Jean-Marie Jadin : « L’angoisse est déjà un exil et de cet exil on sort par le désir »

Chères amies, chers amis,

Je vous mets ici le lien vers la passionnante conférence donnée par Jean-Marie Jadin pour Œdipe le Salon, sur son dernière ouvrage « La structure inconsciente de l’angoisse » (Arcanes-Erès, coll. « Hypothèses », 2017, avec préface de Marcel Ritter) :

(Vidéo sur le site Œdipe le Salon, avec Françoise Décant comme répondante.)

C’est là une description fort éclairante du mystère de l’angoisse et une élaboration théorique à la fois originale et formidablement ouvrante sur ce mystère. Pour ma part, c’est un livre sur lequel je ne cesse de revenir.

Tout le propos de Jean-Marie Jadin est nourri de son cheminement comme ancien analysant et surtout comme psychanalyste, bref de l’expérience psychanalytique qui est la sienne après plus de 40 ans de pratique. Comme il le dit, c’est un « livre de recherches », depuis l’expérience psychanalytique qui pose énormément de questions.

Le caractère formidablement ouvert de la réflexion de Jean-Marie Jadin part du fait que, selon lui, « toute parole » est « recevable dans une écoute », et dans une écoute psychanalytique. Ainsi en va-t-il de la philosophie, de la littérature, de la science qu’il évoque aussi, etc. Car dans toute parole (toute parole véritable), il y a, dit-il, toujours du transfert, même si ce transfert n’est pas psychanalytique – en même temps qu’il y a une spécificité du transfert psychanalytique et de ce à quoi il ouvre.

Bref, dans cet ouvrage, sont convoqués la science (dont l’astrophysique, la biologie ou l’anatomie et la physiologie du cerveau), la philosophie (avec, dans le désordre, Kierkegaard, Heidegger, Aristote, Hegel, La Boétie, Pascal, Leibniz, Arendt, ou les présocratiques), l’histoire de l’art (avec Füssli, Vélazquez, et Zurbaran), la médecine et son histoire, l’histoire tout court, la Bible et la mythologie, mais aussi, souvent, la littérature, puisqu’il nous parle de Hoffmann, de Kafka, de Camus, de Gide, de Borgès, de Mallarmé, de Conrad.

Plus encore, ce livre est bien une formidable traversée de la psychanalyse, de Freud, de Lacan (particulièrement de sa topologie), dont Jean-Marie Jadin est, avec son compère Marcel Ritter, un inlassable lecteur (en allemand dans le cas de Freud). Il nous éclaire ainsi beaucoup sur ce qu’est la structure en psychanalyse.

Cet ouvrage est aussi une très ouvrante traversée d’auteurs (Winnicott, Dolto, Anzieu, Diamantis) nous permettant d’envisager de manière freudo-lacanienne, en lien à la question de la « lalangue », la question de ce J.-M. Jadin appelle l’ « archaïque », et qu’il relie aux questions de la détresse primitive et de la lalangue, de la Chose et de la dialectisation de la destructivité pulsionnelle, du Réel. Bref, il nous aide à penser la question d’un narcissisme primaire, situé en-deçà du narcissisme spéculaire génialement étudié et éclairé par Lacan.

En élève de Marcel Ritter, je tiens d’ailleurs ici à pointer le fait qu’ici Jean-Marie Jadin s’appuie sur leur réflexion commune sur la lalangue dans La jouissance dans l’enseignement de Lacan et Ecritures de l’inconscient (voir la bibliographie).

D’ailleurs, cette question de l’archaïque n’est pas sans nous intéresser au séminaire « Articulations philosophie-psychanalyse » que nous animons avec Jacob Rogozinski à l’Université de Strasbourg.

Un des points fondamentaux (parmi tant d’autres !) de son propos pour nos débats contemporains consiste dans son insistance sur la manière dont la psychanalyse peut aider le sujet à surmonter l’effet désubjectivant de situations discursives et réelles, passées et présentes, justement par le fait que la psychanalyse ouvre à une subjectivation de la parole du sujet, mais aussi de l’instance morale qui l’habite, son surmoi.

Bref, comme le dit Françoise Decant (1) lors de cette conférence, J.-M. Jadin fait « un pas de plus que Freud et Lacan ».

Ce pas de plus est bien caractérisé par Séverine Mathelin dans sa recension de l’ouvrage pour la revue Essaim:  » (Ce livre) touchera d’autant plus les psychanalystes, dont Lacan disait qu’il fallait qu’ils soient « vachement cuirassés contre l’angoisse » (2). Pourtant, ce n’est pas ici une cuirasse que Jean-Marie Jadin nous propose comme solution à l’angoisse, mais une forme de souplesse dans la traversée d’une position à l’autre » (3).

Que l’on suive ou non l’auteur sur l’ensemble des ouvertures qu’il opère (pour ma part, je le suis), cette réflexion témoigne de la créativité de notre Ecole psychanalytique de Strasbourg, où Jean-Marie Jadin est l’un des maîtres ayant formé et formant de nombreuses générations.

Et ce livre témoigne aussi du fait que la psychanalyse, lorsqu’elle ose être « fidèlement infidèle » (Derrida), a bien des choses à apporter dans nos débats psychanalytiques, intellectuels, esthétiques, culturels.

D’ailleurs, voici une autre vidéo de présentation du même ouvrage :

https://www.youtube.com/watch?v=lqUzc7WnNZc

(Vidéo issue du site de l’éditeur Erès.)

Comme Jean-Marie Jadin le dit dans cette vidéo : «  c’est l’angoisse qui nous fait sentir vivant et qui nous rend humain ».

Je tiens aussi à rappeler, que 14 mars 2019, à la librairie Quai des Brumes de Strasbourg, nous avions avec Marcel Ritter et Jean-Richard Freymann échangé autour de cet ouvrage.

Jean-Marie Jadin exerce en tant que psychanalyste à Mulhouse depuis 1973, après avoir été interne à Strasbourg de 1967 et 1970, puis chef de clinique de 1970 à 1973. A la suite de cela, pendant 20 ans, il a dirigé un séminaire avec ses deux amis rencontrés à l’internat, Marcel Ritter et Jean-Pierre Dreyfuss. Ce un séminaire a donné lieu à la publication de « Qu’est ce que l’inconscient », ce classique en 3 volumes sur l’inconscient chez Freud et Lacan. Ils sont ou ont été tous les trois des élèves de Moustapha Safouan, qui avec Lucien Israël figures a donné à la psychanalyse de l’Est une orientation lacanienne.

Son œuvre comprend donc les 3 fondamentaux volumes issus du séminaire avec Marcel Ritter et Jean-Pierre Dreyfuss sur l’inconscient selon Freud et Lacan, et le fort important et fort acribique ouvrage collectif « La jouissance au fil de l’enseignement de Lacan » qu’il a dirigé avec Marcel Ritter. Il a aussi écrit plusieurs livres en solitaire, particulièrement sur le délire, ou sur le triptyque freudien, fondateur de la psychanalyse, qu’est la triade névrose-psychose-perversion, ainsi qu’un ouvrage que j’aime beaucoup, je dois le dire, « Côté divan, côté fauteuil », qui explicite en des termes accessibles en quoi consiste la psychanalyse et ce qui se passe dans cette aventure au sens fort du terme.

Dans l’ensemble de ces ouvrages, Jean-Marie Jadin déploie une langue classique, à la fois claire et riche, alternant éclairage théorique issu de la confrontation à la clinique toujours singulière, mots courants, trouvailles traduisant la dynamique du discours analytique, métaphores nous aidant à nous représenter l’énigmatique, exégèse incarnée et contextualisée des pensées de Lacan et de Freud –  avec régulièrement des explications des termes allemands utilisés par Freud.  En somme, pour essayer de dire les choses de manière plus précise, je dirais de cette langue, qu’on a beaucoup de plaisir à lire, qu’elle relève de la clarté obscure des classiques – comme celle de Freud.

Bibliographie :

André Gide et sa perversion, Arcanes-Erès, coll. Hypothèses, 1995

– Côté divan, côté fauteuil, Albin Michel, 2003

Toutes les folies ne sont que des messages, Arcanes-Erès, coll. Hypothèses, 2005

Trois délires chroniques, Arcanes-Erès, coll. Hypothèses, 2011)

– en collaboration avec Marcel Ritter et Jean-Pierre Dreyfuss, sa trilogie sur l’inconscient :

            –  Qu’est-ce que l’inconscient ? Un parcours freudien, réed. Erès, 2016).

            – Qu’est-ce que l’inconscient ? L’inconscient structuré comme un langage, Arcanes-       Erès, coll. 1999

            Ecritures de l’inconscient, Arcanes-Erès, coll. Hypothèses, 2001

– Ouvrage collectif codirigé avec Marcel Ritter, La jouissance au fil de l’enseignement de Lacan, Erès, 2012.

NOTES:

(1) : François Décant a d’ailleurs écrit un bel ouvrage sur Ibsen et sur ce que la psychanalyse lui doit : L’écriture chez Henrik Ibsen, Arcanes-Erès, coll. Hypothèses, 2007.

(2): Conférence de presse du Dr Jacques Lacan au centre culturel français, Rome, 29 octobre 1974.

(3): Essaim 2018/2 (n° 41), pages 187 à 191. Voir: https://www.cairn.info/revue-essaim-2018-2-page-187.htm

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