Le Freud de l’historien états-unien Peter Gay (Vidéo)
Chères amies, chers amis,
Pour notre réflexion sur l’histoire de la psychanalyse, ici un lien vers un entretien (en anglais) datant de 1988 avec l’historien états-unien Peter Gay :
https://www.njtvonline.org/programs/the-open-mind/the-open-mind-freud-part-i/
Sur Freud, Peter Gay a écrit : « Freud, une vie » (1) et « Un juif sans Dieu. Freud, l’athéisme et la naissance de la psychanalyse » (2). Plus largement, comme historien, il a développé ses recherches sur tout un ensemble de questions (les Lumières, le monde germanique moderne, son évolution et sa culture).
Comme y insiste Elisabeth Roudinesco (3), Peter Gay a écrit une œuvre historique sur Freud qui nous permet de développer une perspective bien tempérée de l’héritage freudien et de l’histoire de la psychanalyse. Or cela nous est utile pour ne pas ériger Freud, Lacan, l’analyste en général, comme les porteurs d’un Savoir de surplomb (un Sujet-Supposé-Savoir, dirait Lacan). Plus encore, cela nous est précieux pour répondre à l’anti-freudisme – ce que Peter Gay fait largement en partant des sources historiques. Bref, nous avons besoin d’histoire en psychanalyse !
Le Freud de Peter Gay est un Freud rationaliste et psychologique, ce qui ouvre à discussion, particulièrement pour une psychanalyse élaborant l’apport de Lacan ! Il reste que son travail d’historien est important pour nous.
Dans cet entretien, entre autres, il développe une réflexion intéressante concernant l’anti-américanisme de Freud, comme quoi les états-uniens seraient « tous », dit-il, selon une certaine « mythologie », « matérialistes », « privés de culture », « obsédés par le dollar ». Pour ma part, connaissant quelque peu les Etats-Unis, je pense que la raison de cette incompréhension me semble due au fait que les états-uniens, même cultivés, insistent toujours sur l’ « ordinaire » – ce qui ouvre, concernant les sujets en subjectivation, à une manière de parler et de penser spécifique, au regard de nos standards européens (4). Or cette insistance sur l’ordinaire est quelque chose vers lequel la culture germanique et européenne du « monde d’hier », très soucieuse de haute intellectualité (ce qui a donné des œuvres culturelles majeures, dont en premier celle de Freud !), orientait peu les sujets. C’est d’ailleurs quelque chose que note Stefan Zweig dans Le Monde d’hier.
Bref, il y a là une différence culturelle, une différence de discours collectif, qui fait que Freud (il n’est pas le seul) a mécompris les Etats-Unis. Il reste que, bien sûr, l’optique souvent post-freudienne et très médicale de la psychanalyse états-uniennes me semble, au regard de l’apport de Lacan, avoir d’importantes limites.
Plus encore, cette vidéo témoigne aussi de cette bonhommie états-unienne que pour ma part j’apprécie beaucoup.
Je finirais ce billet en disant que, pour l’histoire de la psychanalyse, il existe tout un ensemble de travaux historiens nous donnant beaucoup à élaborer (ne citons qu’Elisabeth Roudinesco, Jacques Le Rider, Peter Gay donc, Eli Zaretsky, etc.). Je me base sur leurs travaux dans ma réflexion sur Stefan Zweig et Freud (5).
NOTES :
(1) : Hachette, 1991, publié en 1988 aux Etats-Unis.
(2) : PUF, 1989, publié en 1987 aux Etats-Unis.
(3) : Freud en son temps et dans le nôtre, Paris, Seuil, 2014.
(4) : Sur cette question de l’ordinaire dans la pensée et la philosophie états-unienne, je renvoie à la réflexion de Sandra Laugier, par exemple dans Faut-il écouter les intellectuels ? (2003).