Chères amies, chers amis,
J’aimerais ici dire quelques mots du très beau livre de Jean-Michel Rabaté, Lacan l’irritant (Stilus, 2023).
Dans cet ouvrage, il propose une mise en perspective de Lacan en insistant sur la dimension fécondement irritée et irritante de sa parole et de sa pensée – et plus encore du texte (ce que l’on pourrait appeler le « texte-Lacan ») que nous lisons lorsque nous fréquentons ses écrits et séminaires.
En effet, aux Etats-Unis, où Jean-Michel Rabaté vit et enseigne (Université de Pennsylvanie), existe à nouveau un grand intérêt pour Lacan comme pour la psychanalyse – tout comme il existe une psychanalyse, particulièrement freudo-lacanienne, fort créative. Ce regain d’intérêt est permis par l’essor de ce que l’on y appelle les studies (dont particulièrement les gender studies). Et l’éclairage de Jean-Michel Rabaté sur Lacan nous donne une piste novatrice pour donner à entendre d’une nouvelle manière l’enseignement de Lacan, mais aussi la psychanalyse, dans le nouveau contexte culturel qui existe aux Etats-Unis, mais aussi plus généralement.
En somme, contre tout anti-américanisme et contre tout conservatisme, il s’agit pour Jean-Michel Rabaté, comme il le dit dans la vidéo que je relaie plus loin, de rendre à Lacan et à la psychanalyse leur pouvoir irritant, sans aller jusqu’à l’offense. Pour aider le sujet contemporain, s’interrogeant souvent en termes d’identité (d’ailleurs socialement minoritaire : de genre ou autre), à justement ouvrir cette interrogation. Ce dans le nouveau contexte culturel, où, je dirais, le discours collectif, par ce questionnement en termes d’identité, rend maintenant – et fécondement – le sujet beaucoup plus sensible aux questions du pouvoir et de la violence désubjectivante, sous toutes leurs formes (1).
Dans sa réflexion sur l’identité, Jean-Michel Rabaté rejoint d’ailleurs la psychanalyse contemporaine qui accueille pleinement – et ne rejette donc pas – cette interrogation actuelle des sujets en termes d’identité, afin d’ouvrir à la levée du désir subjectif s’y trouvant bien souvent (2).
Dans mes termes, je dirais que, dans la lecture de Jean-Michel Rabaté, Lacan apparaît non pas comme une autorité discursive, mais comme le passeur irrité et irritant d’une conflictualité discursive et psychique. Cela vient ouvrir ce que les discours collectifs contemporains, seraient-ils aussi fécondement progressistes, ont tendance à refermer. Et, dans la cure pratiquée en s’appuyant sur Lacan, cela permet de rendre la parole du sujet à nouveau singulière, créative, et donc critique. Bref, l’affect d’irritation qui habite et que suscitent la parole et la pensée de Lacan – et plus encore le « texte-Lacan » – est bien le vecteur de l’ouverture d’une telle conflictualité, d’une telle créativité, d’une telle mise en crise. Ce, au niveau collectif, contre toute recherche de giron dans un discours collectif normatif. Mais aussi, ce qui va de pair, au niveau subjectif, contre toute refermeture de la parole du sujet sur la léthargie d’un confort qui obture la possibilité d’avancées subjectivantes à venir.
Ainsi, en nous donnant à lire Lacan comme un « trouble-fête » et un « taon dans la cité » (tel Socrate selon Platon), ce livre redonne à celui-ci sa dimension critique et subversivement créative.
Ce qui est ici critiqué et déconstruit par Lacan, tel que l’éclaire Jean-Michel Rabaté, c’est aussi la conception mainstream du sujet et de l’auteur. Cela lui permet de situer le « retour » de Lacan à Freud comme une « transformation » de la « discursivité psychanalytique fondée par Freud » – telle que l’a éclairé Foucault (p. 13).
Alors la psychanalyse apparait comme « à la fois un discours pris dans les sciences humaines, un discours portant sur la sexualité, le désir, le sujet clivé de l’inconscient, la topique du moi, les pulsions, et une archive, un système autopoïétique qui se révise sans cesse, un texte foisonnant et plein de lacunes qu’il s’agit de relire avec attention » (p. 20).
Plus encore, c’est bien, avec Freud et Lacan, l’existence de la « pulsion de mort » ou plus largement la destructivité pulsionnelle, qui est affirmée. Ce contre tout idéalisme visant à prendre le sujet dans un optimisme béat, dans un culte de la positivité (pensons par exemple à la psychologie positive) mystificateur. En somme, il existe inéluctablement chez l’être humain une « cruauté », une destructivité. Et cette « cruauté », cette destructivité, dans la parole ou dans l’écriture, doit pouvoir – comme nous l’enseignent Lacan et Winnicott – se déployer, et non pas être réprimée, pour se déployer de manière créatrice. Pour Lacan, « dans le travail d’écriture » (p. 75).
En ce sens, la lecture de Jean-Michel Rabaté passe aussi par l’éclairage du fait que la psychanalyse de Freud et de Lacan est à relier aux Lumières obscures (p. 106) au sens d’Adorno et de Horkheimer (3).
L’un des points les plus vifs et les plus ouvrants du livre est l’insistance – en écho à Derrida, et au débat entre Lacan et Derrida – sur le fait que le dernier Lacan est un Lacan élaborant la question de l’écriture. Ce point est certes bien connu des spécialistes et, mais le livre nous en offre un éclairage novateur.
Car la « mémoire » psychanalytique et culturelle que l’écriture, au sens de Lacan, déploie, consiste en une « mémoire qui se fabrique elle-même en gérant sa part d’oubli » (p 109). Bref, comme dit auparavant, l’écriture du texte-Lacan est une archive créative, elle est même le système autopoïétique d’un « écrivain pluralisé » (p. 115), « disséminant » (4) la « subversion du sujet » (p. 116). En ce point, d’ailleurs, Lacan met au travail Joyce qu’il a longuement médité, Joyce qui « détiss(e) » le tissage du texte (p. 142), le tissage de la mémoire culturelle dans laquelle nous sommes tous pris. Ce – en va-t-il là d’une éthique ? – afin que le sujet ainsi redéfini accède au geste de « s’autoriser de soi-même et d’un Autre » (p. 148), ce sans se prendre pour une autorité.
A mon sens, cela ouvre à une conception du psychanalyste – et de l’écrivain – comme tisseur, comme passeur critique et créatif, irritant et en cela porteur de nouveauté. A l’opposé de toute autorité (5) .
Plus encore, cela soutient le fait que le sujet, dans la cure analytique, déploie une telle mémoire, une telle écriture créative, mais aussi une telle élaboration ouvrante – et même sinthomale (je parlerai plus loin du concept de sinthome) – de ce que Lacan appelle le non-rapport sexuel, c’est-à-dire l’absence de complémentarité entre deux sujets liés sexuellement.
Pour tout cela, Jean-Michel Rabaté lit Lacan avec Freud, avec la littérature (Sade…), la philosophie (Kant et Nietzsche – lui aussi un philosophe de l’irritation), les sciences humaines (particulièrement Luhmann).
Et, ayant donc parlé du sinthome, je ne puis finir ce texte sans pointer le fait que ce livre approfondit le travail déployé dans Joyce, hérétique et prodigue (Stilus, 2022).
Cet ouvrage articulant Joyce, Lacan et Derrida, pour le dire trop rapidement, éclaire le dernier Lacan comme un joycien hérétique. Il éclaire aussi que je propose d’appeler le texte-Lacan comme le déploiement d’une écriture du sinthome. Rappelons ici ce qu’est le sinthome – création conceptuelle géniale de Lacan, qui permet une avancée clinique fondamentale dans la cure. Le sinthome, je dirais, est cette création symptômale spécifique travaillant à même la lettre (et liée au hors-sens et à l’équivoque, la surdétermination maximale).
Ici, c’est bien de la créativité de ce symptôme spécifique qu’est le sinthome, dont il est question. Ce contre toute logique d’adaptation sociale (il existe bien sûr une forme d’inscription sociale qui n’est pas adaptative), entravant chez le sujet la fragilité, le ratage, et ainsi toute subjectivité, toute singularité, toute vitalité psychique et discursive.
Plus encore, cette forme spécifique du symptôme qu’est le sinthome a pour grand mérite de faire tenir le sujet là où la béance (ce point de réel, de pulsionnalité pure, de jouissance (6), où le psychisme et la parole défaillent absolument, laissant le sujet dans un désarroi radical) pourrait l’orienter vers une destructivité ou une autodestruction débridée.
Dans cette opération psychique spécifique du sinthome, relevant donc d’une écriture psychique, la langue est détruite et recréée pour échapper à la logique de destructivité – surmoïque – qui l’habite.
Bref, face à la question cruciale de la béance, habitant tout sujet, et face au discours surmoïque (7) qui hante le sujet et l’empêche d’élaborer la béance, l’un des apports cliniques absolument novateurs de Lacan, consiste dans le fait de soutenir la création psychique d’un sinthome (8). Et cet apport clinique fondamental de Lacan s’est appuyé sur une invention théorique dans la lecture de Joyce, en premier lieu dans le séminaire XXIII, de 1975-1976, sur le sinthome.
Et c’est cela que Jean-Michel-Rabaté éclaire à sa manière, au plus vif et au plus crucial de la clinique psychanalytique, mais aussi au plus vif et au plus crucial de la créativité subjective en général : lorsqu’il en va pour le sujet de devenir psychiquement et discursivement vivant là où il pourrait psychiquement et discursivement mourir – ou là où il est psychiquement et discursivement non-vivant.
En cela, son livre nous permet d’appréhender en quoi la psychanalyse est bien un « nouveau discours » culturellement révolutionnaire (p. 11), qui a tant à apporter subjectivement, collectivement, et, justement, culturellement.
NOTES
(1) : Didier Fassin et Roland Rechtmann, L’empire du traumatisme, Flammarion, 2007.
(2) Voir entre autres Patricia Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021 ; Nicolas Evzonas, Devenir trans de l’analyste, PUF, 2024, particulièrement p. 410-411 ; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes filles en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Jonathan Nicolas et Thierry Goguel d’Allondans (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022, p. 169-180.
[3] Dans leur Dialectique de la raison. Sur cette question, voir E. Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre, Seuil, 2014.
[4] En écho à Derrida.
[5] La relation entre passeur et autorité est une question qui m’intéresse particulièrement et que j’ai élaborée à ma manière dans mon texte https://dimitrilorrain.org/2023/06/09/texte-que-peut-nous-dire-la-psychanalyse-de-lautorite-et-de-la-transmission-aujourdhui/
[6] Sur la question de la jouissance, je renvoie particulièrement à Darian Leader, La jouissance, vraiment ?, Stilus, 2020.
[7] Sur la dimension surmoïque du sinthome, voir particulièrement, Geneviève Morel, La Loi de la mère, Anthropos/Economica, 2008.
[8] Concernant le sinthome comme création symptômale, je renvoie à Geneviève Morel, et, dans le cas du sujet identifié trans, à Patricia Gherovici, Transgenre. Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021 : https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/ https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/
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Présentation du livre par l’éditeur :
« Le concept d’irritation amène à travailler la problématique de l’autorité avec Foucault, Luhmann et Lacan. Lacan, comme Socrate, « taon de la cité », rejoint Freud lorsqu’il manifeste son irritation face à Nordau et Viereck. Freud en vient à postuler la pulsion de mort comme fondamentale, tandis que Lacan, irrité-irritant, moins « auteur » que tisseur, passe de la logique du signifiant au temps (« taon ») biologique des pulsions. »
https://www.editions-stilus.com/lacan-lirritant.html
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De plus, j’aimerais ici relayer une passionnante vidéo avec Jean-Michel Rabaté présentant cet ouvrage. Il y dialogue avec Elisabeth Roudinesco à la librairie le Divan le 8 mars 2023. Luis Izcovich modère et présente cette rencontre. Dans ce débat fort élaboratif, se déploie, la parole si subtile, si fraîche, de Jean-Michel Rabaté, présentant sa lecture de Lacan et son travail pour un lacanisme ouvert, ainsi que son élaboration de la littérature, de la philosophie, des sciences humaines. Entre autres, l’on pourra aussi y trouver une réflexion sur la transmission de la psychanalyse dans la situation contemporaine, sur l’évolution culturelle aux Etats-Unis mais aussi plus généralement, où il vit (il enseigne à l’Université de Pennsylvanie), particulièrement en ce qui concerne les questions du genre et du racisme. Aussi nous donne-t-il à appréhender les spécificités – fécondes et conflictuelles – de cette évolution culturelle, en contraste avec la perspective dominante en France. Particulièrement en insistant sur les apports de la perspective intersectionnelle – qu’il considère comme déployant une féconde surdétermination de l’identité. En professeur à l’écoute de ses étudiants, il nous y donne aussi à entendre ce qui a lieu dans les jeunes générations, en termes de créativité mais aussi de fragilité psychique – celle-ci étant, je dirais, liée à un contexte global particulièrement difficile.
LE LIEN VERS LA VIDEO :SUR YOUTUBE (STILUS)
https://www.youtube.com/watch?v=cHaMXH9VKSU
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Jean-Michel Rabaté est professeur de littérature anglaise et de littérature comparée à l’Université de Pennsylvanie. Cofondateur de la galerie Slought à Philadelphie, éditeur du Journal of Modern Literature. En plus d’innombrables articles, il a publié une quarantaine de livres, sur la littérature, la psychanalyse, l’art contemporain, la philosophie, et particulièrement sur Beckett, Pound ou Joyce, Lacan, Derrida….
Il a dirigé le passionnant Cambridge Companion to Lacan, en 2003, avec des contributions de Bernard Burgoyne, Nestor Braunstein, Tim Dean, Judit Feher-Gurewich, Darian Leader, Deborah Luepnitz, Catherine Liu, Dany Nobus, Jean-Michel Rabaté, Dania Rabinovitch, Elisabeth Roudinesco, Charles Shepherdson, Colette Soler, Joseph Valente, Alenka Zupanzic.
Entre autres, il a publié Les Guerres de Jacques Derrida, Presses de l’Université de Montréal, 2016 ; Rire au soleil, Campagne Première, 2019 ; Rires Prodigues: Rire et jouissance chez Marx, Freud et Kafka, Paris, Stilus, 2021, et James Joyce, Hérétique et Prodigue, Paris, Stilus, 2022.
Parmi ses autres livres, que je ne peux tous citer ici, j’évoquerai :
Lacan, Bayard, 2005. Et plus récemment: Rust, 2018, Kafka L.O.L., 2018; After Derrida, 2018; Understanding Derrida / Understanding Modernism, 2019; Knots: Post-Lacanian Readings of literature and film, 2020; Rires Prodigues, 2021, Knots, Post-Lacanian readings of film, literature and culture, New York, Routledge, 2020.
Son site :
https://www.jeanmichelrabate.com
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Elisabeth Roudinesco est historienne de la psychanalyse, entre autres chargée de séminaire à l’Ecole Normale Supérieure.
Sur le blog, voir par exemple : https://dimitrilorrain.org/2021/10/30/penser-lantifreudisme-dextreme-droite-avec-elisabeth-roudinesco-2010/
Vous trouverez ici le texte lié à mon intervention du même nom à la très belle journée d’études « Pratiques et contre-pratiques de l’autorité » du 30 mai 2023, à la MISHA de Strasbourg. Cette journée a été organisée par l’Amicale étudiante de philosophie, avec le soutien du CRePhac et de la Faculté de Philosophie de l’Université de Strasbourg[1].
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J’aimerais dans cette intervention élaborer sur ce que la psychanalyse peut selon moi dire de l’autorité et de la transmission aujourd’hui.
Avant d’en venir à cette question, j’aimerais faire quelques rappels nécessaires sur la psychanalyse. La psychanalyse, envisagée de manière freudo-lacanienne[2], déploie une technique d’écoute et de parole spécifique, liée à la règle psychanalytique. Je rappelle que dans cette règle, le sujet associe librement, il dit ce qui vient. Freud parle pour cela d’ « Einfall ». Ainsi, en psychanalyse, tout énoncé linéaire, logique, narratif, est désorganisé. Ce au profit de l’insistance sur le geste d’énonciation, sur le dire dans son caractère surgissant, d’événement, créateur. C’est cela le symbolique tel que l’a éclairé Lacan, quelque chose de créateur, pas autre chose – et certainement pas un ordre social normatif. Bref, en psychanalyse, ce n’est pas la thématique de la parole qui compte, mais la forme, la structure, la dynamique créatrice de la parole, du discours.
Pour faire un parallèle, les pensées philosophiques de Nietzsche, d’Adorno ou de Levinas – aussi dans leurs formes fragmentaires pour les deux premiers – rejoignent cette exigence de se centrer sur le geste d’énonciation créateur. Je souhaiterais aussi évoquer la superbe réflexion d’Adorno sur la poésie d’Hölderlin comme paratactique, scandée par des vides[3]. En effet, chez Hölderlin, plus largement dans la poésie moderne, il y a quelque chose de cela dans la parole analytique. Je parlerai plus loin de la réflexion d’Adorno sur Hölderlin.
Du coup, dans la cure, se déploie une parole constamment bifurquante qui fait se lever une dynamique discursive créatrice. En ce sens, la psychanalyse vise à produire des bougés discursifs chez le sujet, ainsi qu’un changement de sa parole dans le sens de la créativité de parole. Il en va là pour le sujet de la capacité de de produire de nouveaux mots, de nouveaux signifiants, ou de nouvelles significations de mots qui sont anciens pour lui. De nouvelles perspectives aussi. Fondamentalement, c’est sur ces sauts de parole créatifs que la psychanalyse travaille. Pour que le sujet se centre en fait sur la forme – la structure – de sa parole, plus que sur la signification des énoncés. Afin de porter attention – point fondamental – à l’ambiguïté, l’équivocité, la « surdétermination » (Freud) du dit, comme du dire. Et à déployer cette poéticité de la parole – dont le rêve est l’expression comme l’a montré Freud[4]. Afin de rendre sa parole plus créative.
Je ne sais si vous avez déjà essayé de pratiquer l’analyse de rêve, sur une feuille libre, même en dehors de la cure. Il s’agit d’associer librement, à partir de chaque élément énoncé précédemment. Alors la parole se déploie en étoile, elle échappe à toute linéarité, elle déploie des énoncés latents, inconscients, qui habitent le psychisme du sujet, derrière le contenu manifeste, conscient. Et, déployée dans la cure, cette forme spécifique de parole ouvre à une autre forme de discours, qui va permettre pour le sujet la découverte de la forme, de la structure, de sa parole. Ici, l’on retrouve l’omniprésence de la sexualité bien sûr, mais ce n’est pas là-dessus que j’insisterai aujourd’hui.
Joue dans la cure l’écoute de l’analyste. Celle-ci permet que se fasse jour et soit reconnu, dans la parole du sujet, son désir inconscient, présent dans les mots clés – dans les signifiants – de sa parole, qui sont chargés de ce désir. C’est bien ce désir, lié à l’ambiguïté, l’équivocité, la surdétermination, la poéticité spécifique de la part latente, inconsciente, de la parole du sujet, que la cure cherche à faire lever. Pratiquement, cela permet que ce désir enrichissant la parole et la vie se déploie dans les actes et paroles du sujet, de manière énigmatique, mais créatrice. Car cela ouvre le sujet à une créativité qu’il n’avait souvent pas encore, ou pas autant. La psychanalyse rend le sujet énigmatiquement créatif, en parole, en acte, existentiellement. Elle rend la dynamique de parole du sujet, et son existence, plus créatrices en ce sens.
Mais c’est aussi la dimension d’énigme du désir du sujet, habitant et structurant sa parole de manière latente, que la psychanalyse amène à appréhender et à accepter. Car sur le fond, l’inconscient, je ne peux le comprendre ni l’épuiser, même si je peux en appréhender certains éléments pour plus de créativité. D’ailleurs, mes élans amoureux, amicaux, existentiels, intellectuels, professionnels, ne me sont-ils pas énigmatiques ? Sais-je pourquoi je suis attiré par quelqu’un ou quelque chose, pourquoi je le désire, ou je l’aime ? non, juste, cela me parle, je ne sais de quoi, mais cela me parle. Eh bien l’inconscient, le désir inconscient, c’est cela, ce « cela me parle ». Qu’il s’agit de laisser déployer en son énigme.
Aussi avec le risque que cela implique. Qui est le risque de la singularité du désir qui se dit, puisqu’alors je m’écarte des demandes de mon environnement. Des tutelles que celui-ci veut parfois ou souvent m’imposer.
Ce « cela me parle », je tiens à le préciser, n’est pas arbitraire éthiquement. Car le désir inconscient enrichissant la parole et la vie, montre l’expérience analytique, eh bien il nait du renoncement pulsionnel[5]. Et le désir a ceci d’éthique que, dans son déploiement, il régule créativement la vie pulsionnelle et sa satisfaction, évite sa décharge directe – particulièrement de la destructivité liée à la vie pulsionnelle, contre soi ou contre l’autre -, dans le déploiement dialectique de la créativité et du symptôme[6]. Bref, il en va là d’une éthique créative, qui ouvre à une régulation créative car sublimée des pulsions, et non d’une morale répressive[7].
Cette éthique ouvre aussi à l’accueil de l’autre, de l’autre comme sujet autre, hors de toute logique névrotique de contrôle, voire pire, de toute logique de pouvoir, de maîtrise. Il en va là, loin de la morale et du surmoi moraliste, d’une éthique de la créativité, de la créativité désirante. Je tiens juste à préciser que, si Lacan a ouvert la réflexion sur l’éthique de la psychanalyse, sur cette question éthique de l’accueil de l’autre, je me réfère particulièrement à Lucien Israël ou à Winnicott. Malgré leurs immenses apports, particulièrement concernant la dimension tragique de la subjectivité et du collectif, Freud et Lacan ne sont pas allés jusque-là. L’idée d’un accueil de l’autre en tant qu’autre sujet leur est restée lointaine, sans doute du fait du pessimisme existentiel lié à leur conservatisme politique, ce qui leur fait le plus souvent contre-investir tout progressisme (8). Ce que Lucien Israël et Winnicott, dans leur optimisme tragique, ne font pas[8]. Il reste que concernant Freud et Lacan, il faut préciser que leur pessimisme – comme leur conservatisme – est dialectique: qu’il s’oppose à tout déclinisme, de la même manière que la dimension fécondement irritante de leurs pensées s’oppose au discours courant normopathe et à son hypnose de l’optimisme indemnisant (9) – auquel j’essaie d’opposer pour ma part un optimisme tragique.
Je parlais de Lucien Israël. J’aimerais rappeler que Lucien Israël est un analyste élève de Lacan qui a permis que dans l’Est de la France la psychanalyse freudo-lacanienne est solidement implantée. Et qui s’est donné le droit d’être infidèlement fidèle – pour parler comme Derrida – à Lacan. J’aimerais aussi évoquer son grand livre, qui est d’ailleurs un excellent livre d’introduction à la psychanalyse sous sa forme solidement créative : Boiter n’est pas pécher[9].
Ainsi, dans la cure analytique, contrairement à d’autres thérapies plus adaptatives, par l’interprétation, l’analyste ne donne pas la signification ultime d’un mot, au contraire il cherche à aider le sujet à élaborer créativement, à déployer dans sa parole, plus d’ambiguïté, d’équivocité, de surdétermination, de poéticité, de désir, pour que cela se déploie dans son discours, sa vie psychique, ses actes, son existence. Comme le dit mon ami Nicolas Janel, l’interprétation analytique est ainsi une désinterprétation[10]. Ce qui implique que l’analyste ne déploie pas un savoir de surplomb, depuis une position d’autorité.
Et ceci étant mis en place dans la cure, le sujet alors peut faire plusieurs choses : il peut revenir sur l’histoire des mots qu’il énonce et sur l’histoire de la forme de sa parole dans son environnement. Oui, il peut revenir sur leur signification dans la parole de son environnement, revenir aussi sur la forme de sa parole, et de la parole dans son environnement. Ce pour que sa parole à lui, par rapport à celle de son environnement, se singularise[11], se charge de désir, se fasse créative, se charge de nouveau, de nouveaux signifiants, ou d’une écoute nouvelle des mots importants dans son discours ou dans le discours de son environnement. Pour toujours rendre sa parole – en lien au signifiant – plus ambigüe, surdéterminée, poétique, riche symboliquement. Plus créativement désirante. Et sa vie, aussi, plus créativement désirante. Et éthiquement désirante – avec ce que cela implique de l’accueil de l’autre dans son altérité, son énigme, son geste, son désir, sa créativité.
Dans la cure encore, cela passe par le repérage de ce qui dans la parole du sujet, et dans celle de son environnement, relève de l’ évitement du désir – de la défense contre le désir, plus ou moins massive. Cette défense est d’ailleurs liée à la tendance narcissique au contrôle dont je vous parlerai plus loin. Liée aussi aux demandes de l’environnement. Qui amènent à laisser son désir de côté, le plus souvent.
Bref, Freud a montré l’existence de la réalité psychique en plus de la réalité extérieure. Mais c’est aussi la réalité discursive que la psychanalyse permet de prendre en compte – Freud en premier lieu, et Lacan plus encore après lui. Cette réalité discursive dont, d’une autre manière, les sciences humaines nous parle tant – Foucault en 1er lieu[12].
Et tout ça, cela implique que l’analyste, dans son écoute, ses interventions, n’est pas en position d’autorité mais d’écoute. Qu’il refuse la position d’autorité. C’est un point important. D’ailleurs, le psychanalyste n’est aussi pas en position d’autorité, parce que ne prend pas de décision pour le patient. Par exemple à la différence du médecin.
Plus encore, l’expérience analytique montre que, dans le déploiement de sa parole, le patient croit et croira toujours quelque part, dans son fantasme narcissique, que l’analyste est le détenteur d’un savoir – voire du pouvoir – sur son désir inconscient. Que l’analyste est une autorité au sens fermé du terme. Eh bien dans la cure, il s’agit – c’est d’ailleurs là l’apport de Lacan contre Freud – d’amener le sujet à se dégager de ce fantasme de savoir. J’aimerais préciser que cette autorité de savoir que le sujet érige dans son fantasme, Lacan, l’appelle d’ailleurs le « Sujet Supposé Savoir ».
En ce sens, contre le fantasme comme piège de la croyance en une autorité, la cure vise le fait que le sujet reconnaisse, appréhende quelque peu – énigmatiquement, dans l’écoute analytique – son désir inconscient. Alors comme le dit Lacan, le sujet s’autorise de son désir[13]. Et du coup il n’a plus besoin d’ériger une autorité fantasmatique qui saurait ce qu’il en est de son désir inconscient. Bref, le sujet, pour s’autorise de son désir, doit mettre en crise toute autorité.
Car personne, aucune autorité, ne peut savoir ce qu’il est en du désir inconscient, ni l’autre, ni soi. Le désir inconscient, on peut le métaphoriser, le dire, et donc le (re)créer, ou l’écouter et l’interpréter, et ainsi le reconnaître (en une réflexivité où, comme le dit Lacan, « la raison peut faire du poids »), et l’appréhender, pour le libérer et libérer sa force éthiquement créatrice – discursivement, dans les actes que l’on pose, existentiellement, dans le lien à l’autre. Pas le comprendre, dans une maîtrise de savoir, en position d’autorité.
Plus encore, il s’agit aussi, dans la cure, concernant ce fantasme d’une autorité de savoir, de le déconnecter d’un scénario de pouvoir si ce scénario existe. La psychanalyse se positionne par définition contre le pouvoir.
Pour détailler ce point, le fantasme narcissique – imaginaire en termes lacaniens – qui habite interminablement chaque sujet (y compris l’analyste, mais celui-ci sait dialectiser ce fantasme) est aussi un fantasme de contrôle de ce qui échappe au sujet. C’est-à-dire un fantasme de contrôle du réel au sens psychanalytique : la mort, le sexe ; ou encore de contrôle des difficultés internes et externe, ou encore de sa détresse fondamentale, et surtout donc son désir inconscient.
Bref, lorsque je parle de symbolique, de l’imaginaire et du réel, j’élabore sur ce triptyque génialement inventé par Lacan pour nous orienter dans la pratique psychanalytique.
Ceci est important car tout sujet qui parle cherche toujours quelque part, en son narcissisme, à se protéger du réel, à le contrôler. C’est quelque chose d’humain. Le désir inconscient est inéluctablement énigmatique, et existence est difficile ; cela est bien compréhensible – même si à élaborer.
D’ailleurs, en philosophie, Nietzsche a insisté sur la part d’illusion inéluctable chez le sujet, pour faire face au tragique de l’existence ; mais aussi et sur le fait que cette inéluctable part d’illusion, il s’agit de la traverser mais non de croire faire disparaître. Eh bien la psychanalyse va dans ce sens.
Bref, tout sujet subjectivé a toujours un narcissisme, un imaginaire en termes lacaniens, c’est-à-dire une tendance au contrôle. Et il s’agit, dans la cure, non de la nier, cette tendance narcissique humaine au contrôle, mais de la lire dans la parole du patient, de la reconnaître et ainsi d’éviter qu’elle s’enkyste en une tendance à la maîtrise. Il s’agit dans la parole analytique de faire en sorte que ce fantasme narcissique – comprenant donc en son noyau, comme l’a montré Lacan, la croyance en une autorité de savoir – soit traversé, perlaboré, que le sujet le repère, le dialectise le plus possible, en désactive en bonne partie l’effet. Pour que le sujet accède à une plasticité psychique, une capacité de mise en crise de soi. De « penser contre soi », comme dit Sartre. Bref, dans la cure, au niveau du changement de la forme de parole du sujet, il s’agit d’aider le sujet à mettre en place une capacité de plasticité psychique, liée à la créativité de sa parole. Et que cette plasticité psychique et cette créativité de parole perdurent elle pour toujours déjouer le plus possible l’interminable tendance narcissique au contrôle.
Plus encore, ce que montre la cure, certes de manière contre-intuitive, c’est que, comme le dit Nietzsche dans ses termes à lui, à un certain niveau, l’existence de ce narcissisme est même à souhaiter, pour pouvoir le dialectiser. Car alors le sujet existe en tant que sujet, lorsqu’il essaie de se protéger du réel. Si le sujet n’existe pas comme sujet, s’il n’a pas de narcissisme, il est au contraire plongé dans le réel – et désubjectivé. En effet, j’aurais dû dire tout de suite que tout sujet a une tendance au contrôle, mais aussi que cette tendance peut : soit être narcissique, névrotique, subjectivée, si le sujet est subjectivé ; soit relever de la logique de maitrise totale, si le sujet est désubjectivité, sans narcissisme et sans désir, et cherche à tout maitriser. Dans ce dernier cas, il n’y pas vraiment, dans la parole du sujet, de subjectivité, pas de désir ou de symbolique, pas de narcissisme ou d’imaginaire non plus. Pour prendre un exemple, Trump, contrairement à ce qu’on dit, en ce sens, est un sujet qui n’a pas de narcissisme, il est juste totalement désubjectivé, conformiste. Et désubjectivant. Il parle un discours collectif sans sujet, et donc sans narcissisme et sans désir. La conflictualité entre narcissisme et désir, allant d’ailleurs toujours de pair – et la psychanalyse visant à dialectiser le narcissisme et la tendance au contrôle pour laisser se déployer le désir créatif.
Mais j’en reviens au fantasme narcissique, chez le sujet subjectivé. Donc, quelque part ce fantasme narcissique, cette tendance au contrôle, persistera toujours. Car, subjectivement, le symptôme du sujet renvoie au fantasme narcissique, à la tendance au contrôle du sujet. Et le symptôme, marque de singularité, marque de défense singulière, ça ne disparait pas. A un certain niveau, pour que la subjectivité singulière du sujet existe – que le sujet ne soit pas désubjectivé, il faut du symptôme. La psychanalyse fait l’éloge du symptôme, contre les thérapies plus adaptatives qui refusent la singularité du sujet, et donc son symptôme.
Ici, ce que propose la psychanalyse, c’est une conception dialectique du narcissisme et du symptôme, de reconnaître l’existence du narcissisme, de traverser le narcissisme ; et donc aussi de travailler à traverser par la parole le symptôme lié au narcissisme ; bref de dialectiser le symptôme – même s’il y aura toujours heureusement du symptôme. La psychanalyse, c’est en ce sens déployer créativement une plasticité psychique et discursive, une capacité de mise en crise de soi, de pensée contre soi, de changer de discours[14] ; c’est en ce sens travailler à assouplir le symptôme, la tendance au contrôle, et plus largement les mécanismes d’évitements ; c’est, comme dit Lacan, savoir y faire avec son symptôme, de manière créative. Et non pas nier le symptôme, ou la tendancea au contrôle et les mécanismes d’évitements du sujet, comme le font le scientisme et les thérapies plus adaptatives.
D’ailleurs, pour élaborer sur cette question, concernant le scientisme contemporain dans le champ des thérapies et plus généralement, Lacan les a très bien repérés, en parlant de ce qu’il appelle le « service des biens »[15]. Ce afin de qualifier la grande machinerie scientifique et économique, mais aussi discursive et psychique, dominante dans nos sociétés – en même temps, ajouterais-je, qu’il existe aussi des interstices, des niches ou des espaces institutionnels ou collectifs qui y échappent. Dans ce service des biens, le sujet est pris dans tout un système de tutelles – au pluriel –, discursives et psychiques, auxquelles on lui demande de s’adapter, de se soumettre, dans une servitude volontaire. Ce qui produit des éléments de désubjectivation – ou la « vie abîmée » au sens d’Adorno[16]. Car, dans nos sociétés modernes, aujourd’hui comme hier, nous avons bien à faire, et Lacan qui a fait l’éloge des recherches de Foucault le sait bien, à un système de tutelles discursives et psychiques. Celui-ci enserre les sujets, et le collectif, déploie un véritable rejet de la parole, une véritable « logophobie » (Foucault) et désubjective massivement – malgré quelques niches et quelques espaces plus ouverts[17]. Et il érige d’ailleurs une forme spécifique, contemporaine, d’autorité au sens fermé du terme, de direction de parole – de direction de conscience, dirait Foucault[18]. Et ce système de de pouvoir, de tutelles discursive et psychique, il s’agit, dans la psychanalyse ou plus largement, de le reconnaître afin d’essayer d’ouvrir des interstices ou même des espaces subjectivants.
Et, dans mon optique, le psychanalyste essaie, s’il le désire, d’aider le sujet à écouter le discours allant dans le sens de ces tutelles, discours dans lequel il est pris, et il essaie de l’aider à se dégager de ce système de tutelle. Cette écoute du ou des discours collectifs, particulièrement ceux allant dans le sens de la mise sous tutelle, par l’analyse et dans la cure, cela aide le sujet se positionner singulièrement par rapport à ceux-ci, et donc à se subjectiver.
Sachant que ce système de tutelles contemporain va avec une normativité patriarcale, androcentrée, hétéronormative et binaire[19], mais aussi mettant en place le clivage ou le dualisme humain/non-humain[20]. Plus encore, ce système de tutelles produit de nos sociétés modernes un type de sujet désubjectivé et isolée, sans lien – je dirais : sans lien de parole désirant. Sur ce point, d’ailleurs, j’aimerais rappeler qu’Horkheimer et Adorno insistent largement, en qualifiant ce sujet adapté au système de tutelles de la modernité, de « monade », désubjectivée, désingularisée, coupée de tout lien, et privé de parole et de lien de parole[21]. Bref, la parole et la vie psychique de ce sujet adapté aux systèmes de tutelle sont fondées sur la maîtrise – et non l’accueil. Ce qui va avec une conception du savoir en termes de pouvoir.
Mais j’en reviens à la traversée du narcissisme et du symptôme, qui est une question clé. Pour cela – et pour aider le sujet à se dégager du système de tutelle -, en amont, il s’agit dans la cure, par la qualité de l’écoute de l’analyste, elle-même désirante, elle-même fondée sur le désir inconscient, sur le désir de désir (Lacan) de l’analyste, elle-même créative, éthique, accueillante et plastique, elle-même soucieuse des défenses de l’analyste, il s’agit donc que la parole du sujet permette la mise en crise, et la dialectisation, de cette tendance au contrôle qui ne cesse de revenir. C’est en ce sens que le psychanalyste ne peut avoir une position d’autorité. Il est un appui temporaire, c’est tout. Et un passeur, en ce qu’il transmet une technique.
Plus largement, la parole du sujet, dans ce processus analytique, met aussi en crise toute autorité, et plus encore toute tutelle.
Plus encore, Lacan, dans son débat avec Freud et certains élèves de Freud, a voulu insister sur le fait que le sujet n’est pas tant dépendant de ses parents en tant qu’autorités, mais dépendant, comme il le dit, du symbolique, du signifiant, des mots de son environnement, de la forme de parole de son environnement. Car cette prise en compte de la dépendance par rapport aux mots, au signifiant, au symbolique, cela ouvre au fait de prendre en compte, je dirais, le caractère dialectique de la transmission en ce qu’elle est discursive et psychique. Ici il me faut dire, concernant ce caractère dialectique de la transmission, que Lacan nous permet d’appréhender les choses ainsi. Il a insisté sur le fait que le sujet est dépendant du symbolique, du langage en ce qu’il est symbolique, et même qu’il doit en être dépendant pour exister comme sujet, qu’il doit être inscrit dans le symbolique pour pouvoir après cela mobiliser, dans sa parole, ce qu’il appelle le trésor du signifiant. Justement le sujet doit être pris dans la symbolique, être inscrit dans lui, pour pouvoir élaborer de manière désirante, subjective, le langage en ce qu’il est symbolique, de manière créatrice. Ce qui s’oppose au fait d’être pris de manière désubjectivée dans une autre relation au langage, elle désubjectivée, qui fait que le sujet parle un discours collectif verrouillé, fermé, sans symbolique, sans subjectivité, sans créativité, sans désir inconscient, sans éthique. Ici le sujet est juste un membre anonyme de la « majorité compacte », pour évoquer la belle expression de Freud.
Bref, dans son enfance, le sujet a besoin que son environnement, ses parents, le monde des adultes, l’inscrive dans le symbolique – entendu comme créateur, et non pas comme un ordre social, normatif. Car, comme y insiste Lacan, le niveau du symbolique n’est pas celui du social – qui existe, et que, je dirais, nous devons prendre en compte, mais sans rabattre le symbolique sur le sociale ni le social sur le symbolique.
Alors, inscrit dans le langage en tant que symbolique, le sujet peut pour parler – conflictuellement, créativement et dans son symptôme – mobiliser ce que Lacan appelle génialement le « trésor du signifiant ». Je tiens à préciser que cette mobilisation du trésor du signifiant n’est pas le fait d’un acte de parole conscient: la parole du sujet, mais aussi son désir, sont bien plutôt pris dans les mots, dans la forme de parole et de son environnement. Dans la cure, le sujet est amené à le constater et à l’accepter. Et à parler depuis cefte prise, cette inscription, pour l’approfondir et l’ouvrir de manière créative.
Plus encore, les parents ou les adultes, qui transmettent – s’ils y arrivent – le symbolique, le langage, inscrivent le sujet dedans, sont-ils à ce niveau en position d’autorité ? Non pas.
Certes, à un certain niveau, en ce qu’ils décident pour l’enfant, ils sont en position d’autorité. Mais au niveau dont je parle, de la transmission, ils ne sont pas en position d’autorité mais ils sont des passeurs d’une transmission symbolique – que ce soit dans leur créativité – de parole, symbolique -, ou dans leur symptôme. Le symptôme étant une marque de désir, de subjectivité singulière existante mais non encore déployée ; et le symptôme est en cela, je le répète, opposé à l’adaptation toujours privée de symptôme, toujours marquée par un rejet de la subjectivité.
Sachant que, à un autre niveau, dans les relations intergénérationnelles, les parents inscrivent aussi leurs enfants dans leur faille discursive et psychique, dans leur part d’évitement ; mais aussi que la jeune génération travaille toujours dans cette faille, dans l’évitement des anciennes générations. En ce sens, la transmission du symbolique par l’ancienne génération est justement nécessaire pour que la jeune génération puisse élaborer cette faille de cette ancienne génération, et même si possible dialectiser la faille, ou sortir de la faille de l’ancienne génération. Pour que le sujet puisse créer, depuis son propre désir, sa propre vie, sa propre manière d’y faire avec son symptôme, en élaborant le trésor du signifiant qui a été transmis. Car le sujet, si sa parole se fait sa créative, reprend les mots de son environnement pour les ouvrir à la nouveauté de son désir singulier – en se positionnant par rapport à ce qu’a voulu son environnement pour lui. Au contraire, si sa parole est fermée, eh bien sa parole est prise dans les mots de son environnement – en ce qu’ils sont fermés.
Ici encore, du point de vue du symbolique, on le voit, le parent ou l’adulte, s’il arrive à déployer une transmission symbolique, est plus un passeur, en plus d’être l’inéluctable vecteur d’une faille. Il est plus un passeur qu’une autorité.
Sur cette question de l’autorité, j’en reviens à Freud. Pour une partie de sa pratique et de sa pensée, conflictuelle et pour tout dire contradictoire même si géniale, Freud était encore, comme l’a éclairé Lacan[22], largement pris dans le paradigme patriarcal, mettant l’autorité, et une autorité fort directive, au centre de son discours. Freud croyait en la nécessité d’un père fort, comme il dit. En ce sens, dans la cure, il était souvnt très directif, il prenait souvent le patient dans un face à face narcissique, « imaginaire » en termes lacaniens. Où il était le père, l’autorité érigeant son savoir psychanalytique (tel qu’il se le représentait), auquel le patient devait se soumettre. Avec les conséquences, je dirais, patriarcales, androcentrées et héténorormatives, binaires et dualistes, de cela. Ce même si par ailleurs il a fondé les bases permettant de faire de la psychanalyse une pratique subjectivante et s’il aussi élaboré des éléments de sortie du patriarcat, de l’androcentrisme, de l’hétéronormativité, de la binarité, du dualisme humain/non-humain.
Car, je l’ai dit, sur cette question de l’autorité comme plus généralement, Freud est contradictoire, et sa parole est conflictuelle. En effet, il a fécondement différencié la psychanalyse et le travail culturel de l’hypnose, de la logique autoritaire, à la fois hypnotique et mimétique, dont il a étudié les ressorts en ce qui concerne la psychologie des masses[23]. De plus, il a fécondement critiqué ce qui dans le social – en premier lieu pour lui la religion – relève de la recherche d’un refuge dans un giron paternel[24]. Et puis, il a fécondement insisté sur le fait que la traversée du complexe d’oedipe (qui consiste dans le fait que le sujet a un objet premier et doit connaitre un tiers qui l’oriente vers le monde) et l’élaboration subjective de la sexualité par l’enfant fondent le mouvement du sujet vers l’indépendance, l’autonomie, par rapport aux figures parentales. En ce point, très exactement, Freud parle en effet d’ « orientation autonome dans le monde ». Je le cite : « les recherches sexuelles de ces premières années sont toujours solitaire ; elles représentent un premier pas vers l’orientation autonome dans le monde et éloignent considérablement l’enfant des personnes se son entourage » [25]. Bref, Freud parle ici des éléments d’autonomie que le sujet met en place dans son enfance, pour pouvoir s’autonomiser plus tard. C’est une question que je reprendrai avec Winnicott plus loin.
Ainsi Freud est-il conflictuel, comme tout sujet subjectivé. Nous sommes ici dans les contradictions de Freud, dans son symptôme. Qu’il n’a pas assez traversé, malgré tout le travail qu’il a effectué. Chaque sujet subjectivé, plus encore créateur, est conflictuel, a ses angles morts, Freud le premier.
Plus encore, je me demande si ce ne sont pas tous les créateurs (en psychanalyse, philosophie, etc.) de la société massivement patriarcale qui nous a précédé (car je considère que nous sommes nous dans une société où le patriarcat, pour existant, est mis en crise), qui ne sont pas pris dans la contradiction suivante. Celle entre d’un côté leur inscription dans le patriarcat et dans son directivisme, et de l’autre le mouvement fondamentalement créatif, subjectivant, de leur pensée, qui contredit et traverse ce directivisme.
Face à Freud, Lacan s’est explicitement opposé à la dimension très directive, patriarcale, de sa pratique et de sa pensée. Il a insisté sur la fonction symbolique paternelle – ce que de nos jours je préférerais appeler la fonction symbolique tierce, au regard des nouvelles configurations d’orientation sexuelle et de famille. Et ce geste, Lacan l’a mené pour désactiver la figure narcissique, imaginaire, du père, que l’on trouve chez Freud et largement dans le mouvement psychanalytique jusqu’à nos jours, relevant d’un narcissisme patriarcal non traversé.
Bref, c’est fondamentalement contre ce primat freudien de l’autorité que Lacan a construit cette pratique et cette théorie en termes de créativité de la parole ou de symbolique, de narcissisme ou d’imaginaire, et de réel. Pour déployer donc son triptyque Symbolique-Imaginaire-Réel.
Plus encore, même si Lacan n’a pas parlé du psychanalyste comme « passeur », ce qu’enseigne Lacan implique que le psychanalyste est lui aussi un passeur, une forme spécifique de passeur. Insister sur ce point permet que l’analyste ne prenne pas – comme Freud et nombre de ses élèves – le patient dans une relation d’autorité, dans une croyance narcissique et névrotique (comme chez Freud) en l’existence d’une autorité de savoir (soi-disant psychanalytique), de contrôle du désir inconscient. Ou pire (et ce n’est pas le cas de Freud !), dans une logique plus psychotique et désubjectivée que la névrose (où il y a symptôme subjectif), d’une autorité de maîtrise générale sur soi, les autres, le monde : autorité autoritaire, et même paranoïaque. En une paranoïa adaptée socialement.
Car, pour faire un saut, je dirais que, au niveau du fonctionnement collectif, le leader autoritaire est en effet lié au service des biens en ce que le discours de ce leader est inscrit dans un fonctionnement social et un discours collectif paranoïaques. Ce comme le montre génialement Lucien Israël dans son grand livre Boiter n’est pas pécher – entre autres en lecteur d’Adorno, de Foucault, de Levinas. Et ce discours collectif paranoïaque s’oppose massivement au symbolique, au langage comme symbolique, comme créatif, comme subjectif, comme singulier, comme désirant, comme au narcissisme comme porteur de symptôme singulier.
En même temps que, je le rappelle, le sujet, lorsqu’il parle de manière créative, reprend les mots de son environnement pour les ouvrir. Bref, si sa parole ouvre à des nouveaux signifiants, ceux-ci sont en même temps bien pris de quelque part, du trésor du signifiant ; ils sont transportés – « métaphorisés » au sens étymologique – autrement.
Bref, je dirais que la psychanalyse montre qu’au niveau inconscient – nous ne nous en rendons pas compte, mais nous le faisons – la parole, c’est comme la cuisine, on reprend toujours des recettes. Si la création a lieu dans la parole depuis un vide symbolique[26], la tabula rasa symbolique, elle, n’est pas à souhaiter dans la parole, comme dans la cuisine. Car si le cuisinier ne suit aucune recette, le plat est infâme. Et cela signifie que le sujet peut en venir à élaborer des recettes de manière personnelle, créative, en variant sur des recettes choisies ou reçues. Autrement dit, il y a là une autonomisation discursive et psychique possible, pour parler comme Lucien Israël – qui approfondit en ce point Freud. Ce qui implique aussi pour le sujet, dans l’histoire de sa parole toujours en train de se faire, de laisser chuter certains mots et certains discours, de faire le tri. D’abandonner les recettes qu’on lui a apprises, et qu’il faisait mécaniquement, mais dont il ne veut plus pour lui.
Plus encore, pour parler de ce que j’appellerais le mouvement dialectique de l’autonomisation discursive et psychique, je dirais ceci. Ce mouvement demande donc dans un premier temps l’inscription du sujet dans le langage comme trésor des signifiants, dans une transmission symbolique, discursive et psychique – ce qui va avec une dépendance par rapport aux personnes qui opèrent cette transmission. Ce qui demande en amont un passeur, qui a un désir de transmission symbolique : ce que Lacan appelle, je l’ai dit, en psychanalyse un désir de désir, un désir du désir du sujet.
Puis dans un deuxième temps, en s’appuyant sur cette inscription, le sujet peut élaborer subjectivement cette inscription, s’autonomiser, sortir de cette dépendance intersubjective, passer de l’hétéronomie à l’autonomie discursive et psychique, en reprenant de manière créative ce qu’il a symboliquement reçu, avec des éléments de saut créatif. Ce qui demande ici encore une figure qui fait appui, qui accepte ce geste d’autonomisation – et qui à ce niveau, par cette acceptation, se fait passeur, car il sait que c’est dans cette reprise subjective, cette infidèle fidélité que peut uniquement avoir lieu la transmission[27].
Sur cette question de l’autonomisation discursive et psychique, dans ses deux temps dialectiques, je voudrais citer Paul Celan. « Prends l’art avec toi pour aller dans la voie qui est le plus étroitement la tienne. Et dégage-toi »[28].
Et puis, pour évoquer deux grandes figures de l’histoire de la psychanalyse, Mélanie Klein et Donald Winnicott, j’aimerais aussi citer ce dernier. Ce dans une lettre à celle-ci, à laquelle il doit beaucoup, en même temps qu’il élabore ce qu’elle fait en se donnant le droit d’avoir son geste de critique de son apport là où il lui semble être problématique. Je cite Winnicott : « il est très important que votre travail soit reformulé par des gens qui font des découvertes selon une voie qui leur est propre et les présentent avec leurs propres mots. C’est de cette façon seulement que l’on gardera le langage en vie. Si vous stipulez qu’à l’avenir seul votre langage sera utilisé pour rapporter les découvertes des autres, alors le langage mourra. (…) Vos idées ne vivront que pour autant qu’elles seront redécouvertes et reformulées par des gens originaux, tant à l’intérieur du mouvement analytique qu’à l’extérieur[29]. »
Voilà en tout cas ce que je dirais déjà de la transmission, aussi donc en bonne partie avec Lucien Israël élaborant Lacan. Car Lacan ouvre fondamentalement à un trouage, à une détotalisation de l’héritage du langage, du signifiant, de la mémoire – de l’Autre comme symbolique, dirait-il.
Il reste que Lacan, malgré son apport fondamental, est lui aussi contradictoire. Il a aussi parfois déployé son apport dans une directivité problématique, particulièrement avec ses élèves[30] – ce que certains philosophes comme Foucault, Deleuze, Derrida, Castoriadis, ont critiqué à raison.
A ceci, j’aimerais ajouter que certains des élèves de Lacan, dont Lucien Israël, ont déployé un freudo-lacanisme qui reprendre l’apport lacanien en le dégageant de cette directivité lacanienne[31].
A mon sens la critique de cette directivité problématique Lacan, qui est un symptôme, nous permet en retour de mieux mettre en perspective son apport fomidable ; et au sein de cet apport, nous pouvons je pense relever le fait qu’il a solidement ouvert, dans la champ de la psychanalyse, la voie pratique et théorique, vers la singularisation – je dirais l’ « autonomisation » – discursive et psychique. Mais je dois repréciser de suite que c’est avec Freud et Lucien Israël que je parle d’autonomisation. En effet, Freud parle, je l’ai dit, de l’autonomie du sujet dans ses élaborations de sa sexualité, mais il parle aussi, par exemple, de l’autonomie du sujet, lorsqu’il développe l’idée (dans l’esprit des Lumières[32]) selon laquelle les grands écrivains sont des « éducateur(s) et de(s) libérateur(s) des êtres humains », soucieux de l’ « avenir culturel de l’humanité »[33]. A la différence de cela, Lacan ne parle lui jamais d’autonomisation ni d’émancipation, il ne parle pas de liberté mais plutôt de « peu de liberté » – ce qui implique tout de même un peu de liberté –; en même temps que pourtant, au fondement de son enseignement, il fait référence aux Lumières (sous leur forme féconde) et parle de singularisation du discours du sujet par rapport à l’Autre avec un grand A, comme discours collectif ambiant – ce qui selon moi va dans les faits quelque chose comme une autonomisation discursive et psychique !
Plus encore, en ce qui concerne les discours collectifs, il est vrai qu’il existe de manière courante tout un discours collectif de l’ « autonomisation » qui relève de la mise sous tutelle – comme l’ont relevé, avec Lacan, Adorno et Foucault. Cela se retrouve particulièrement dans le discours managérial contemporain[34]. Dans mes termes, je dirais que nous avons ici quelque chose comme une « pseudo-autonomisation » qui d’ailleurs rejette la dépendance première du sujet, et donc empêche toute transmission et toute autonomisation psychique et discursive.
J’ai dit que Lacan fait référence aux Lumières. Voilà ce qu’il avance dans le séminaire Ou pire : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir »[35]. Ici, Lacan insiste sur le fait que la psychanalyse telle qu’il la conçoit est une élucidation et une élaboration des Lumières – et une élaboration sur Kant qui écrit que « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable »[36]. Or, il me semble que ce projet de sortie de la tutelle reste fécond, concernant les Lumières, même si la critique des Lumières – entre autres de leur évolutionnisme et de leur dualisme entre humain et non-humain – est nécessaire.
J’aimerais maintenant prendre un moment pour évoquer la pratique psychanalytique et la pensée de Lucien Israël. Que nous dit-il ? Dans la lignée de Freud (du Freud plus ouvrant), il nous dit que la psychanalyse ouvre à une séparation subjectivante d’avec les figures de transmission ou d’autorité, dont parentales. Mais aussi d’avec l’analyste – qui lui n’est pas une autorité.
En effet, à propos de la séparation, Israël, traite de manière très parlante de l’éthique de la psychanalyse et du fait que le psychanalyste doit justement avec l’analysant, dans son appui pour la dynamique psychanalytique, faire preuve d’une certaine humilité et ne pas se considérer comme la fin en soi du processus psychanalytique. Bien plutôt, il doit être au service du déploiement du processus psychanalytique, et donc de la subjectivation du psychanalysant. Pour élaborer cela dans mes termes, je dirais que le psychanalyste, et en premier lieu son désir, est un simple appui pour la subjectivation, qui pourra être abandonné le moment venu - dans le mouvement dialectique de l’autonomisation discursive et psychique.
Plus encore, Israël parle bien d’ « autonomie »[37], tout en faisant l’éloge de l’individualisme de la culture occidentale (sous sa forme féconde) : « le mérite de notre civilisation est d’être une civilisation individuelle et subjective »[38]. Et en étant lucide sur la question du pouvoir : « dans notre civilisation, tout conspire au maintien d’une dépendance par rapport au pouvoir »[39].
Une question se pose alors concernant Israël : y a-t-il un auteur, en plus de Freud, qu’il a élaboré pour parler ainsi d’autonomie ? A mon sens, c’est Adorno, qu’il ne cite pas sur ce point, mais évoque ailleurs, particulièrement concernant ce que le philosophe allemand appelle la « personnalité autoritaire » – dans les Études sur la personnalité autoritaire – et où il évoque bien cette question de l’autonomie. D’ailleurs Adorno a développé une pensée rigoureuse de l’autonomie comme sortie de la tutelle – particulièrement dans « Education à la majorité »[40]. Opposée comme il le dit à tout le discours de la pseudo-autonomie qui en fait sert la mise sous tutelle. De la réflexion d’Adorno dans ce texte, je parlerai d’ailleurs plus loin.
Pour en revenir à la transmission qu’opère la pratique psychanalytique, je dirais que le psychanalyste transmet la technique psychanalytique et l’éthique en acte dans la cure, tels qu’il les élabore lui, le psychanalyste, pour que l’analysant les élabore à sa manière, dans son indocilité subjectivante, son infidèle fidélité.
D’ailleurs, le fait que le psychanalyste fasse preuve de plasticité, et pratique l’accueil de l’autre sujet dans son altérité, permet cela. Et, toujours pour élaborer sur le lien entre psychanalyse et philosophie, j’aimerais d’ailleurs ici insister sur le fait que sur cette question de l’accueil de l’autre sujet dans son altérité, Lucien Israël élabore explicitement Levinas[41].
Mais j’en reviens maintenant à Lacan. Car, pour essayer d’éclairer sur cette question de l’autonomie, j’aimerais maintenant parler d’un point précis du large débat de Lacan avec Marx. En effet, Lacan a parlé de l’inscription nécessaire du sujet dans le symbolique, dont je vous ai parlé plus avant, en termes d’ « aliénation ». A mon sens, il a ainsi voulu insister sur la dépendance du sujet par rapport au symbolique, sur la prise du sujet dans le signifiant, mais en même temps il a temps cherché à s’approprier polémiquement le concept marxiste d’aliénation – en même temps qu’il a mis au travail psychanalytiquement certains apports de Marx. Et à s’opposer de manière quelque peu conservatrice à toute réflexion – marxiste ou bien progressiste – sur l’autonomie. Pour ma part, je trouve assez malheureuse cette utilisation conservatrice du terme d’aliénation. Car cela vient plus obscurcir nos enjeux que les éclairer, et cela amène à mon sens Lacan ne pas pleinement voir la conséquence de son geste fondamental à lui : d’orienter la psychanalyse vers l’autonomisation, discursive et psychique, en ce que celle-ci a de dialectique, et est permise par une transmission véritable. En tout cas, c’est ainsi que j’interprète – dans le sens de ce que j’appelle un progressisme subjectivé[42] – le geste de Lacan sur ce point.
J’ai donc parlé d’un certain conservatisme de Lacan. Mais tomme toujours chez lui, les choses ne sont pas unilatérales. Ce conservatisme est bien complexe. Il reste que ce conservatisme s’exprime paradigmatiquement lorsqu’il avance que la revendication sociale et culturelle des jeunes générations de son époque, dans le cadre de Mai 68 et plus largement, relève fondamentalement de la recherche d’une nouvelle forme de Maître. A ceci, je réponds avec mon ami Benjamin Lévy, qu’il existe des revendications problématiques, mais aussi des revendications désirantes[43].
J’aimerais maintenant en revenir à la dialectique de l’autonomisation discursive et psychique, Cette dialectique de l’autonomisation, elle peut se déployer dans la cure psychanalytique, mais aussi ailleurs. Et pour parler de cette autonomisation véritable en ce qu’elle est dialectique, j’ai plus avant cité Celan. Mais j’aimerais ici évoquer Adorno, qui l’a bien pensée dans ses termes à lui, cette autonomisation discursive et psychique. Il l’a pensée à ma connaissance dans deux textes.
Le premier de ces textes, c’est dans la courte et géniale interview « Education à la majorité ». Dans ce texte, s’appuyant sur Freud, sur le Freud créatif insistant sur le mouvement d’indépendance du sujet par rapport aux figures parentales (dont je vous ai parlé plus avant), il élabore l’idée selon laquelle, selon lui, le sujet a, dans son cheminement psychique (et discursif) :
1. dans un premier temps : besoin d’un « moment d’autorité », d’une « identification à la figure du père (nous dirions de nos jours au tiers[44]) et à la figure paternelle de l’idéal du moi » ;
2. puis dans un deuxième temps, il avance que le sujet « doit se séparer de cette identification pour accéder à l’état de majorité ». Et Adorno insiste sur le fait que ce moment d’identification à la figure paternelle (nous dirions tierce) ne doit pas être « vénéré » ni « maintenu », mais bien envisagé de manière critique et dépassé[45].
Le deuxième de ces textes, où il a pensé l’autonomisation discursive et psychique, c’est dans sa réflexion sur Hölderlin dont je vous au parlé, intitulée « Parataxe » que l’on trouve dans « Notes sur la littérature ». Nous y trouvons d’ailleurs la même théorie de l’autonomisation discursive et psychique. Adorno voit en effet dans la poésie d’Hölderlin, je traduis, quelque chose qui exprime « la dureté de son destin » ; et ce destin a à voir, dit-il avec une « grande indépendance par rapport aux pouvoirs de son origine, particulièrement la famille ». Je cite encore Adorno : « dans les faits, cela le mène loin. Hölderlin a cru en l’idéal qu’on lui a appris, et l’a en tant que protestant pieux vis-à-vis de l’autorité, intériorisé jusqu’à en faire une maxime. Puis il a dû expérimenter que le monde est autre que les normes que cet idéal a implantées en lui ». Et Adorno insiste aussi sur le fait que c’est dans le travail poétique sur la « langue », qu’a lieu ce qu’il appelle génialement la « sublimation de sa première conformité » – en termes psychanalytiques je parlerais de traversée de l’idéal que l’environnement familial transmet dans ses symptômes. Puis Adorno précise même que ce travail poétique sur la langue prend la forme de ce qu’Hölderlin lui-même appelle l’ « inversion des mots » et « l’inversion des périodes »[46], du rythme au sens poétique, justement dans la poésie paratactique, introduisant du vide – évidant la parole. D’ailleurs, Celan, que j’ai aussi évoqué car il a aussi pensé cette autonomisation discursive et psychique, parlera lui aussi d’inversion ou plutôt de « renverse de souffle »[47].
Et, pour revenir à la psychanalyse, je vous l’ai dit, cette autonomisation de la parole du sujet par l’inversion des mots et du rythme de parole, qu’Adorno et Celan mettent en lumière, en général ou dans l’écriture poétique, elle peut aussi avoir lieu dans la cure (tel que je la conçois avec Lacan et Israël). Et, pour faire écho à ce qu’avance Adorno, j’ajouterais même à cela qu’elle peut avoir lieu dans la cure par le retour du sujet sur l’envers, ou bien l’équivocité, des mots, mais aussi dans la mise en place dans la parole du sujet de ce que Lacan appelle des scansions, des moments d’expérimentation du vide – en termes poétiques : des moments de parataxe.
Plus encore, pour essayer de bien poser les enjeux entre les différents auteurs que j’évoque, je dirais que, de leur côté, Lacan et Lucien Israël ont insisté sur la transmission symbolique – qui est aussi transmission du désir. Alors que de l’autre, Freud et Adorno ont plus insisté sur l’identification au père (ou au tiers) et l’idéal. Mais Lacan et Lucien Israël rejoignent Adorno sur cette question : il existe une part d’idéal – et symptômale – du discours du parent que le sujet doit reprendre et traverser, pour s’en détacher.
Dans cette réflexion sur la transmission et l’autonomisation comme dialectique, j’aimerais aussi, évoquer les élaborations de Winnicott[48]. En effet, Winnicott insiste sur la manière dont, dans la cure, l’analysant utilise (c’est là son terme) l’analyste pour son geste à lui de subjectivation. Mais il insiste aussi sur la manière dont dans le champ de l’éducation et de la transmission en général, le jeune sujet utilise le parent ou la figure adulte d’appui pour son geste à lui de subjectivation, dans lequel il fera ce qu’il désire lui de ce qui lui a été transmis. Et dans lequel la figure d’appui – ce que j’appelle le passeur – ne peut soutenir la subjectivation du jeune sujet que s’il laisse le sujet faire son geste à lui, en ce qu’il est différent du sien, et accepte donc d’être utilisé en ce sens.
Dans la réflexion de Winnicott, nous retrouvons d’ailleurs les deux temps de l’autonomisation psychique et discursive évoqués avant :
1. Dans un premier temps, il en va de l’enrichissement de la vie psychique et la parole du sujet, par son appui préalable sur les figures de transmission, ou dans la cure, sur l’analyste. Et c’est là un appui sur la créativité de ces figures d’appui, dans ce qu’il appelle le jeu, la dimension ludique de toute élaboration dans le lien de parole (qu’il appelle transitionnel), qui permet au sujet de déployer sa créativité à lui. Cela implique d’ailleurs ajoute à cela Winnicott, le fait que le sujet peut pleinement vivre avec ces figures d’appui (parentales, adultes ou autres – psychanalytiques si nécessaire) son état de dépendance ou de minorité psychique et discursive. Cela permet aussi que le sujet déploie dans son enfance, ou dans le premier temps de sa subjectivation, ce que j’appellerais des éléments d’autonomie que le sujet, pour pouvoir dans un deuxième temps s’autonomiser – point sur lequel Freud a insisté, comme je l’ai évoqué plus avant.
2. Dans un second temps peut alors avoir lieu l’autonomisation et la singularisation de la vie psychique et de la parole du sujet lorsque le sujet, ayant vécu jusqu’à son terme cet état de dépendance et de minorité, peut s’en détacher.
Cela implique d’ailleurs, comme le montre Winnicott qui a d’ailleurs développé des réflexions très intéressantes sur la démocratie[49], deux choses :
A. Dans la vie psychique et la parole du jeune sujet, à l’adolescence, cela implique une nécessaire mise à mort fantasmatique des figures d’autorité – une mise à mort fantasmatique et non réelle. Et ici, selon Winnicott, la figure d’appui a pour fonction de survivre et d’accueillir ce geste autonomisant, subjectivant.
B. Toujours dans la vie psychique et la parole du jeune sujet adolescent, Winnicott insiste aussi sur la nécessaire mise en crise du discours des parents et des figures d’appui. Et ce qui aide alors ici, c’est que ceux-ci acceptent cette mise à mort fantasmatique et cette mise en crise. D’ailleurs cette mise en crise s’appuyant, pour devenir subjectivante, sur ce qui a été transmis, par une élaboration de ce qui a été transmis de créatif et de fécond (mais aussi, ajouterais-je, une traversée des failles des figures d’appui)
Bref, dans sa réflexion politique fort stimulante, Winnicott insiste sur la relation entre l’existence politique et sociale de la démocratie et l’existence psychique et existentielle de la crise d’adolescence. Selon lui, la démocratie est selon lui un système politique et culturel où les jeunes générations peuvent mettre en crise le(s) discours des anciennes générations.
J’en reviens à la cure. Que fait l’analyste dans la cure ? Eh bien il écoute, de manière également flottante, comme nous dit Freud. Il pratique une technique d’écoute et de parole, qu’en passeur il transmet. Sans être en position d’autorité. Il laisse-être, dit Lacan. Ainsi propose-t-il ce que j’appelle un lien de parole désirant. Permettant au sujet déjà subjectivé de cheminer dans le sens que j’évoquais. Mais permettant aussi au sujet désubjectivé – pour peu qu’il ne soit pas pris dans une désubjectivation trop massive, mais qu’il ait gardé une capacité d’ouverture – de s’inscrire dans le langage, dans le symbolique. De naître ainsi au désir inconscient, à une parole subjective, symboliquement créative. Ainsi, à ses patients non subjectivés, l’analyste peut procurer un lien de parole désirant, une expérience de rencontre symbolique et de dépendance au symbolique, discursive, psychique, pour qu’il puisse naitre à sa subjectivité, à son désir, en s’inscrivant dans la symbolique[50].
Et avec le patient déjà subjectivé, il peut l’inviter à revivre sa dépendance discursive et psychique, passée, pour la retraverser autrement, de manière plus désirante, subjectivante, plus autonomisante discursivement et psychiquement.
On comprend dès lors pourquoi les institutions, les dispositifs de tutelle et de pouvoir, et le service des biens, ont tant de mal avec la parole psychanalytique. Comme avec la vraie parole en général. C’est pour cela qu’avec Foucault je parle de « logophobie », de haine du discours, de haine de la parole.
De plus, ce que je vous ai présenté ici implique que, concernant le sujet né à sa subjectivité par une inscription dans le symbolique, qu’il peut cheminer vers son autonomisation discursive et psychique, et sortir des tutelles discursives et psychiques que certaines parties de son environnement cherche à lui imposer. Bref, la technique de parole psychanalytique va dans le sens de la singularisation du discours du sujet par le déploiement du désir inconscient. Cela passe par le dégagement de la parole du sujet du discours collectif – et de la norme collective – dans lequel celui-ci est plongé.
Ainsi, par la forme même de son écoute, le psychanalyste écoute-t-il le discours collectif dans lequel l’analysant est plongé. Dès lors, si le travail psychanalytique se fait, aide-t-il aussi le sujet dans le travail d’écoute du discours collectif et de la norme dans lesquels il est pris, et ainsi vers la sortie de toute tutelle discursive, psychique, sociale. Vers le dégagement discursif de toute norme aussi, car cette autonomisation implique dénormativation, une singularisation. Vers le dégagement discursif de toute norme, qu’elle soit institutionnelle, ou culturelle, c’est-à-dire de toute norme patriarcale, androcentrée, hétéronormée, binaire en termes de genre, ou dualiste du point de vue de la relation humain/non-humain. Et vers la relation de mise en crise de l’autorité que cela implique, particulièrement si cette autorité déploie une parole normative.
Je dirais même, en ce point, que dans sa manière de dénormativer la parole, la psychanalyse, à sa manière, mais comme la parole démocratique, produit ce que
concernant la démocratie appelle un vide au centre[51]. Et ce vide au centre, sur ces deux plans différents que sont la psychanalyse et la démocratie, eh bien il implique que toute norme est remise en question, débattue., mise en crise. Car la dynamique démocratique implique elle aussi une dénormativation sociale permanente. Liée au fait que le collectif est ouvert aux singularités des sujets, et de leurs paroles. Bref, la dénormativation démocratique contemporaine, dont relève les nouveaux discours collectifs féministes, sur l’orientation sexuelle, sur le genre, écologiste, est bien parallèle à la dénormativation psychanalytique, et ces deux dénormativations peuvent se rencontrer – sans se confondre.
Tout ce que je dis là implique pour le sujet que, s’il a la chance de pouvoir vivre un lien subjectivant, un lien de parole fécond – et ce peut être l’analyste –, il peut, par l’analyse en 1er lieu, avoir une marge de manœuvre par rapport au système de tutelle dans lequel est. Cela passe par le déploiement d’une créativité. Cette créativité peut ouvrir des interstices, voire des espaces, ou échouer ; puisqu’avoir son geste implique toujours un risque. Plus encore, cette créativité peut aussi travailler à une mutation discursive subjective et collective qui rend le collectif favorable à la subjectivité – et donc démocratique.
Ainsi, concernant la question de l’autorité dans nos sociétés (par exemple l’autorité parentale), eh bien, il me semble que la psychanalyse, si elle est soucieuse de la question de la transmission, ouvre à la prise en compte, à la reconnaissance, ou même à la création, de formes d’autorité, mais aussi donc de transmission, qui sont des appuis pour la subjectivation. Sachant qu’une autorité ouvrante assumera aussi une fonction de transmission, qui permettra au sujet de la remettre en question.
Tout ceci me semble important à dire, particulièrement dans notre société où une très grande partie des jeunes générations met en crise la verticalité patriarcale et déploient des liens plus horizontaux. Cela va régulièrement avec le déploiement de revendications désirantes, pour parler comme mon ami Benjamin Lévy, qui a développé une réflexion très féconde sur la relation entre psychanalyse et politique dans son très important livre L’ère de la revendication.
Cette horizontalité nouvelle, mise en place par l’évolution culturelle et par une très grande partie des jeunes générations, peut être l’espace de déploiement d’une transmission, car la transmission, ça opère depuis un ailleurs – mais non pas depuis une verticalité –, et depuis un ailleurs symbolique. Je tiens à insister sur ce point pour répondre sur ce point aux conservateurs qui eux ont une conception verticale de la transmission. Bref, il existe bien – en psychanalyse et plus largement – une pensée progressiste subjectivée de la transmission. Et c’est sur ce point, insistant sur la nécessité de poser en psychanalyse le débat dans les termes d’une politique subjectivée, et donc aussi sur celle de caractériser – encore une fois avec mon ami Benjamin Lévy – l’écart entre progressisme et conservatisme, que je conclurai ma réflexion.
[1] https://www.misha.fr/agenda/evenement/colloque-pratiques-et-contre-pratiques-de-lautorite
[2] Pour une présentation plus détaillée de la manière dont j’appréhende la psychanalyse dans notre situation contemporaine, je me permets de renvoyer à « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/, et « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[3] Adorno, « Parataxe » dans Notes sur la littérature.
[4] Voir Freud, L’interprétation du rêve.
[5] Je fais ici particulièrement référence à la réflexion de Lacan sur l’éthique de la psychanalyse.
[6] Ce sont deux niveaux différents, mais toujours articulés.
[7] Sur cette question de l’opposition entre éthique créative et morale répressive, je renvoie à A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, mais aussi au texte de D. Winnicott, « Morale et éducation », dans Processus de maturation chez l’enfant, Paris, Payot, 1970, p. 55-70.
(8) Sur les oscillations de de Freud sur la question politique, on pourra consulter Florent Gabarron-Garcia, L’héritage politique de la psychanalyse. Ainsi qu’Elizabeth Ann Danto, Freud′s Free Clinics – Psychoanalysis and Social Justice 1918–1938. Concernant ce que j’appelle le pessimisme – dialectique – de Lacan, je le relie à la part de fascination – à mon sens mélancolique – pour la mort que l’on trouve dans son oeuvre, telle que l’étudient en philosophie J. Rogozinski dans Le Moi et la chair et, dans une optique psychanalytique freudo-lacanienne, P. Guyomard, dans La jouissance du tragique, Paris, Aubier, 1998.
[8] Sur ces questions de l’optimisme tragique d’Israël et de Winnicott, je renvoie à D. Lorrain, « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
(9) Sur la dimension fécondement irritante de Freud et de Lacan, voir J.-M. Rabaté, Lacan l’irritant, Paris, Stilus, 2023. Sur le caractère dialectique de leurs pessimismes, je renvoie à D. Lorrain, « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[9] Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2010.
[10] N. Janel , https://dimitrilorrain.org/2021/03/20/nicolas-janel-la-psychanalyse-est-une-operation-de-creation/
[11] Sur cette singularisation de la parole, voir J. Lacan, Le Séminaire : Livre XVI. D’un Autre à l’autre, 1968-1969, Paris, Seuil, 2006 ; Lucien Israël, Boîter n’est pas pécher, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2010 ; mais aussi D. Lorrain, https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[12] M. Foucault, par ex. L’archéologie du savoir.
[13] J. Lacan, Le Séminaire : Livre VII. L’éthique de la psychanalyse, 1959-1960, Paris, Seuil, 1986.
[14] Sur ce point, voir mon intervention au séminaire de l’ARPPS : https://www.youtube.com/watch?v=Qq7p_il9vCI&t=5720s.
[15] J. Lacan, Le Séminaire : Livre VII. L’éthique de la psychanalyse, 1959-1960, op. cit.
[16] Minima Moralia.
[17] Foucault parle de « logophobie » dans L’ordre du discours. Sur cette question, je renvoie à D. Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/.
[18] Sur cette direction de parole ou de conscience, je renvoie à D. Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/.
[19] Sur cette question, voir D. Lorrain, « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[20] Sur cette question, dans mon intervention au séminaire de l’ARPPS du 9 mai 2023, j’élabore psychanalytiquement les apports de Ph. Descola, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005 ; et B. Latour, Nous n’avons jamais été modernes, Paris, La Découverte, 1991. Sur ce point, je renvoie aussi à G. Cometti, Lorsque le brouillard a cessé de nous écouter. Changement climatique et migrations chez les Q’eros des Andes péruviennes, Peter Lang, 2015.
[21] M. Horkheimer et T. W. Adorno, Dialektik der Aufklärung (trad. fr : Dialectique de la raison), Fischer, 1969, p. 43.
[22] M. Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Paris, Seuil, 1988.
[23] S. Freud, Psychologie des masses et analyse du moi.
[24] L’avenir d’une illusion.
[25] Ce dans Trois essais sur la théorie sexuelle, trad. Ph. Koeppel, Paris, Gallimard, 1987, p. 127.
[26] Sur cette question, voir D. Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/.
[27] Sur cette question de la transmission, je me permets de renvoyer à « Avec Delphine Horvilleur: sur l’interprétation, une lecture de « Le rabbin et le psychanalyste » (Hermann, 2020) », https://dimitrilorrain.org/2020/12/04/avec-delphine-horvilleur-sur-linterpretation-une-lecture-de-le-rabbin-et-le-psychanalyste-hermann-2020/
[28] Le Méridien : « Geh mit der Kunst in deine allereigenste Enge. Und setze dich frei ».
[29] D.W Winnicott, Lettres vives, Paris, Gamillard, p. 69.
[30] Je renvoie ici, pour une critique de leur maître, à : S.Leclaire Rompre les charmes, Paris, Inter Éditions, 1981 ; L. Israël, Boîter n’est pas pécher; ou M. Safouan, La Psychanalyse. Science, thérapie — et cause, Vincennes, Thierry Marchaisse, 2013. Une autre critique fort ouvrante de ce versant problématique de la pratique, la pensée et l’enseignement de Lacan, est celle de Patrick Guyomard, La jouissance tragique, Paris, Aubier, 1992.
[31] Sur ce point, je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[32] Sur l’ambiguïté des Lumières, voir Th. Adorno et M. Horkheimer, Dialectique de la raison. Sur les Lumières alors que nous prenons la mesure du grand partage, voir C. Pelluchon, Les Lumières à l’âge du vivant.
[33] « Dostoïevski et le parricide », dans Résultats, idées, problèmes II, Paris, PUF, 1995, p. 162.
[34] Voir particulièrement R. Gori, La Fabrique des imposteurs.
[35] Lacan J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.
[36] I. Kant, « Qu’est-ce que les Lumières », in Vers la paix perpétuelle. Que signifie s’orienter dans la pensée ? Qu’est-ce que les Lumières ? , trad. J-F. Poirier et F. Proust, Flammarion, 1991.
[37]Boiter n’est pas pécher, p 83.
[38] Idem., p 83
[39] Idem., p. 101.
[40] Pour ma part, je fais référence au texte allemand « Erziehung und Mündigkeit » dans le recueil de textes Erziehung und Mündigkeit Frankfurt, Suhrkamp, 1971, p. 133-147.
[41] Je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[42] Je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[43] Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Paris, Flammarion, 2020.
[44] Pour prendre en compte les nouvelles configurations familiales.
[45] « Erziehung zur Mündigeit », op. cit., p. 140.
[46] « Parataxis », op. cit., p. 477-478.
[47] Voir son texte Renverse du souffle.
[48] J’évoquerai surtout le grand livre de Winnicott : Jeu et réalité.
[49] Winnicott développe cette réflexion dans « Concepts actuels du développement de l’adolescent », in Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1975 et « L’immaturité de l’adolescent », in Conversations ordinaires (Home is where we start from), Paris, Galllimard, 1988. Bref, même s’il a malheureusement été problématiquement critique du féminisme (par ex. dans ce même livre), Winnicott nous donne à penser.
[50] Sur ce lien de parole désirant, je renvoie à « Dynamique de parole créatrice et création du lien de parole désirant », https://dimitrilorrain.org/2023/04/09/texte-dynamique-de-parole-creatrice-et-creation-du-lien-de-parole-desirant.
[51] C. Lefort, L’invention démocratique.
Chères amies, chers amis,
Pour celles et ceux d’entre vous qui comprenez l’anglais, ici une intervention passionnante d’Elissa Marder sur la question du changement climatique, envisagée principalement en élaborant Freud.
Elle y dialogue avec Patricia Gherovici, Clint Burnham et David Lichtenstein. Jamieson Webster modère la séance.
Cette intervention a lieu dans le cadre de l’association Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.
Elissa Marder est professeure de littérature française et comparée à Emory University et affiliée aux départements de philosophie et de « Women’s gender and sexuality » de la même université. Elle est membre fondatrice du programme d’études psychanalytiques d’Emory dont elle a été la directrice. Elle est aussi associée à l’ICI Berlin.
Ses travaux sont situés à l’intersection entre psychanalyse, déconstruction et féminisme. Ils élaborent les questions de la temporalité, de la naissance, de la différence sexuelle et des limites de l’humain.
Parmi ses publications: « Literature and Psychoanalysis: Open Questions », dir. Elissa Marder, in « Paragraph », vol.40, issue 3, nov. 2017; « The Mother in the Age of Mechanical Reproduction: Psychoanalysis, Photography, Deconstruction », 2012; « Dead Time: Temporal Disorders in the Wake of Modernity (Baudelaire and Flaubert) », 2001.
Elle a participé au livre collectif « Psychoanalysis, gender, and sexualites », dir. Patricia Gherovici and Manya Steinkoler:
J’aimerais finir ce texte en précisant que Clint Burnham, qui intervient dans la vidéo, a avec Paul Kingsbury publié un livre collectif sur Lacan et l’environnement: « Lacan and the environment », Palgram Macmillan, 2021.
Chères amies, chers amis,
Pour celles et ceux qui comprennent l’anglais, je vous mets ici le lien vers la passionnante intervention de Patricia Gherovici et Manya Steinkoler sur le récent livre collectif qu’elle ont dirigé : Psychoanalysis, Gender and Sexualities: From Feminism to Trans* (Routlegde, novembre 2022). Cette intervention, menée dans le cadre du podcast de Vanessa Sinclair Rendering uncounscious, que je vous conseille très vivement, vous présente l’ouvrage en détails.
RU231: PATRICIA GHEROVICI & MANYA STEINKOLER ON PSYCHOANALYSIS, GENDER & SEXUALITIES
Elaborant particulièrement les apports féministes et trans, mais aussi ceux des études de genre, ou encore des pensées queer, cet ouvrage collectif est un livre majeur. Il ouvre entre autres à une psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, car relisant Freud et Lacan de manière novatrice, mais aussi, lorsque cela est nécessaire, critique. La préface de Patricia Gherovici et de Manya Steinkoler propose une réflexion particulièrement éclairante sur la situation contemporaine de la subjectivité et de la psychanalyse.
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Présentation de l’éditeur
Transcending the sex and gender dichotomy, rethinking sexual difference, transgenerational trauma, the decolonization of gender, non-Western identity politics, trans*/feminist debates, embodiment, and queer trans* psychoanalysis, these specially commissioned essays renew our understanding of conventionally held notions of sexual difference.
Looking at the intersections between psychoanalysis, feminism, and transgender discourses, these essays think beyond the normative, bi-gender, Oedipal, and phallic premises of classical psychoanalysis while offering new perspectives on gender, sexuality, and sexual difference. From Freud to Lacan, Kristeva, and Laplanche, from misogyny to the #MeToo movement, this collection brings a timely corrective that historicizes our moment and opens up creative debate.
Written for professionals, scholars, and students alike, this book will also appeal to psychoanalysts, psychologists, and anyone in the fields of literature, film and media studies, gender studies, cultural studies, and social work who wishes to grapple with the theoretical challenges posed by gender, identity, sexual embodiment, and gender politics.
Transcending the sex and gender dichotomy, rethinking sexual difference, transgenerational trauma, the decolonization of gender, non-Western identity politics, trans*/feminist debates, embodiment, and queer trans* psychoanalysis, these specially commissioned essays renew our understanding of conventionally held notions of sexual difference.
Looking at the intersections between psychoanalysis, feminism, and transgender discourses, these essays think beyond the normative, bi-gender, Oedipal, and phallic premises of classical psychoanalysis while offering new perspectives on gender, sexuality, and sexual difference. From Freud to Lacan, Kristeva, and Laplanche, from misogyny to the #MeToo movement, this collection brings a timely corrective that historicizes our moment and opens up creative debate.
Written for professionals, scholars, and students alike, this book will also appeal to psychoanalysts, psychologists, and anyone in the fields of literature, film and media studies, gender studies, cultural studies, and social work who wishes to grapple with the theoretical challenges posed by gender, identity, sexual embodiment, and gender politics.
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Table des matières
Introduction
Part 1: The Genealogy of Sex and Gender
1. ‘Freud’s Ménage à quatre’
Tim Dean
2. ‘Glôssa and « Counter-Will »: The Perverse Tongue of Psychoanalysis’
Elissa Marder
3. ‘The Gender Question from Freud to Lacan’
Darian Leader
4. ‘Two Analysts Ask, « What is Genitality? Ferenczi’s Thalassa and Lacan’s Lamella »‘
Jamieson Webster and Marcus Coelen
5. ‘Undoing the Interpellation of Gender and the Ideologies of Sex’
Genevieve Morel
Part 2: Queering Psychoanalysis: Fantasy, Anthropology and Libidinal Economy
6. ‘The Role of Phantasy in Representations and Practices of Homosexuality: Colm Tóibín’s The Blackwater Lightship and Edmund White’s Our Young Man‘
Eve Watson
7. ‘Oscar Wilde: Father and Som‘
Ray O’Neill
8. ‘Does the Anthropology of Kinship Talk about Sex?’
Monique David-Ménard
9. ‘From Fundamentalism to Forgiveness: Sex/Gender Beyond Determinism or Volunteerism’
Kelly Oliver
10. ‘Sexual (In)difference in Late Capitalism: « Freeing Us from Sex »‘
Juliet Flower MacCannell
Part 3: Being and Becoming TRANS-*
11. ‘Tiresias and the Other Sexual Difference: Jacques Lacan and Bracha L. Ettinger’
Sheila L. Cavanagh
12. ‘In-Difference: Feminisim and Transgender in the Field of Fantasy’
Oren Gozlan
13. ‘Translation, Geschlecht and Thinking Across: On the Theory of Trans-‘
Ranjana Khanna
14. ‘Scenes of Self-Conduct in Contemporary Iran: Transnational Subjectivities Knitted On Site’
Dina Al-Kassim
15. ‘Lacanistas in the Stalls: Urinary Segregation, Transgendered Abjection, and the Queerly Ambulant Dead’
Calvin Thomas
16. Dany Nobus, ‘Becoming Being: Chance, Choice and the Troubles of Trans*cursivity’
Dany Nobus
17. ‘Just Kidding: Valeria Solana’s SCUM and Andrea Long Chu’s Females‘
Elena Comay del Junco
18. ‘Transgender Quarrels and the Unspeakable Whiteness of Psychoanalysis’
Yannik Thiem
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Patricia Gherovici et Manya Steinkoler ont déjà publié ensemble Lacan On Madness: Madness Yes You Can’t ( Routledge, 2015) et Lacan, Psychoanalysis and Comedy (Cambridge University Press, 2016).
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Patricia Gherovici est psychanalyste, elle exerce à Philadelphie et à New York. Elle a obtenu en 2020 le Sigourney Award pour son travail clinique et théorique à propos de la question du genre et de la communauté latino aux Etats-Unis.
Elle a est la co-fondatrice et la directrice du Philadelphia Lacan Group et de l’Associate Faculty, Psychoanalytic Studies Minor, University of Pennsylvania (PSYS).
Elle est membre honoraire de l’IPTAR, l’Institute for Psychoanalytic Training and Research à New York.
Elle participe aussi aux travaux de l’institution de Formation Pulsion : https://pulsioninstitute.com/
Elle est encore membre fondatrice de l’institut de Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.
A noter encore: sa passionnante intervention (en anglais) sur le futur de la psychanalyse (avec le Covid, la mondialisation des échanges psychanalytique grâce à Internet…), sur le site de Vanessa Sinclair (New York), dans le cadre du podcast « Rendering unconscious »:
RU212: PATRICIA GHEROVICI – IS THERE A FUTURE FOR PSYCHOANALYSIS?
D’ailleurs, je vous conseille très vivement ce podcast: http://www.renderingunconscious.org/
Ici le site (en anglais) de Patricia Gherovici : https://www.patriciagherovici.com/
Et le site passionnant (en anglais), que je vous conseille (beaucoup de vidéos, de textes etc.) de Das Unbehagen : http://dasunbehagen.org/
Parmi ses livres, l’on trouve son livre de référence sur la question trans : « Transgenre. Lacan et la différence des sexes (Stilus, 2021). Voir : https://dimitrilorrain.org/2023/01/14/video-patricia-gherovici-transgenre-lacan-et-la-difference-des-sexes-stilus-2021/
Et puis son absolument passionnant « Lacan dans le ghetto. Psychanalyser le « syndrome porto-ricain », qui a reçu le Gradiva Award et le Boyer Prize. Mais aussi Please Select Your Gender: From the Invention of Hysteria to the Democratizing of Transgenderism (Routledge, 2010).
Elle a aussi publié avec Chris Christian, Psychoanalysis in the Barrios: Race, Class, and the Unconscious (Routledge, 2019, vainqueur du Gradiva Award et du American Board and Academy of Psychoanalysis Book Prize).
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Manya Steinkoler est psychanalyste à New York et professeur de littérature, cinéma et théorie psychanalytique d’orientation lacanienne, Borough of Manhattan community college, City university of New York (CUNY).
Elle a aussi dirigé, avec Vanessa Sinclair, le livre collectif On Psychoanalysis and Violence: Contemporary Lacanian Perspectives (Routledge, 2018).
En français, elle a publié différents articles, et a participé à l’ouvrage collectif dirigé par J.-J. Moscovitz (auquel a participé entre autres Benjamin Lévy) Violence en cours, Erès, 2017.
Chères amies, chers amis,
Je vous mets ici le lien vers la passionnante intervention de Patricia Gherovici à la librairie Le Divan (Paris), le 12 octobre 2021. Elle y dialogue, entre autres, avec Luis Izcovich et Patrick Landman, à propos de son très important ouvrage « Transgenre. Lacan et la différence des sexes (Stilus, 2021) :
En effet, le livre majeur de Patricia Gherovici ouvre à une avancée fondamentale dans la réflexion psychanalytique contemporaine, en ce qui concerne la clinique des sujets trans, mais aussi plus généralement concernant ce que la prise en compte des subjectivités trans permet d’ouvrir en psychanalyse et dans la pensée et dans la société contemporaines.
Pour cela, la réflexion de l’autrice retraverse Freud et Lacan autrement. Cela ouvre une nouvelle lecture de leurs œuvres, mais aussi à une psychanalyse – et à une psychanalyse freudo-lacanienne (1) – prenant pleinement en compte la diversité sexuelle et la diversité des cheminements de genre, mais aussi la féconde démocratisation qui a lieu dans les jeunes générations, avec ce qu’elle apporte de fécond pour la subjectivation (2).
Présentation de l’éditeur (3)
Ce livre porte sur un sujet d’actualité, celui de l’identité sexuelle. Relève-t-elle de l’anatomie, de la culture, du discours ? Quelle est la part du choix du sujet par rapport à l’identité assignée ?
Il s’agit, dans cet ouvrage en français, de la version augmentée du livre Transgender Psychoanalysis, paru en 2017 aux États-Unis. Au moment où l’on assiste à des bouleversements de société concernant le sexe et les transformations du corps, ce livre constitue une contribution fondamentale au débat sur la norme sexuelle.
Il prend appui sur des questions qui traversent la société américaine et il aborde, à partir des récits cliniques, la place de la psychanalyse avec des patients dits « trans ».
Traduit de l’anglais par Marie-Mathilde Bortolotti-Burdeau.
Patricia Gherovici est psychanalyste, elle exerce à Philadelphie et à New York. Elle a obtenu en 2020 le Sigourney Award pour son travail clinique et théorique à propos de la question du genre et de la communauté latino aux Etats-Unis.
Elle a est la co-fondatrice et la directrice du Philadelphia Lacan Group et de l’Associate Faculty, Psychoanalytic Studies Minor, University of Pennsylvania (PSYS).
Elle est membre honoraire de l’IPTAR, l’Institute for Psychoanalytic Training and Research à New York.
Elle participe aussi aux travaux de l’institution de Formation Pulsion : https://pulsioninstitute.com/
Elle est encore membre fondatrice de l’institut de Das Unbehagen qui associe autour de la psychanalyse des cliniciens, des universitaires, des artistes et des intellectuels.
A noter encore: sa passionnante intervention (en anglais) sur le futur de la psychanalyse (avec le Covid, la mondialisation des échanges psychanalytique grâce à Internet…), sur le site de Vanessa Sinclair (New York), dans le cadre du podcast « Rendering unconscious »:
RU212: PATRICIA GHEROVICI – IS THERE A FUTURE FOR PSYCHOANALYSIS?
D’ailleurs, je vous conseille très vivement ce podcast: http://www.renderingunconscious.org/
Ici le site (en anglais) de Patricia Gherovici : https://www.patriciagherovici.com/
Et le site passionnant (en anglais), que je vous conseille (beaucoup de vidéos, de textes etc.) de Das Unbehagen : http://dasunbehagen.org/
Parmi ses autres livres, l’on trouve son absolument passionnant « Lacan dans le ghetto. Psychanalyser le « syndrome porto-ricain », qui a reçu le Gradiva Award et le Boyer Prize. Mais aussi Please Select Your Gender: From the Invention of Hysteria to the Democratizing of Transgenderism (Routledge, 2010).
Elle a aussi publié différents ouvrages collectifs : avec Manya Steinkoler, Lacan On Madness: Madness Yes You Can’t ( Routledge, 2015) et Lacan, Psychoanalysis and Comedy (Cambridge University Press, 2016); avec Chris Christian, Psychoanalysis in the Barrios: Race, Class, and the Unconscious (Routledge, 2019, vainqueur du Gradiva Award et du American Board and Academy of Psychoanalysis Book Prize.
Particulièrement : à noter la sortie d’un nouveau passionnant livre collectif qu’elle a dirigé avec Manya Steinkoler : Psychoanalysis, Gender and Sexualities: From Feminism to Trans* (Routlegde, novembre 2022) :
NOTES :
(1) : Pour un telle psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, voir: Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022 ( https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/a-noter-la-sortiede-louvrage-de-benjamin-levy-lere-de-la-revendication-flammarion-janvier-2022/); Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022 (https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/; André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180; Jorge N. Reitter, Heteronormativity and Psychoanalysis, Routledge, 2023: https://dimitrilorrain.org/2023/01/13/sortie-de-heteronormativity-and-psychoanalysis-de-jorge-n-reitter-routledge-2023/; Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018. Voir encore notre réflexion collective au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY): https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/
(2) : Voir Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, op. cit.
Chères amies, chers amis,
Pour celles et ceux d’entre vous qui lisent l’anglais, je vous informe ici de la sortie du très important ouvrage de mon ami Jorge Reitter, « Heteronormativity and psychoanalysis » (1), avec une belle préface de Patricia Gherovici.
*
Dans ce livre nourri en profondeur de l’expérience de la cure, et écrit de manière fort vivante, Jorge Reitter nous éclaire sur ce qu’il appelle l’« expérience gay » envisagée dans sa spécificité, et sur la psychanalyse depuis cette expérience.
Sa réflexion élabore, de manière rigoureusement psychanalytique, les apports de la pensée de Michel Foucault, mais aussi des études féministes, queer, lesbiennes et gaies. Elle nous éclaire sur la manière dont le discours collectif hétéronormatif et binaire oriente les pratiques et les théories psychanalytiques vers une norme désubjectivante. Et en quoi cela amène à une scotomisation ou à un rejet de la subjectivité des sujets gays, et à leur normalisation s’opposant à leur subjectivation.
Aussi ce livre nous permet-il d’appréhender la position du sujet gay dans ce que Jorge Reitter appelle – en élaborant Foucault – le « dispositif de l’hétéronormativité », c’est-à-dire le dispositif de pouvoir, portant sur la sexualité, que déploie le discours collectif hétéronormatif et binaire. Un point important est d’ailleurs que ce discours collectif voit dans l’hétérosexualité la seule forme de sexualité légitime, et donc rejette la diversité sexuelle.
De plus, nous pouvons noter que l’auteur ne parle pas de l’hétérosexualité comme en soi normative ; ce que j’élabore ainsi : c’est la forme binaire (désubjectivée) de l’hétérosexualité qui est normative, mais une autre hétérosexualité (subjectivée) existe bien, même si minoritaire, à l’écart de l’hétéronormativité.
Ainsi, plus généralement, ce livre nous aide à appréhender les ressorts et l’histoire de l’hétéronormativité et de la binarité pour chaque sujet, qu’il soit LGBT+ ou hétéro.
Pour cela, Jorge Reitter relit Freud et Lacan en détails, en essayant de « ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain ». Il rappelle que Freud nous a révélé la contingence de l’objet sexuel. Ce qui fait que – comme le disait Freud lui-même – l’homosexualité ne peut être considérée comme « pathologique ». Bref, il n’existe pas de norme sexuelle, et il s’agit d’essayer d’en tirer toutes les conséquences.
Cela permet à Jorge Reitter, en s’appuyant sur toute une bibliographie souvent encore à découvrir en France, d’éclairer ce qui dans les œuvres de Freud et de Lacan pose de manière géniale les problèmes fondamentaux de la subjectivité et de la psychanalyse, mais aussi ce qui participe de l’hétéronormativité et de la binarité.
En ce sens, le complexe d’Oedipe, montre l’auteur, vaut aussi bien pour les sujets non hétérosexuels. Plus largement, le complexe d’Oedipe est relié dans le livre à la « tâche », pour le sujet, « de devenir indépendant de l’autorité (du désir) des parents » (2).
Plus encore, Jorge Reitter nous propose une formulation fort élaborative, quand il établit que le sujet gay reconnaît la différence des sexes – envisagée au plus près de la clinique, et de manière non hétéronormative ni binaire (3). Juste, ajoute-t-il, le sujet gay se positionne autrement par rapport à celle-ci que le sujet hétérosexuel.
Bref, ce livre nous permet donc d’envisager les problèmes classiques de la psychanalyse (comme ceux du complexe d’Oedipe ou du complexe de castration, ou encore celui de la différence des sexes, mais aussi celui du symbolique) sous un nouveau jour, pleinement ouvert à la diversité sexuelle et dégagé de la gangue hétéronomative et binaire.
Et, en suivant les réflexions de Jorge Reitter, nous pouvons reprendre à notre compte de manière créative – et non normative – l’interrogation fondamentale de Freud sur le rôle central de la sexualité dans la subjectivité, et dans l’enfance du sujet : sur la sexualité en ce qu’elle est fondamentalement hors-norme – queer diront certains.
Cela ouvre au fait de solidement prendre en compte – avec Lacan – le donné fondamental consistant dans le fait que, pour citer Jorge Reitter, « être dépendant de l’Autre et être très marqué par son désir est une condition nécessaire » (4) à la subjectivation. Car, dirais-je, ce sont, dans un premier temps, cette dépendance à l’Autre (à l’Autre du langage, mais aussi à l’Autre qui a donné au sujet le langage) et cette marque du désir (liée à cette dépendance à l’Autre), qui permettront au sujet, dans un deuxième temps, de devenir indépendant de l’autorité, du désir, des parents.
Dans la cure, cela nécessite le fait que la parole du sujet déploie ce qu’il en est du signifiant, mais aussi que « l’attention de l’écoute analytique (soit) portée sur la structure du signifiant » (5).
D’ailleurs, dans son insistance de l’émancipation du sujet par rapport aux autorités, Jorge Reitter rejoint à mon sens l’insistance de Serge Leclaire, dans son débat avec Lacan, sur le fait que le désir de l’Autre gagne, dans la cure, à prendre une forme « un peu déliée » (6). En d’autres termes, il gagne à prendre une forme pleinement créative, dégagée de toute volonté directive (7). On le voit, chez Jorge Reitter comme chez Leclaire, c’est là une lecture de Lacan – et de son éclairage sur la créativité du signifiant – qui s’émancipe de Lacan, lorsque cela est nécessaire.
Aussi, au regard des vifs et fort compréhensibles débats contemporains à son propos (8), le complexe d’Oedipe (comme son pendant le complexe de castration) n’apparaît-il pas comme quelque chose d’en soi normalisateur, même si son élaboration a pu, chez Freud et après lui, prendre une forme hétéronormative et binaire.
Par là même, ce livre fort important nous propose une articulation très subtile, et au plus près de l’expérience psychanalytique, entre psychanalyse et politique. Car nous trouvons ici une réflexion très opérationnelle sur la question du pouvoir – en lien au langage. En effet, de manière très concrète, pour Jorge Reitter, il s’agit dans la cure d’ « être attentif à la place que le sujet a dans le discours qui le nomme, et qui le situe dans des relations de pouvoir » (9).
Cela nous permet aussi de nous rappeler ce que dit Lacan, en passant par les Lumières, de la relation de la psychanalyse au pouvoir : « Et dans (…) mes Écrits, vous le voyez (…) j’invoque les Lumières. Il est tout à fait clair que les Lumières ont mis un certain temps à s’élucider. (…). Contrairement à tout ce qu’on en a pu dire, les Lumières avaient pour but d’énoncer un savoir qui ne fût hommage à aucun pouvoir » (10).
En somme, cet ouvrage constitue un apport fondamental sur tout un ensemble de questions cruciales. Il en va là de la mise en place d’une psychanalyse – et d’une psychanalyse freudo-lacanienne (11) – ouverte à la fois à la diversité sexuelle, à la diversité des cheminements de genre, mais aussi à la féconde démocratisation qui a lieu dans les jeunes générations, avec ce qu’elle apporte de fécond pour la subjectivation (12). Cette psychanalyse ouverte se positionnant de manière psychanalytique contre les discriminations. Ici, l’enjeu est aussi que cette psychanalyse ouverte soit aussi capable de soutenir solidement la subjectivation des sujets, en utilisant pour cela les apports cliniquement fondamentaux, et toujours actuels (pour peu qu’on les réinterprète de manière créative comme le fait l’auteur), de Freud et de Lacan.
Et je finirai sur ce point : Jorge Reitter insiste sur le fait que la psychanalyse qui se positionne contre les discriminations, c’est aussi la psychanalyse qui se positionne contre elles dans les institutions psychanalytiques. Ce alors que l’institution psychanalytique a mis tant de temps à dépathologiser l’homosexualité. D’ailleurs, l’institution psychanalytique, en cela, a bien été contre la volonté de Freud qui, il s’agit de le rappeler, était favorable au fait que des gays ou des lesbiennes deviennent analystes. C’est bien ce que montre le fait qu’il a longtemps collaboré avec Hirschfeld, ce sexologue et militant historiquement important pour la reconnaissance des droits LGBT (13).
*
Présentation de l’ouvrage par l’éditeur
Heteronormativity and Psychoanalysis proposes a critical reading of the Freudian and Lacanian texts that paved the way for a heteronormative bias in the theory and practice of psychoanalysis.
Jorge N. Reitter’s theoretical-political project engages in a genealogy of how psychoanalysis approached the ‘gay question’ through time. This book determinedly seeks to dismantle the heteronormative bias in the theories of psychoanalysis that resist new discourses on gender and sexuality. Drawing on developments by Michel Foucault and lesbian and gay studies on queer theory and feminist theorizing, Reitter draws attention to the normalizing devices that permanently regulate sexuality neglected by psychoanalysis as producers of subjectivities.
Accessibly written, Heteronormativity and Psychoanalysis will be key reading for psychoanalysts in practice and in training, as well as academics and students of psychoanalytic studies, gender studies, and sexualities.
Table des matières
Prologue by Patricia Gherovici
Prologue to the first edition
I. Heteronormativity and psychoanalysis
1) Oedipus gay
2) The original entanglement. How psychoanalysis could not escape the heteronorm
3) Oedipus reloaded
4) Towards a post-heteronormative Oedipus
II. Miscellanea
5) On the political incorrectness of eroticism
6) Rethinking the possible as such
7) Felix Julius Boehm
III. Bonus tracks
8) Talking with Jorge Reitter : neither the Other nor sexuality exists outside of power relations
Epilogue
Jorge N. Reitter est psychanalyste d’orientation lacanienne, il vit et exerce à Buenos Aires (Argentine).
Il enseigne à l’Université de la République, Uruguay. Il a enseigné à la Faculté de Psychologie de l’Université de Buenos Aires et à l’Université Nationale Autonome de Zacatecas (Mexique).
Pour une présentation de l’ouvrage (en espagnol), sur la passionnante et fort subtile Chaîne Youtube Asociación Libre (en espagnol), portant sur la psychanalyse, avec Matias Tavil, voir :
Jorge N. Reitter intervient aussi régulièrement sur Asociación Libre, animée par Matias Tavil, et que je vous conseille vivement si vous comprenez l’espagnol :
https://www.youtube.com/channel/UCn-ca92YLNQjj_GSE4zxvag
NOTES :
(1) : La page Internet du livre: https://www.routledge.com/Heteronormativity-and-Psychoanalysis-Oedipus-Gay/Reitter/p/book/9781032171845#
(2) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 53.
(3) : Pour une clinique et une théorie ni hétéronormative ni binaire de la différence de sexes, voir P. Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021. Voir aussi Serge Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.
(4) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 60.
(5) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 31.
(6) Serge Leclaire, Rompre les charmes, Inter Éditions, 1981, p. 167.
(7) : De ce point de vue, en ce qui concerne l’histoire de la psychanalyse en France, l’apport de Lacan, pour génial et mettant en crise le caractère massivement directif de l’enseignement de Freud (voir Moustapha Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988), n’a pas été sans réintroduire une certaine directivité. Leclaire, comme d’autres de ses élèves (Perrier La Chaussée d’Antin : Œuvre psychanalytique I., Paris, Albin Michel, 2008 et La Chaussée d’Antin II. : Œuvre psychanalytique II., Albin Michel, 2008), Lucien Israël (Boiter n’est pas pécher, Arcanes/Erès, 2010)…), proposent de mettre en crise de l’intérieur de l’apport lacanien le reste de directivité qui habite l’enseignement de Lacan.
(8) : Plus en détails, Jorge Reitter débat avec son ami Fabrice Bourlez sur cette question du complexe d’Œdipe. Dans son fort intéressant ouvrage Queer psychanalyse (Hermann, 2018), Fabrice Bourlez propose en effet une psychanalyse post-oedipienne, nourrie en premier lieu de Deleuze et de Guattari (L’Anti-Œdipe, Paris, 1972).
(9) : Heteronormativity and Psychoanalysis, p. 15.
(10) : J. Lacan, Le Séminaire, Livre XIX, Ou pire, 1971-1972, 15.12.71, éd. Valas, p. 27.
(11) : Pour un telle psychanalyse freudo-lacanienne ouverte, voir: Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022 ( https://dimitrilorrain.org/2022/01/18/a-noter-la-sortiede-louvrage-de-benjamin-levy-lere-de-la-revendication-flammarion-janvier-2022/); Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022 (https://dimitrilorrain.org/2022/07/22/apports-de-la-psychanalyse-creative-texte-paru-dans-lettre-de-la-fedepsy-n10-juillet-2022/; André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.; Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120; Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180; Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018. Voir notre réflexion collective au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » (FEDEPSY): https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/
(12): Pour cette démocratisation, voir Benjamin Lévy, op. cit.
(13) : Sur Hirschfeld et la proximité de Freud avec lui, voir P. Gherovici, Transgenre, Lacan et la différence des sexes, Stilus, 2021, p. 82-91.
Au regard de l’évolution contemporaine des discours et des mécanismes psychiques, j’aimerais ici insister sur un point qui me semble particulièrement important. Tout un ensemble de discours collectifs avancent de nos jours que la psychanalyse sous sa forme actuelle serait « dépassée » – souvent pour justifier sa minoration institutionnelle. Or cela ne me semble pas juste.
En effet, s’il s’avère que la psychanalyse a pu souvent être dénaturée et devenir dogmatique, et ainsi renier sa créativité fondamentale, cela n’est heureusement pas toujours le cas. Elle existe aussi de nos jours sous une forme rigoureuse et créative (ce qui est la même chose). Dans ce cas-là, je dirais qu’elle se centre sur la création d’un lien de parole qui ouvre à la création du lien psychanalytique en tant que tel[1]. Bien sûr, la psychanalyse ne se réduit pas à ce lien de parole, que je définis plus loin comme désirant, même si c’est là selon moi une dimension importante, pour faire advenir et se déployer le processus psychanalytique.
Sous cette forme, la psychanalyse élabore sur les critiques qui lui sont adressées. De plus, elle remet au travail ses apports, afin de prendre en compte les subjectivités contemporaines.
Dès lors, la psychanalyse a une très grande efficacité subjectivante, comme nous le constatons en pratique. C’est le cas pour peu que le processus psychanalytique se mette en place, du fait d’un positionnement fécond du psychanalyste, dans le sens de la création du lien de parole et du lien psychanalytique. Bref, la psychanalyse en soi n’est pas « dépassée », et il s’agit de mieux la faire connaître sous sa forme véritable, créative. C’est en ce sens que je voudrais ici insister sur ses apports.
Dans ce cadre, la minoration institutionnelle actuelle de la psychanalyse acquiert à mon sens la signification suivante. Il s’agit, dans ces institutions, d’empêcher le lien de parole nécessaire au sujet, ne pas laisser exister la parole, et particulièrement pas le lien de parole ni la parole sous leurs formes psychanalytiques. Ce afin que la psychanalyse ne risque pas de sortir les sujets et les institutions de leurs routines, ni d’un ennuyeux confort. Ce confort étant lié à une logique d’adaptation et de sécurité, et au déploiement désubjectivant de la compulsion de répétition, qui vont de pair. Bref, la psychanalyse est institutionnellement souvent mise de côté pour ne pas qu’elle risque d’apporter du nouveau au niveau du lien de parole, et dès lors ni subjectivement ni collectivement[2]. Voilà à mon sens la principale raison de la minoration institutionnelle actuelle de la psychanalyse. Ce même si, en même temps, la forme dénaturée, dogmatique, qu’elle peut parfois prendre, la dessert. Cela, bien sûr, il nous faut aussi le constater.
Sur le fond, nous avons ici affaire au malaise dans la culture – tel que Freud l’a problématisé dans son ouvrage du même nom –, et au malaise dans la culture sous sa forme contemporaine. Bref, nous avons affaire aux forces subjectives et collectives allant contre la subjectivation et contre le lien de parole et la parole en général. Ce malaise dans la culture, la psychanalyse permet de l’appréhender de manière tragique.
Il reste qu’au regard de ce que nous dit la tradition philosophique, ce rejet de la parole et du lien de parole, que nous constatons aujourd’hui, n’a rien de nouveau. Déjà, Levinas, en 1961, dans Totalité et Infini, posait les questions vertigineuses de l’« antilangage » et de la dystopie d’un « monde absolument silencieux ». En effet, considérant que « le monde est offert dans le langage d’autrui » – et donc dans le lien de parole avec l’autre –, Levinas repérait déjà dans nos sociétés une tendance vers le déploiement de l’« antilangage », du « monde absolument silencieux ». Ici, dit-il, « l’interlocuteur a donné un signe, mais s’est dérobé à toute interprétation »[3] – et à tout lien de parole.
Et j’aimerais en ce point insister sur le rejet du geste d’interprétation, alors que l’interprétation introduit du subjectif, du singulier, puisque le sujet s’y autorise de sa propre lecture, de sa propre parole, et du lien de parole, marqué par la séparation – par la perte –, qu’il a avec l’autre[4].
Ici, nous dit encore Levinas, dans ce monde absolument silencieux, règne le « pur spectacle », la « pure objectivité », qui en son fond est un rire « ricanant », et qui relève du sarcasme et non de l’humour, un « rire qui cherche à détruire le langage »[5]. En termes psychanalytiques : ici se déchaîne le surmoi en ce qu’il enjoint le sujet à se taire, à ne déployer ni parole ni lien de parole[6].
Plus encore, dans une autre problématisation que celle de Levinas, Foucault, en 1970, avançait que, derrière la prolifération apparente des discours de surface, « il y a sans doute dans notre société (…) une profonde logophobie, une sorte de crainte sourde contre ces événements, contre cette masse de choses dites, contre le surgissement de tous ces énoncés, contre tout ce qu’il peut y avoir là de violent, de discontinu, de batailleur, de désordre aussi et de périlleux, contre ce grand bourdonnement incessant et désordonné du discours »[7]. Le coup de génie de Foucault[8] étant de montrer que cette logophobie trouve largement sa source dans les institutions, dans la manière dont les institutions en Occident sont historiquement, le plus souvent, construites et envisagées.
Ainsi, ces deux grands philosophes, de deux manières tout à fait différentes, ont repéré dans l’histoire de nos sociétés occidentales le rejet de la parole, que Foucault a situé au niveau institutionnel et collectif. Et nous pouvons constater de nos jours le fait que cette logophobie, et le rejet du lien de parole qui va de pair, se déploient de manière encore plus extensive qu’à leur époque, particulièrement dans ce que l’on appelle le champ du soin psychique.
Rien d’antimoderne dans mon propos. A mon sens, dans l’histoire de l’Occident, la logophobie est plus ou moins dominante suivant les époques, cela fluctue. L’œuvre de Foucault – même si je ne le suivrais pas sur tout, particulièrement concernant la psychanalyse – aide à appréhender sa logique et à en faire l’histoire[9]. Plus encore, c’est à mon sens en bonne partie la logique institutionnelle dominante dans nombre d’institutions contemporaines, liée aux relations de pouvoir, qui déploie cette logophobie, qui réprime la parole et le lien de parole. De plus, cette logique institutionnelle logophobe, existante à l’époque de Levinas et de Foucault – mais aussi de Lacan –, s’est bien depuis étendue, pour s’étendre à nombre de champs qui lui échappaient[10].
Ainsi, l’accélération de nos rythmes d’existence[11], liée à cette logique institutionnelle, arrive dorénavant souvent (pas toujours heureusement, car il existe des institutions où la parole peut exister et se déployer) à imposer une accélération de notre relation au langage, un court-circuitage de la parole, et ainsi à empêcher toute durée – tout après-coup – permettant la parole et le lien de parole.
Et face à cette logophobie et face à ce défaut de lien de parole[12], lorsque, dans la cure, le psychanalyste pose un lien de parole et qu’il donne la parole au patient, il arrive régulièrement (pas toujours bien sûr) que la parole surgisse, spontanément, et que, dans la cure, pour peu que le psychanalyste se positionne créativement en ce sens, il soit possible d’en faire une demande et une parole au sens psychanalytique.
Mais quelles sont les caractéristiques du lien de parole que gagne à poser le psychanalyste, afin de créer le lien analytique ? Eh bien, je dirais que ce peut être un lien de parole désirant, car marqué par la perte, mais aussi par le nouage désirant entre le réel, le symbolique et l’imaginaire. En somme, le désir de désir – et le désir de parole – du psychanalyste pose et propose un lien de parole désirant qui en appelle au désir et à la parole du patient, et au fait que la parole du patient soit désirante – et donc en premier lieu marquée par l’écart entre le manifeste et le latent.
Dans ce lien de parole désirant, l’écoute du psychanalyste ouvre au déploiement du désir, du latent, dans la parole du patient, ou bien, si nécessaire, à la naissance du désir, du latent, dans celle-ci. Elle ouvre à une singularisation de la parole et à une richesse symbolique, poétique, de celle-ci, ainsi qu’au nouage (ou à l’articulation sinthomale) entre le réel, le symbolique et l’imaginaire.
Ici, dans ce lien de parole désirant que (pro)pose le psychanalyste, l’écoute de celui-ci ouvre, du côté du patient, au déploiement d’une demande – la demande allant toujours dialectiquement avec le désir. Elle ouvre au fait que la parole du patient déploie une demande au sens psychanalytique, fondatrice du processus de la cure.
Plus encore, le phénomène contemporain du défaut et du rejet de lien de parole dans les institutions, je crois que c’est quelque chose que beaucoup de nos contemporains appréhendent. Avec la dite « crise du Covid », s’est en effet à mon sens révélé au grand jour le fait que les institutions contemporaines rejettent la parole et le lien de parole. Et cela est maintenant allé si loin en ce sens que, par contrecoup, les demandes de parole, de lien de parole, affluent. En effet, culturellement, il faut à mon sens noter qu’une bonne partie de nos contemporains refusent la logophobie, refusent le défaut de lien de parole. J’en veux pour preuve les éléments suivants. Avant tout, les demandes aux « psys », et particulièrement aux psychanalystes, affluent. L’intérêt en France pour la série « En Thérapie », malgré ses imperfections, témoigne aussi de cela. Plus encore, nombre de revendications contemporaines sous leurs formes ouvertes et démocratiques[13], particulièrement les revendications féministes ou liées au mouvement LGBTQIA+, sont aussi le plus souvent liées (comme elles le disent d’ailleurs elles-mêmes très régulièrement) à un refus du défaut et du rejet de la parole et du lien de parole dominant dans les institutions.
Mais, pour en revenir plus généralement aux nouvelles formes de mécanismes psychiques et de discours, il me semble que, parmi les différents facteurs contemporains expliquant ces formes nouvelles de mécanismes psychiques et de discours, pèsent à mon sens particulièrement deux éléments : le fait que le lien de parole est très souvent (pas toujours heureusement) empêché dans les institutions, parce que la logophobie y règne ; mais aussi l’appréhension par nombre de nos contemporains concernant ce défaut de lien de parole et cette logophobie. C’est un point important à relever cliniquement, il me semble, pour nous positionner dans le bon sens. Car si nous partons de cela, nous pouvons il me semble alors appréhender le fait que, si le psychanalyste se positionne dans le sens de la création d’un lien de parole désirant (qui est donc à mon sens régulièrement – et donc pas toujours – souhaité par les patients en quête d’un lien de parole), eh bien les choses peuvent s’ouvrir, et même qu’elles s’ouvrent assez régulièrement, dans le sens de la création du lien psychanalytique. Ainsi, telle que je l’envisage, la psychanalyse, pour tragique, relève d’un optimisme tragique, malgré tout.
Pour ma part, je vois dans les nouvelles formes de discours et de mécanismes psychiques, une nouvelle forme de demande[14], et même une nouvelle forme de possibilité de demande. À mon sens, cela implique, du côté du psychanalyste, une forme renouvelée de l’écoute psychanalytique[15], positionnée dans le sens de la création du lien de parole désirant et de la création du lien analytique.
C’est en ce sens que, comme le pointe le titre de ce texte, j’ai voulu ici insister sur les apports de la psychanalyse créative telle que je la conçois. J’ai ainsi voulu insister sur le fait que, sous sa forme créative, le psychanalyste peut travailler dans le sens de l’émergence, en une rencontre fondatrice[16], du lien de parole désirant entre le psychanalysant et le psychanalyste, et donc sur la création du lien psychanalytique. Alors, comme l’expérience de la cure permet de le constater et de l’éclairer, la psychanalyse a une grande efficacité subjectivante[17].
[1] Ce que j’élabore ici se situe dans l’apport de Lacan et de sa relecture créative. Sur la création du lien psychanalytique, voir particulièrement Lucien Israël, Boîter n’est pas pécher, Arcanes/érès, 2010 ; Jean-Richard Freymann, La naissance du désir, Arcanes/érès, 2005.
[2] Sur ce point, ce que dit Israël (op. cit.) n’a pas pris une ride.
[3] E. Levinas, Totalité et infini, essai sur l’extériorité, Livre de poche, 1991 (1961), p. 90-94.
[4] Sur l’interprétation, je me permets de renvoyer à ma réflexion intitulée « Sur l’interprétation. Une lecture de « Le rabbin et le psychanalyste » de Delphine Horvilleur. https://dimitrilorrain.org/2020/12/04/avec-delphine-horvilleur-sur-linterpretation-une-lecture-de-le-rabbin-et-le-psychanalyste-hermann-2020/
[5] E. Levinas, op. cit., p. 90-94.
[6] Tel que le psychanalyste Didier-Weill, d’ailleurs en lecteur de Levinas, le montre. Voir A. Didier-Weill, Les Trois temps de la loi, Seuil, 1995.
[7] M. Foucault, L’ordre du discours, Gallimard, 1971, p. 92-93. La leçon a été prononcée en 1970.
[8] De ce Foucault-ci, qui n’est pas le Foucault plus tardif. Ce dernier insiste plutôt sur la manière dont ce qu’il appelle le « pouvoir » fait parler. Autant de problématisations fécondes, d’hypothèses de travail différentes et donnant à élaborer la complexité des choses.
[9] C’est une longue histoire que le rejet du langage et de la parole : pour d’autres éléments concernant cette histoire, voir aussi l’admirable ouvrage du linguiste allemand J. Trabant, Humboldt ou le sens du langage, Mardaga, 1992. J’ai eu la chance de collaborer avec lui lorsque j’ai été Visiting Fellow à l’Université Humboldt de Berlin en 2011-2012.
[10] Sur l’institution contemporaine, voir les réflexions de R. Gori, par exemple La Fabrique des imposteurs, Les liens qui libèrent, 2013.
[11] Be. Stiegler, Dans la disruption, Les liens qui libèrent, 2016 ; H. Rosa, Accélération, La Découverte, 2010.
[12] Sur cette question du lien de parole et du défaut de lien de parole, j’élabore aussi sur la réflexion de Winnicott. Winnicott parle pour sa part de « déprivation » concernant ce que j’appelle le défaut de lien de parole. Voir par exemple Jeu et réalité, Gallimard, 2002.
[13] Il existe aussi des revendications contemporaines prenant une forme fermante, avec ses excès problématiques – ce qui à mon sens d’ailleurs sans doute reconduit une forme de logophobie. Sur cette question des revendications contemporaines, dans leur apport démocratique et leur complexité, voir Benjamin Lévy, L’ère de la revendication, Flammarion, 2022.
[14] J’élabore ici sur les récentes réflexions d’André Michels. Ainsi lors de la soirée de l’ASSERC « De la clinique psychanalytique à venir. Comment la concevoir ? », Strasbourg, le 25.2.22.
[15] Toujours comme nous y invite André Michels.
[16] Sur cette rencontre fondatrice, Lucien Israël a des pages fort éclairantes lorsqu’il parle de la « rencontre symbolique », dans Boiter n’est pas pécher, op. cit.
[17] La question est alors de savoir comment l’on peut penser plus en détails ce lien de parole désirant, et comment l’on peut envisager la création du lien de parole désirant, et donc du lien psychanalytique. C’est de cette question dont je traiterai, comme de notre situation discursive et psychique contemporaine, dans deux textes à venir, l’un dans la Lettre de la FEDEPSY, et l’autre sur le site de la FEDEPSY.
Chères amies, chers amis,
Ici la passionnante séance du 15.6..22 du séminaire « Freud, Lacan et nous. Les incidences du contemporain dans les processus de subjectivation », de l’association Psychanalyse actuelle, animé par J.-J. Moscovitz et Benjamin Lévy. Elle est consacrée au très important ouvrage de ce dernier, « L’ère de la revendication » (Flammarion, 2022). J’ai eu le plaisir de participer aux échanges.
Voici la présentation du livre sur le site de l’éditeur:
« Le ressentiment, l’indignation, la colère, la défiance et l’anxiété sont désormais omniprésents dans l’espace public, mais certaines voix s’élèvent pour réclamer le droit à un avenir meilleur. Se mettre à l’écoute des revendications collectives, aussi hétérogènes qu’elles puissent sembler ( féministes, antiracistes, écologistes, etc.), c’est devenir sensible à des trajectoires de vie, à des désirs singuliers qui incitent des femmes et des hommes à se montrer inventifs pour transformer la société.
D’un autre côté, la frustration prend parfois un chemin mortifère, s’inscrivant dans une dynamique paranoïaque, une radicalisation des pensées. Comment la revendication reste-t-elle porteuse d’avenir, et en vertu de quels mécanismes risque-t-elle au contraire de se retrouver du côté de la haine, de la destructivité ou même du meurtre ? J’ai voulu dans ce livre découvrir moins “si” que “comment” revendiquer peut être un bien en démocratie.
J’invite le lecteur à un voyage sur des eaux tumultueuses : des Gilets jaunes aux antivax, du mouvement #MeToo à Black Lives Matter en passant par les revendications LGBTQIA+, ce livre offre des outils pour mieux comprendre les débats contemporains. »
B. L.
A propos de ce livre:
Benjamin Lévy est psychanalyste, psychologue, philosophe, enseignant, ancien élève de l’ENS. Il a publié de nombreux articles, ainsi que plusieurs traductions d’ouvrages aux éditions Ithaque – dont par exemple la correspondance Freud-Federn (Cartes postales, notes & lettres de Sigmund Freud à Paul Federn, 1905-1938, Paris, Ithaque, 2018), autour de laquelle j’avais organisé une rencontre à la Librairie des Bateliers, Strasbourg, le 15.6.2019, pour un échange avec Jean-Raymond Milley.
Il publie aussi régulièrement des textes sur le blog (1).
Il anime avec Jean-Jacques Moscovitz le séminaire « Freud Lacan et Nous. Les incidences du contemporain dans les processus de subjectivation », de l’association Psychanalyse actuelle, hébergé dans les locaux de l’Ecole Normale Supérieure (2) .
Voici le lien vers son blog: https://benjaminlevy.wordpress.com/
NOTES:
(1): https://dimitrilorrain.org/category/textes-de-benjamin-levy/
(2): https://sites.google.com/site/psychanalyseactuel/seminaire-de-psychanalyse-actuelle?authuser=0
Delphine Horvilleur, Le rabbin et le psychanalyste, l’exigence d’interprétation, Hermann, Paris, 2020, avec un prologue de F. Gorog et L. Faucher, et une contribution de Stéphane Habib.
Dans son dernier ouvrage, Delphine Horvilleur, rabbin au Mouvement juif libéral de France et directrice de la rédaction de la Revue de pensée(s) juive(s) Tenou’a (2), interroge la relation entre l’interprétation juive et l’interprétation psychanalytique. La lecture de ce livre est fort féconde pour le psychanalyste, parce qu’il rappelle et élabore des questions absolument fondamentales pour notre champ.
J’aimerais ici vous proposer quelques associations sur ce réflexion passionnante – et pleine d’esprit. Plus encore, je vais vous proposer une présentation de son propos, déployée dans une élaboration – et donc une interprétation – personnelle.
Je tiens à préciser que c’est là l’élaboration de quelqu’un qui n’est pas de culture juive, mais qui, ayant bien à l’esprit que la psychanalyse est liée à la judéité, essaie de se mettre à l’école de celle-ci. Je vous présente donc ici une réflexion en train de se faire, et qui a ses limites.
J’aimerais insister sur le fait que l’auteure, dans sa réflexion sur l’interprétation juive, traite de questions importantes pour, comme moi, l’élabore, l’enseignement de Lucien Israël, tout en insistant sur le fait que la psychanalyse est une science spécifique – comme le disaient Freud et Lacan – ont largement puisé dans la conception juive de l’interprétation pour approfondir l’enseignement de Freud et de Lacan[3].
Et c’est, rappelons-le, cet appui sur la conception juive de l’interprétation, élaborant l’éthique de la psychanalyse telle que l’a éclairée Lacan, qui a permis à la psychanalyse de l’Est de prendre une forme solidement créative et subjectivante, et non dogmatique.
Bien sûr, il n’y a pas que dans l’Est que l’on a traité de manière féconde de cette question de la relation entre psychanalyse et judéité, ou entre psychanalyse et judaïsme. Les contributions sur cette question cruciale sont innombrables. Parmi tant d’autres, j’aimerais évoquer l’ouvrage collectif datant de 1980, tiré du colloque du même nom, et coordonné par J.-J. Rassial, La psychanalyse est-elle une histoire juive ?[4] J’aimerais encore citer le récent et très passionnant Manifeste déiste d’un psychanalyste juif de ce même J.-J. Rassial. J’aimerais aussi évoquer les contributions aussi différentes que celles de A. Michels, Didier-Weill, E. Roudinesco, J. Le Rider, ou E. H. Malet[5]. Mais enfin, cette question a trouvé chez nous une élaboration très poussée.
Bref, l’apport de Delphine Horvilleur, dans cet ouvrage comme dans d’autres, nous permet d’approfondir notre conception strasbourgeoise de la psychanalyse. Il nous permet aussi, et surtout, de développer une conception créative et non dogmatique de la psychanalyse, fondée sur la lecture de Freud et de Lacan, en leur créativité. Ce à l’heure même où la psychanalyse souffre avant tout des conséquences des tendances dogmatiques qui ont eu le dessus dans le champ psychanalytique depuis plusieurs décennies, avec ce que cela implique de lectures fermées de Freud et de Lacan.
Avant d’en venir au livre de Delphine Horvilleur, j’aimerais faire quelques rappels sur la relation entre psychanalyse et judéité.
La psychanalyse est une science spécifique, comme le disent Freud et Lacan, relevant d’une forme spécifique des Lumières[6]. Elle est nourrie de la judéité et du judaïsme, et plus précisément héritière de la culture juive libérale. Celle-ci insiste à la fois : sur le texte et sur la lettre, sur le mot d’esprit et sur la métaphore, sur la séparation et sur la perte, sur l’Autre barré en tant que Dieu pas-tout, ou pas tout puissant, mais aussi sur la singularité et sur la transmission. De plus, elle se méfie de l’unanimisme qui rôde toujours dans notre culture occidentale et particulièrement dans notre culture contemporaine.
Freud était un homme de science, tenant des Lumières, critique des religions, et donc du judaïsme, tout en étant fidèle au peuple juif et largement nourri du judaïsme. En ce sens, c’est, dit Freud, le fait qu’il était juif qui fait qu’il a toujours eu du recul vis-à-vis de la « majorité compacte ». C’est, dit Freud très exactement, le fait qu’il était juif qui a fait qu’« il se familiarisa précocement avec le destin de (s)e trouver dans l’opposition et d’être mis au banc de la majorité compacte »[7] : et c’est là une manière géniale de formuler l’exigence éthique de se dégager du discours de l’Autre[8], de se dégager de la prise dans le discours ambiant (dans lequel le sujet est toujours plongé), afin de singulariser sa parole[9].
Concernant cette singularisation de la parole, pour continuer d’élaborer sur Freud et sur la judéité, je dirais que nous trouvons dans la psychanalyse l’exigence d’« indocilité » subjective qu’évoque Freud, toujours dans son Moïse – ce mythe pour les psychanalystes qu’a forgé Freud. En effet, Freud nous y dit que les « sauvages Sémites » ne sont pas « dociles » comme les « Egyptiens ». Il en va là d’une « revendication des hommes de Moïse » qui les a amenés à tuer le père – le Père imaginaire, dirais-je avec Lacan. Ce alors que, dans « l’histoire égyptienne, il (est) rarement question de l’éviction violente du meurtre de pharaon »[10]. En somme, Freud nous invite à être moins égyptiens et plus juifs, à être moins dociles et plus sauvages, à s’autoriser de soi-même (et de quelques autres) – aussi vis-à-vis de nos maîtres, car c’est la seule voie d’une effective, car créative, transmission de ce qu’ils nous ont donné.
J’en viens maintenant aux neuf points que j’aimerais élaborer dans ce que nous dit Delphine Horvilleur. Je citerai amplement l’auteure, dont les formulations sont si souvent des trouvailles.
Premier point : Delphine Horvilleur fait un parallèle fort éclairant concernant trois types d’interprétation : l’interprétation dans la lecture des textes de la tradition juive ; l’interprétation dans la lecture des textes psychanalytiques ; mais aussi l’interprétation dans la cure psychanalytique – puisque la psychanalyse, dit Lacan, c’est la lecture du texte que déploie la parole du psychanalysant[11]. Sur ce point, Lacan ira d’ailleurs jusqu’à dire que la psychanalyse se rapproche du midrash, en ce que, comme l’interprète de la tradition juive, le psychanalyste « sait lire, c’est-à-dire que de la lettre il prend distance de sa parole, trouvant là l’intervalle, juste à y jouer d’une interprétation »[12].
Deuxième point : l’auteure nous dit que l’interprétation, c’est de l’ouverture. Qu’est-ce à dire ? L’interprétation, ce n’est pas la vérité. Bien plutôt, dans l’interprétation, il y a de la vérité. En somme, la vérité dans l’interprétation n’est pas tout, elle n’est pas-toute, comme y insiste dans sa préface Stéphane Habib – à la suite de la réflexion de Lacan sur le pas-tout[13]. En premier lieu, parce qu’il y a de l’équivoque, de l’ « ambivalence de sens » dans les mots (p. 43)[14].
Troisième point : ce sur quoi insiste aussi à mon sens Delphine Horvilleur, c’est le fait qu’interpréter (un texte), c’est poser un collectif lié à ce texte, un collectif de lecteurs, et même un collectif transgénérationnel de lecteurs. Car, dans le passé, le texte (encore une fois celui de la tradition juive, celui de la tradition psychanalytique) a eu des lecteurs et des lectures. Ces lectures passées, l’interprète doit (c’est là un principe éthique) les discuter : « c’est le principe clé de l’interprétation juive », écrit l’auteure, « le lecteur doit toujours, d’une manière ou d’une autre, faire avec ce qu’on a fait dire aux textes avec lui » (p. 25-26).
Plus encore, le judaïsme pose que le texte aura aussi, dans l’avenir, des lecteurs : « le sens même de l’exégèse juive, c’est celui-là : la conscience que le texte n’a jamais fini de parler, qu’il lui reste toujours à dire, et que le prochain lecteur vous dira peut-être ce que le texte veut dire et peut encore dire » (p.25).
Bref, il en va là – et c’est là un quatrième point, fondamental, concernant ce que nous dit Delphine Horvilleur – du fait de laisser la signification ouverte, « de laisser de l’incomplétude à l’œuvre » (p. 38). En termes psychanalytiques, je dirais : le sujet, en posant un geste interprétatif, pose l’existence, dans son acte de parole en tant que parole, d’un Autre de parole, dans le passé, dans le présent, et dans l’avenir. Et cet Autre ne sait pas tout. C’est là ce que Lacan a appelé, pour l’opposer à l’Autre plein (qui saurait tout – de l’inconscient du sujet – serait détenteur d’un Savoir absolu), l’Autre vide, barré, l’Autre inhérent à la parole, l’Autre du langage. De ce langage qui a existé dans le passé, existe dans le présent, et existera dans le futur.
Ainsi, le langage, c’est le Temps même. Parler (parler vraiment), c’est s’inscrire comme sujet dans le Temps, pour ouvrir à l’après-coup. Et cette question-là n’est pas de peu de portée, dans notre culture contemporaine enfoncée jusqu’au cou dans le présentisme[15].
Et cet Autre du langage, cet Autre de la parole, a un lieu, un champ, qui est celui du pacte symbolique[16] – qui ouvre au Temps.
En somme, comme l’a écrit Delphine Horvilleur, dans son Réflexions sur la question antisémite, pour les Juifs, « tout n’a pas été dit, tout reste à dire »[17]. D’ailleurs, par-là même, dans l’histoire longue de l’Occident, le Juif « empêche de faire tout »[18] – ce qui éveille le rejet du Juif, l’antisémitisme.
Interpréter un texte, pour un rabbin, pour un psychanalyste, c’est donc poser une collectivité transgénérationnelle ouverte, plurielle, autour du texte, et une collectivité où la lecture doit (il en va là encore d’un principe éthique) être nouvelle, « inouïe » (p. 24).
Et, élaborerais-je, cette lecture est nouvelle, inouïe, parce qu’à la fois subjective (chaque sujet se subjectivant est singulier) et répondant au contexte historique (et celui-ci change)[19]. En effet, la culture juive, et le Talmud (dont je ne suis guère spécialiste, je vous raconte juste ce que j’ai cru en comprendre) sont fondés, comme le rappelle Armand Abécassis, sur un geste de réinterprétation toujours subjective et singulière, des textes de la tradition. Cette réinterprétation cherche à éclairer à la fois ces textes dans leur contexte, et à voir comment repenser leur apport dans le nouveau contexte dans lequel nous nous situons. Cette réinterprétation singulière et contextuelle ouvre à des interprétations toujours singulières, toujours différentes, toujours nouvelles. Et c’est bien la singularité, la nouveauté, et la pertinence au regard du contexte de l’interprétation qui sont ici visées. Ce contre la plate exégèse, et contre son rejet de la singularité et du désir, mais aussi contre l’oubli de la contextualité et de l’historicité. J’aimerais insister sur ce que ce rejet et cet oubli impliquent en termes de savoir, qui se trouve considéré comme un attribut de statut et de pouvoir – et non, comme le fait la psychanalyse, en termes d’hypothèse au regard d’un réel énigmatique, et de traversée des illusions liées à une position narcissique de savoir (puisque la transmission opère toujours dans les failles du savoir).
Cinquième point : cette collectivité transgénérationnelle, c’est le lieu de la transmission, de la transmission comme reprise créatrice, comme fidèle infidélité, ou comme infidélité pour être fidèle. Voici ce que Delphine Horvilleur en dit : « c’est la fameuse fidélité-infidélité en tant que ’’clé de la transmission’’, l’impossible réplication à l’identique d’un modèle qui nous a donné naissance et qui oblige tout héritier à assurer la pérennité du système dans leur fidélité partielle à ce même système » (p. 28).
J’aimerais faire ici remarque importante: en cela, Delphine Horvilleur est bien, comme elle le dit, une lectrice de Derrida qui a pensé, en lien la judéité, cette infidélité fidèle. Comme l’écrit Derrida, la perte, « le deuil est une fidélité infidèle »[20].
Sixième point : ce que demande éthiquement le geste d’interprétation, c’est donc, pour le sujet, de partir, de sa singularité. Car le sujet, dans le judaïsme, pour la psychanalyse, et sans doute plus généralement, s’il est un sujet, est séparé, et pris dans un geste de singularisation. Il reste que cette séparation n’est pas isolement, bien au contraire. Car la singularisation est permise par le collectif transgénérationnel posant la nécessité éthique la séparation.
Ainsi, à mon sens, en interprétant et en inscrivant le texte dans le grand jeu des interprétations de la collectivité transgénérationnelle, le sujet lecteur échappe au face-à-face dyadique avec le texte. Et même, il échappe aux deux formes de lecture que peut prendre ce face-à-face dyadique :
– à la lecture relevant du dogmatisme de la soumission, où le Texte serait la Vérité et dirait tout ce qu’il y a à dire – et alors le texte ne peut être écouté ;
– comme à la lecture relevant de l’arrogance, où le Lecteur se pose en position de surplomb face au texte, et ne laisse pas sa parole être travaillée, pas traversée, par lui ; alors que ce travail, cette traversée permet une déprise, de son propre discours ; et que ce travail permet aussi une traversée réflexive de son propre discours, permettant d’ouvrir ce dernier.
En somme, ce n’est que dans l’indocilité (que j’ai évoquée précédemment) d’un sujet s’autorisant de sa propre parole (et de quelques autres) que peut naître une reprise véritable, une reprise créatrice.
Delphine Horvilleur insiste sur cette indocilité, qu’elle appelle – au regard de la tradition juive – l’infidélité. Et elle le fait en interprétant de manière nouvelle et singulière le cheminement d’Abraham dans la Bible. Elle rappelle en effet qu’Abraham écoute l’appel du « Va vers toi ». Cela fait qu’ « il devient en cet instant un ’’Hébreu’’, littéralement qu’il devient ’’quelqu’un qui passe’’, ’’quelqu’un qui traverse’’. En un mot, il est celui qu’il est, parce qu’il n’est plus celui qu’il était. Il est celui qu’il est, parce qu’il n’est plus là où il était. Son identité est définie par une ’’non-identité’’ à ses origines et une rupture avec elle’’ » (p. 31-32). Ce qu’avance Delphine Horvilleur rejoint d’ailleurs les apports les plus fondamentaux de la psychanalyse. En effet, celle-ci pointe elle aussi le fait que cette fidèle infidélité implique, à un certain niveau, un refoulement de la généalogie. Cela fait que, si l’on transmet, l’on ne sait pas ce qui se transmet. Cela fait aussi que ce qui se transmet, se transmet toujours depuis la faille du sujet qui transmet[21].
Bref, ajoute l’auteure, « Abraham est l’homme qui est parti du lieu de sa maison », qui est sorti de la tutelle discursive et psychique dans laquelle il était nécessairement plongé. Il en va là, avec Abraham, du dégagement de l’Autre, de la singularisation du discours, avec la pratique de la perte et de la séparation qui fondent la parole et la subjectivation.
Et Delphine Horvilleur de nous proposer un autre élément de lecture, subtil et nouveau, concernant Abraham. Elle insiste sur le fait que la père d’Abraham, déjà, dit la Bible, a été infidèle et indocile : il « s’est déjà mis en route » et « a été le premier à le faire dans la famille » (p. 35). Aussi Abraham n’est-il pas un sujet autoengendré qui s’est autocréé. Non, dans son geste de dégagement, d’indocilité, d’infidélité, il a été fidèle au geste de dégagement, d’indocilité, d’infidélité, de son père. Il en va là, dit l’auteure, d’une « fidélité à une infidélité fondatrice » (p. 37). Dans sa relation à son père, Abraham a repris à son père son geste de perte, de séparation. En somme, « l’histoire d’Abraham, c’est celle d’un arrachement, d’une coupure. (…) Abraham est bien un révolutionnaire, un iconoclaste, un pionnier, quelqu’un qui se met en route d’une façon unique, inouïe, inédite, particulière. Mais l’histoire d’Abraham, c’est aussi l’histoire d’une continuité. Abraham parvient à rompre et à poursuivre à la fois le chemin de son père » (p. 36).
Plus encore, ce que l’on peut retirer de ce que Delphine Horvilleur avance ici, c’est qu’Abraham a pu faire cet acte de fidèle infidélité parce que son père a été infidèle. Et cela a permis une fidélité singularisante, une reprise créative, subjectivante. Ici, avec Lacan, l’on pourrait dire que la fonction paternelle, c’est la prise en compte de la mort, c’est le fait de faire le mort – pour que l’enfant (fille ou fils) puisse être infidèle, partir de son désir, et élaborer à sa manière, dans son discours propre, les signifiants reçus.
J’en viens maintenant au septième point que j’aimerais élaborer. Interpréter, c’est introduire de l’écoute dans la parole[22]. Ainsi que le formule l’auteure : « la parole doit avoir pour priorité l’oreille et non la bouche ». C’est cela, dit l’auteure de manière si poétique, qui permet de « laisser fleurir des mots dans son oreille » (p. 38). Et baser la parole sur l’écoute, cela permet d’éviter, dans l’interlocution, l’obsession de l’effet rhétorique, du pouvoir, qu’aurait la parole, en ce qu’elle serait séduction, ou savoir. La parole vraie, ouverte par l’écoute, est en effet déprise, laisser-être ; et non : pouvoir, séduction, savoir, maîtrise – surdité.
Huitième point, huitième élaboration, dans ma lecture de Le rabbin et le psychanalyste : le geste d’interprétation a à voir avec le féminin dans le sujet. Selon Lucien Israël, la psychanalyse, c’est la féminisation du sujet, dans la mesure où l’écoute est féminine en ce qu’elle relève de l’attente, qui soutient le geste et le déploiement par le sujet de son désir[23]. Delphine Horvilleur, elle aussi (en lectrice elle aussi de Lacan), relie l’écoute et l’interprétation au féminin qui est « précisément la place, le trou, le vide, qui fait de la place au ’’peut-être’’, à ce qui reste à être » (p. 48). Ce qui ouvre à la « nécessité de ne pas finir de dire » (p. 39). Bref, comme y insiste Stéphane Habib dans sa préface, nous retrouvons là la question du pas-tout de la femme (ou mieux : de la position féminine, qui peut être celle de la femme ou de l’homme). Ce pas tout, Lacan l’a éclairé, et Delphine Horvilleur avait insisté dessus dans Réflexions sur la question antisémite[24]. Cela l’avait amené à avancer le fait que la masculinité juive relève d’une féminisation[25]. Cela implique d’ailleurs, dit Delphine Horvilleur, dans le discours collectif dominant, l’association entre le Juif, la femme et l’homosexuel[26] – particulièrement dans l’antisémitisme.
J’en viens maintenant à mon neuvième – et dernier – élément de lecture : le fait que la réflexion de Delphine Horvilleur nous donne à élaborer les apports de Freud et de Lacan de manière fort féconde, aussi parce qu’elle les met largement au travail. Car enfin, l’auteure nous propose une interprétation fort éclairante concernant le lien entre psychanalyse et judaïsme : la psychanalyse est bien juive en ce qu’elle relève de l’infidèle fidélité. Je la cite : « la psychanalyse, si elle doit quelque chose au judaïsme, c’est d’être l’enfant d’une infidélité juive. Elle est l’enfant d’un héritage infidèle qui a tout à voir avec la fidélité envers une infidélité de la lecture. Une fidélité à une infidélité fonde la possibilité d’une interprétation, et peut-être même de l’interprétation » (p. 29). En somme, en fondant l’interprétation sur la singularité du sujet interprétant (sur son désir), la psychanalyse, comme le judaïsme, se base sur le primat de la singularité (et du désir).
C’est en ce sens que Lacan avance que le Dieu des Juifs est celui qui affirme la singularité du désir : « Je suis ce que Je suis »[27]. Et Lacan d’ajouter : le Dieu des Juifs est dans la parole de Freud profondément lié « au champ qu’(il) désigne comme la civilisation » [28] – au travail culturel. J’aimerais d’ailleurs rappeler que dans le séminaire RSI de 1974-75[29], Lacan y parle du « dieu juif qu’on ne peut nommer » qui est un « trou », le « trou du symbolique » lié à l’« interdit de l’inceste ». Et même il en va de la « croyance » (j’aimerais insister sur le terme de « croyance » au sens symbolique et non imaginaire du terme) qui « troue le monde », qui « troue le monde pour en faire un monde ». Bref, la rencontre symbolique que pratique et creuse la psychanalyse aide le sujet à fonder sa parole sur le pacte symbolique fondateur, afin de faire lever son désir et de reconnaître celui-ci, de traverser son propre fantasme et de se retourner dialectiquement sur ce dernier. Cette rencontre symbolique consiste en une rencontre fondamentale entre le sujet et l’Autre symbolique, ayant lieu dans l’expérience de la détresse originaire. En effet, comme y insiste L. Israël, l’élaboration et l’expérience du désir, le « champ du sujet », sont rendus possibles depuis le « champ de l’Autre » symbolique[30], de la « rencontre symbolique » : plus encore, il en va là d’une élaboration de la détresse originaire, de ce que Freud appelle l’« Hilflosigkeit »[31]. Et cette élaboration a lieu, dit L. Israël, dans un « être ensemble », un « beisammen sein »[32]. Ce que je traduirais par : « être ’’auprès’’ l’un de l’autre », et ce qui implique aussi une distance entre sujets dans cet être-ensemble de un à un, de désir à désir. Il en va là d’un « désarroi entouré »[33]. Et cette rencontre fondatrice, le judaïsme l’a formulée à sa manière : en lien à la question du Dieu et du Sinaï et à l’ « être-avec » dans la « détresse », comme le rappelle le philosophe J. Rogozinski en référence à Rachi[34].
Pour en revenir à la question de la dimension juive de la pensée de Freud, c’est aussi en lien à la culture juive qu’il toujours insisté sur l’importance de la sublimation et de la spiritualité (Geistigkeit)[35], et du symbolique et de l’éthique qui leur sont liés. C’est là ce qu’il appelle dans le Moïse, concernant la culture en général, et la culture juive en particulier : « l’incitation à accomplir des progrès de la vie de l’esprit, l’encouragement à des sublimations », ce qui fait que le sujet, dans ce collectif « en arrive (…) à mettre l’accent sur l’éthique »[36]. Ce qui va en 1er lieu, dit Freud, vers le « renoncement pulsionnel »[37].
Plus encore, la culture juive – comme sa fille fidèlement infidèle, la psychanalyse – est pour Freud un acteur de « progrès de civilisation », où « l’homme se trouva conduit à reconnaitre d’une façon générale des pouvoirs ’’spirituels’’, c’est-à-dire des pouvoirs qui ne peuvent être appréhendés par les sens, notamment par la vue, mais qui exercent des effets indubitables, voire d’une extrême puissance. » (…) Et, ajoute Freud, il en va là de la « spiritualité » (Geistigkeit) et de « la découverte de l’âme comme progrès spirituel au sein de l’individu »[38]. Je dirais, pour en revenir à la clinique : il en va là de la reconnaissance, dans la cure analytique, du désir, du symbolique, et de l’éthique qui leur est inhérent.
Ici, j’aimerais insister – à la suite d’A. Michels – sur le fait que c’est bien dans la métaphore, le travail de la lettre, le mot d’esprit, que se déploie cette spiritualité. D’ailleurs, dans sa correspondance à Karl Abraham, Freud insiste sur le « mode de pensée talmudique » dont relève le mot d’esprit[39].
Ce qui a tout à voir avec une éthique : concernant cette question de la spiritualité et de son lien à l’éthique, j’aimerais aussi citer cette phrase extraordinaire de Foucault : « je crois qu’on pourrait appeler ’’spiritualité’’ la recherche, la pratique, l’expérience par lesquelles le sujet opère sur lui-même les transformations nécessaires pour avoir accès à la vérité »[40].
Plus encore, Freud insiste dans le Moïse sur le fait que, face aux difficultés politiques et culturelles, ce qui permet au judaïsme de se transmettre et de se récréer de génération en génération, c’est l’étude vivante et non dogmatique, telle que la conçoit le judaïsme, des textes de la tradition. Ainsi, analogiquement, Freud pense-t-il que, face à la destruction du « monde d’hier » (pour reprendre l’expression de Stefan Zweig[41]) dans laquelle la psychanalyse est née, comme face à tous les mutations et catastrophes culturelles, la psychanalyse pourra aussi se transmettre, se recréer, dans l’étude en commun des textes de la tradition. Et c’est ainsi que se transmet la psychanalyse dans les institutions psychanalytiques fidèles au projet de Freud.
Sur ce point, j’aimerais citer deux passages de Freud. Le premier passage, élaboré d’ailleurs par Delphine Horvilleur dans Réflexions sur la question antisémite[42], est issu de sa correspondance : « Ce ne fut qu’après la destruction du temple visible que l’invisible édifice du judaïsme put être construit »[43].
Le second passage est tiré du Moïse : « Les Juifs gardèrent le cap sur des intérêts spirituels, le malheur politique de leur nation leur apprit à apprécier à sa valeur la seule propriété qui leur fut restée, leur Ecriture. Immédiatement après la destruction du Temple de Jérusalem par Titus (remarque : et l’on ne peut pas ici ne pas entendre une résonance avec la situation historique tragique de 1939), le rabbin Yochanan ben Zacchaï sollicita d’ouvrir la première école où l’on enseigna la Tora, à Yabnéh. De ce moment, ce furent l’écriture sainte (je dirais : l’étude vivante des textes) et l’intérêt spirituel (je tiens à relever ici le terme de « spirituel », « geistig ») qu’elle inspira qui tinrent ensemble le peuple divisé »[44] et permit donc historiquement la perpétuation, la recréation vivante du judaïsme.
J’aimerais ici remarquer que ce passage ne va pas, au sein de la lucidité face au tragique, comme y insiste ce dernier Freud[45], sans une « confiance particulière dans la vie » et même sans une « une sorte d’optimisme »[46] A cet optimisme tragique, j’aimerais d’ailleurs associer à la joie, malgré tout, inhérente à la pratique de la parole, dont parle L. Israël[47]. Cette joie n’ayant bien sûr rien à voir avec un plat bien-être.
C’est d’ailleurs sur cet optimisme tragique que j’aimerais conclure, à l’heure où la montée des périls à la fois sanitaires et économiques, politiques et écologiques, demande à la psychanalyse de se faire créative.
(1): Ceci est la version légèrement modifiée d’un texte publié dans Ephéméride n° 11, Journal de la FEDEPSY, novembre 2020: https://fedepsy.org/category/ephemeride/
[3] D’A. Abécassis, voir son formidable texte sur la conception de l’interprétation de Lucien Israël, intitulé « Entre le MiDRaCH et l’interprétation psychanalytique », dans Psychanalyse et liberté, Arcanes 1999, volume collectif en l’honneur de Lucien Israël, et à son Il était une fois le judaïsme. Concernant la judéité et la psychanalyse, voir récemment : par ex. les réflexions de Jean-Richard Freymann, « La judéité et son rapport à l’impossible », in Passages, no sur « L’éclat et l’écart », 2020.
[4] Qui a été suivi de L’interdit de la représentation.
[5] Voir entre autres : A. Michels, « Der jüdische Witz/Gesit bei Heine une Freud » in S. Weigel, éd. Heine und Freud ; A. Didier-Weill, Les Trois temps de la Loi ; E. Roudinesco, Retour sur la question juive et Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre ; J. Le Rider, Freud, de l’Acropole au Sinaï et Les Juifs viennois à la Belle Epoque ; E. H. Malet, Freud et l’homme juif.
[6] A. Didier-Weill, Un mystère plus loin que l’inconscient ; E. Roudinesco, Freud en son temps et dans le nôtre.
[7] Sigmund Freud présenté par lui-même, trad. F. Cambon, Gallimard, p. 17
[8] Le Séminaire, Livre XVI., D’un Autre à l’autre, 1968-1969.
[9] L. Israël, Boiter n’est pas pécher.
[10] S. Freud, L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, Gallimard, collection Folio, 1986, p. 120-121.
[11] Voir par ex. M. Ritter, « La lettre et le signifiant : l’inconscient est ce qui se lit au-delà de ce qui se dit », in J.-P. Dreyfuss, J.-M. Jadin, M. Ritter, Ecritures de l’inconscient, De la lettre à la topologie.
[12] « Radiophonie », Autres écrits, p. 429.
[13] Le Séminaire, Livre XX., Encore, 1972-1973.
[14] Sur l’équivoque, voir les travaux de M. Ritter, par ex. « L’inconscient nodal (II) », in J.-P. Dreyfuss, J.-M. Jadin, M. Ritter, Ecritures de l’inconscient, De la lettre à la topologie.
[15] F. Hartog, Régimes d’historicité, et récemment Chronos.
[16] Didier-Weill, Les Trois temps de la Loi ; J.-R. Freymann, Eloge de la perte.
[17] Réflexions sur la question antisémite, Grasset, 2019, p. 127.
[18] Ibid., p. 125.
[19] Sur ce point, Armand Abécassis, op. cit.
[20] Points de suspensions, p. 331. Sur cette question chez Derrida, voir le beau livre de J. Rogozinski, Cryptes de Derrida.
[21] J.-R. Freymann, Eloge de la perte, p. 162.
[22] J.-R. Freymann, Introduction à l’écoute.
[23] Boiter n’est pas pécher, p. 257-8.
[24] Op. cit., p. 127
[25] Op. cit., p. 101
[26] Sur laquelle insiste de manière très éclairante E. Roudinesco, par exemple dans La Famille en désordre.
[27] Le Séminaire, Livre XX., Encore, 1972-1973 16.1.73.
[28] Le Séminaire, Livre XVI., D’un Autre à l’autre, 1968-1969, 4.6.69, p. 343
[29] Le Séminaire, Livre XXII., RSI, 1974-1975, éd. Valas, séance du 15 avril 1975, p. 200.
[30] Eloge de la perte, p. 139.
[31] Boiter n’est pas pécher, p. 67.
[32] Boiter n’est pas pécher, p. 50.
[33] Passe, Un Père et manque, p. 133.
[34] Le Moi et la chair, p. 330.
[35] Sur cette question de la spiritualité chez Freud, voir A. Michels, op. cit. particulièrement p. 186sq.
[36] L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, op. cit., p. 177.
[37] L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, op. cit., p. 215-216.
[38] L’homme Moïse et le monothéisme, trad. Heim, op. cit., p. 213-214.
[39] Lettre à Karl Abraham, 11.5.1908.
[40] L’Herméneutique du sujet, p. 16.
[41] Je renvoie ici à mon texte à paraître sur Le Monde d’Hier de Stefan Zweig.
[42] Op. cit., p. 106-107.
[43] Correspondance, 1873-1939, Gallimard, 1967, p. 29-30
[44] L’homme Moïse et la religion monothéiste, trad. C. Heim, op. cit. , p. 214 ; G.W., XIX., p. 223.
[45] Comme si, de mon point de vue, il avait, dans son travail d’analyse originelle (pour reprendre l’expression d’Octave Mannoni (Clefs pour l’Imaginaire) et la réflexion de Chawki Azouri (« J’ai réussi là où le paranoïaque échoue ») à ce sujet), surmonté, dans ce texte tragique de 1939, la mélancolie qui était la sienne concernant la culture dans le Malaise de la culture de 1930, texte génial mais dans lequel la culture le plus souvent n’est que narcose.
[46] L’homme Moïse et la religion monothéiste, trad. C. Heim, op. cit., p. 202.
[47] Boiter n’est pas pécher.
Ici un texte publié dans Ephéméride n° 11, Journal de la FEDEPSY, novembre 2020: https://fedepsy.org/category/ephemeride/
Ce texte a été rédigé à partir d’une intervention au séminaire FEDEPSY du 6.10.20, « Freud à son époque et aujourd’hui »
(Remarque de décembre 2022: je garde ce texte sur le blog, même s’il ne me semble pas assez insister sur le poids de la culture binaire dans le discours collectif de l’époque, et sur ses conséquences désubjectivantes, en 1er lieu pour les femmes et les sujets non hétérosexuels, mais aussi plus généralement.
Ceci sera une question importante pour notre réflexion au séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui » en 2023: https://dimitrilorrain.org/seminaire-freud-a-son-epoque-et-aujourdhui/).
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J’aimerais vous parler du Monde d’hier de Stefan Zweig, plus précisément de trois chapitres de cet ouvrage : la « Préface », « Le monde de la sécurité » et « Universitas vitae ». Je me concentrerai donc sur le début de cet ouvrage. Pour travailler sur le contexte culturel de l’œuvre de Freud et sur le geste de Freud dans ce contexte, Le Monde d’hier est à ma connaissance une excellente présentation. Mon propos prendra la forme d’une sorte de zigzag entre des réflexions psychanalytiques, culturelles, mais aussi sur la littérature.
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Avant d’en venir au Monde d’hier pour penser la Vienne de Freud et le geste de Freud, j’aimerais faire quelques remarques pour poser certains éléments nécessaires.
Premièrement, il s’avère que, si je ne parle que du début de cet ouvrage, ce livre mérite d’être lu en entier. En effet, il élabore aussi – littérairement – ce qu’il en est de l’advenue à l’échelle historique du réel au sens lacanien, de la mort et de la destructivité pulsionnelle, et même de la mort et de la destructivité collective de masse. Bref, il en va là du malaise dans la culture – dont le point culminant, innommable, est la Shoah[1]. Voilà qui permet de réfléchir au contexte du 2e temps de l’œuvre de Freud et de son geste.
Deuxièmement, concernant le contexte culturel de l’œuvre de Freud, je tiens à préciser que nous disposons bien sûr de nombreux travaux de psychanalystes, dont des psychanalystes de notre École de Strasbourg – évoquons Lucien Israël, Marcel Ritter, Jean-Marie Jadin, Jean-Richard Freymann[2]. De plus, nous disposons aussi des travaux de tout un ensemble d’historiens, de Schorske à Elisabeth Roudinesco, en passant par Jacques Le Rider et Peter Gay, ou encore Eli Zaretsky[3], pour ne citer que quelques noms. Et, bien sûr, en vous parlant, j’élabore leurs travaux.
Troisièmement, je vous propose de parler du contexte culturel de Freud dans l’optique d’une histoire psychanalytique de la culture, celle que je développe pour mes réflexions ailleurs sur Warburg[4] et sur Hamlet[5], et ici sur Zweig. Cette histoire psychanalytique de la culture, je l’envisage fondamentalement une histoire des discours[6], collectifs comme subjectifs. Cela me permettra d’essayer de vous présenter en quoi Freud a fondé le discours analytique en le dégageant des discours ambiants de son époque, mais aussi en élaborant des éléments féconds dans son contexte culturel, de manière radicalement ouvrante, pour fonder cette novation radicale qu’est la psychanalyse.
D’un point de vue psychanalytique, la réflexion sur le contexte culturel ne doit pas nous écarter de la question de l’inconscient, mais elle doit nous aider à parler prioritairement de l’inconscient, comme de la clinique psychanalytique. En somme, c’est pour envisager la complexité de la subjectivité, de la parole et de la psychanalyse que je m’intéresse ici à la question de la culture. En ce sens, je partirai de l’éthique de la psychanalyse telle que l’a éclairée Lacan. Celle-ci soutient la singularisation du discours du sujet par rapport au discours ambiant[7]. Et pour cela, je me baserai sur un approfondissement des apports de notre École de Strasbourg, comme du freudo-lacanisme le plus fécond.
Dans ce cadre comme ailleurs, le double héritage sur lequel se fonde notre École de Strasbourg a beaucoup à nous dire. En effet, ce double héritage s’appuie, pour parler des fondateurs, d’un côté, sur le souci de la clinique et de la créativité chers à Lucien Israël, et, de l’autre, la fidélité à l’apport de Lacan (que l’on trouve aussi chez Lucien Israël bien sûr) et l’étude systématique des textes chers à Moustapha Safouan.
Quatrièmement, au regard du contexte contemporain, je pense que le pas de côté relevant d’une histoire psychanalytique de la culture ouvre à une historicisation de nos interrogations et des discours contemporains. Cette historicisation n’est pas sans intérêt pour nous qui vivons dans une société où le présentisme règne le plus souvent[8].
Cette historicisation nous permet aussi de réfléchir à la manière dont nous pouvons donner à entendre, dans ce contexte contemporain, la psychanalyse, c’est-à-dire son apport et sa créativité, sa portée clinique et culturelle, mais aussi son soutien à la singularisation du sujet et de son discours propre par rapport au discours de son environnement.
Cinquièmement, il s’agira pour moi d’insister sur 4 axes : la portée actuelle du geste et de l’œuvre de Freud ; le contexte culturel et le geste de Freud dans ce contexte ; la clinique analytique, qui est en fait première ; et le texte de Freud et donc sa théorie, son vocabulaire, envisagé aussi en allemand. Quatre mots donc, pour être synthétique, et si je remets les choses dans l’ordre : clinique, théorie, actualité, contexte culturel.
Sixièmement, c’est en ce sens que j’aimerais essayer d’ouvrir de nouvelles voies, de nouvelles pistes avec Freud. Ce pour m’adresser au « profane », comme y insiste systématiquement Freud, face aux discours dominants contemporains qui se situent du côté du rejet du désir
C’est d’ailleurs ce que Freud a fait : ouvrir une nouvelle voie en fondant un dispositif et une technique, mais aussi une forme spécifique de science, appelés psychanalyse. Véritable exploit culturel si l’on considère l’histoire pour ce qu’elle est : quelque chose de tragique, de conflictuel, de dynamique et d’ouvert, et non comme un plat résultat à contempler a posteriori, de manière tout aussi plate. Et c’est dans cette histoire que j’aimerais pour ma part situer Freud et son geste, avec ce que cela implique en termes de prise en compte du contexte culturel de l’époque. En ce sens, je vous propose de nous intéresser à la manière dont Freud a inventé le discours psychanalytique en le dégageant des discours collectifs de l’époque.
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J’en viens maintenant à Stefan Zweig. Quelques mots de présentation. Stefan Zweig est un écrivain juif viennois, né en 1881, vingt-cinq ans après Freud. Il appartient donc à la génération suivante, marquée par l’œuvre de Freud. Essayiste, romancier, il est l’une des figures intellectuelles et littéraires fondamentale du monde d’hier, de la Vienne et de l’Europe d’avant le nazisme. Son œuvre profonde, multiple, largement nourrie de celle de Freud, est toujours extrêmement lue.
Issu d’une grande famille de la bourgeoisie juive viennoise, Zweig est un représentant de l’humanisme cosmopolite, ce discours collectif important à l’époque – et j’aimerais dans ma réflexion positionner Freud dans la tectonique des discours collectifs de son époque. Zweig est un compagnon de route de la psychanalyse, un défenseur de celle-ci dans le débat public, un ami de Freud qui admire son œuvre et avec lequel il dialogue en profondeur, par exemple dans leur correspondance, où ils parlent bien sûr beaucoup de psychanalyse et de littérature, entre autres. Zweig a écrit divers textes sur Freud et sur la psychanalyse – dont il serait intéressant de parler à l’occasion, aussi pour en pointer les importantes limites. J’aimerais aussi noter ici que Zweig a présenté à Freud Romain Rolland et Salvador Dali. Le portrait de Freud qu’il fait à la fin du Monde d’hier est saisissant.
Avec la montée du nazisme, Zweig s’exile et s’installe au Brésil. En 1942, Zweig s’y suicide de désespoir.
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Le Monde d’hier, que l’on présente souvent comme les Mémoires de Zweig, est en fait un portrait de la Vienne et de l’Europe jusqu’en 1939. C’est pour cela que le sous-titre de l’ouvrage est : « Souvenirs d’un Européen ». Ce livre, Zweig l’écrit au Brésil entre 1939 et 1941. C’est dans l’immédiat après-coup de la destruction de la Vienne et de l’Europe d’avant le nazisme que Zweig écrit les Mémoires de la Vienne de Freud et de cette Europe. Le livre paraît en 1943, un an après sa mort.
J’aimerais faire quelques remarques sur l’écriture et sur la réflexion de Zweig dans cet ouvrage, pour dire quelques mots de l’écoute psychanalytique de la parole littéraire, mais aussi pour insister sur ce qui fait, selon moi, la parole psychanalytique, telle que Freud l’a fondée.
Pour pénétrante, l’analyse de Zweig n’est pas sans être régulièrement marquée par d’importantes idéalisations. Par exemple, en ce qui concerne la monarchie habsbourgeoise régnant sur l’Autriche-Hongrie[9], ou en ce qui concerne la minimisation de la crise économique de 1873. Concernant la dictature brésilienne alors qu’il était installé là-bas, ou concernant la manière de lutter contre le nazisme, et concernant le caractère absolument destructeur du nazisme, Zweig n’a pas non plus été lucide. Sur l’Horreur du nazisme, c’est son ami l’écrivain viennois Joseph Roth qui l’aidera à ouvrir les yeux dans les années 1930[10]. Plus encore, Zweig refuse longtemps, jusqu’au milieu des années 30, d’engager sa parole politiquement, ce qui est critiquable dans une situation politique aussi tragique. Mais à partir de la moitié des années 30, il s’engage enfin pour défendre les Juifs et les enfants juifs, tout en refusant toujours de critiquer publiquement l’Allemagne nazie[11]. Il reste que cette réticence à s’engager, pour problématique, n’est pas une marque d’indifférence, mais qu’elle le déchire[12] – en termes analytiques, peut-être peut-on y voir quelque obsessionnalité.
Ces idéalisations et cette réticence à s’engager sont aussi liées au discours collectif, important à l’époque, de l’humanisme cosmopolite. Cet humanisme cosmopolite, Zweig en critique d’ailleurs lui-même les limites, dans Le Monde d’hier comme déjà dans son très bel essai de 1934 sur l’humaniste renaissant Erasme.
Il reste que j’aimerais tout de même relever que Zweig a eu le mérite de toujours militer, même aux heures les plus sombres, pour une union européenne transnationale.
De plus, indépendamment des accointances subjectives que l’on peut avoir ou non avec les choix esthétiques de Zweig comme écrivain, la position analytique me semble demander d’écouter dynamiquement cette idéalisation et ces limites dans la parole littéraire de Zweig. Ce d’autant plus que cette dernière est malgré tout restée ouverte, et que les limites de Zweig n’ont pas impliqué, à la différence d’autres intellectuels, des engagements politiques problématiques au regard de l’Histoire. Et puis le psychanalyste, dans l’écoute de la parole littéraire ou en séance, a lui aussi nécessairement, comme tout sujet, ses illusions – son fantasme. C’est pour cela que la parole psychanalytique, avant tout, relève d’un travail d’énonciation, d’écoute et de dialectisation des illusions – du fantasme – comme y insiste Lacan qui a parlé de nécessaire « naïveté » du psychanalyste[13]. D’ailleurs, Lacan a ajouté à cela que la résistance, dans la psychanalyse, c’est avant tout celle du psychanalyste. Voici ce qu’il dit en effet sur ce point : « Il n’y a qu’une seule résistance, c’est la résistance de l’analyste[14]. » Bref, comme nous le rappelle Lacan, la psychanalyse n’a donc rien à voir, malgré bien des déviations dans la pratique, avec la croyance en la possibilité d’une position de surplomb (de Savoir), qui dégagerait le sujet (-psychanalyste) de toute illusion, et lui donnerait la possibilité de considérer, depuis cette position de surplomb (de Savoir), les illusions et les idéalisations de l’autre[15].
En ce sens, le geste fondateur de Freud (en premier lieu dans L’Interprétation du rêve) fut justement, il le dit lui-même, de « partager » ses « rêves » autant que de les « interpréter ». Il s’est agi pour lui de témoigner de ses illusions, de son fantasme – et partant de la conflictualité inhérente à la subjectivité – autant que de les traverser et de se retourner dessus. C’est d’ailleurs en cela, dit-il, que consiste le « surmontement » ou « surmontement de soi », « (Selbst)überwindung », analytique. J’aimerais ici citer Freud. Dans L’Interprétation du rêve, dans le chapitre sur les affects dans le rêve, voici ce que dit Freud, plutôt littéralement :
« On ne peut pas se cacher le fait qu’un difficile surmontement de soi fait partie du fait d’interpréter et de partager ses rêves » (« Man kann sich’s nicht verbergen, daß schwere Selbstüberwindung dazu gehört, seine Träume zu deuten und mitzuteilen[16] »).
On pourra aussi citer par exemple la manière dont Freud témoigne, dans le chapitre sur la méthode de l’interprétation du rêve, de l’exigence éthique de la psychanalyse : « avoir à surmonter (…) des difficultés » dans le travail « d’interprétation du rêve » (« j’ai à surmonter des difficultés », « Schwierigkeiten (…) habe ich zu überwinden »). Et Freud de citer en français Delboeuf (philosophe et psychologue belge de la 2e moitié du XIXe siècle, qui a travaillé sur l’hypnose), dont il transpose la réflexion au champ psychanalytique : « tout psychologue est obligé de faire l’aveu même de ses faiblesses s’il croit par là jeter du jour sur quelque problème obscur [17]. »
En somme, la réflexion de Freud relève de la psychanalyse originelle (Octave Mannoni parle d’« analyse originelle », ce qu’approfondit Chawki Azouri[18]) fondatrice de la psychanalyse. Le geste théorique de Freud est pour lui une manière de traverser ses propres évitements, son propre fantasme, sa propre résistance, ses propres failles, sa propre obsessionnalité. Il en va là de l’éthique de la psychanalyse, comme traversée, avant tout par le psychanalyste, du fantasme, comme traversée de sa propre résistance, ouvrant à un retournement dialectique sur le fantasme. Ce qui seul soutient le travail analytique du psychanalysant. Ainsi en est-il concernant Freud en premier lieu dans son texte de 1905 sur sa patiente Ida Bauer, qu’il dénomme « Dora[19] » (tel que Lacan l’éclaire et le met au travail[20]). Et ce, même si, dans le travail avec Ida Bauer, Freud expérimentera ses propres limites.
Ainsi, à mon sens, réentendre le geste de Freud dans sa fraîcheur, réentendre sa psychanalyse originelle, c’est partir de cette exigence éthique qu’a éclairée Lacan (et qu’il a éclairée, afin que la psychanalyse ouvre la parole du sujet à l’Autre barré, au champ de l’Autre[21], et afin de soutenir et déployer le pacte symbolique qui fonde sa parole[22]).
Et, de ce point de vue, Zweig est un contemporain de Freud qui, comme d’autres, a entendu le message de Freud dans sa fraîcheur, et nous permet de réentendre celui-ci en ce sens. Car la parole littéraire de Zweig est marquée par Freud en ce qu’elle témoigne d’une traversée des illusions subjectives, d’une dialectisation de la conflictualité subjective, et d’une ouverture au réel et au devenir. Cela fait qu’on ne peut qualifier Zweig d’auteur platement idéaliste. Pour illustrer mon propos, je tiens à citer, dans une traduction personnelle, un passage du chapitre « Le coucher du soleil » dans le Monde d’hier :
« Ne serait-il pas meilleur pour moi – ainsi continuait ma rêverie en moi – que quelque chose d’autre advienne, quelque chose de nouveau, quelque chose qui me rende plus intranquille (unruhiger), m’excite plus et me rende plus curieux (gespannter), me rajeunisse, en exigeant de moi un nouveau et peut-être encore plus dangereux combat ? »
Bref, il y a bien là, dans l’écriture de Zweig, une forme littéraire de traversée éthique par le sujet de ses propres illusions. Il y a là une forme littéraire, non analytique (plus classiquement narrative donc que divisée, bifurquante, éclatée – comme l’est la parole analytique) du « surmontement de soi », tel que Freud l’envisage et le pratique dans le champ analytique et sous forme analytique.
Concernant son cheminement littéraire, Zweig situe celui-ci dans ce cadre : comme geste pour dégager sa parole du « complexe de sécurité » qui fut celui du discours de sa société, de son père, de sa famille. En somme, Zweig cherche à dégager sa parole du complexe de son père – et de la société telle que l’a construite la génération de ses parents. Intéressante définition de la subjectivation, je trouve.
Sans doute faut-il ajouter à cela que Zweig a aussi déployé son propre « complexe de sécurité », sa propre matrice d’illusions narcissiques que traverse le travail d’écriture dont ce livre est le fruit. En somme, il y a dans ce livre un travail explicite, assumé comme tel, de traversée dialectique et interminable de ses propres illusions.
Car Zweig sait que la vérité est un mi-dire, ou tout du moins qu’elle est un dire partiel, ainsi que le lui a dit Freud : « il n’y a pas plus de vérité à 100% que d’alcool à 100%. »
En somme, malgré les limites de Zweig, limites qu’il essaie de traverser, d’appréhender et qui le déchirent, étudier Le Monde d’hier est pour nous une manière d’entrer dans le contexte culturel de l’œuvre et du geste de Freud, et des débuts de la psychanalyse. Zweig pense avec Freud et parle de Freud, de sa théorie de la culture, de son apport culturel. Mais il ne nous parle pas en tant que telle de la psychanalyse comme dispositif ni comme discours. Il reste que lire Zweig est malgré tout utile pour se pencher sur le monde de Freud dans ses différentes facettes afin de mieux appréhender le geste de Freud, la naissance et les débuts de la psychanalyse. Mais aussi, je tiens à insister sur ce point, cela nous est utile afin d’appréhender la psychanalyse en tant que dispositif de parole spécifique. Et le dispositif spécifique de la psychanalyse déploie et écoute les signifiants du psychanalysant, pour, dans le transfert, ou mieux, dans la transférisation[23], soutenir le déploiement puis la traversée de son fantasme, en un retournement dialectique. Ce qui importe, c’est bien la dynamique de la parole du sujet afin de faire se lever son désir, et l’éthique et la créativité qui lui sont inhérentes. Et il me faut aussi insister sur l’importance, pour la psychanalyse, de la question de la singularisation de la parole du sujet, et du dégagement du discours ambiant dans lequel il est plongé. Car c’est une question qui m’importe particulièrement en ce qui concerne l’histoire de la culture dont je parle ici, qui est fondamentalement une histoire des discours. Oui, cela m’importe particulièrement pour essayer de voir comment Freud a dégagé sa parole des discours collectifs de son environnement. Pour voir comment il a construit le discours psychanalytique par rapport aux discours collectifs (au pluriel) de son époque, justement comme dispositif de dégagement par le sujet de sa parole des discours de son environnement – de dégagement de l’Autre, nous dit Lacan[24]. Car, lorsque je dis cela, je me base bien sûr sur Lacan qui, en élaborant Freud, est allé plus loin que lui[25].
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En fait, j’aimerais ici vous présenter une élaboration avec ce que nous dit Stefan Zweig, concernant Vienne et l’Europe de la fin du XIXe siècle jusqu’en 1914. Et cela engage la question de la culture.
Plus précisément, j’aimerais mettre au travail ce que nous dit Zweig dans le même esprit que certaines analyses de Freud dans L’Homme Moïse et le monothéisme – que Zweig évoque à la fin du Monde d’hier. En effet, je trouve qu’il y a certains échos entre le Moïse et le Monde d’hier, en ce qu’il s’agit dans les deux ouvrages, comme l’écrit Freud, d’étudier « les progrès culturels de l’humanité et les changements intervenus dans la structure des communautés humaines[26] ». Plus encore, il s’agit pour Zweig (et ici Zweig met au travail Freud), comme pour Freud en général – et pour Lacan bien sûr – d’étudier dans leur complexité et leurs ambiguïtés les progrès et les régressions culturels. J’aimerais ici insister à quel point ce sont là des questions classiques à l’époque, que l’on retrouve par exemple aussi chez Nietzsche (Zweig a écrit sur Nietzsche), ou chez l’historien de l’art et de la culture Warburg dont je vous ai parlé ailleurs.
Bref, les réflexions de Zweig – mettant au travail Freud – sur la culture, son histoire, sa complexité, son évolution, sont bien fécondes pour nous. C’est aussi le cas pour donner à entendre la portée culturelle de la psychanalyse, concernant l’histoire de la culture, mais aussi dans notre situation culturelle contemporaine.
D’ailleurs, pour en revenir au Moïse de Freud, Freud essaie d’étudier, concernant la figure de Moïse et son apport, le judaïsme, ce qu’il appelle une « époque de floraison culturelle[27] ». Et dans le Monde d’hier, Zweig étudie certes les régressions culturelles de l’Europe qui mèneront à l’Horreur. Mais il étudie aussi les progrès culturels, liés aux Lumières, qui ont eu lieu avant celles-ci, et contre lesquels le nazisme comme « révolution culturelle » a réagi[28]. Et ces progrès culturels ne se font pas sans trancher dans bien des résistances. De ce point de vue, dans son livre, malgré ses limites, Zweig arrive à rendre compte de la dynamique et de l’ambivalence, de la complexité et des conflictualités du monde de Freud. Il pose aussi des questions qui restent à mon sens toutes d’une grande actualité.
Plus encore, concernant les discours et les mécanismes collectifs, Zweig met au travail Freud et sa réflexion sur la subjectivité et sur la culture. Il parle longuement de la sexualité. Mais aussi, il le dit, Zweig a pleinement conscience que le sujet est le produit de sa culture, je dirais, du discours collectif. En même temps, Zweig analyse avec lucidité, je cite, la « dissociation », ce que l’on appelle le clivage de l’objet qui est omniprésent dans les discours collectifs. Zweig analyse aussi, comme il le dit, la cruauté de la société, des collectifs, contre ceux qui révèlent leurs secrets et leurs injustices.
En somme, mon hypothèse ici est que, ce à quoi Zweig nous aide particulièrement, c’est à appréhender ce qu’il en est, concernant le monde de Freud, des dynamiques et de l’évolution de la culture, des discours collectifs et des subjectivités. Voilà qui nous sera utile pour appréhender Freud dans son contexte culturel.
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À mon sens, Zweig nous permet de voir en quoi la société viennoise européenne connut une profonde évolution. Dès lors, j’aimerais maintenant en venir aux quatre temps de l’évolution culturelle de la Vienne de Freud, telle que Zweig les développe. Pour le reformuler dans des termes qui cherchent à mettre au travail le propos de Zweig, je dirais :
1er temps : Qu’il existe tout d’abord dans la Vienne de Freud ce que je propose d’appeler la « société d’avant-hier » où domine, comme le dit Zweig, le discours collectif du la bourgeoisie libérale ;
2e temps : Qu’advient à partir de la fin du XIXe siècle ce que j’appelle la société d’hier proprement dite ; grâce au travail culturel des générations de Freud et de Zweig (des membres de ces générations qui vont en ce sens) a lieu une ouverture des discours collectifs et des subjectivités ;
3e temps : Qu’advient aussi à la fin du XIXe siècle la société de masse (que Freud a étudiée dans sa Psychologie des masses), avec le déploiement du nationalisme qui mènera à la Première Guerre mondiale et au nazisme ;
4e temps : Et puis, tragiquement, a lieu dans les années 30 le triomphe du nazisme et la destruction de la culture européenne de l’époque et de l’Europe et le meurtre de masse des Juifs d’Europe, telle que les constate tragiquement Zweig entre 1939 et 1942 – lui qui appréhende que quelque chose relevant de l’Horreur absolue est en train d’arriver aux Juifs.
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Commençons donc par le 1er temps, par ce que j’appelle donc la société d’avant-hier, qui est la société dans laquelle sont nés Freud puis la psychanalyse. Jusqu’à la fin du XIXe siècle, à l’époque que Zweig appelle « préfreudienne » (car il fait de l’œuvre de Freud un vecteur de changement culturel majeur) dominait le discours collectif de la bourgeoisie libérale. Ce discours collectif, Zweig en présente la complexité – sauf sur un point important, nous le verrons. Bref, si parfois on trouve une connotation de nostalgie quand il parle de cette société d’avant-hier, il s’avère que Zweig mène une solide critique de cette société.
D’un côté, ce discours collectif de la société d’avant-hier est marqué par l’évolutionnisme culturel, et sa religion ou son mythe collectif du Progrès inéluctable – qui occulte le réel au sens lacanien du terme. C’est là une époque où, nous dit encore Zweig (qui pointe les signifiants importants dans le discours ambiant de la Vienne de Freud), la « sécurité » (du sujet bourgeois, de la classe sociale bourgeoise, y insiste Zweig en lecteur de Balzac auquel il a consacré un essai) est recherchée et sans cesse invoquée. Il y a là une foi évolutionniste dans le progrès, dans la technique et la science.
Il y a là encore, ajoute Zweig, un « délire optimiste », croyant en un progrès moral et culturel rapide et continu. Dans cette société d’avant-hier, le moralisme domine et rejette la sexualité et le corps, mais aussi la singularité du sujet et le féminin, tout en étant foncièrement hostile à la jeunesse, aux femmes, et à l’amour. Le système économique est inégalitaire, et le libéralisme fait selon Zweig l’erreur humaine et politique de ne pas prendre soin d’une bonne partie de la population et de les laisser dans la misère. Mais les relations économiques et sociales, à Vienne, vont quelque peu vers des compromis et vers quelques progrès sociaux, constate Zweig qui politiquement est plutôt proche des sociaux-démocrates.
À Vienne donc, à la classe bourgeoise, ce système économique prodigue un rythme de vie tempéré, bien loin, précise Zweig, de l’« accélération » du rythme de vie qui aura lieu avec l’advenue de la société de masse à la fin du XIXe siècle (sur l’accélération, je renvoie aux travaux d’Hartmut Rosa). Il n’existe pas encore, insiste Zweig, à Vienne, ni en Autriche, de société de masse comme déjà en Allemagne, en France ou en Angleterre. La Vienne de Freud et de Zweig, c’est la Cacanie de Musil, autre auteur viennois de l’époque, dans son grand roman – passionnant pour nous – L’homme sans qualités : un royaume à l’État et à l’économie qui apparaissent désuets au regard de l’hyperorganisation économique et étatique qui naît ailleurs dans les grandes nations européennes. Pour le dire dans mes termes, Zweig insiste largement sur le caractère non hyperorganisé de cette société, qui n’est pas encore une société de masse. Et c’est un élément que je trouve particulièrement fécond dans sa description du contexte culturel – pour saisir la différence d’avec notre société à nous, j’y reviendrai à l’avenir.
Dans cette société, l’école relève d’une logique patriarcale et cherchant à soumettre les élèves et à rejeter, dit-il, leur énergie, leur élan, leur sexualité, leur désir. Il y a là, précise Zweig, un « autoritarisme » scolaire où la parole est fondamentalement « verticale » – ce qui fait que la parole des élèves comme sujets est rejetée. Il y a dans la Vienne de Freud, dit Zweig, un véritable rejet de la jeunesse. Ce rejet n’est d’ailleurs pas aussi présent à Berlin à la même époque, constate-t-il. D’ailleurs, Zweig nous en parle ; Berlin (lieu important aussi pour l’histoire de la psychanalyse) sera aussi un lieu d’ouverture tout à fait formidable à l’époque – comme en témoigne d’ailleurs récemment le dernier ouvrage de l’historien de l’art et de la culture Horst Bredekamp sur Warburg et sur l’ethnologie berlinoise de l’époque[29]. Je tiens à évoquer les travaux passionnants de Horst Bredekamp (qui a aussi travaillé sur Freud et Lacan[30]) car le passage que j’ai dans le passé fait à Berlin, comme Visiting Fellow dans le département de l’Université Humboldt qu’il dirigeait, a compté pour la réflexion que je développe ici.
En somme, dans la société d’avant-hier, ce sont le réel, le tragique qui sont évacués – du fait du mythe collectif évolutionniste[31]. Dans ce discours collectif libéral, les forces destructives inhérentes à la subjectivité sont, dit Zweig évoquant explicitement Freud, « refoulées » – réprimées – « sous une légère couche ». Sur ce point, il est manifeste que Zweig élabore ce que Freud nous dit dans les « Considérations sur la guerre et la mort » écrites pendant la Première Guerre mondiale, ainsi dans ses réflexions sur la culture – en premier lieu « Le Malaise dans la culture » de 1929.
En même temps, ajoute Zweig, cette société d’avant-hier est complexe et ambivalente. En effet, cet optimisme culturel du monde libéral a en même temps selon lui quelque chose de fécond sur certains plans, malgré tout, avec la valorisation du travail culturel et de l’indépendance du sujet que l’on trouve dans le discours collectif. C’est d’ailleurs ce qui se déploie dans le cadre des milieux intellectuels et artistiques gravitant autour de la revue Die Neue Freie Presse, à l’orientation politique libérale. C’est cette revue, haut lieu des débats viennois et européens, lieu lui ouvert à la jeunesse, qui va lancer Zweig. Cette revue accueillera bien d’autres figures importantes de l’époque, comme par exemple, pour parler de littérature, Schnitzler, l’écrivain préféré de Freud, ou le poète Rilke, qui est aussi ami avec Freud.
En somme, Zweig trouve, dans l’après-coup de son existence emportée, comme le monde, dans la destruction nazie (et le nazisme est avant tout le résultat de la société de masse poussée à son extrême), que ce monde d’avant-hier avait tout de même le mérite de valoriser (pour les hommes bourgeois, certes, comme il le dit) un rythme existentiel tempéré. Cette société d’avant-hier viennoise avait aussi le mérite de valoriser une relation au passé marquée par une exigence de mémoire ; alors que la société de masse, avec son rythme existentiel accéléré, a tendance à laisser de côté la mémoire, la transmission, dit Zweig. Car la question de la transmission est centrale pour Zweig, j’en parlerai une autre fois. Et tout ceci n’est pas sans intérêt pour nous, qui vivons dans une société où le présentisme règne le plus souvent.
De plus, ajoute Zweig, le discours libéral de l’époque est problématique politiquement. Il néglige les problèmes sociaux posés par le capitalisme débridé de l’époque, ce qui favorise, dit Zweig, la montée du nationalisme allemand antisémite. Mais le discours libéral est aussi (et cela, Zweig n’en parle pas) très germanocentré et très légitimiste vis-à-vis de la monarchie habsbourgeoise. En effet, la réalité politique de cette monarchie ne correspond pas au discours officiel « supranational ». De cela donc, Zweig ne parle pas car il idéalise la monarchie habsbourgeoise. De plus, il aura toutes les difficultés à véritablement prendre en compte ce qu’il en est véritablement de la montée de l’antisémitisme – ce qui se retrouve dans son portrait ambigu du maire chrétien-démocrate et antisémite de Vienne, Lueger.
Car avec la crise économique de 1873, due à un krach financier, et avec l’advenue de tout un ensemble de scandales financiers, les libéraux vont être politiquement discrédités. Alors de nouveaux partis de masse vont commencer à jouer un rôle politique. Ainsi des chrétiens-démocrates antisémites de Lueger. Ainsi aussi des sociaux-démocrates et des socialistes. Ceci est important à noter car cette évolution changera de manière très substantielle la tectonique des discours collectifs dans la Vienne de Freud.
D’ailleurs, Freud et Zweig, dans leurs œuvres, prennent en compte la crise qu’ont connu à l’époque les Lumières et le libéralisme politique. Ils tirent même les conséquences de la crise du libéralisme politique, et des limites des Lumières rationalistes et du libéralisme du parti libéral. Cela permettra à Freud, il me semble, de proposer une forme plus lucide et plus aboutie des Lumières[32] – plus « sombre » comme y insiste Élisabeth Roudinesco.
En conclusion de ce texte, qui appelle une suite, j’aimerais évoquer rapidement la société d’hier telle que la caractérise Zweig, et qui succède à la société d’avant-hier des pères de la génération de Zweig. Alors advient une société nouvelle, avec de nouveaux discours collectifs. Pour en dire deux mots, cela constitue par bien des points une évolution culturelle féconde dans laquelle Freud et la psychanalyse jouent un rôle central, ainsi que tout un ensemble d’auteurs et d’artistes qui pour partie sont associés à Freud, et qui sont surtout les acteurs historiques et culturels de l’ouverture qui a lieu avec l’advenue de la société d’hier.
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Concernant cette société d’hier, Zweig insiste sur le fait qu’a lieu à l’époque une ouverture des discours collectifs et des subjectivités à la prise en compte de tout un ensemble d’éléments fondamentaux – prise en compte générale, pas psychanalytique, mais à laquelle la psychanalyse dans sa portée culturelle a participé. Ainsi a lieu à l’époque, sur différents plans, une véritable ouverture des discours collectifs et des subjectivités à différentes choses fondamentales pour la psychanalyse : à la sexualité et à la jeunesse, dans une certaine mesure aux femmes et au féminin, dans une certaine mesure aussi à l’homosexualité (La Confusion des sentiments de Zweig témoignant de celle-ci) – en même temps que le chemin sera encore long pour une plus importante reconnaissance. D’ailleurs sur ce point, ce que dit Zweig va dans le sens de ce que montre Élisabeth Roudinesco dans son très passionnant livre La Famille en désordre[33], qui nous aide à historiciser ces questions.
Sur la question du féminin qui nous importe, je tiens aussi à préciser que notre École de Strasbourg, particulièrement avec Lucien Israël, a aussi posé en profondeur et de manière éclairante cette question, au point d’insister sur le le fait que la psychanalyse relève d’une féminisation[34]. Je vous en parlerai une autre fois.
Mais j’approfondirai dans un autre texte ma réflexion sur Zweig, dont cette question de la société d’hier, de la nouvelle société qui advient en partie grâce à Freud et à la psychanalyse, mais qui aussi favorise en même temps le développement de la psychanalyse à cette époque.
[1] Sur cette question, je renvoie à J.-J. Moscovitz, D’où viennent les parents ?
[2] Citons entre autres J.-P. Dreyfuss, J-M. Jadin, M. Ritter, Qu’est-ce que l’inconscient ? Toulouse, Arcanes-érès.
[3] Citons par ex., parmi tant d’autres titres, E. Roudinesco, Freud en son temps et dans le nôtre ; de J. Le Rider, concernant Freud, voir Freud, de l’Acropole au Sinaï ; concernant Zweig et plus largement, Modernité viennoise et crises de l’identité, ou Les Juifs viennois à la belle époque (1867-1914), ainsi que la récente édition de S. Zweig, L’esprit européen en exil, éd. J. Le Rider et Kl. Renoldner, Bartillat, 2020, trad. J. Le Rider ; de Peter Gay, Freud ; de C. Schorske, Vienne fin de Siècle ; d’E. Zaretsky, Le Siècle de Freud.
[4] Je me permets de renvoyer à mon intervention « Mythe et fantasme dans le cheminement intellectuel et psychanalytique d’Aby Warburg » au séminaire de Jean-Richard Freymann, FEDEPSY, « Fantasmes et mythes », année 2020, séance du 12 juin 2020 :
[5] Pour un projet d’ouvrage chez Arcanes-érès.
[6] Concernant la question de l’histoire culturelle des discours, l’œuvre de Michel Foucault est incontournable. Voir par ex. L’Archéologie du savoir.
[7] L. Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2010.
[8] Sur le présentisme comme régime d’historicité relevant d’un présent qui se veut auto-suffisant et délié du passé et de l’avenir, voir l’ouvrage de l’historien du monde grec F. Hartog, intitulé Régimes d’historicité. Présentisme et expériences du temps.
[9] C. Magris, Le Mythe et l’empire.
[10] Voir Correspondance 1927-1938, Stefan Zweig/Joseph Roth, Payot et rivages, 20213, trad. P. Deshusses ; voir particulièrement la préface de ce dernier.
[11] Voir sur ce point les textes introductifs de J. Le Rider et de K. Renoldner à S. Zweig, L’esprit européen en exil, éd. J. Le Rider et Kl. Renoldner, Bartillat, 2020, trad. J. Le Rider ; ainsi que S. Zweig, Pas de défaite pour l’esprit libre, Albin Michel, 2020, trad. B. Cain-Hérudent ; et la préface de L. Seksik dans cet ouvrage.
[12] Ainsi qu’il l’exprime dans le texte « L’exigence de solidarité », L’esprit européen en exil, op. cit.
[13] Lacan, « Proposition du 9 octobre 1967 », dans Autres écrits.
[14] J. Lacan, Le Séminaire II., 1954-1955, Le moi dans la théorie de Freud, 19 mai 1955.
[15] Sur le fait que le psychanalyste n’en a jamais fini avec son fantasme, voir F. Perrier, La Chaussée d’Antin I.
[16] Gesammelte Werke, II./III., p. 489.
[17] Gesammelte Werke, II./III., p. 110.
[18] O. Mannoni, « L’analyse originelle », dans Clefs pour l’imaginaire ou l’Autre Scène ; Ch. Azouri, « J’ai réussi là où le paranoïaque échoue », Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2015.
[19] S. Freud (1905), « Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora), dans Cinq psychanalyses, Paris, Puf, 1995.
[20] J. Lacan, « Intervention sur le transfert », dans Écrits. Concernant le retournement dialectique du fantasme, voir Jean-Richard Freymann, « À quel banquet nous convie Lacan ? Lacan avec les psychanalystes », dans L’art de la clinique, Toulouse,Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2013, p. 225-239.
[21] J.-R. Freymann, Éloge de la perte, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses ».
[22] A. Didier-Weill, Les trois temps de la Loi.
[23] J.-R. Freymann, Amour et Transfert, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2020 (avec des textes de M. Ritter, G. Riedlin, L. Goldsztaub, M. Patris).
[24] Par exemple dans J. Lacan, Le séminaire livre XVI, 1968-1969, D’un Autre à l’autre.
[25] Sur cette question, je me permets de renvoyer à D. Lorrain, « Mythologie de Lacan, Mythologie de Freud, Ephéméride 9, https://fedepsy.org/category/ephemeride/
[26] L’Homme Moïse et la religion monothéiste, trad. C. Heim, Paris, Gallimard, 1986, p. 173, Gesammelte Werke XVI., p. 174.
[27] Ibid., p. 189.
[28] Selon l’expression de l’historien du nazisme J. Chapoutot dans son ouvrage La révolution culturelle nazie.
[29] H. Bredekamp, Aby Warburg, der Indianer.
[30] Citons sa Théorie de l’acte d’image.
[31] C’est une question importante dont j’ai parlé dans mon intervention récente sur Warburg, op. cit.
[32] Concernant Freud et les Lumières, voir É. Roudinesco, Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre ; et A. Didier-Weill, Un mystère plus lointain que l’inconscient.
[33] Même si je ne suivrai pas tout à fait l’auteure sur la question de l’homosexualité, car je ne vois pas pour ma part de souhait de normativité dans la revendication par les sujets homosexuels des mêmes droits politiques que les sujets hétérosexuels.
[34] L. Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, coll. « Hypothèses », 2010.
Cher.e.s ami.e.s,
Au regard de ce qui arrive dans le tragique de notre situation contemporaine, je vous mets ici le lien vers la fondamentale réflexion de Stéphane Habib sur l’antisémitisme. Sa pensée, en effet, est d’une très éclairante justesse, dans sa capacité à articuler psychanalyse, philosophie et politique.
Cette conférence, intitulée « Pas plus nouveau qu’ancien : l’antisémitisme, affaire politique », a eu lieu le lundi 6 août 2018, dans le cadre du banquet d’été « Dans la confusion des temps » qui s’est déroulé à Lagrasse du 4 au 10 août 2018.
La réflexion de Stéphane Habib a été publiée dans un très bel ouvrage Il y a l’antisémitisme (Les Liens qui Libèrent) et 2020.
Dans cette conférence puis dans ce livre subtilement écrit, Stéphane Habib part du fait que « toute forme de rejet de la complexité doit nous mettre en alerte, politiquement – entre autres » (p. 32). Il y établit que l’antisémitisme est une « langue », et que « par la langue de l’antisémitisme, on peut même être parlé » (p. 43). Il y éclaire aussi le fait que l’antisémitisme, c’est fondamentalement « la mise à mort de corps dits juifs » (p. 66) : c’est vouloir la mort des juifs, auxquels il – l’antisémitisme – « reproche tout et son contraire » (p. 20 (1)).
Face à l’antisémitisme, il s’agit de déployer « l’exigence de faire face à ce qui advient » (p. 48 (2)), de ne pas dénier ce qui a lieu, et de « manifester donc, que quelque chose se passe » (p. 49). Il en va là d’une inquiétude, d’une « intranquillité », d’une « détresse », et même d’une « compulsion » (politique, et c’est là où le politique rejoint la psychanalyse (3)) « à parler de cela qui existe. Ce qui se passe. Ce qui arrive » (p. 46).
Bref, il en va de l’exigence de partir du fait que, tel que l’a énoncé Jean-Luc Nancy dans son très important Exclu le juif en nous, « inlassablement, l’antisémitisme se répète » (4)).
Cette nécessité de faire face à la répétition interminable de l’antisémitisme, Stéphane Habib l’élabore psychanalytiquement comme une nécessité de parler interminablement du réel au sens de Lacan : du réel comme impossible, « en tant que revenant toujours à la même place » (p. 59). En ce sens, Stéphane Habib élabore aussi la pensée de l’« il y a » de Levinas, en éclairant l’antisémitisme comme un « il y a », comme un « exister qui retourne quelle que soit la négation par laquelle on l’écarte » (p. 80).
Ainsi, une telle exigence politique, psychanalytique et philosophique, mais aussi historique (5), « vise (…) à se défendre contre l’indifférence, le silence, l’aveuglement, la mutité, la surdité (…) face à tout ce qui se passe bien pourtant. » (p. 47). Elle vise à lutter interminablement contre le « je sais bien… mais quand même », qui se déploie souvent dans la parole subjective et collective, et relève d’un « déni antisémite de l’antisémitisme » (p. 80).
Il s’agit donc, nous y appelle Stéphane Habib, d’« être irréconciliable », de « faire pas sans l’antisémitisme » (p. 61). Pour cela, l’auteur part du fait que la psychanalyse définit le sujet comme un « corps parlant », et il définit l’enjeu du politique comme relevant de la « survie des corps parlants » (p. 59 (6)). Cette survie des corps parlants étant justement à opposer à l’antisémitisme en ce que celui-ci veut tuer les corps parlants juifs (élément personnel de réflexion : parce que les juifs, dans l’histoire de l’Occident, symbolisent la possibilité de la parole ?).
Et j’aimerais finir cette présentation en insistant sur différents points :
1. Sur la manière fort féconde dont Stéphane Habib déconstruit le discours idéologique prônant l’existence d’un « nouvel antisémitisme ». Il nous éclaire ainsi sur la manière dont ce discours idéologique nie la pérennité de l’antisémitisme dans l’histoire, et conserve, en prétendant le dépasser, celui-ci (7).
2. Sur la lucidité de sa pensée – publiée en 2020 donc – concernant ce qui arrive en Israël, et concernant certaines « alliances » d’extrêmes-droite « contre l’islam », et donc contre, psychanalytiquement parlant, « les corps parlants musulmans » (p. 31).
3. Sur l’exigence de complexité ici déployée, lorsqu’il est question de survie des corps parlants en général, dont les corps parlants juifs et musulmans – voilà qui résonne, je crois, dans notre situation contemporaine.
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Voici la présentation du livre sur le site de l’éditeur :
Écrire « Il y a…l’antisémitisme », c’est immédiatement faire entendre que ce livre n’est pas une explication de plus, une description de plus ou encore l’écriture d’une histoire de la haine des juifs. C’est un rapport de forces. « Il y a » indique que ce livre n’est pas une démonstration d’existence de l’antisémitisme. « Il y a », pour ce qui arrive et se répète. « Il y a » pour la persistance. « Il y a » pour la rémanence. Et précisément, il y a une structure de l’antisémitisme que décrit pertinemment Stéphane Habib dans cet ouvrage important.
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Stéphane Habib est psychanalyste, philosophe et écrivain. Il anime un séminaire de philosophie et psychanalyse à l’Institut des Hautes Etudes en psychanalyse (8) dont il est également le directeur. Il est membre de l’Institut Hospitalier de Psychanalyse de Sainte-Anne, à Paris, ainsi que du comité de rédaction de Tenou’a. Et éditeur aux éditions Les Liens qui Libèrent.
Ici un très bel échange avec Audrey Louis autour de sa conception de la psychanalyse:
Il a écrit plusieurs ouvrages :
– La responsabilité chez Sartre et Levinas, L’Harmattan, 1998.
– Levinas et Rosenzweig, philosophies de la Révélation, PUF, 2005.
– La langue de l’amour, Hermann, 2016.
– Faire avec l’impossible : pour une relance du politique, Hermann, 2017 ; rééd. Pocket 2020.
Livre qui a obtenu le prix Œdipe le Salon 2018.
Concernant le Banquet du Livre de Lagrasse, voir : https://www.abbayedelagrasse.fr/
NOTES
(1) : Sur ce point, Stéphane Habib élabore sur Delphine Horvilleur, Réflexions sur la question antisémite, Grasset, 2018, p. 20
(2) : C’est là une citation de Claude Lefort.
(3) : Pour sa réflexion sur le politique, on lira Faire avec l’impossible : pour une relance du politique, Hermann, 2017.
Voir la présentation de ce livre par Delphine Horvilleur pour le prix Œdipe Le Salon 2018 :
(4) : Jean-Luc Nancy dans Exclu le juif en nous (Galilée, 2018), p. 9. Stéphane Habib cite cette réflexion.
(5) : Et ce en écho avec les réflexions de Patrick Boucheron dans Prendre dates (2015, écrit avec Mathieu Riboulet, chez Verdier).
(6) : Voir son Faire avec l’impossible, op. cit. Sur ce point, Stéphane Habib élabore J.-C. Milner, Pour une politique des corps parlants – Court traité politique 2, Verdier, 2011.
(7) : Il s’appuie ici sur la déconstruction par Derrida de la dialectique hégélienne.
« A partir de son expérience de psychanalyste, Jean-Marie Jadin interroge les rapports de la pratique et de la théorie psychanalytiques avec les questions qui animent les philosophes depuis toujours, mais aussi avec celles inhérentes à d’autres domaines comme la linguistique, la physique, les mathématiques, la littérature, la poésie et le théâtre.
Il est d’usage d’opposer la philosophie et la psychanalyse. L’ambition de ce livre est de montrer que cette apparente incompatibilité semble relier les deux disciplines au niveau même de leur incomplétude, comme si chacune était très précisément en manque de l’autre.
À partir de son expérience clinique, Jean-Marie Jadin montre que la pratique analytique développe des idées particulières concernant les questions traditionnelles que se posent les philosophes. Et en retour, il éclaire certaines données de la théorie psychanalytique en déplaçant le centre de gravité vers la manière qu’a la philosophie de les traiter.
Avec cette vision double, un certain relief sera donné aux thèmes classiques de la philosophie que sont la parole, le temps, la conscience, ou aux moins classiques, comme l’analogie, la perte, la triade de l’imaginaire, du symbolique et du réel, et enfin l’inadaptation de l’homme au monde. Jean-Marie Jadin philosophe en psychanalyste sur les processus qui créent l’inconscient : la condensation et le déplacement. Toutes ces questions formulées dans un langage accessible sont illustrées par de nombreux exemples cliniques. »
Postface de Bernard Baas, Hervé Gisie, Marcel Ritter.
Jean-Marie Jadin est psychiatre et psychanalyste à Mulhouse depuis bientôt cinquante ans. Ancien interne et chef de clinique du chu de Strasbourg, il est aussi l’auteur de plusieurs livres et de très nombreux articles consacrés à la pratique et la théorie psychanalytique.
https://www.editions-eres.com/ouvrage/5120/la-peripherie-philosophique-de-la-psychanalyse
Gold and blue
your light
at the dawn of
the day on
the broad and
bright water
.
New York
You’re embracing
me again
getting
me out of
myself bringing
me into
the future
.
and you whisper
“Just
become just
let in what
is coming
now just
let the past die
out and let
the unexplored fragments
of yourself be
and come”
.
and here you
come with your
laugh
smiling and
witty
.
what a weird
feeling it is
to be in
New York again
far away
from that first
childhood summer
grey so grey
here
.
and even the silver
squirrels in Central Park
are not
the same
they are now
very much
alive not like
before as they
were only
some moving – fascinating –
promise of the future
.
yeah
the future has
arrived and has
become the
open
present
open and
open like
the Bay of
New York here
in Red Hook near
the red buildings
and the rotten
pilings and
warehouses
open
to the gold and
blue sky
reflecting
in the waving water
in which my eyes
are lost
while the gigantic girl
with her flame
stands
still
like a bright shadow
.
patient
before what will
become
.
**
Thank you so much to Jamie Mac Partland fo the rereading.
She’s a writer and editor.
Animé par Dominique Marinelli, Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain.
Le 1er jeudi du mois, à 20h30. Reprise le 9 novembre 2023.
Par Zoom.
Pour demander à participer, écrire à : lorrain.dimitri@gmail.com ou à emmanuelle.chatelat@gmail.com.
L’année dernière, notre travail a porté sur l’étude de l’œuvre et du geste de Freud dans son contexte historique et culturel (psychanalytique, psychiatrique, intellectuel, philosophique, littéraire, artistique, etc.). Ce faisant, nous avons essayé d’envisager la portée à la fois clinique, théorique et culturelle de son œuvre dans le contexte actuel. Il a s’agi de lire Freud, de le discuter, afin d’ouvrir des pistes théoriques pour la clinique. Nous avons aussi essayé de caractériser la dynamique de son œuvre et la manière dont Freud a traversé ses propres résistances.
Forts de cette réflexion, nous continuerons notre réflexion sur le « féminin » avec Freud et dans le contexte de Freud (Zweig, Schnitzler). Nous continuerons aussi de nous mettre à l’écoute des subjectivités contemporaines. Ce tout en méditant particulièrement les apports de Michel Foucault (« Les Aveux de la chair » »), et ceux d’autrices féministes comme Simone de Beauvoir (« Le Deuxième sexe »), Manon Garcia et bell hooks.
Plus largement, nous envisagerons de manière psychanalytique les apports des pensées féministes et queer, et des études de genre, les plus stimulantes.
En ce sens, nous lirons Lacan, mais aussi les élèves strasbourgeois de Lacan (entre autres Lucien Israël), comme d’autres de ses élèves, afin de transmettre la psychanalyse telle que l’envisage l’Ecole de Strasbourg et de pratiquer un freudo-lacanisme pleinement ouvert.
Pour cela, nous invitons des intervenantes et des intervenants psychanalystes et appartenant aux champs connexes à la psychanalyse (philosophie, sciences humaines et sociales, littérature, art, etc.).
Programme 2023-2025
9.11.2023 Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe): « La psychanalyse, la subjectivation, le féminin: élaboration avec Michel Foucault et Simone de Beauvoir »
7.12.2023 Dominique Marinelli (psychanalyste): « Eléments pour une histoire des femmes psychanalystes (1) »
11.1.2024 André Michels (psychanalyste): « Les enjeux cliniques et politiques de la question trans »
1.2.2024 Dominique Marinelli (psychanalyste) : « Eléments pour une histoire des femmes psychanalystes (2) »
14.3.2024 Sandra Baumlin (psychanalyste) et Emmanuelle Chatelat (psychanalyste) : « La servitude volontaire (Lacan, Dufourmantelle, Manon Garcia, La Boétie) »
4.4.2024 Emmanuelle Chatelat (psychanalyste): « Eléments d’histoire du genre pour la psychanalyse »
3.10.24 Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe) : « Réflexions à partir de l’archéologie foucaldienne du mariage et du couple hétérosexuel (Michel Foucault, Les aveux de la chair, chap. ‘Etre marié’) ».
7.11.24 Emmanuelle Chatelat (psychanalyste), Sandra Baumlin (psychanalyste), Stéphane Muths (psychanalyste) et Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe): « Apports du « Deuxième sexe » de Beauvoir à la psychanalyse »
5.12.24 Jorge Reitter (psychanalyste, Buenos Aires) sur « Les Aveux de la chair » de Michel Foucault, titre à venir.
9.1.25 –
6.2.25 Intervenant.e à définir: « Freud et le féminin » (suite).
7.3.25 Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe): « La question du féminin avec Zweig et Schnitzler »
3.4.25 Karina Pacheco (philosophe, Porto Alegre) et Frédérique Riedlin (psychanalyste): « Apports de bell hooks (‘A propos d’amour’) à la psychanalyse »
2.5.25 Dimitri Lorrain (psychanalyste, philosophe, chargé de cours Univ. Strasbourg): « A propos de Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, chapitre ‘Que reste-t-il de notre amour ?’ »
…
Autres intervenants à venir
Ondine Arnould (philosophe, Univ. Strasbourg, sur Lou Andreas-Salomé) ; Benjamin Lévy (psychanalyste, sur le travail culturel) ; Leiv Fraenckel (philosophe, Univ. Strasbourg, sur le judaïsme et la psychanalyse) ….
Programme passé, 1er semestre 2023
5.1.2023 Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain : « La situation contemporaine de la psychanalyse »
2.2.2023 Emmanuelle Chatelat et Dimitri Lorrain : « Le féminin selon Freud et aujourd’hui »
2.3.2023 Frédérique Riedlin (psychanalyste) : « Le tabou de la virginité selon Freud »
Dimitri Lorrain: « Elaborer psychanalytiquement la mutation culturelle contemporaine de l’individualisation du genre » (15mn).
6.4.2023 Thierry Goguel d’Allondans (anthropologue, Univ. Strasbourg) et Jonathan Nicolas (psychologue) : « Anthropologie clinique des caméléons. A propos de Choisir son genre ? (ouvrage collectif qu’ils ont dirigé) »
4.5.2023 Stéphane Muths (psychanalyste) : « La bisexualité psychique selon Freud et aujourd’hui »
Karina Pacheco (philosophe, Porto Alegre) : « Le virilisme dans le Brésil de Bolsonaro » (15mn)
1.6.2023 Frédérique Riedlin et Dimitri Lorrain : Lecture de Lacan, Séminaire XX., Encore, leçon du 13.3.1973
.
Textes étudiés
– Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle (1905), Gallimard, 1989.
– Sigmund Freud, « Le tabou de la virginité » (1918), in La vie sexuelle, PUF, 1969.
– Sigmund Freud, « Sur la sexualité féminine » (1931), in La vie sexuelle, PUF, 1969.
– Sigmund Freud, « La féminité » (1932), in Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, Gallimard, 2002.
– Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe I. et II., Gallimard, 1949 et 1951.
– Anne Dufourmantelle, Éloge du risque. Payot, Paris 2011.
– Michel Foucault, Les Aveux de la chair, éd. F Gros, Gallimard, 2018.
– Manon Garcia, On ne naît pas soumise : on le devient, Flammarion, 2018.- bell hooks, A propos de l’amour, Divergences, 2022.
– Jacques Lacan, Le Séminaire, Livre XX, 1972-1973, Encore, Seuil, 1975, particulièrement « Une lettre d’âmour », séance du 13.3.1973.– Jacques Lacan, Le Séminaire : Livre XVII. L’envers de la psychanalyse, 1969-1970, Paris, Seuil, 1991.
– Lucien Israël, Boiter n’est pas pécher, Arcanes-érès, 2010, particulièrement « Que reste-t-il de notre amour ? », p. 153-162.
– Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, Chronique sociale, 2022.
– Stefan Zweig, Le Monde d’hier (1943), Livre de poche, 1996.
Autre bibliographie (psychanalyse)
– Fabrice Bourlez, Queer psychanalyse, Hermann, 2018.
– Monique David-Ménard (dir.), Sexualités, genres et mélancolie, S’entretenir avec Judith Butler, Campagne première, 2009.
– Jean-Pierre Dreyfuss, Jean-Marie Jadin, Marcel Ritter, Qu’est-ce que l’inconscient ?, Erès, 2016.
– Jean-Richard Freymann, L’art de la clinique, Strasbourg/Toulouse, Arcanes/Erès, 2015.
– Patricia Gherovici, Transgenre : Lacan et la différence des sexes, Paris, Stilus, 2021.
– Serge Hefez, Transitions, Calmann-Lévy, 2020.
– Dimitri Lorrain, « Apports de la psychanalyse créative », in Lettre de la FEDEPSY n°10, juillet 2022.
– Dimitri Lorrain, « Avec Stefan Zweig: penser la Vienne de Freud et le geste de Freud. Une lecture du « Monde d’hier » », in Ephéméride 11, FEDEPSY, novembre 2020.
– André Michels, « De la pulsion comme subversion du genre », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Erès, 2018.
– Stéphane Muths, « ’’Un garçon dans un corps de fille’’, identités de genre et effraction pubertaire », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 99-120
– Jonathan Nicolas, « A l’ombre des jeunes gens en fleurs, une esquisse des identités adolescentes », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., à. 169-180.
– Jorge N. Reitter, Heteronormativity and psychoanalysis. Oedipus gay, Routledge, 2022.
– Frédérique Riedlin, « Sur un air de famille(s). À partir d’une question de Judith Butler. La parenté est-elle toujours déjà hétérosexuelle ? », in Laurence Croix et Gérard Pommier (dir.), Pour un regard neuf de la psychanalyse sur le genre et les parentalités, Toulouse, Erès, 2018.
– Frédérique Riedlin, « ’’Extime-toi heureux ! », in Thierry Goguel d’Allondans et Jonathan Nicolas (dir.), Choisir son genre ?, op.cit., p. 129-142.
– Moustapha Safouan, Le Transfert et le Désir de l’analyste, Seuil, 1988.
– Donald W. Winnicott, Conversations ordinaires, Gallimard, 1988.
Autre bibliographie (hors psychanalyse)
– Judith Butler, Défaire le genre, Amsterdam, 2013.
– Didier Fassin et Roland Rechtman, L’empire du traumatisme, Flammarion, 2007.
– Michel Foucault, Histoire de la sexualité I., La volonté de savoir, Gallimard, 1976.
– Michel Foucault, « De l’amitié comme mode de vie », in Dits et Ecrits II., Gallimard, 2001, p. 982-1023.
– Michel Foucault, Herculine Barbin dite Alexina B., Gallimard, 2014.
– Camille Froidevaux-Metterie, La révolution du féminin, Gallimard, 2015.
– Olivia Gazalé, Le mythe de la virilité, Robert Laffont, 2017,
– Thierry Goguel d’Allondans, Ados LGBTI, Chronique sociale, 2016.
– Françoise Héritier, Masculin-Féminin, 2 vol., Odile Jacob, 2007.
– Ivan Jablonka, Des hommes justes. Du patriarcat aux nouvelles masculinités, Seuil, 2019.
– Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Flammarion, 1993.
– Thomas Laqueur, La Fabrique du sexe, Gallimard, 1992.
– Maggie Nelson, Les Argonautes, Editions du sous-sol, 2018.
Séries
– « #Philo: sapere Aude », sur Netflix, de Héctor Lozano et Menna Fité (1)
« La fin de l’amour » de Tamara Tenenbaum, sur Amazon vidéo
– « Transparent », de Joey Soloway, sur Amazon Vidéo.
Documents de travail: page Internet réservée aux membres de l’équipe du séminaire
Protégé : Séminaire « Freud à son époque et aujourd’hui »: enregistrements et documents de travail
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NOTES
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