signifiant : l’inconscient est ce qui se lit au-delà de ce qui se dit », in J.-P. Dreyfuss, J.-M. Jadin, M. Ritter, Ecritures de l’inconscient, De la lettre à la topologie.

[12] « Radiophonie », Autres écrits, p. 429.

[13] Le Séminaire, Livre XX., Encore, 1972-1973.

[14] Sur l’équivoque, voir les travaux de M. Ritter, par ex. « L’inconscient nodal (II) », in J.-P. Dreyfuss, J.-M. Jadin, M. Ritter, Ecritures de l’inconscient, De la lettre à la topologie.

[15] F. Hartog, Régimes d’historicité, et récemment Chronos.

[16] Didier-Weill, Les Trois temps de la Loi ; J.-R. Freymann, Eloge de la perte.

[17] Réflexions sur la question antisémite, Grasset, 2019, p. 127.

[18] Ibid., p. 125.

[19] Sur ce point, Armand Abécassis, op. cit.

[20] Points de suspensions, p. 331. Sur cette question chez Derrida, voir le beau livre de J. Rogozinski, Cryptes de Derrida.

[21] J.-R. Freymann, Eloge de la perte, p. 162.

[22] J.-R. Freymann, Introduction à l’écoute.

[23] Boiter n’est pas pécher, p. 257-8.

[24] Op. cit., p. 127

[25] Op. cit., p. 101

[26] Sur laquelle insiste de manière très éclairante E. Roudinesco, par exemple dans La Famille en désordre.

[27] Le Séminaire, Livre XX., Encore, 1972-1973 16.1.73.

[28] Le Séminaire, Livre XVI., D’un Autre à l’autre, 1968-1969, 4.6.69, p. 343

[29] Le Séminaire, Livre XXII., RSI, 1974-1975, éd. Valas, séance du 15 avril 1975, p. 200.

[30] Eloge de la perte, p. 139.

[31] Boiter n’est pas pécher, p. 67.

[32] Boiter n’est pas pécher, p. 50.

[33] Passe, Un Père et manque, p. 133.

[34] Le Moi et la chair, p. 330.

[35] Sur cette question de la spiritualité chez Freud, voir A. Michels, op. cit. particulièrement p. 186sq.

[36] L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, op. cit., p. 177.

[37] L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, op. cit., p. 215-216.

[38] L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, op. cit., p. 213-214.

[39] Lettre à Karl Abraham, 11.5.1908.

[40] L’Herméneutique du sujet, p. 16.

[41] Je renvoie ici à mon texte à paraître sur Le Monde d’Hier de Stefan Zweig.

[42] Op. cit., p. 106-107.

[43] Correspondance, 1873-1939, Gallimard, 1967, p. 29-30

[44] L’homme Moïse et la religion monothéiste, trad. C. Heim, op. cit. , p. 214 ; G.W., XIX., p. 223.

[45] Comme si, de mon point de vue, il avait, dans son travail d’analyse originelle (pour reprendre l’expression d’Octave Mannoni (Clefs pour l’Imaginaire) et la réflexion de Chawki Azouri (« J’ai réussi là où le paranoïaque échoue ») à ce sujet), surmonté, dans ce texte tragique de 1939, la mélancolie qui était la sienne concernant la culture dans le Malaise de la culture de 1930, texte génial mais dans lequel la culture le plus souvent n’est que narcose. 

[46] L’homme Moïse et la religion monothéiste, trad. C. Heim, op. cit., p. 202.

[47]  Boiter n’est pas pécher.


Ici un texte publié dans Ephéméride n° 11, Journal de la FEDEPSY, novembre 2020: https://fedepsy.org/category/ephemeride/

Ce texte a été rédigé à partir d’une intervention au séminaire FEDEPSY du 6.10.20, « Freud à son époque et aujourd’hui »

(Remarque de décembre 2022: je garde ce texte sur le blog, même s’il ne me semble pas assez insister sur le poids de la culture binaire dans le discours collectif de l’époque, et sur ses conséquences désubjectivantes, en 1er lieu pour les femmes et les sujets non hétérosexuels, mais aussi plus généralement.

Ceci sera une question importante pour notre réflexion au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » en 2023: https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/).

*****

J’aimerais vous parler du Monde d’hier de Stefan Zweig, plus précisément de trois chapitres de cet ouvrage : la « Préface », « Le monde de la sécurité » et « Universitas vitae ». Je me concentrerai donc sur le début de cet ouvrage. Pour travailler sur le contexte culturel de l’œuvre de Freud et sur le geste de Freud dans ce contexte, Le Monde d’hier est à ma connaissance une excellente présentation. Mon propos prendra la forme d’une sorte de zigzag entre des réflexions psychanalytiques, culturelles, mais aussi sur la littérature.

**

Avant d’en venir au Monde d’hier pour penser la Vienne de Freud et le geste de Freud, j’aimerais faire quelques remarques pour poser certains éléments nécessaires.

Premièrement, il s’avère que, si je ne parle que du début de cet ouvrage, ce livre mérite d’être lu en entier. En effet, il élabore aussi – littérairement – ce qu’il en est de l’advenue à l’échelle historique du réel au sens lacanien, de la mort et de la destructivité pulsionnelle, et même de la mort et de la destructivité collective de masse. Bref, il en va là du malaise dans la culture – dont le point culminant, innommable, est la Shoah[1]. Voilà qui permet de réfléchir au contexte du 2e temps de l’œuvre de Freud et de son geste.

Deuxièmement, concernant le contexte culturel de l’œuvre de Freud, je tiens à préciser que nous disposons bien sûr de nombreux travaux de psychanalystes, dont des psychanalystes de notre École de Strasbourg – évoquons Lucien Israël, Marcel Ritter, Jean-Marie Jadin, Jean-Richard Freymann[2]. De plus, nous disposons aussi des travaux de tout un ensemble d’historiens, de Schorske à Elisabeth Roudinesco, en passant par Jacques Le Rider et Peter Gay, ou encore Eli Zaretsky[3], pour ne citer que quelques noms. Et, bien sûr, en vous parlant, j’élabore leurs travaux.

Troisièmement, je vous propose de parler du contexte culturel de Freud dans l’optique d’une histoire psychanalytique de la culture, celle que je développe pour mes réflexions ailleurs sur Warburg[4] et sur Hamlet[5], et ici sur Zweig. Cette histoire psychanalytique de la culture, je l’envisage fondamentalement une histoire des discours[6], collectifs comme subjectifs. Cela me permettra d’essayer de vous présenter en quoi Freud a fondé le discours analytique en le dégageant des discours ambiants de son époque, mais aussi en élaborant des éléments féconds dans son contexte culturel, de manière radicalement ouvrante, pour fonder cette novation radicale qu’est la psychanalyse.

D’un point de vue psychanalytique, la réflexion sur le contexte culturel ne doit pas nous écarter de la question de l’inconscient, mais elle doit nous aider à parler prioritairement de l’inconscient, comme de la clinique psychanalytique. En somme, c’est pour envisager la complexité de la subjectivité, de la parole et de la psychanalyse que je m’intéresse ici à la question de la culture. En ce sens, je partirai de l’éthique de la psychanalyse telle que l’a éclairée Lacan. Celle-ci soutient la singularisation du discours du sujet par rapport au discours ambiant[7]. Et pour cela, je me baserai sur un approfondissement des apports de notre École de Strasbourg, comme du freudo-lacanisme le plus fécond.

Dans ce cadre comme ailleurs, le double héritage sur lequel se fonde notre École de Strasbourg a beaucoup à nous dire. En effet, ce double héritage s’appuie, pour parler des fondateurs, d’un côté, sur le souci de la clinique et de la créativité chers à Lucien Israël, et, de l’autre, la fidélité à l’apport de Lacan (que l’on trouve aussi chez Lucien Israël bien sûr) et l’étude systématique des textes chers à Moustapha Safouan.

Quatrièmement, au regard du contexte contemporain, je pense que le pas de côté relevant d’une histoire psychanalytique de la culture ouvre à une historicisation de nos interrogations et des discours contemporains. Cette historicisation n’est pas sans intérêt pour nous qui vivons dans une société où le présentisme règne le plus souvent[8].

Cette historicisation nous permet aussi de réfléchir à la manière dont nous pouvons donner à entendre, dans ce contexte contemporain, la psychanalyse, c’est-à-dire son apport et sa créativité, sa portée clinique et culturelle, mais aussi son soutien à la singularisation du sujet et de son discours propre par rapport au discours de son environnement.

Cinquièmement, il s’agira pour moi d’insister sur 4 axes : la portée actuelle du geste et de l’œuvre de Freud ; le contexte culturel et le geste de Freud dans ce contexte ; la clinique analytique, qui est en fait première ; et le texte de Freud et donc sa théorie, son vocabulaire, envisagé aussi en allemand. Quatre mots donc, pour être synthétique, et si je remets les choses dans l’ordre : clinique, théorie, actualité, contexte culturel.

Sixièmement, c’est en ce sens que j’aimerais essayer d’ouvrir de nouvelles voies, de nouvelles pistes avec Freud. Ce pour m’adresser au « profane », comme y insiste systématiquement Freud, face aux discours dominants contemporains qui se situent du côté du rejet du désir

C’est d’ailleurs ce que Freud a fait : ouvrir une nouvelle voie en fondant un dispositif et une technique, mais aussi une forme spécifique de science, appelés psychanalyse. Véritable exploit culturel si l’on considère l’histoire pour ce qu’elle est : quelque chose de tragique, de conflictuel, de dynamique et d’ouvert, et non comme un plat résultat à contempler a posteriori, de manière tout aussi plate. Et c’est dans cette histoire que j’aimerais pour ma part situer Freud et son geste, avec ce que cela implique en termes de prise en compte du contexte culturel de l’époque. En ce sens, je vous propose de nous intéresser à la manière dont Freud a inventé le discours psychanalytique en le dégageant des discours collectifs de l’époque.

**

J’en viens maintenant à Stefan Zweig. Quelques mots de présentation. Stefan Zweig est un écrivain juif viennois, né en 1881, vingt-cinq ans après Freud. Il appartient donc à la génération suivante, marquée par l’œuvre de Freud. Essayiste, romancier, il est l’une des figures intellectuelles et littéraires fondamentale du monde d’hier, de la Vienne et de l’Europe d’avant le nazisme. Son œuvre profonde, multiple, largement nourrie de celle de Freud, est toujours extrêmement lue.

Issu d’une grande famille de la bourgeoisie juive viennoise, Zweig est un représentant de l’humanisme cosmopolite, ce discours collectif important à l’époque – et j’aimerais dans ma réflexion positionner Freud dans la tectonique des discours collectifs de son époque. Zweig est un compagnon de route de la psychanalyse, un défenseur de celle-ci dans le débat public, un ami de Freud qui admire son œuvre et avec lequel il dialogue en profondeur, par exemple dans leur correspondance, où ils parlent bien sûr beaucoup de psychanalyse et de littérature, entre autres. Zweig a écrit divers textes sur Freud et sur la psychanalyse – dont il serait intéressant de parler à l’occasion, aussi pour en pointer les importantes limites. J’aimerais aussi noter ici que Zweig a présenté à Freud Romain Rolland et Salvador Dali. Le portrait de Freud qu’il fait à la fin du Monde d’hier est saisissant.

Avec la montée du nazisme, Zweig s’exile et s’installe au Brésil. En 1942, Zweig s’y suicide de désespoir.

**

Le Monde d’hier, que l’on présente souvent comme les Mémoires de Zweig, est en fait un portrait de la Vienne et de l’Europe jusqu’en 1939. C’est pour cela que le sous-titre de l’ouvrage est : « Souvenirs d’un Européen ». Ce livre, Zweig l’écrit au Brésil entre 1939 et 1941. C’est dans l’immédiat après-coup de la destruction de la Vienne et de l’Europe d’avant le nazisme que Zweig écrit les Mémoires de la Vienne de Freud et de cette Europe. Le livre paraît en 1943, un an après sa mort.

J’aimerais faire quelques remarques sur l’écriture et sur la réflexion de Zweig dans cet ouvrage, pour dire quelques mots de l’écoute psychanalytique de la parole littéraire, mais aussi pour insister sur ce qui fait, selon moi, la parole psychanalytique, telle que Freud l’a fondée.

Pour pénétrante, l’analyse de Zweig n’est pas sans être régulièrement marquée par d’importantes idéalisations. Par exemple, en ce qui concerne la monarchie habsbourgeoise régnant sur l’Autriche-Hongrie[9], ou en ce qui concerne la minimisation de la crise économique de 1873. Concernant la dictature brésilienne alors qu’il était installé là-bas, ou concernant la manière de lutter contre le nazisme, et concernant le caractère absolument destructeur du nazisme, Zweig n’a pas non plus été lucide. Sur l’Horreur du nazisme, c’est son ami l’écrivain viennois Joseph Roth qui l’aidera à ouvrir les yeux dans les années 1930[10]. Plus encore, Zweig refuse longtemps, jusqu’au milieu des années 30, d’engager sa parole politiquement, ce qui est critiquable dans une situation politique aussi tragique. Mais à partir de la moitié des années 30, il s’engage enfin pour défendre les Juifs et les enfants juifs, tout en refusant toujours de critiquer publiquement l’Allemagne nazie[11]. Il reste que cette réticence à s’engager, pour problématique, n’est pas une marque d’indifférence, mais qu’elle le déchire[12] – en termes analytiques, peut-être peut-on y voir quelque obsessionnalité.

Ces idéalisations et cette réticence à s’engager sont aussi liées au discours collectif, important à l’époque, de l’humanisme cosmopolite. Cet humanisme cosmopolite, Zweig en critique d’ailleurs lui-même les limites, dans Le Monde d’hier comme déjà dans son très bel essai de 1934 sur l’humaniste renaissant Erasme.

Il reste que j’aimerais tout de même relever que Zweig a eu le mérite de toujours militer, même aux heures les plus sombres, pour une union européenne transnationale.

De plus, indépendamment des accointances subjectives que l’on peut avoir ou non avec les choix esthétiques de Zweig comme écrivain, la position analytique me semble demander d’écouter dynamiquement cette idéalisation et ces limites dans la parole littéraire de Zweig. Ce d’autant plus que cette dernière est malgré tout restée ouverte, et que les limites de Zweig n’ont pas impliqué, à la différence d’autres intellectuels, des engagements politiques problématiques au regard de l’Histoire. Et puis le psychanalyste, dans l’écoute de la parole littéraire ou en séance, a lui aussi nécessairement, comme tout sujet, ses illusions – son fantasme. C’est pour cela que la parole psychanalytique, avant tout, relève d’un travail d’énonciation, d’écoute et de dialectisation des illusions – du fantasme – comme y insiste Lacan qui a parlé de nécessaire « naïveté » du psychanalyste[13]. D’ailleurs, Lacan a ajouté à cela que la résistance, dans la psychanalyse, c’est avant tout celle du psychanalyste. Voici ce qu’il dit en effet sur ce point : « Il n’y a qu’une seule résistance, c’est la résistance de l’analyste[14]. » Bref, comme nous le rappelle Lacan, la psychanalyse n’a donc rien à voir, malgré bien des déviations dans la pratique, avec la croyance en la possibilité d’une position de surplomb (de Savoir), qui dégagerait le sujet (-psychanalyste) de toute illusion, et lui donnerait la possibilité de considérer, depuis cette position de surplomb (de Savoir), les illusions et les idéalisations de l’autre[15].

En ce sens, le geste fondateur de Freud (en premier lieu dans L’Interprétation du rêve) fut justement, il le dit lui-même, de « partager » ses « rêves » autant que de les « interpréter ». Il s’est agi pour lui de témoigner de ses illusions, de son fantasme – et partant de la conflictualité inhérente à la subjectivité – autant que de les traverser et de se retourner dessus. C’est d’ailleurs en cela, dit-il, que consiste le « surmontement » ou « surmontement de soi », « (Selbst)überwindung », analytique. J’aimerais ici citer Freud. Dans L’Interprétation du rêve, dans le chapitre sur les affects dans le rêve, voici ce que dit Freud, plutôt littéralement :

« On ne peut pas se cacher le fait qu’un difficile surmontement de soi fait partie du fait d’interpréter et de partager ses rêves » (« Man kann sich’s nicht verbergen, daß schwere Selbstüberwindung dazu gehört, seine Träume zu deuten und mitzuteilen[16] »). 

On pourra aussi citer par exemple la manière dont Freud témoigne, dans le chapitre sur la méthode de l’interprétation du rêve, de l’exigence éthique de la psychanalyse : « avoir à surmonter (…) des difficultés » dans le travail « d’interprétation du rêve » (« j’ai à surmonter des difficultés », « Schwierigkeiten (…) habe ich zu überwinden »). Et Freud de citer en français Delboeuf (philosophe et psychologue belge de la 2e moitié du XIXe siècle, qui a travaillé sur l’hypnose), dont il transpose la réflexion au champ psychanalytique : « tout psychologue est obligé de faire l’aveu même de ses faiblesses s’il croit par là jeter du jour sur quelque problème obscur [17]. »

En somme, la réflexion de Freud relève de la psychanalyse originelle (Octave Mannoni parle d’« analyse originelle », ce qu’approfondit Chawki Azouri[18]) fondatrice de la psychanalyse. Le geste théorique de Freud est pour lui une manière de traverser ses propres évitements, son propre fantasme, sa propre résistance, ses propres failles, sa propre obsessionnalité. Il en va là de l’éthique de la psychanalyse, comme traversée, avant tout par le psychanalyste, du fantasme, comme traversée de sa propre résistance, ouvrant à un retournement dialectique sur le fantasme. Ce qui seul soutient le travail analytique du psychanalysant. Ainsi en est-il concernant Freud en premier lieu dans son texte de 1905 sur sa patiente Ida Bauer, qu’il dénomme « Dora[19] » (tel que Lacan l’éclaire et le met au travail[20]). Et ce, même si, dans le travail avec Ida Bauer, Freud expérimentera ses propres limites.

Ainsi, à mon sens, réentendre le geste de Freud dans sa fraîcheur, réentendre sa psychanalyse originelle, c’est partir de cette exigence éthique qu’a éclairée Lacan (et qu’il a éclairée, afin que la psychanalyse ouvre la parole du sujet à l’Autre barré, au champ de l’Autre[21], et afin de soutenir et déployer le pacte symbolique qui fonde sa parole[22]).

Et, de ce point de vue, Zweig est un contemporain de Freud qui, comme d’autres, a entendu le message de Freud dans sa fraîcheur, et nous permet de réentendre celui-ci en ce sens.  Car la parole littéraire de Zweig est marquée par Freud en ce qu’elle témoigne d’une traversée des illusions subjectives, d’une dialectisation de la conflictualité subjective, et d’une ouverture au réel et au devenir. Cela fait qu’on ne peut qualifier Zweig d’auteur platement idéaliste. Pour illustrer mon propos, je tiens à citer, dans une traduction personnelle, un passage du chapitre « Le coucher du soleil » dans le Monde d’hier :

« Ne serait-il pas meilleur pour moi – ainsi continuait ma rêverie en moi – que quelque chose d’autre advienne, quelque chose de nouveau, quelque chose qui me rende plus intranquille (unruhiger), m’excite plus et me rende plus curieux (gespannter), me rajeunisse, en exigeant de moi un nouveau et peut-être encore plus dangereux combat ? »

Bref, il y a bien là, dans l’écriture de Zweig, une forme littéraire de traversée éthique par le sujet de ses propres illusions. Il y a là une forme littéraire, non analytique (plus classiquement narrative donc que divisée, bifurquante, éclatée – comme l’est la parole analytique) du « surmontement de soi », tel que Freud l’envisage et le pratique dans le champ analytique et sous forme analytique.

Concernant son cheminement littéraire, Zweig situe celui-ci dans ce cadre : comme geste pour dégager sa parole du « complexe de sécurité » qui fut celui du discours de sa société, de son père, de sa famille. En somme, Zweig cherche à dégager sa parole du complexe de son père – et de la société telle que l’a construite la génération de ses parents. Intéressante définition de la subjectivation, je trouve.

Sans doute faut-il ajouter à cela que Zweig a aussi déployé son propre « complexe de sécurité », sa propre matrice d’illusions narcissiques que traverse le travail d’écriture dont ce livre est le fruit. En somme, il y a dans ce livre un travail explicite, assumé comme tel, de traversée dialectique et interminable de ses propres illusions.

Car Zweig sait que la vérité est un mi-dire, ou tout du moins qu’elle est un dire partiel, ainsi que le lui a dit Freud : « il n’y a pas plus de vérité à 100% que d’alcool à 100%. »

En somme, malgré les limites de Zweig, limites qu’il essaie de traverser, d’appréhender et qui le déchirent, étudier Le Monde d’hier est pour nous une manière d’entrer dans le contexte culturel de l’œuvre et du geste de Freud, et des débuts de la psychanalyse. Zweig pense avec Freud et parle de Freud, de sa théorie de la culture, de son apport culturel. Mais il ne nous parle pas en tant que telle de la psychanalyse comme dispositif ni comme discours. Il reste que lire Zweig est malgré tout utile pour se pencher sur le monde de Freud dans ses différentes facettes afin de mieux appréhender le geste de Freud, la naissance et les débuts de la psychanalyse. Mais aussi, je tiens à insister sur ce point, cela nous est utile afin d’appréhender la psychanalyse en tant que dispositif de parole spécifique. Et le dispositif spécifique de la psychanalyse déploie et écoute les signifiants du psychanalysant, pour, dans le transfert, ou mieux, dans la transférisation[23], soutenir le déploiement puis la traversée de son fantasme, en un retournement dialectique. Ce qui importe, c’est bien la dynamique de la parole du sujet afin de faire se lever son désir, et l’éthique et la créativité qui lui sont inhérentes. Et il me faut aussi insister sur l’importance, pour la psychanalyse, de la question de la singularisation de la parole du sujet, et du dégagement du discours ambiant dans lequel il est plongé. Car c’est une question qui m’importe particulièrement en ce qui concerne l’histoire de la culture dont je parle ici, qui est fondamentalement une histoire des discours. Oui, cela m’importe particulièrement pour essayer de voir comment Freud a dégagé sa parole des discours collectifs de son environnement. Pour voir comment il a construit le discours psychanalytique par rapport aux discours collectifs (au pluriel) de son époque, justement comme dispositif de dégagement par le sujet de sa parole des discours de son environnement – de dégagement de l’Autre, nous dit Lacan[24]. Car, lorsque je dis cela, je me base bien sûr sur Lacan qui, en élaborant Freud, est allé plus loin que lui[25].

**

En fait, j’aimerais ici vous présenter une élaboration avec ce que nous dit Stefan Zweig, concernant Vienne et l’Europe de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1914. Et cela engage la question de la culture.

Plus précisément, j’aimerais mettre au travail ce que nous dit Zweig dans le même esprit que certaines analyses de Freud dans L’Homme Moïse et le monothéisme – que Zweig évoque à la fin du Monde d’hier. En effet, je trouve qu’il y a certains échos entre le Moïse et le Monde d’hier, en ce qu’il s’agit dans les deux ouvrages, comme l’écrit Freud, d’étudier « les progrès culturels de l’humanité et les changements intervenus dans la structure des communautés humaines[26] ». Plus encore, il s’agit pour Zweig (et ici Zweig met au travail Freud), comme pour Freud en général – et pour Lacan bien sûr – d’étudier dans leur complexité et leurs ambiguïtés les progrès et les régressions culturels. J’aimerais ici insister à quel point ce sont là des questions classiques à l’époque, que l’on retrouve par exemple aussi chez Nietzsche (Zweig a écrit sur Nietzsche), ou chez l’historien de l’art et de la culture Warburg dont je vous ai parlé ailleurs.

Bref, les réflexions de Zweig – mettant au travail Freud – sur la culture, son histoire, sa complexité, son évolution, sont bien fécondes pour nous. C’est aussi le cas pour donner à entendre la portée culturelle de la psychanalyse, concernant l’histoire de la culture, mais aussi dans notre situation culturelle contemporaine.

D’ailleurs, pour en revenir au Moïse de Freud, Freud essaie d’étudier, concernant la figure de Moïse et son apport, le judaïsme, ce qu’il appelle une « époque de floraison culturelle[27] ». Et dans le Monde d’hier, Zweig étudie certes les régressions culturelles de l’Europe qui mèneront à l’Horreur. Mais il étudie aussi les progrès culturels, liés aux Lumières, qui ont eu lieu avant celles-ci, et contre lesquels le nazisme comme « révolution culturelle » a réagi[28]. Et ces progrès culturels ne se font pas sans trancher dans bien des résistances. De ce point de vue, dans son livre, malgré ses limites, Zweig arrive à rendre compte de la dynamique et de l’ambivalence, de la complexité et des conflictualités du monde de Freud. Il pose aussi des questions qui restent à mon sens toutes d’une grande actualité.

Plus encore, concernant les discours et les mécanismes collectifs, Zweig met au travail Freud et sa réflexion sur la subjectivité et sur la culture. Il parle longuement de la sexualité. Mais aussi, il le dit, Zweig a pleinement conscience que le sujet est le produit de sa culture, je dirais, du discours collectif. En même temps, Zweig analyse avec lucidité, je cite, la « dissociation », ce que l’on appelle le clivage de l’objet qui est omniprésent dans les discours collectifs. Zweig analyse aussi, comme il le dit, la cruauté de la société, des collectifs, contre ceux qui révèlent leurs secrets et leurs injustices.

En somme, mon hypothèse ici est que, ce à quoi Zweig nous aide particulièrement, c’est à appréhender ce qu’il en est, concernant le monde de Freud, des dynamiques et de l’évolution de la culture, des discours collectifs et des subjectivités. Voilà qui nous sera utile pour appréhender Freud dans son contexte culturel.

**

À mon sens, Zweig nous permet de voir en quoi la société viennoise européenne connut une profonde évolution. Dès lors, j’aimerais maintenant en venir aux quatre temps de l’évolution culturelle de la Vienne de Freud, telle que Zweig les développe. Pour le reformuler dans des termes qui cherchent à mettre au travail le propos de Zweig, je dirais :

1er temps : Qu’il existe tout d’abord dans la Vienne de Freud ce que je propose d’appeler la « société d’avant-hier » où domine, comme le dit Zweig, le discours collectif du la bourgeoisie libérale ;

2e temps : Qu’advient à partir de la fin du XIXe siècle ce que j’appelle la société d’hier proprement dite ; grâce au travail culturel des générations de Freud et de Zweig (des membres de ces générations qui vont en ce sens) a lieu une ouverture des discours collectifs et des subjectivités ;

3e temps : Qu’advient aussi à la fin du XIXe siècle la société de masse (que Freud a étudiée dans sa Psychologie des masses), avec le déploiement du nationalisme qui mènera à la Première Guerre mondiale et au nazisme ;

4e temps : Et puis, tragiquement, a lieu dans les années 30 le triomphe du nazisme et la destruction de la culture européenne de l’époque et de l’Europe et le meurtre de masse des Juifs d’Europe, telle que les constate tragiquement Zweig entre 1939 et 1942 – lui qui appréhende que quelque chose relevant de l’Horreur absolue est en train d’arriver aux Juifs.

**

Commençons donc par le 1er temps, par ce que j’appelle donc la société d’avant-hier, qui est la société dans laquelle sont nés Freud puis la psychanalyse. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, à l’époque que Zweig appelle « préfreudienne » (car il fait de l’œuvre de Freud un vecteur de changement culturel majeur) dominait le discours collectif de la bourgeoisie libérale. Ce discours collectif, Zweig en présente la complexité – sauf sur un point important, nous le verrons. Bref, si parfois on trouve une connotation de nostalgie quand il parle de cette société d’avant-hier, il s’avère que Zweig mène une solide critique de cette société.

D’un côté, ce discours collectif de la société d’avant-hier est marqué par l’évolutionnisme culturel, et sa religion ou son mythe collectif du Progrès inéluctable – qui occulte le réel au sens lacanien du terme. C’est là une époque où, nous dit encore Zweig (qui pointe les signifiants importants dans le discours ambiant de la Vienne de Freud), la « sécurité » (du sujet bourgeois, de la classe sociale bourgeoise, y insiste Zweig en lecteur de Balzac auquel il a consacré un essai) est recherchée et sans cesse invoquée. Il y a là une foi évolutionniste dans le progrès, dans la technique et la science.

Il y a là encore, ajoute Zweig, un « délire optimiste », croyant en un progrès moral et culturel rapide et continu. Dans cette société d’avant-hier, le moralisme domine et rejette la sexualité et le corps, mais aussi la singularité du sujet et le féminin, tout en étant foncièrement hostile à la jeunesse, aux femmes, et à l’amour. Le système économique est inégalitaire, et le libéralisme fait selon Zweig l’erreur humaine et politique de ne pas prendre soin d’une bonne partie de la population et de les laisser dans la misère. Mais les relations économiques et sociales, à Vienne, vont quelque peu vers des compromis et vers quelques progrès sociaux, constate Zweig qui politiquement est plutôt proche des sociaux-démocrates.

À Vienne donc, à la classe bourgeoise, ce système économique prodigue un rythme de vie tempéré, bien loin, précise Zweig, de l’« accélération » du rythme de vie qui aura lieu avec l’advenue de la société de masse à la fin du XIXe siècle (sur l’accélération, je renvoie aux travaux d’Hartmut Rosa). Il n’existe pas encore, insiste Zweig, à Vienne, ni en Autriche, de société de masse comme déjà en Allemagne, en France ou en Angleterre. La Vienne de Freud et de Zweig, c’est la Cacanie de Musil, autre auteur viennois de l’époque, dans son grand roman – passionnant pour nous – L’homme sans qualités : un royaume à l’État et à l’économie qui apparaissent désuets au regard de l’hyperorganisation économique et étatique qui naît ailleurs dans les grandes nations européennes. Pour le dire dans mes termes, Zweig insiste largement sur le caractère non hyperorganisé de cette société, qui n’est pas encore une société de masse. Et c’est un élément que je trouve particulièrement fécond dans sa description du contexte culturel – pour saisir la différence d’avec notre société à nous, j’y reviendrai à l’avenir.

Dans cette société, l’école relève d’une logique patriarcale et cherchant à soumettre les élèves et à rejeter, dit-il, leur énergie, leur élan, leur sexualité, leur désir. Il y a là, précise Zweig, un « autoritarisme » scolaire où la parole est fondamentalement « verticale » – ce qui fait que la parole des élèves comme sujets est rejetée. Il y a dans la Vienne de Freud, dit Zweig, un véritable rejet de la jeunesse. Ce rejet n’est d’ailleurs pas aussi présent à Berlin à la même époque, constate-t-il. D’ailleurs, Zweig nous en parle ; Berlin (lieu important aussi pour l’histoire de la psychanalyse) sera aussi un lieu d’ouverture tout à fait formidable à l’époque – comme en témoigne d’ailleurs récemment le dernier ouvrage de l’historien de l’art et de la culture Horst Bredekamp sur Warburg et sur l’ethnologie berlinoise de l’époque[29]. Je tiens à évoquer les travaux passionnants de Horst Bredekamp (qui a aussi travaillé sur Freud et Lacan[30]) car le passage que j’ai dans le passé fait à Berlin, comme Visiting Fellow dans le département de l’Université Humboldt qu’il dirigeait, a compté pour la réflexion que je développe ici.

En somme, dans la société d’avant-hier, ce sont le réel, le tragique qui sont évacués – du fait du mythe collectif évolutionniste[31]. Dans ce discours collectif libéral, les forces destructives inhérentes à la subjectivité sont, dit Zweig évoquant explicitement Freud, « refoulées » – réprimées – « sous une légère couche ». Sur ce point, il est manifeste que Zweig élabore ce que Freud nous dit dans les « Considérations sur la guerre et la mort » écrites pendant la Première Guerre mondiale, ainsi dans ses réflexions sur la culture – en premier lieu « Le Malaise dans la culture » de 1929.

En même temps, ajoute Zweig, cette société d’avant-hier est complexe et ambivalente. En effet, cet optimisme culturel du monde libéral a en même temps selon lui quelque chose de fécond sur certains plans, malgré tout, avec la valorisation du travail culturel et de l’indépendance du sujet que l’on trouve dans le discours collectif. C’est d’ailleurs ce qui se déploie dans le cadre des milieux intellectuels et artistiques gravitant autour de la revue Die Neue Freie Presse, à l’orientation politique libérale. C’est cette revue, haut lieu des débats viennois et européens, lieu lui ouvert à la jeunesse, qui va lancer Zweig. Cette revue accueillera bien d’autres figures importantes de l’époque, comme par exemple, pour parler de littérature, Schnitzler, l’écrivain préféré de Freud, ou le poète Rilke, qui est aussi ami avec Freud.

En somme, Zweig trouve, dans l’après-coup de son existence emportée, comme le monde, dans la destruction nazie (et le nazisme est avant tout le résultat de la société de masse poussée à son extrême), que ce monde d’avant-hier avait tout de même le mérite de valoriser (pour les hommes bourgeois, certes, comme il le dit) un rythme existentiel tempéré. Cette société d’avant-hier viennoise avait aussi le mérite de valoriser une relation au passé marquée par une exigence de mémoire ; alors que la société de masse, avec son rythme existentiel accéléré, a tendance à laisser de côté la mémoire, la transmission, dit Zweig. Car la question de la transmission est centrale pour Zweig, j’en parlerai une autre fois. Et tout ceci n’est pas sans intérêt pour nous, qui vivons dans une société où le présentisme règne le plus souvent.

De plus, ajoute Zweig, le discours libéral de l’époque est problématique politiquement. Il néglige les problèmes sociaux posés par le capitalisme débridé de l’époque, ce qui favorise, dit Zweig, la montée du nationalisme allemand antisémite. Mais le discours libéral est aussi (et cela, Zweig n’en parle pas) très germanocentré et très légitimiste vis-à-vis de la monarchie habsbourgeoise. En effet, la réalité politique de cette monarchie ne correspond pas au discours officiel « supranational ». De cela donc, Zweig ne parle pas car il idéalise la monarchie habsbourgeoise. De plus, il aura toutes les difficultés à véritablement prendre en compte ce qu’il en est véritablement de la montée de l’antisémitisme – ce qui se retrouve dans son portrait ambigu du maire chrétien-démocrate et antisémite de Vienne, Lueger.

Car avec la crise économique de 1873, due à un krach financier, et avec l’advenue de tout un ensemble de scandales financiers, les libéraux vont être politiquement discrédités. Alors de nouveaux partis de masse vont commencer à jouer un rôle politique. Ainsi des chrétiens-démocrates antisémites de Lueger. Ainsi aussi des sociaux-démocrates et des socialistes. Ceci est important à noter car cette évolution changera de manière très substantielle la tectonique des discours collectifs dans la Vienne de Freud.

D’ailleurs, Freud et Zweig, dans leurs œuvres, prennent en compte la crise qu’ont connu à l’époque les Lumières et le libéralisme politique. Ils tirent même les conséquences de la crise du libéralisme politique, et des limites des Lumières rationalistes et du libéralisme du parti libéral. Cela permettra à Freud, il me semble, de proposer une forme plus lucide et plus aboutie des Lumières[32] – plus « sombre » comme y insiste Élisabeth Roudinesco.

En conclusion de ce texte, qui appelle une suite, j’aimerais évoquer rapidement la société d’hier telle que la caractérise Zweig, et qui succède à la société d’avant-hier des pères de la génération de Zweig. Alors advient une société nouvelle, avec de nouveaux discours collectifs. Pour en dire deux mots, cela constitue par bien des points une évolution culturelle féconde dans laquelle Freud et la psychanalyse jouent un rôle central, ainsi que tout un ensemble d’auteurs et d’artistes qui pour partie sont associés à Freud, et qui sont surtout les acteurs historiques et culturels de l’ouverture qui a lieu avec l’advenue de la société d’hier.

**

Concernant cette société d’hier, Zweig insiste sur le fait qu’a lieu à l’époque une ouverture des discours collectifs et des subjectivités à la prise en compte de tout un ensemble d’éléments fondamentaux – prise en compte générale, pas psychanalytique, mais à laquelle la psychanalyse dans sa portée culturelle a participé. Ainsi a lieu à l’époque, sur différents plans, une véritable ouverture des discours collectifs et des subjectivités à différentes choses fondamentales pour la psychanalyse : à la sexualité et à la jeunesse, dans une certaine mesure aux femmes et au féminin, dans une certaine mesure aussi à l’homosexualité (La Confusion des sentiments de Zweig témoignant de celle-ci) – en même temps que le chemin sera encore long pour une plus importante reconnaissance. D’ailleurs sur ce point, ce que dit Zweig va dans le sens de ce que montre Élisabeth Roudinesco dans son très passionnant livre La Famille en désordre[33], qui nous aide à historiciser ces questions.

Sur la question du féminin qui nous importe, je tiens aussi à préciser que notre École de Strasbourg, particulièrement avec Lucien Israël, a aussi posé en profondeur et de manière éclairante cette question, au point d’insister sur le le fait que la psychanalyse relève d’une féminisation[34]. Je vous en parlerai une autre fois.

Mais j’approfondirai dans un autre texte ma réflexion sur Zweig, dont cette question de la société d’hier, de la nouvelle société qui advient en partie grâce à Freud et à la psychanalyse, mais qui aussi favorise en même temps le développement de la psychanalyse à cette époque.


[1] Sur cette question, je renvoie à J.-J. Moscovitz, D’où viennent les parents ?

[2] Citons entre autres J.-P. Dreyfuss, J-M. Jadin, M. Ritter, Qu’est-ce que l’inconscient ? Toulouse, Arcanes-érès.

[3] Citons par ex., parmi tant d’autres titres, E. Roudinesco, Freud en son temps et dans le nôtre ; de J. Le Rider, concernant Freud, voir Freud, de l’Acropole au Sinaï ; concernant Zweig et plus largement, Modernité viennoise et crises de l’identité, ou Les Juifs viennois à la belle époque (1867-1914), ainsi que la récente édition de S. Zweig, L’esprit européen en exil, éd. J. Le Rider et Kl. Renoldner, Bartillat, 2020, trad. J. Le Rider ; de Peter Gay, Freud ; de C. Schorske, Vienne fin de Siècle ; d’E. Zaretsky, Le Siècle de Freud.

[4] Je me permets de renvoyer à mon intervention « Mythe et fantasme dans le cheminement intellectuel et psychanalytique d’Aby Warburg » au séminaire de Jean-Richard Freymann, FEDEPSY, « Fantasmes et mythes », année 2020, séance du 12 juin 2020 :

[5] Pour un projet d’ouvrage chez Arcanes-érès.

[6] Concernant la question de l’histoire culturelle des discours, l’œuvre de Michel Foucault est incontournable. Voir par ex. L’Archéologie du savoir.

[7] L. Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2010.

[8] Sur le présentisme comme régime d’historicité relevant d’un présent qui se veut auto-suffisant et délié du passé et de l’avenir, voir l’ouvrage de l’historien du monde grec F. Hartog, intitulé Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps.

[9] C. Magris, Le Mythe et l’empire.

[10] Voir Correspondance 1927-1938, Stefan Zweig/Joseph Roth, Payot et rivages, 20213, trad. P. Deshusses ; voir particulièrement la préface de ce dernier.

[11] Voir sur ce point les textes introductifs de J. Le Rider et de K. Renoldner à S. Zweig, L’esprit européen en exil, éd. J. Le Rider et Kl. Renoldner, Bartillat, 2020, trad. J. Le Rider ; ainsi que S. Zweig, Pas de défaite pour l’esprit libre, Albin Michel, 2020, trad. B. Cain-Hérudent ; et la préface de L. Seksik dans cet ouvrage.

[12] Ainsi qu’il l’exprime dans le texte « L’exigence de solidarité », L’esprit européen en exil, op. cit.

[13] Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 », dans Autres écrits.

[14] J. Lacan, Le Séminaire II., 1954-1955, Le moi dans la théorie de Freud, 19 mai 1955.

[15] Sur le fait que le psychanalyste n’en a jamais fini avec son fantasme, voir F. Perrier, La Chaussée d’Antin I.

[16] Gesammelte Werke, II./III., p. 489.

[17] Gesammelte Werke, II./III., p. 110.

[18] O. Mannoni, « L’analyse originelle », dans Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre Scène ; Ch. Azouri, « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue », Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2015. 

[19] S. Freud (1905), « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora), dans Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1995. 

[20] J. Lacan, « Intervention sur le transfert », dans Écrits. Concernant le retournement dialectique du fantasme, voir Jean-Richard Freymann, « À quel banquet nous convie Lacan ? Lacan avec les psychanalystes », dans L’art de la clinique, Toulouse,Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2013, p. 225-239.

[21] J.-R. Freymann, Éloge de la perte, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses ».

[22] A. Didier-Weill, Les trois temps de la Loi.

[23] J.-R. Freymann, Amour et Transfert, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2020 (avec des textes de M. Ritter, G. Riedlin, L. Goldsztaub, M. Patris).

[24] Par exemple dans J. Lacan, Le séminaire livre XVI, 1968-1969, D’un Autre à l’autre.

[25] Sur cette question, je me permets de renvoyer à D. Lorrain, « Mythologie de Lacan, Mythologie de Freud, Ephéméride 9, https://fedepsy.org/category/ephemeride/

[26] L’Homme Moïse et la religion monothéiste, trad. C. Heim, Paris, Gallimard, 1986, p. 173, Gesammelte Werke XVI., p. 174.

[27] Ibid., p. 189.

[28] Selon l’expression de l’historien du nazisme J. Chapoutot dans son ouvrage La révolution culturelle nazie.

[29] H. Bredekamp, Aby Warburg, der Indianer.

[30] Citons sa Théorie de l’acte d’image.

[31] C’est une question importante dont j’ai parlé dans mon intervention récente sur Warburg, op. cit.

[32] Concernant Freud et les Lumières, voir É. Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre ; et A. Didier-Weill, Un mystère plus lointain que l’inconscient.

[33] Même si je ne suivrai pas tout à fait l’auteure sur la question de l’homosexualité, car je ne vois pas pour ma part de souhait de normativité dans la revendication par les sujets homosexuels des mêmes droits politiques que les sujets hétérosexuels.

[34] L. Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2010.

L’Amicale des étudiants de philosophie organise un deuxième colloque après celui du 30 mai 2023 sur l’autorité (1). Cette année, le colloque est interdisciplinaire et portera sur le thème « Discours & Silence(s) ». Celui-ci aura lieu le mardi 02 et le mercredi 03 avril à la MISHA. Organisé par Aurélien Mandet (Master 2 – Recherche en Philosophie). En partenariat avec les facultés de philosophie, d’ethnologie et de lettres de Strasbourg.

Salle principale de la MISHA – 5 allée du Général Rouvillois à Strasbourg

Mardi 02 Avril :

  • 9h45 : Dimitri LORRAIN, psychanalyste et philosophe : Avant-Propos
  • 10h : David LE BRETON, anthropologue et sociologue : Anthropologie du silence
  • 11h : Alex MEURVILLE, étudiant en ethnologie: Au-delà du son. Chaîne opératoire de la fabrication d’une kora au Sénégal

.

  • 14h : Thierry GOGUEL D’ALLONDANS , anthropologue: Eloge de la palabre dans les sociétés coutumières
  • 15h : Stéphane CLERJAUD, professeur de philosophie: Quel silence dans la méditation ?
  • 16h : Salomé PASTOR, doctorante en littérature française: Anarchisme et féminisme : quand la littérature brise le silence

.

Mercredi 03 avril :

  • 10h : Guillaume KERTZINGER, étudiant en philosophie: L’homme et le Dieu d’Abraham : Le silence des vases brisés
  • 11h : Matthias COPIN, étudiant en philosophie: De l’être à l’Un : du discours comme médiation au silence

.

  • 13h30 : Aurélien MANDET, étudiant en philosophie : Des discours aux dialogues : Sommes-nous dupes de la paix?
  • 14h30 : Léa DUMETIER (doctorante en littérature française : Le discours d’outre-tombe ou comment faire taire le silence

NOTE:

(1): Ici le texte de mon intervention lors du colloque sur l’autorité: https://dimitrilorrain.org/2023/06/09/texte-que-peut-nous-dire-la-psychanalyse-de-lautorite-et-de-la-transmission-aujourdhui/

Cher.e.s ami.e.s,

Au regard de ce qui arrive dans le tragique de notre situation contemporaine, je vous mets ici le lien vers la fondamentale réflexion de Stéphane Habib sur l’antisémitisme. Sa pensée, en effet, est d’une très éclairante justesse, dans sa capacité à articuler psychanalyse, philosophie et politique.

Cette conférence, intitulée « Pas plus nouveau qu’ancien : l’antisémitisme, affaire politique », a eu lieu le lundi 6 août 2018, dans le cadre du banquet d’été « Dans la confusion des temps » qui s’est déroulé à Lagrasse du 4 au 10 août 2018.

La réflexion de Stéphane Habib a été publiée dans un très bel ouvrage Il y a l’antisémitisme (Les Liens qui Libèrent) et 2020.

Dans cette conférence puis dans ce livre subtilement écrit, Stéphane Habib part du fait que « toute forme de rejet de la complexité doit nous mettre en alerte, politiquement – entre autres » (p. 32). Il y établit que l’antisémitisme est une « langue », et que « par la langue de l’antisémitisme, on peut même être parlé » (p. 43). Il y éclaire aussi le fait que l’antisémitisme, c’est fondamentalement « la mise à mort de corps dits juifs » (p. 66) : c’est vouloir la mort des juifs, auxquels il – l’antisémitisme – « reproche tout et son contraire » (p. 20 (1)).

Face à l’antisémitisme, il s’agit de déployer « l’exigence de faire face à ce qui advient » (p. 48 (2)), de ne pas dénier ce qui a lieu, et de « manifester donc, que quelque chose se passe » (p. 49). Il en va là d’une inquiétude, d’une « intranquillité », d’une « détresse », et même d’une « compulsion » (politique, et c’est là où le politique rejoint la psychanalyse (3)) « à parler de cela qui existe. Ce qui se passe. Ce qui arrive » (p. 46).

Bref, il en va de l’exigence de partir du fait que, tel que l’a énoncé Jean-Luc Nancy dans son très important Exclu le juif en nous, « inlassablement, l’antisémitisme se répète » (4)).

Cette nécessité de faire face à la répétition interminable de l’antisémitisme, Stéphane Habib l’élabore psychanalytiquement comme une nécessité de parler interminablement du réel au sens de Lacan : du réel comme impossible, « en tant que revenant toujours à la même place » (p. 59). En ce sens, Stéphane Habib élabore aussi la pensée de l’« il y a » de Levinas, en éclairant l’antisémitisme comme un « il y a », comme un « exister qui retourne quelle que soit la négation par laquelle on l’écarte » (p. 80).

Ainsi, une telle exigence politique, psychanalytique et philosophique, mais aussi historique (5), « vise (…) à se défendre contre l’indifférence, le silence, l’aveuglement, la mutité, la surdité (…) face à tout ce qui se passe bien pourtant. » (p. 47). Elle vise à lutter interminablement contre le « je sais bien… mais quand même », qui se déploie souvent dans la parole subjective et collective, et relève d’un « déni antisémite de l’antisémitisme » (p. 80).

Il s’agit donc, nous y appelle Stéphane Habib, d’« être irréconciliable », de « faire pas sans l’antisémitisme » (p. 61). Pour cela, l’auteur part du fait que la psychanalyse définit le sujet comme un « corps parlant », et il définit l’enjeu du politique comme relevant de la « survie des corps parlants » (p. 59 (6)). Cette survie des corps parlants étant justement à opposer à l’antisémitisme en ce que celui-ci veut tuer les corps parlants juifs (élément personnel de réflexion : parce que les juifs, dans l’histoire de l’Occident, symbolisent la possibilité de la parole ?).

Et j’aimerais finir cette présentation en insistant sur différents points :

1. Sur la manière fort féconde dont Stéphane Habib déconstruit le discours idéologique prônant l’existence d’un « nouvel antisémitisme ». Il nous éclaire ainsi sur la manière dont ce discours idéologique nie la pérennité de l’antisémitisme dans l’histoire, et conserve, en prétendant le dépasser, celui-ci (7).

2. Sur la lucidité de sa pensée – publiée en 2020 donc – concernant ce qui arrive en Israël, et concernant certaines « alliances » d’extrêmes-droite  « contre l’islam », et donc contre, psychanalytiquement  parlant, « les corps parlants musulmans » (p. 31).

3. Sur l’exigence de complexité ici déployée, lorsqu’il est question de survie des corps parlants en général, dont les corps parlants juifs et musulmans – voilà qui résonne, je crois, dans notre situation contemporaine.

.

Voici la présentation du livre sur le site de l’éditeur :

Écrire « Il y a…l’antisémitisme », c’est immédiatement faire entendre que ce livre n’est pas une explication de plus, une description de plus ou encore l’écriture d’une histoire de la haine des juifs. C’est un rapport de forces. « Il y a » indique que ce livre n’est pas une démonstration d’existence de l’antisémitisme. « Il y a », pour ce qui arrive et se répète. « Il y a » pour la persistance. « Il y a » pour la rémanence. Et précisément, il y a une structure de l’antisémitisme que décrit pertinemment Stéphane Habib dans cet ouvrage important.

http://www.editionslesliensquiliberent.fr/livre-Il_y_a_l_antis%C3%A9mitisme-9791020908261-1-1-0-1.html

.

Stéphane Habib est psychanalyste, philosophe et écrivain. Il anime un séminaire de philosophie et psychanalyse à l’Institut des Hautes Etudes en psychanalyse (8) dont il est également le directeur. Il est membre de l’Institut Hospitalier de Psychanalyse de Sainte-Anne, à Paris, ainsi que du comité de rédaction de Tenou’a. Et éditeur aux éditions Les Liens qui Libèrent.

Ici un très bel échange avec Audrey Louis autour de sa conception de la psychanalyse:

https://lesenfantsdelapsychanalyse.com/trans-lautre-nom-de-la-psychanalyse-entretien-avec-stephane-habib/

Il a écrit plusieurs ouvrages :

La responsabilité chez Sartre et Levinas, L’Harmattan, 1998.

Levinas et Rosenzweig, philosophies de la Révélation, PUF, 2005.

La langue de l’amour, Hermann, 2016.

– Faire avec l’impossible : pour une relance du politique, Hermann, 2017 ; rééd. Pocket 2020.

Livre qui a obtenu le prix Œdipe le Salon 2018.

Concernant le Banquet du Livre de Lagrasse, voir : https://www.abbayedelagrasse.fr/

NOTES

(1) : Sur ce point, Stéphane Habib élabore sur Delphine Horvilleur, Réflexions sur la question antisémite, Grasset, 2018, p. 20

(2) : C’est là une citation de Claude Lefort.

(3) : Pour sa réflexion sur le politique, on lira Faire avec l’impossible : pour une relance du politique, Hermann, 2017.

Voir la présentation de ce livre par Delphine Horvilleur pour le prix Œdipe Le Salon 2018 :

(4) : Jean-Luc Nancy dans Exclu le juif en nous (Galilée, 2018), p. 9. Stéphane Habib cite cette réflexion.

(5) : Et ce en écho avec les réflexions de Patrick Boucheron dans Prendre dates (2015, écrit avec Mathieu Riboulet, chez Verdier).

(6) : Voir son Faire avec l’impossible, op. cit. Sur ce point, Stéphane Habib élabore J.-C. Milner, Pour une politique des corps parlants – Court traité politique 2, Verdier, 2011.

(7) : Il s’appuie ici sur la déconstruction par Derrida de la dialectique hégélienne.

(8): http://psychanalyse.ihep.fr/

« Un spectre hante l’université française : le spectre de la déconstruction. Crée par Jacques Derrida à la fin des années 1960, il est devenu, dans l’esprit des réactionnaires de tout poil, le mot-valise désignant tout ce qu’ils haïssent dans la pensée, lorsque celle-ci cherche à émanciper davantage qu’à ordonner. Dégénérescence de la culture, mépris pour les grandes oeuvres, délire interprétatif, amphigouri linguistique, danger politique, confusion sexuelle, licence morale : à en croire les ennemis de la déconstruction, tout ce qui va mal dans le monde lui est imputable.
Mais que signifie cette peur ? Que signifie la fixation frénétique d’une frange d’intellectuels pour tout ce qui peut ressembler à une pensée différente, libre, inventive et fondamentalement démocratique ? Que cela signifie-t-il, si ce n’est la volonté de policer la pensée et ses institutions, pour pouvoir mieux, ensuite, policer les corps ? Telle est, en tout cas, l’interrogation qui a présidé au colloque « Qui a peur de la déconstruction » , qui s’est tenu à la Sorbonne en janvier 2023.
Il a fait scandale chez les tenants de la police. En voici les actes. »

.

Cet ouvrage a été dirigé par Isabelle Alfandary, Anne Emmanuelle Berger et Jacob Rogozinski. Isabelle Alfandary est professeure de littérature américaine à l’université Sorbonne-Nouvelle. Son dernier livre : Science et fiction chez Freud. Quelle épistémologie pour la psychanalyse ? (Les Editions d’Ithaque, 2021). Anne Emmanuelle Berger est professeure émérite de littérature française et d’études de genre à l’université Paris 8 et professeure invitée à Northwestern et Buffalo (USA).
Son dernier livre, Le Grand Théâtre du Genre (Belin, 2013), a été traduit en plusieurs langues.
Jacob Rogozinski est professeur émérite à la Faculté de philosophie de Strasbourg. Auteur de plusieurs livres sur Artaud, Derrida, la chasse aux sorcières, il a publié en 2022 « Moïse l’insurgé » aux Editions du Cerf.

Ont contribué à cet ouvrage Etienne Balibar, Aurélien Barrau, Seloua Luste Boulbina, Fabrice Bourlez, Danielle Cohen-Levinas, Marc Crépon, Monique David-Ménard, Marc Goldschmidt, Marta Hernandez Alonso, Denis Kambouchner, Ginette Michaud, Avital Ronell, Marta Segarra, Samuel Weber, Raphaël Zagury-Orly.

Ici mon billet relayant le colloques et certains enregistrements:

https://dimitrilorrain.org/2022/12/19/colloque-qui-a-peur-de-la-deconstruction-19-21-01-2023-paris-ecole-normale-superieure-sorbonne/

« A partir de son expérience de psychanalyste, Jean-Marie Jadin interroge les rapports de la pratique et de la théorie psychanalytiques avec les questions qui animent les philosophes depuis toujours, mais aussi avec celles inhérentes à d’autres domaines comme la linguistique, la physique, les mathématiques, la littérature, la poésie et le théâtre.

Il est d’usage d’opposer la philosophie et la psychanalyse. L’ambition de ce livre est de montrer que cette apparente incompatibilité semble relier les deux disciplines au niveau même de leur incomplétude, comme si chacune était très précisément en manque de l’autre.

À partir de son expérience clinique, Jean-Marie Jadin montre que la pratique analytique développe des idées particulières concernant les questions traditionnelles que se posent les philosophes. Et en retour, il éclaire certaines données de la théorie psychanalytique en déplaçant le centre de gravité vers la manière qu’a la philosophie de les traiter.

Avec cette vision double, un certain relief sera donné aux thèmes classiques de la philosophie que sont la parole, le temps, la conscience, ou aux moins classiques, comme l’analogie, la perte, la triade de l’imaginaire, du symbolique et du réel, et enfin l’inadaptation de l’homme au monde. Jean-Marie Jadin philosophe en psychanalyste sur les processus qui créent l’inconscient : la condensation et le déplacement. Toutes ces questions formulées dans un langage accessible sont illustrées par de nombreux exemples cliniques. »

Postface de Bernard Baas, Hervé Gisie, Marcel Ritter.

Jean-Marie Jadin est psychiatre et psychanalyste à Mulhouse depuis bientôt cinquante ans. Ancien interne et chef de clinique du chu de Strasbourg, il est aussi l’auteur de plusieurs livres et de très nombreux articles consacrés à la pratique et la théorie psychanalytique.

https://www.editions-eres.com/ouvrage/5120/la-peripherie-philosophique-de-la-psychanalyse

Poem: Gold and Blue – New York

Gold and blue

your light

at the dawn of

the day on

the broad and

bright water

.

New York

You’re embracing

me again

getting

me out of

myself bringing

me into

the future

.

and you whisper

“Just

become just

let in what

is coming

now just

let the past die

out and let

the unexplored fragments

of yourself be

and come”

.

and here you

come with your

laugh

smiling and

witty

 .

what a weird

feeling it is

to be in

New York again

far away

from that first

childhood summer

grey so grey

here

 .

and even the silver

squirrels in Central Park

are not

the same

they are now

very much

alive not like

before as they

were only

some moving – fascinating –

promise of the future

 .

yeah

the future has

arrived and has

become the

open

present

open and

open like

the Bay of

New York here

in Red Hook near

the red buildings

and the rotten

pilings and

warehouses

open

to the gold and

blue sky

reflecting

in the waving water

in which my eyes

are lost

while the gigantic girl

with her flame

stands

still

like a bright shadow

.

patient

before what will

become

.

**

Thank you so much to Jamie Mac Partland fo the rereading.

She’s a writer and editor.

Animé par Dominique Marinelli, Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain.

Le 1er jeudi du mois, à 20h30. Reprise le 9 novembre 2023.

Par Zoom.

Pour demander à participer, écrire à : lorrain.dimitri@gmail.com ou à emmanuelle.chatelat@gmail.com.

L’année dernière, notre travail a porté sur l’étude de l’œuvre et du geste de Freud dans son contexte historique et culturel (psychanalytique, psychiatrique, intellectuel, philosophique, littéraire, artistique, etc.). Ce faisant, nous avons essayé d’envisager la portée à la fois clinique, théorique et culturelle de son œuvre dans le contexte actuel. Il a s’agi de lire Freud, de le discuter, afin d’ouvrir des pistes théoriques pour la clinique. Nous avons aussi essayé de caractériser la dynamique de son œuvre et la manière dont Freud a traversé ses propres résistances.

Forts de cette réflexion, nous continuerons notre réflexion sur le « féminin » avec Freud et dans le contexte de Freud (Zweig, Schnitzler). Nous continuerons aussi de nous mettre à l’écoute des subjectivités contemporaines. Ce tout en méditant particulièrement les apports de Michel Foucault (« Les Aveux de la chair » »), et ceux d’autrices féministes comme Simone de Beauvoir (« Le Deuxième sexe »), Manon Garcia et bell hooks.

Plus largement, nous envisagerons de manière psychanalytique les apports des pensées féministes et queer, et des études de genre, les plus stimulantes.

En ce sens, nous lirons Lacan, mais aussi les élèves strasbourgeois de Lacan (entre autres Lucien Israël), comme d’autres de ses élèves, afin de transmettre la psychanalyse telle que l’envisage l’Ecole de Strasbourg et de pratiquer un freudo-lacanisme pleinement ouvert.

Pour cela, nous invitons des intervenantes et des intervenants psychanalystes et appartenant aux champs connexes à la psychanalyse (philosophie, sciences humaines et sociales, littérature, art, etc.).

Programme 2023-2025

9.11.2023        Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe): « La psychanalyse, la subjectivation, le féminin: élaboration avec Michel Foucault et Simone de Beauvoir »

7.12.2023        Dominique Marinelli (psychanalyste): « Eléments pour une histoire des femmes psychanalystes (1) »

11.1.2024        André Michels (psychanalyste): « Les enjeux cliniques et politiques de la question trans »

1.2.2024          Dominique Marinelli (psychanalyste) : « Eléments pour une histoire des femmes psychanalystes (2) »

14.3.2024       Sandra Baumlin (psychanalyste) et Emmanuelle Chatelat (psychanalyste) : « La servitude volontaire (Lacan, Dufourmantelle, Manon Garcia, La Boétie) »

4.4.2024          Emmanuelle Chatelat (psychanalyste): « Eléments d’histoire du genre pour la psychanalyse »

3.10.24            Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe) : « Réflexions à partir de l’archéologie foucaldienne du mariage et du couple hétérosexuel (Michel Foucault, Les aveux de la chair, chap. ‘Etre marié’) ».

7.11.24 Emmanuelle Chatelat (psychanalyste), Sandra Baumlin (psychanalyste), Stéphane Muths (psychanalyste) et Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe): « Apports du « Deuxième sexe » de Beauvoir à la psychanalyse »

5.12.24 Jorge Reitter (psychanalyste, Buenos Aires) sur « Les Aveux de la chair » de Michel Foucault, titre à venir.

9.1.25 –

6.2.25 Intervenant.e à définir: « Freud et le féminin » (suite).

7.3.25 Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe): « La question du féminin avec Zweig et Schnitzler »

3.4.25 Karina Pacheco (philosophe, Porto Alegre) et Frédérique Riedlin (psychanalyste): « Apports de bell hooks (‘A propos d’amour’) à la psychanalyse »

2.5.25 Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe, chargé de cours Univ. Strasbourg): « A propos de Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, chapitre ‘Que reste-t-il de notre amour ?’ »

Autres intervenants à venir 

Ondine Arnould (philosophe, Univ. Strasbourg, sur Lou Andreas-Salomé) ; Benjamin Lévy (psychanalyste, sur le travail culturel) ; Leiv Fraenckel (philosophe, Univ. Strasbourg, sur le judaïsme et la psychanalyse) ….



Programme passé, 1er semestre 2023

5.1.2023          Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain : « La situation contemporaine de la psychanalyse »

2.2.2023          Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain : « Le féminin selon Freud et aujourd’hui »

2.3.2023          Frédérique Riedlin (psychanalyste) : « Le tabou de la virginité selon Freud » 

Dimitri Lorrain: « Elaborer psychanalytiquement la mutation culturelle contemporaine de l’individualisation du genre » (15mn).

6.4.2023          Thierry Goguel d’Allondans (anthropologue, Univ. Strasbourg) et Jonathan Nicolas  (psychologue) : « Anthropologie clinique des caméléons. A propos de Choisir son genre ? (ouvrage collectif qu’ils ont dirigé) »

4.5.2023          Stéphane Muths (psychanalyste) : « La bisexualité psychique selon Freud et aujourd’hui »

                        Karina Pacheco (philosophe, Porto Alegre) : « Le virilisme dans le Brésil de Bolsonaro » (15mn)

1.6.2023          Frédérique Riedlin et Dimitri Lorrain : Lecture de Lacan, Séminaire XX., Encore, leçon du 13.3.1973

.

Textes étudiés

Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Gallimard, 1989.

– Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité » (1918), in La vie sexuelle, PUF, 1969.

– Sigmund Freud, « Sur la sexualité féminine » (1931), in La vie sexuelle, PUF, 1969.

– Sigmund Freud, « La féminité » (1932), in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 2002.

– Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe I. et II., Gallimard, 1949 et 1951.

– Anne Dufourmantelle, Éloge du risque. Payot, Paris 2011.

– Michel Foucault, Les Aveux de la chair, éd. F Gros, Gallimard, 2018.

– Manon Garcia, On ne naît pas soumise : on le devient, Flammarion, 2018.- bell hooks, A propos de l’amour, Divergences, 2022.

– Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XX, 1972-1973, Encore, Seuil, 1975, particulièrement  « Une lettre d’âmour », séance du 13.3.1973.– Jacques Lacan, Le Séminaire : Livre XVII. L’envers de la psychanalyse, 1969-1970, Paris, Seuil, 1991.

– Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, 2010, particulièrement « Que reste-t-il de notre amour ? », p. 153-162.

– Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022.

– Stefan Zweig, Le Monde d’hier (1943), Livre de poche, 1996.

Autre bibliographie (psychanalyse)

– Fabrice Bourlez, Queer psychanalyse, Hermann, 2018.

– Monique David-Ménard (dir.), Sexualités, genres et mélancolie, S’entretenir avec Judith Butler, Campagne première, 2009.



– Jean-Pierre Dreyfuss, Jean-Marie Jadin, Marcel Ritter, Qu’est-ce que l’inconscient ?, Erès, 2016.

– Jean-Richard Freymann, L’art de la clinique, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2015.

– Patricia Gherovici, Transgenre : Lacan et la différence des sexes, Paris, Stilus, 2021.

– Serge Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.

– Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022.

Voir:https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/

– Dimitri Lorrain, « Avec Stefan Zweig: penser la Vienne de Freud et le geste de Freud. Une lecture du « Monde d’hier » », in Ephéméride 11, FEDEPSY, novembre 2020.

Voir: https://dimitrilorrain.org/2020/12/04/avec-stefan-zweig-penser-la-vienne-de-freud-et-le-geste-de-freud-une-lecture-du-monde-dhier/

– André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.

– Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120

– Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180.

– Jorge N. Reitter, Heteronormativity and psychoanalysis. Oedipus gay, Routledge, 2022.

– Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018.

– Frédérique Riedlin, « ’’Extime-toi heureux ! », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 129-142.

– Moustapha Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988.

– Donald W. Winnicott, Conversations ordinaires, Gallimard, 1988.



Autre bibliographie (hors psychanalyse)

– Judith Butler, Défaire le genre, Amsterdam, 2013.

– Didier Fassin et Roland Rechtman, L’empire du traumatisme, Flammarion, 2007.

– Michel Foucault, Histoire de la sexualité I., La volonté de savoir, Gallimard, 1976.

– Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie », in Dits et Ecrits II., Gallimard, 2001, p. 982-1023.

– Michel Foucault, Herculine Barbin dite Alexina B., Gallimard, 2014.

– Camille Froidevaux-Metterie, La révolution du féminin, Gallimard, 2015.

– Olivia Gazalé, Le mythe de la virilité, Robert Laffont, 2017,

– Thierry Goguel d’Allondans, Ados LGBTI, Chronique sociale, 2016.

– Françoise Héritier, Masculin-Féminin, 2 vol., Odile Jacob, 2007.

– Ivan Jablonka, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Seuil, 2019.

– Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Flammarion, 1993.

– Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe, Gallimard, 1992.

– Maggie Nelson, Les Argonautes, Editions du sous-sol, 2018.

Séries

– « #Philo: sapere Aude », sur Netflix, de Héctor Lozano et Menna Fité (1)

« La fin de l’amour »  de Tamara Tenenbaum, sur Amazon vidéo 

– « Transparent », de Joey Soloway, sur Amazon Vidéo.

Documents de travail: page Internet réservée aux membres de l’équipe du séminaire

Protégé : Séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui »: enregistrements et documents de travail

.

NOTES

(1): Voir: