Etienne Klein: sur la création scientifique (avec Lacan) et sur les Lumières
Chères amies, chers amis,
Lorsque je parle de la question de la science, j’évoque souvent la passionnante réflexion du physicien et philosophe Etienne Klein, dans la vidéo suivante. Il y parle de la création scientifique, de la manière dont, se fondant sur le désir, elle peut produire une vérité qui sera empiriquement constatée… des décennies plus tard !
Il en va là, dit-il élaborant Lacan, d’une décision du « désir » – bref, d’un acte de désir où le sujet s’autorise de lui-même, se dégageant du discours scientifique collectif de son époque pour créer un discours singularisé. Ici la vérité, surgissant de la confrontation dans le non-savoir, à un réel énigmatique (1), déjoue le savoir, pour produire un nouveau savoir… qui à son tour, sera déjoué… Il en va ici d’une création discursive, scientifique, singulière.
Voir la vidéo:
(Entretien réalisé par Marc Strauss et Cathy Barnier, à propos des Paradoxes du désir, journées de l’IF-EPFCL).
Cette création scientifique singulière est différente de la découverte scientifique de forme plus récente, elle aussi étonnante, permise par les algorithmes (2).
Plus encore, dans sa réflexion plus générale, Etienne Klein nous rappelle le fait que le philosophe Koyré explique que le pari de la physique moderne consiste à vouloir « expliquer le réel par l’impossible » (3). Et nous connaissons l’importance de la réflexion de Koyré sur la science pour Lacan, qui d’ailleurs fait de la psychanalyse une forme de science particulière (4).
Bref, voici une contribution fondamentale à notre interrogation (psychanalytique et plus générale) sur la science et sur les Lumières, sur le technoscientisme (5) et sur le discours collectif de l’ « innovation » – qu’Etienne Klein critique de manière éclairante.
En somme, la psychanalyse, science du singulier héritière des Lumières (6), a bien des choses à nous dire sur la science, aussi !
Concernant Etienne Klein – pour ceux qui ne le connaissent pas, car enfin c’est un contemporain capital ! -, notons la sortie récente de deux contributions fondamentales sur la situation actuelle de la science, aussi au regard du Covid-19: Je ne suis pas médecin, mais je…, Gallimard, coll. « Tracts de crise » n°25, mars 2020 ; Le Goût du vrai, Gallimard, coll. « Tracts », n°17, juillet 2020.
Notons aussi sa belle réflexion sur les Lumières (7), sur la nécessité de construire un futur dans notre société absorbée par le présentisme. Sur cette question fondamentale, voir par exemple:
« A quelle distance sommes-nous des Lumières ? »
Forum France Culture, L’année vue par les sciences, à la Sorbonne le 14 février 2015. Leçon de clôture par Étienne Klein : « A quelle distance sommes-nous des Lumières ? »
Voir aussi son blog:
NOTES:
(1): Ce réel ou cette réalité énigmatique n’est pas le Réel de la psychanalyse, tel que l’a caractérisé Lacan. Mais enfin Etienne Klein nous dit bien ici quelque chose du désir, et de la créativité scientifique singulière comme désirante, différente du discours collectif scientifique, qui est utile mais à trouer par de nouvelles créations. Sur ce geste historique de création scientifique, je renvoie au grand classique d’Ernst Cassirer, Le Problème de la connaissance dans la philosophie et la science des Temps modernes t. 1 et t. 2.
(2): Sur celle-ci, je renvoie à mon billet « La biologie bouleversée avec la résolution du problème du repliement des protéines par Alpha Fold ? »: https://dimitrilorrain.org/2020/12/11/la-biologie-bouleversee-avec-la-resolution-du-probleme-du-repliement-des-proteines-par-alpha-fold/
(3): Etienne Klein, « Discours sur l’origine de l’univers », 2016, p. 137. Koyré en parle dans son « Etudes d’histoire de la pensée scientifique », 1966, p.166.
(4): Par ex. dans J. Lacan, « Le Séminaire, livre XX., Encore, 1972-1973 », Leçon du 8.5.73.
(5): Sur le technoscientisme, voir J.-R. Freymann, « L’inconscient pour quoi faire? ». Arcanes-érès, 2018.
(6): Sur la psychanalyse et les Lumières, voir E. Roudinesco, « Sigmund Freud en son temps et dans le nôtre »; A. Didier-Weill, « Un mystère plus loin que l’inconscient ».